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Déclaration du FOCODE à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées – Edition 2024

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BURUNDI : A moins d’une année des élections de 2025, les disparitions forcées prennent une ampleur alarmante !

Les faits contredisent néanmoins cette déclaration présidentielle. Si l’on s’en tient au seul phénomène des disparitions forcées, les enquêtes du FOCODE depuis huit mois derniers font état d’une augmentation alarmante des cas de disparitions forcées depuis fin décembre 2023. Alors que dans son discours du 29 juillet 2022 à Ngozi[1] le Président NDAYISHIMIYE avait déclaré la destruction d’un groupe qui kidnappait des citoyens, les enlèvements et les disparitions forcées ont repris dès février 2023 et se sont gravement accrus depuis la fin de décembre 2023. Au cours du premier semestre de 2024, le FOCODE a documenté une quarantaine d’enlèvements des citoyens, dont au moins 25 n’ont plus été retrouvés. Ce niveau d’enlèvements et de disparitions forcées dans le seul premier trimestre de l’année n’avait été atteint qu’en 2016, dans les moments forts de la crise née du troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le Burundi est à moins d’une année des élections législatives et locales de 2025.

En cette occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, célébrée chaque 30 août, le FOCODE tient à alerter sur la continuation alarmante du phénomène des disparitions forcées au Burundi en 2024. Cette déclaration brosse un bref aperçu de ce phénomène sous le régime du Président NDAYISHIMIYE, révèle des aspects du phénomène en 2024, en décrit les cibles et les auteurs, déplore la complaisance de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) et plaide pour le renouvellement du mandat du Rapporteur Spécial des Nations-Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi.

Bref aperçu du phénomène des disparitions forcées sous le régime NDAYISHIMIYE

Depuis l’avènement du Président Evariste NDAYISHIMIYE au pouvoir en juin 2020, au moins 120 personnes ont été victimes de disparitions forcées et n’ont jamais été retrouvées.

En 2020, les trois premiers mois du régime (de juin à septembre) ont connu une accalmie du phénomène des disparitions forcées et donné l’espoir d’un changement. La situation s’est renversée dans le dernier trimestre de l’année, le FOCODE ayant documenté 25 cas de disparitions forcées sur le deuxième trimestre de 2020. A titre de comparaison, le FOCODE avait documenté 17 cas de disparitions forcées au premier semestre de 2020 (sous le régime du Président NKURUNZIZA).

En 2021, le phénomène des disparitions forcées a pris une nouvelle ampleur avec l’introduction d’un nouvel acteur dans les enlèvements des victimes. Un escadron de la mort a été constitué au sein du renseignement militaire (G2) à l’Etat-Major Général de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB). Le FOCODE a pu documenter 55 cas de disparitions forcées. Le FOCODE a vigoureusement dénoncé les crimes du G2 dès la fin d’octobre 2021 et, en conséquence, le service a dû arrêter ses enlèvements le mois suivant. Le patron du G2, le Colonel Ernest MUSABA a été limogé en décembre 2021. L’escadron de la mort a été démantelé au début de 2022 mais ses membres, loin d’être sanctionnés, ont été mutés et envoyés dans des missions à l’extérieur du pays.

En 2022, un changement net a été observé. Le FOCODE a documenté 4 cas de disparitions forcées. Après le discours du Président NDAYISHIMIYE à Ngozi et le limogeage du patron du renseignement intérieur, le Colonel Alfred Innocent MUSEREMU en juillet 2022, les enlèvements et les disparitions forcées semblent s’être estompés dans le reste de 2022.

En 2023, les disparitions forcées ont repris. Le FOCODE a documenté 10 cas de disparitions forcées, opérés par le Service National de Renseignement (SNR).

En 2024, les enlèvements et les disparitions forcées ont continué avec une allure alarmante. Dans les six premiers mois de l’année, le FOCODE a documenté une quarantaine d’enlèvements, dont 25 personnes qui ne sont toujours pas retrouvées. Un tel chiffre n’avait pas été atteint dans le premier semestre de l’année depuis 8 ans !

