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Disparition forcée de Jean-Marie Vianney Arakaza

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DECLARATION DU FOCODE n° 006/2018 du 30 Mars 2018

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Jean Marie Vianney ARAKAZA, jeune opposant, enlevé et porté disparu depuis le 03 mars 2018 ».

ALERTE : Nouvelle recrudescence des disparitions au Burundi !

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Vianney ARAKAZA, jeune opposant au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, récemment lauréat du Lycée Technique Saint-Luc de Bujumbura et employé de la société de gardiennage (PSG), introuvable depuis son enlèvement survenu dans la matinée du 03 mars 2018 en mairie de Bujumbura, tout près de l’entreprise BRARUDI. L’opération de son enlèvement aurait été exécutée par des éléments du Service National de Renseignement (SNR) conduits par son officier Joseph Mathias NIYONZIMA plus connu sous le sobriquet de « KAZUNGU ». La voiture utilisée dans l’enlèvement du jeune ARAKAZA aurait pris la route Bujumbura-Bubanza mais aurait bifurqué vers Buringa (Commune Gihanga) et, à partir de là, il n’y a aucune trace de la victime.

Il est rare qu’un dossier NDONDEZA soit réalisé dans l’espace d’un mois après l’annonce de la disparition d’une personne. Cette exception est motivée par le souci d’alerte sur la recrudescence des enlèvements, des disparitions et des arrestations à caractère politique à quelques semaines d’un référendum constitutionnel annoncé en mai 2018 et qui est loin de faire l’unanimité dans la société burundaise. Ce dossier dénonce enfin les comportements de la police burundaise de moins en moins crédible qui se caractérise par des déclarations pleines de mensonges et qui reste inactive dans les cas d’alerte sur les enlèvements de citoyens.

A. Identité de la victime

  1. Fils de Pascal BUHWIBIRI et de Euphémie NZAMBIMANA, Jean-Marie Vianney ARAKAZA est né en 1989 sur la colline Mabaya, commune Bisoro de la province Mwaro. Célibataire, Monsieur ARAKAZA est père naturel d’un enfant. Récemment diplômé du Lycée Technique Saint-Luc de Bujumbura (section électromécanique), la victime est employée par la société de gardiennage dénommée « Protection, Surveillance et Gardiennage », PSG en sigle. Jusqu’au moment de sa disparition, il était affecté à la garde des locaux de la Croix-Rouge Burundi à Ngagara (au Nord de la ville de Bujumbura) tandis qu’au moment fort de la crise de 2015 il gardait les locaux de la banque INTERBANK-Burundi à Mutakura.
  1. Jean-Marie Vianney réside au n°3 de la 12ème avenue à Mutakura, un quartier au Nord de la ville de Bujumbura. Il importe de souligner que Monsieur ARAKAZA n’a pas changé de résidence alors que beaucoup de jeunes de Mutakura ont dû déménager à la suite de la crise née du troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

B. Appartenance politique de la victime.

  1. Selon ses proches, Jean-Marie Vianney ARAKAZA n’a pas d’appartenance politique assumée et n’a pas participé aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza alors que les jeunes de son quartier ont été très actifs dans la contestation. Toutefois une source bien informée a signalé que le jeune homme serait proche du parti de l’opposition MSD, un parti particulièrement ciblé par la répression en cours au Burundi depuis 2015.
  1. Bien plus, le fait d’être résident de Mutakura au cours de la répression sanglante contre les manifestants anti-troisième mandat fait de M. ARAKAZA une victime potentielle. Qui plus est, durant toute la période des manifestations populaires et de la répression sanglante qui s’en est suivie, Jean-Marie Vianney ARAKAZA était affecté par son employeur (PSG) à la garde de l’agence de l’INTERBANK-Burundi sise à Mutakura. Il aurait donc assisté à certains des crimes de la police et du Service National de Renseignement, ce qui ferait de lui un témoin gênant à éliminer. En décembre 2015, il avait échappé de justesse à une attaque à la grenade dirigée contre l’agence de banque dont il assurait la garde.