Ampleur des enlèvements et des disparitions forcées en 2024

Depuis fin décembre 2023, le FOCODE a été informé d’au moins 35 cas d’enlèvements de citoyens. Dans la quasi-totalité des cas, les victimes avaient reçu un appel téléphonique avant d’aller à la rencontre des ravisseurs ou avaient été appréhendées à leurs résidences par des agents du SNR en tenue de la Police nationale à bord d’un véhicule aux vitres teintées. 10 personnes sur les 35 ont pu être retrouvées, 25 restent introuvables. Toutes les 10 personnes retrouvées étaient détenues par le SNR ou, rarement, par le Renseignement militaire (G2). La plupart des personnes retrouvées avaient pu bénéficier d’une alerte rapide au moment de leur enlèvement. Les alertes du FOCODE ont joué, à cet égard, un rôle salvateur pour beaucoup de ces victimes. Des 10 personnes retrouvées, 8 ont été libérées, 1 est détenue à la prison centrale de Mpimba et 1 se trouve encore détenue au SNR.

Au cours des six mois, entre le 26 décembre 2023 et le 26 juin 2024, le FOCODE a documenté au moins 25 cas de disparitions forcées. Depuis 2015, la seule fois où un tel chiffre de disparus avait été atteint dans le seul premier semestre de l’année, c’était en 2016 (année record des disparitions forcées sous le troisième mandat du Président NKURUNZIZA). C’est dire à quel point l’allure des disparitions forcées devient alarmante à une année des élections de 2025.

A titre illustratif :

  • Arlette NIYOMWUNGERE, militante du parti MSD, a été enlevée à Kanyosha (sud de la ville de Bujumbura) le 26 décembre 2023 par des personnes en tenue de la Police nationale à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Au moment de son enlèvement, elle était assise avec des amis ; les ravisseurs ont refusé de décliner leur identité, se contentant de dire que la victime était recherchée et allait s’expliquer devant des autorités. Le véhicule utilisé dans son enlèvement serait celui du responsable du SNR en Mairie de Bujumbura. De 2015 à 2020, Arlette NIYOMWUNGERE avait été emprisonnée en raison de ses opinions politiques ; en octobre 2020, elle avait aussi fait l’objet d’un enlèvement par le SNR et avait été détenue pendant un mois dans les cachots du SNR.
  • Corinne NIZIGAMA, jeune lauréate des humanités générales (fin de l’école secondaire), provenant d’une famille réputée proche de l’opposition, a été enlevée le 08 janvier 2024 au quartier Gasenyi (Nord de Bujumbura), par des personnes armées et en tenue de la Police nationale, à bord d’une voiture Toyota TI grise aux vitres teintées, immatriculée B0857A qui serait du SNR.
  • Georges NIMBONA alias MANYENYE, responsable de la jeunesse du parti CNL à Buringa en commune Gihanga, a été enlevé le soir du 29 janvier 2024, à la 8ème avenue de Buringa, par des hommes armés à bord d’une voiture Toyota Sprade bleue aux vitres teintées immatriculée K1780A. Le jour de son enlèvement, Georges NIMBONA avait été soumis à une surveillance des miliciens IMBONERAKURE.
  • David BAMPORIKI, militant du parti CNL, a été enlevé le soir du 21 février 2024 dans un bar à Kagwema en commune Gihanga, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Du matin au moment de son enlèvement, David BAMPORIKI avait passé toute la journée avec le responsable de la jeunesse IMBONERAKURE en commune Gihanga. Le véhicule utilisé dans son enlèvement serait du SNR en province Bubanza.
  • Gilbert IRAKOZE, orpailleur et militant du parti CNL, a été enlevé le 26 février 2024, à Rutabo en commune Mabayi, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Parmi les hommes à bord de ce véhicule soupçonné d’être celui du SNR en province Cibitoke, des témoins ont reconnu le chef de la zone Mabayi, Mozaire BAZIRUTWABO alias MAZAHARI.
  • Pacifique NKESHIMANA, chauffeur de taxi et sympathisant du parti CNL, a été enlevé le soir du 05 avril 2024, à Ruyanzari (zone Buhoro) en commune Mabayi, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Pacifique NKESHIMANA aurait été emmené dans la même soirée à Kinama en Mairie de Bujumbura pour indiquer la résidence de son ami Djuma NDAYISHIMIYE.
  • Djuma NDAYISHIMIYE, militant du parti CNL originaire de la commune Mabayi, a été enlevé dans la nuit du 05 au 06 avril 2024 à sa résidence à Kinama en Mairie de Bujumbura, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Avant cet enlèvement, des éléments de la police auraient bouclé toutes les issues menant vers la résidence de Djuma NDAYISHIMIYE.
  • Vianney BIGIRIMANA, commerçant et militant du parti CNL, a été enlevé le soir du 11 avril 2024 dans sa boutique sise à la 15ème Transversale de Maramvya en commune Mutimbuzi, par des hommes en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées.
  • Guillaume GAHUNGU, tutsi ayant récemment adhéré au parti CNDD-FDD et ancien responsable du parti MRC-Rurenzangemero, a été enlevé dans la soirée du 17 avril 2024 au chef-lieu de la commune Gihanga. Le jour de son enlèvement, Guillaume GAHUNGU et sa résidence avaient été soumis à une surveillance des éléments du SNR.
  • Jérémie NIYOKINDI, militant du parti CNL, a été enlevé le 18 avril 2024 à sa résidence à Rugese en commune Ntega, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota double cabine blanche aux vitres teintées. Le véhicule utilisé serait du responsable du SNR en province Kirundo, Pépin HABIMANA.
  • David NSENGIYUMVA, militant du parti CNL originaire de la commune Mabayi et rapatrié du Rwanda en 2021, a été porté disparu après avoir répondu à l’invitation du responsable provincial du SNR à Cibitoke, Isidore NYANDWI.
  • Guy Armand NDIKUMANA, commerçant, a été enlevé le 08 mai 2024 à la 2ème avenue de Bwiza (ville de Bujumbura) par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une voiture Toyota Probox blanche aux vitres teintées, partiellement immatriculée C734A IT. Le véhicule serait utilisé par le responsable adjoint du SNR en Mairie de Bujumbura et a servi une semaine plus tard dans l’enlèvement de Christian MUPENZI.
  • Christian MUPENZI, électricien, a été enlevé le 15 mai 2024 à la 6ème avenue de Bwiza (ville de Bujumbura), par des hommes armés en tenue de la Police nationale à bord d’une voiture Toyota Probox blanche aux vitres teintées. Trois semaines après son enlèvement, des proches de Christian MUPENZI ont pu lui rendre visite au siège du SNR à Bujumbura et l’auraient trouvé affaibli suite aux actes de torture qu’il aurait subis. Par la suite, la famille n’a plus été autorisée à lui rendre visite et a reçu une information non officielle que Christian MUPENZI aurait été tué.
  • Jackson HAKIZIMANA alias NZOVU, militant du parti CNL originaire de la commune Mabayi et chauffeur de la société AFRITEXTILE à Bujumbura, a été enlevé le 12 mai 2024 dans la ville de Bujumbura en répondant à un appel d’une personne qui n’a pas été identifiée. Selon ses proches, Jackson HAKIZIMANA avait échappé à un enlèvement par le SNR le 15 avril 2024 en commune Mabayi et se cachait depuis à Bujumbura. Il avait été averti qu’il était recherché par le SNR.
  • Ezéchiel NDAYISENGA, militant du parti CNL et moniteur agricole de la commune Nyabitsinda, a été enlevé le 20 mai 2024 à Nyagitika en commune Nyabitsinda, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Dans les jours suivant son enlèvement, les autorités communales de Nyabitsinda ont rassuré la famille de la victime qu’Ezéchiel NDAYISENGA était dans les mains des services de sécurité, sans aucune autre précision.
  • Rémégie GAHUNGU, responsable de la jeunesse du parti CNL en commune Nyabitsinda, a été enlevé le soir du 20 mai 2024 à sa résidence à Nyabitsinda, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Le même véhicule avait été utilisé dans la journée dans l’enlèvement d’Ezéchiel NDAYISENGA. Les autorités communales de Nyabitsinda ont, dans ce cas aussi, rassuré la famille que Rémégie GAHUNGU était dans les mains des services de sécurité, sans aucune autre précision.
  • Edouard NDAYISENGA, tutsi militant du CNDD-FDD et enseignant  au Lycée Hosanna de Kaniga en commune Rutegama, a été enlevé le 05 juin 2024 alors qu’il rentrait du travail, par des hommes armés en tenue de la Police nationale à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Selon une source interne au SNR, le véhicule utilisé est celui du responsable provincial du SNR à Muramvya, Nicaise MUGANDE.
  • Haruna KINYATA, responsable de la jeunesse du parti FRODEBU en province Rumonge, a été enlevé le 05 juin 2024 au chef-lieu de la province Rumonge. Des proches de la victime ont reçu la confirmation qu’il avait été enlevé par des éléments du SNR qui l’accuseraient de collaboration avec le mouvement rebelle Red-Tabara.
  • Jean-Marie BIZIMUNGU, jeune commerçant originaire de la commune Gihanga, a été enlevé au CHANIC sur la route Bujumbura-Gatumba, par des hommes armés en tenue de la Police nationale, à bord d’une voiture aux couleurs des taxis privés. Dans les jours suivant son enlèvement, des émissaires du responsable du SNR en Mairie de Bujumbura, Eliphaz NIYONGABO, ont tenté de rassurer la famille que la victime était détenue au SNR et interdisaient de continuer à évoquer cet enlèvement.
  • Alexis TUYISHIME, militant du parti MSD récemment rentré d’exil du Rwanda, a été enlevé le 22 juin 2024 alors qu’il sortait d’un culte religieux à Ruzo en commune Giteranyi, par des hommes à bord d’une voiture aux vitres teintées. Des témoins ont reconnu parmi les ravisseurs le responsable de la jeunesse IMBONERAKURE en province Muyinga, Shabani NIMUBONA et un milicien IMBONERAKURE de Giteranyi connu sous le sobriquet de RASTACAR.