C. Contexte de la disparition forcée de Jean Marie Vianney ARAKAZA.

  1. La nuit du 02 au 03 mars 2018, Jean-Marie Vianney ARAKAZA l’a passée à son poste d’attache situé au bureau de la Croix-Rouge du Burundi sis au quartier 7 de la zone urbaine de Ngagara. Le matin, après la relève, il est allé au quartier 10 de la même zone de Ngagara dans une auto-école où il suivait des cours de conduite automobile.
  1. Après l’auto-école, M. ARAKAZA s’est rendu dans un salon de coiffure situé à Mutakura en face de l’agence de la banque INTERBANK-Burundi. Il était avec un de ses amis dont l’identité n’est pas dévoilée pour des raisons de sa sécurité. Tout le temps passé au salon de coiffure, M. ARAKAZA a reçu à plusieurs reprises des appels téléphoniques, sortait pour voir la personne qui l’appelait mais revenait chaque fois sans l’avoir trouvé, selon des personnes qui étaient avec lui. Des témoins ont dit au FOCODE qu’en sortant du salon de coiffure, Jean-Marie Vianney ARAKAZA a embarqué dans un tricycle (une sorte de taxi) communément appelé TUK TUK ou BAJAJ à bord duquel se trouvaient déjà deux (2) autres personnes dont l’une aurait été identifiée comme un ancien camarade de classe de la victime au Lycée Technique Saint Luc prénommé Laurent, direction marché « KWA SIYONI ».
  2. Arrivé au marché dit « KWA SIYONI », la victime et ses deux compagnons ont pris un taxi (voiture) selon un témoignage parvenu au FOCODE. Prenant la direction ouest vers le rond-point situé tout près de l’entreprise BRARUDI, le taxi aurait été poursuivi par trois véhicules à la fois : une voiture TOYOTA de type TI aux vitres teintées, une camionnette double cabine de marque Toyota HILUX aux vitres teintées également et un pick-up de la police nationale. Les deux premiers véhicules appartiendraient vraisemblablement au Service Nationale de Renseignement. Malheureusement nos sources n’ont pas pu retenir les numéros d’immatriculation de ces véhicules ni du taxi à bord duquel se trouvait Jean-Marie Vianney ARAKAZA.
  1. Arrivé au niveau des locaux de l’usine BRARUDI, le taxi aurait été intercepté par le tristement célèbre officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA connu sous le sobriquet de KAZUNGU en compagnie d’un autre agent du SNR prénommé Yves. Les trois passagers du taxi auraient été sommés de monter à bord de l’un des trois véhicules des ravisseurs qui auraient ensuite pris la route Bujumbura-Bubanza. Après avoir traversé la palmeraie de Kivoga en commune Mutimbuzi de la province Bujumbura dit Bujumbura Rural, le véhicule transportant Jean-Marie Vianney ARAKAZA et ses compagnons d’infortune aurait bifurqué vers Buringa en commune de Gihanga. Une des victimes aurait pu s’échapper et aurait témoigné sur cette succession des événements sur les sources du FOCODE. Le FOCODE n’a pas encore pu être en contact avec ce témoin-clé.

D. Calvaire de la famille et inaction des autorités judiciaires.

  1. Depuis près d’un mois, la famille de Jean-Marie Vianney ARAKAZA vit un véritable calvaire sans savoir à quel saint se vouer. Des proches et des amis ont eu le courage de chercher dans tous les lieux de détention officiels où ils ont pu avoir accès mais n’ont trouvé aucune trace. La police judiciaire a été aussi saisie par la famille de la victime mais, jusqu’à ce jour, rien n’a été fait pour tenter de retrouver Jean-Marie Vianney ARAKAZA. Les autorités burundaises n’ont même pas lancé un appel public pour annoncer cette disparition, comme dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée.
  1. Des menaces et intimidations pèsent déjà sur les proches de la victime impliqués dans cette recherche et une demande de rançon aurait été formulée par des personnes qui se présenteraient comme des agents du SNR pouvant aider à retrouver la victime. Ces deux aspects, menaces et rançonnage, sont quasi-permanents dans les dossiers de la Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi.