La liste complète des cas de disparitions forcées documentés par le FOCODE entre le 26 décembre 2023 et le 26 juin 2024 est détaillée dans le tableau en annexe de la présente déclaration. Les dossiers d’enquête sur la plupart de ces cas seront progressivement publiés dans ces deux prochaines semaines sur le site web de la Campagne NDONDEZA.

Cibles et auteurs des disparitions forcées dans le premier semestre de 2024

Comme les années précédentes, la majorité des victimes des disparitions forcées au premier semestre de 2024 est constituée de militants des partis politiques de l’opposition (CNL, MSD, FRODEBU) ainsi que d’anciens militaires (ex-FAB) à la retraite. Sur les 25 cas de disparitions forcées documentés par le FOCODE entre le 26 décembre 2023 et le 26 juin 2024, 12 sont des militants du parti CNL, 3 sont des militants du parti MSD, 2 sont d’anciens militaires à la retraite, 1 est un responsable provincial de la jeunesse du parti Sahwanya-FRODEBU en province de Rumonge. On trouve également parmi les victimes deux militants Tutsi du parti CNDD-FDD, à savoir Guillaume GAHUNGU qui venait d’adhérer au parti quelques jours seulement avant son enlèvement le 17 avril 2024 à Gihanga et Edouard NDAYISENGA, enseignant bénévole dans un lycée communal qui, selon une source au SNR, serait accusé de s’être gravement plaint contre le pouvoir en place dans un bistrot situé non loin de la résidence de la famille de la Première Dame Angeline NDAYISHIMIYE, à Kaniga en commune Rutegama. Edouard NDAYISENGA était mécontent des quatre années qu’il venait de passer comme enseignant bénévole (au lieu d’être recruté en bonne et due forme) en dépit des services rendus au parti CNDD-FDD.

9 provinces ont été touchées par les 25 cas de disparitions forcées documentés par le FOCODE dans le premier semestre de 2024 : Bujumbura-Marie (11 cas), Bubanza (3 cas auxquels il faut ajouter 2 ressortissants de Bubanza enlevés à Bujumbura), Cibitoke (3 cas auxquels il faut ajouter 2 ressortissants de Cibitoke enlevés à Bujumbura), Ruyigi (3 cas), Rumonge (2 cas), Muyinga (1 cas), Muramvya (1 cas), Bujumbura Rural (1 cas), Kirundo (1 cas). La Mairie de Bujumbura reste de loin la plus touchée par le phénomène des disparitions forcées, suivie des provinces Bubanza, Cibitoke, Ruyigi et Rumonge.

Dans toutes les provinces, les responsables provinciaux du SNR ont coordonné les enlèvements et les disparitions forcées, souvent en collaboration avec des responsables locaux de la milice IMBONERAKURE. Ainsi :

  • En Mairie de Bujumbura, Eliphaz NIYONGABO, responsable municipal du SNR, est à la tête des opérations d’enlèvements des victimes.
  • A Bubanza, Pontien BIGIRUWUHIRIWE, responsable provincial du SNR, est à la tête des enlèvements des victimes.
  • A Cibitoke, Isidore NYANDWI, responsable provincial sortant du SNR (il a été remplacé par Félix HAVYARIMANA en mai 2024) a été à la tête des enlèvements des victimes.
  • A Ruyigi, Eliezer MANIRAMBONA, responsable provincial du SNR, devrait répondre des enlèvements dans sa province.
  • A Rumonge, Régis SIBOMANA, responsable provincial du SNR, devrait répondre des enlèvements dans la province.
  • A Bujumbura rural, Salvator HORIHOZE, responsable provincial du SNR, devrait répondre des enlèvements dans la province.
  • A Kirundo, Pépin HABIMANA, responsable provincial du SNR, devrait répondre des enlèvements dans la province.
  • A Muramvya, Nicaise MUGANDE, responsable provincial du SNR, devrait répondre des enlèvements dans la province.
  • A Muyinga, Shabani NIMUBONA et Wilson NZISABIRA, respectivement responsables de la milice IMBONERAKURE et du SNR, devraient répondre de la disparition forcée d’Alexis TUYISHIME.

Dans la quasi-totalité des cas, les responsables provinciaux du SNR agissent avec l’aval du directeur du renseignement intérieur (communément appelé DDI), le Colonel de police Domitien NIYONKURU. Nombre des victimes enlevées dans les provinces sont par ailleurs acheminées dans les cachots au siège du SNR à Bujumbura. C’est là qu’ils sont soumis à des interrogatoires et toutes sortes de torture avant leur disparition forcée. Un autre élément important dans cette chaîne des disparitions forcées est le Général de brigade de police Emmanuel NDAYIZIGA, chef de cabinet de l’Administrateur Général du SNR, qui autoriserait le déblocage des fonds des opérations d’enlèvements. Naturellement, le patron du SNR, le Général-Major Ildéphonse HABARUREMA alias King-Kong est responsable de tous les actes du SNR.

Complaisance de la CNIDH face au phénomène des disparitions forcées

Dirigée par Monsieur Sixte Vigny NIMURABA depuis 2019, la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) est très bien informée du phénomène des disparitions forcées au Burundi. Elle reçoit en effet des plaintes de la majorité des familles des victimes. Depuis 2021, le FOCODE a encouragé beaucoup de ces familles à saisir la CNIDH. Cette dernière a, dans la plupart des cas, promis de recontacter les familles des disparus, mais en vain. La CNIDH a également un contact facile avec la Police nationale, les services secrets (SNR et G2 notamment) et les parquets, ce qui lui permet d’obtenir des informations confidentielles sur les différents cas de disparitions forcées. Malheureusement, dans ses différents rapports annuels, la CNIDH affiche une complaisance insoutenable de ces violations graves des droits humains. Tantôt la CNIDH nie catégoriquement l’existence des disparitions forcées, tantôt elle promet des enquêtes supplémentaires qu’elle ne fait pas, tantôt elle tente une présentation des cas de « disparitions » en omettant les informations essentielles permettant de les qualifier de « disparitions forcées ».  Ainsi, alors que le FOCODE a documenté depuis 2019 au moins 166 cas de disparitions forcées, la CNIDH n’a rapporté aucun cas de disparition forcée sur la même période !

Dès son premier rapport portant sur l’année 2019, la CNIDH de Sixte Vigny NIMURABA annonce la couleur. Ignorant même des cas de disparitions forcées qui ont fait l’objet de publication médiatique comme celui de Berchmans MISAGO alias CUMA[2] enlevé le 20 novembre 2019 devant un petit marché à Kamenge ou ceux contenus dans les rapports détaillés du FOCODE comme celui du responsable du parti MSD dans la zone Kamenge Guido SHIMIKIRO[3] enlevé le 14 août 2019 à Gihosha ou celui du militant du parti CNL Vital NYANDWI[4] arrêté en commune Gisuru le 15 mars 2019, la CNIDH écrit dans son rapport :

« Au cours de cette année dont rapport, la CNIDH n’a enregistré́ aucun cas de disparition forcée (attribué aux agents de l’Etat). Cependant, elle a été́ saisie de 2 cas d’enlèvement de personnes suivi de leur disparition ».

La même année, le FOCODE avait documenté 30 cas de disparitions forcées.

Dans son rapport portant sur l’année 2020[5], la CNIDH a consacré un paragraphe de cinq lignes au phénomène des disparitions forcées en ces termes :

« Au cours de cette année dont rapport, la CNDIH a été́ informée de l’enlèvement suivi d’assassinat le 13 mai 2020 de l’homme d’affaire S.J. en Mairie de Bujumbura. Malheureusement, les enquêtes n’ont pas permis, jusqu’à présent, d’identifier les coupables. Une autre allégation d’enlèvement suivi de disparition a été́ enregistrée à la CNIDH mais finalement la personne a été́ retrouvée. »

Pourtant, la même année, le Président de la CNIDH avait participé dans la recherche du syndicaliste Arcade BUTOYI[6] enlevé au chef-lieu de la province Cankuzo le soir du 28 avril 2020. La CNIDH avait également envoyé des émissaires dans certaines familles des victimes de disparitions forcées évoquées dans des rapports du FOCODE, notamment celles de Bienvenu NDACAYISABA et Jérôme NTAKARUTIMANA enlevés le 1er septembre 2020 à Muramvya[7] ainsi que celles de cinq membres du parti CNL enlevés dans un gîte au chef-lieu de la province Mwaro le 08 octobre 2020[8]. C’est la preuve que la CNIDH avait bel et bien connaissance des cas de disparitions forcées de 2020 même si elle a préféré demeurer dans le déni. La même année, le FOCODE avait documenté 42 cas de disparitions forcées.

Dans son rapport portant sur l’année 2021[9], la CNIDH a réservé un petit paragraphe de quatre lignes au phénomène des disparitions forcées :

« Des cas de fugues, de disparitions naturelles ont été́ signalés à la CNIDH. Par ailleurs, celle-ci a été́ saisie, au cours de l’année 2021, de 35 cas d’allégations de disparitions forcées. Au cours du travail de la CNIDH, 11 personnes ont été́ retrouvées. Les cas qui restent sont en cours de traitement. »

2021, c’est l’année de la grave implication du renseignement militaire dans l’enlèvement des civils. Le FOCODE a documenté 55 cas de disparitions forcées. La CNIDH avait promis la poursuite de son enquête sur 24 allégations de disparitions forcées mais, elle n’a plus communiqué sur ces allégations, en dépit de plusieurs rapports déjà publiés par le FOCODE sur les disparitions forcées de 2021.

Dans son rapport portant sur l’année 2022[10], la CNIDH a évoqué sept allégations de disparitions forcées qu’elle avait traitées. Six de ces cas concernaient des personnes qui avaient été retrouvées dans des cachots, notamment du SNR. Un seul de ces cas constitue réellement un cas de disparition forcée et a été documenté par le FOCODE : il s’agit de celui de Pascal COYITUNGIYE, militant du parti UPD-Zigamibanga qui venait de rentrer d’exil, enlevé au chef-lieu de la province Ngozi le 1er janvier 2022 par le responsable provincial des « IMBONERAKURE »[11] Musafiri NIYONKURU et remis au Service national de renseignement à Ngozi. Curieusement, même dans ce cas qu’elle avait bien documenté, la CNIDH s’est permis de supposer, sans aucune preuve, que Pascal COYITUNGIYE était retourné en exil au Rwanda !

« Le 4/1/2022, la CNIDH a été́ saisie par téléphone d’un représentant d’une OSC, du cas de disparition du nommé C. P. originaire de la commune et province Ngozi. Selon les informations reçues, il serait disparu le 1/1/2022. Il était parti en 2017 vers la République du Rwanda et est revenu au Burundi le 31/12/2021. Les membres de sa famille affirment que son téléphone est toujours injoignable et qu’il serait passé au stade Agasaka avant sa disparition. La famille a indiqué́ l’avoir cherché́ dans tous les cachots de la province de Ngozi mais en vain. Jusqu’au 31 décembre 2022, C.P n’était pas encore retrouvé. La CNIDH a signalé́ le cas aux services habiletés pour mener les enquêtes et vérifier s’il ne serait pas retourné en exil. »

Cette supposition de la CNIDH est scandaleuse de la part d’une institution chargée de la défense des droits humains. La CNIDH a ainsi repris à son compte un argument souvent inventé par le Renseignement militaire et le SNR dans la justification des cas de disparitions forcées. Dans plusieurs cas, en effet, les deux services ont raconté à des familles que les victimes étaient parties à l’extérieur du pays.

En 2022, le FOCODE a documenté 4 cas de disparitions forcées, dont celui de Pascal COYITUNGIYE.

Dans son rapport portant sur l’année 2023[12], la CNIDH semble avoir pris en considération les critiques formulées souvent par le FOCODE et d’autres acteurs à son encontre. Sans utiliser la qualification de « disparition forcée », lui préférant plutôt celle de « allégations de disparitions », la CNIDH a évoqué 10 cas très intéressants de personnes enlevées en 2023. Sept de ces dix cas ont été également documentés par le FOCODE et cinq d’entre eux figuraient dans la déclaration du FOCODE du 30 août 2023[13]. Comme par enchantement, six des dix cas évoqués par la CNIDH faisaient l’objet de dossiers pénaux ouverts dans différents parquets, à quelques jours de la publication du rapport de la CNIDH. Naturellement, ces dossiers n’ont connu aucune évolution par la suite, des témoins clés et des présumés auteurs de ces enlèvements n’ont jamais été auditionnés. Si le rapport de la CNIDH portant sur l’année 2023 semble s’éloigner du déni total des disparitions forcées qu’il affichait dans les précédents rapports, il n’en reste pas moins qu’elle omet de mentionner les informations cruciales permettant de qualifier les cas évoqués de « disparitions forcées » et tente de disculper l’Etat du Burundi par le seul fait de la constitution des dossiers pénaux dans les parquets, sans toutefois se soucier de vérifier le sérieux et l’évolution de ces dossiers.

En dépit de la multiplication alarmante des cas d’enlèvements et de disparitions forcées dans le premier semestre de 2024, alors qu’elle a été saisie par la plupart des familles des victimes, la CNIDH garde le silence sur cette situation. Par sa défaillance et sa complaisance, la CNIDH prouve chaque année qu’elle n’est pas dans le combat contre les disparitions forcées au Burundi. Il importe par conséquent qu’un mécanisme international indépendant de surveillance de la situation des droits de l’homme au Burundi, en l’occurrence le Rapporteur Spécial des Nations-Unies, soit maintenu et renforcé dans cette période cruciale précédant les élections de 2025.

Plaidoyer pour le renouvellement et le renforcement du mécanisme du Rapporteur Spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Burundi

En septembre prochain, le Rapporteur Spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Monsieur Fortuné Zongo, achèvera son mandat en présentant son rapport annuel au Conseil des Droits de l’Homme et à l’Assemblée Générale de l’ONU. Cette situation se présente à moins d’une année des élections législatives et locales de 2025, une période électorale susceptible d’être marquée, comme d’habitude au Burundi, par de nombreuses violations graves des droits humains. Une situation qui se présente également au moment où la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) a perdu cette année son Statut A. La CNIDH a par ailleurs démontré à plusieurs reprises qu’elle est défaillante dans la défense des droits fondamentaux des citoyens, particulièrement quand il s’agit des droits des opposants politiques ou des citoyens présumés comme tels. Dès lors, le maintien d’un mécanisme international indépendant pour le suivi de la situation des droits de l’homme au Burundi s’avère d’une importance capitale. Le mécanisme du Rapporteur Spécial des Nations-Unies sur la situation des droits de l’homme au Burundi est le seul actuellement en place pouvant jouer ce rôle, il mérite d’être maintenu et renforcé pour jouer pleinement son rôle.

De même, l’appui aux organisations de défense des droits de l’homme, notamment en exil, pouvant continuer à suivre l’évolution de la situation des droits de l’homme au Burundi et d’appuyer le Rapporteur Spécial dans sa mission, est crucial en ce moment.

Prise de position et recommandations du FOCODE

Face à la gravité de la situation décrite dans cette déclaration, le FOCODE déclare ce qui suit :

  1. Le FOCODE condamne les pratiques d’enlèvements et de détentions secrètes qui restent de mise dans les services secrets burundais et conduisent pas mal de fois à la disparition forcée des détenus ;
  2. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction de toutes les institutions burundaises, y compris la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH), sur le phénomène des disparitions forcées ;
  3. Le FOCODE constate que le remplacement du Procureur Général de la République en juillet 2023 n’a eu aucun effet positif sur la poursuite en justice des cas de disparitions forcées au Burundi. L’actuel Procureur Général de la République, Monsieur Léonard MANIRAKIZA, reste inactif sur ces violations graves des droits humains comme son prédécesseur, Monsieur Sylvestre NYANDWI ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur le phénomène des disparitions forcées au Burundi et la traduction en justice de leurs auteurs ;
  5. Le FOCODE réitère son appel au Chef de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB), le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer, au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier, le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le Renseignement militaire en 2021 ;
  6. Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de concrétiser sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 et sur la quarantaine d’autres cas de disparitions forcées qui se sont ajoutés depuis ;
  7. Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  8. Le FOCODE dénonce la défaillance et la complaisance de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) face aux cas de disparitions forcées et autres violations graves des droits humains, soutient la rétrogradation de la CNIDH du Burundi et l’invite à publier le résultat des enquêtes supplémentaires promises dans son rapport de 2021 ;
  9. Le FOCODE soutient le travail de Monsieur Fortuné ZONGO, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi, et appelle au renouvellement et au renforcement de son mandat, à la prochaine session du Conseil des Droits de l’Homme. 
  10.  Le FOCODE réitère son soutien au travail de la Cour Pénale Internationale et demande la concrétisation de son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015, dont des cas de disparitions forcées au Burundi.
  11. Le FOCODE encourage la population à alerter le plus rapidement possible chaque fois qu’un citoyen est enlevé. C’est une pratique qui a fait ses preuves et sauvé des vies depuis 2015. 

[1] Discours prononcé à l’occasion d’une séance de « moralisation » des membres de la diaspora burundaise en visite au Burundi

[2] Journal Iwacu : Où est Cuma ?, https://www.iwacu-burundi.org/ou-est-cuma/ et  https://ndondeza.org/berchmans-misago/

[3] https://ndondeza.org/guido-shimikiro/

[4] https://ndondeza.org/vital-nyandwi/

[5] Rapport annuel de la CNIDH édition 2020, https://cnidh.bi/publicationsview.php?article=870

[6] https://ndondeza.org/arcade-butoyi-et-alawi-niyonkuru/

[7] https://ndondeza.org/disparition-forcee-bienvenu-ndacayisaba-et-jerome-ntakarutimana/

[8] https://ndondeza.org/cnl-kiganda/

[9] Rapport annuel de la CNIDH édition 2021, https://cnidh.bi/publicationsview.php?article=912

[10] Rapport annuel de la CNIDH, édition 2022, https://cnidh.bi/publicationsview.php?article=931