E. Enlèvements et arrestations arbitraires : une nouvelle tendance extrêmement inquiétante.

  1. Depuis que Pierre NKURUNZIZA a lancé les activités relatives au référendum sur la révision de la Constitution, le FOCODE constate que le régime de Bujumbura est passé à une vitesse inquiétante dans des arrestations souvent aux allures d’enlèvements, des fois suivies de disparition forcée, des citoyens sur des motifs fallacieux et fantaisistes. Par ailleurs, lors de son discours de circonstances le 12 décembre 2017 à Bugendana, Pierre NKURUNZIZA a clairement menacé toute personne qui se rendrait coupable d’entrave à ce processus référendaire en actes ou en paroles en le qualifiant de « ligne rouge »[1].
  1. Dans le prolongement de ce discours de Pierre NKURUNZIZA, des administratifs zélés n’ont pas hésité à appeler la population à abattre les opposants au référendum. Dans une vidéo en circulation sur les réseaux sociaux depuis le 12 février 2018, l’Administrateur communal de Gashoho en province de Muyinga mobilise un groupe de sa population à « ligoter ou tirer dans la tête » les opposants au référendum[2]. Le même jour, le porte-parole de la police burundaise a confirmé que la police avait l’ordre d’arrêter toute personne qui se mettra à mobiliser pour le vote contre la révision de la Constitution[3].
  1. Avec le lancement des opérations d’enrôlement des électeurs en vue du vote référendaire, des centaines de citoyens à travers tout le pays ont été arrêtés mis dans les cachots par des miliciens Imbonerakure, des agents de la police nationale et ceux du SNR, sur l’accusation fantaisiste de faire la campagne du NON. Bien plus, des barrages ont été organisés dans différents coins du pays pour contrôler si les citoyens s’étaient faits enrôler et ceux qui n’avaient pas de récépissés d’enrôlement ont été privés des services publics de base comme l’accès à l’école, aux centres de santé ou bien aux marchés. Dans plusieurs localités du pays, le récépissé d’enrôlement est devenu un remplaçant ou un complément obligatoire de la carte nationale d’identité.
  1. A titre illustratif, dans la commune Cendajuru de la province Cankuzo, l’Admnistrateur communal a exigé des chefs de colline un rapport hebdomadaire, chaque matin, sur les personnes qui refusaient de s’enrôler. Le 14 février 2018, l’Administrateur Béatrice NIBARUTA a donné l’ordre d’arrêter Simon BIZIMANA, un citoyen de la zone TWINKWAVU qui refusait de s’enrôler sur base de sa foi religieuse. Arrêté par son chef de colline, emmené à la commune par des miliciens Imbonerakure, Simon BIZIMANA a subi un interrogatoire humiliant[4] de la part du chef de poste de la police avant d’être tabassé avec un fer à béton par l’Administrateur communal. Affaibli, saignant dans les oreilles et les narines, Simon BIZIMANA a été conduit le lendemain par le chef provincial du SNR dans le cachot du commissariat provincial de la police. Le 14 mars 2018, il a été conduit à l’hôpital de Cankuzo en état de coma et s’est éteint trois jours plus tard des suites de ce mauvais traitement et de la négligence à l’emmener à l’hôpital dans les meilleurs délais[5].
  1. En plus de ces nombreux cas d’arrestations, des cas d’enlèvements et de disparitions des citoyens se sont multipliés ces dernières semaines. Même les cas d’arrestations finalement reconnues par la police ont pris des allures d’enlèvements. Voici quelques cas préoccupants, à titre illustratif, constatés par le FOCODE :
  • Le soir du 08 février 2018, deux femmes Théodesie AHISHAKIYE et Rehema KANEZA ont été enlevées dans la ville de Bujumbura alors qu’elles rentraient du travail. Sous pression, la police s’est exprimée une seule fois sur le cas et rien n’est fait pour les retrouver sept semaines après leur disparition[6];
  • Le 02 mars 2018, cinq membres du parti MSD et un chauffeur de taxi auraient été enlevés par le SNR au marché de Ruvumera[7] dans la ville de Bujumbura et n’ont jamais été retrouvés jusqu’ici. La police burundaise ne fait rien pour les retrouver ;
  • Le 03 mars 2018, Jean-Marie Vianney et ses compagnons d’infortune ont été enlevés par le SNR tout près de l’entreprise BRARUDI[8]. Il n’y a aucune trace des victimes et la police ne fait rien pour les retrouver ;
  • Le 25 mars 2018, le caporal-chef Rubin NDAYIKEZA, chauffeur au cabinet du ministre de la défense nationale et des anciens combattants, a répondu à un appel d’un inconnu et le lendemain matin le véhicule qu’il conduisait a été retrouvé vide dans la zone urbaine de Buterere au Sud de la ville de Bujumbura[9]. Le militaire reste introuvable et la police ne fait rien pour le chercher ;
  • Le 26 mars 2018, Aloys BARICAKO, président du parti RANAC et Pierre KUGIRWA, cadre du parti CDP, ont été arrêtés à Gitega et conduits dans les cachots du SNR. Les arrestations n’ont pas été communiquées aux familles mais les détenus ont pu se débrouiller pour informer les leurs. Rapidement un système d’alerte s’est mis en branle et la police burundaise, sous pression diplomatique, a dû sauver la face en niant l’emprisonnement de l’opposant[10] et en organisant de le faire rentrer chez lui dès le lendemain soir. Ses téléphones sont restés au SNR ;
  • Le 27 mars 2018, Alony NDIKUMANA a été enlevé par le SNR à Bujumbura[11] avant d’être retrouvé deux jours plus tard dans les cachots du SNR ;
  • Le 27 mars 2018, Daniel MANIRAKIZA, représentant du parti RANAC en province Muramvya a été arrêté et conduit dans les cachots du SNR ;
  • Le 28 mars 2018, deux membres du parti MSD, Maître Ladislas NDAYIRAGIJE et Monsieur Audace BUTOYI, ainsi qu’un militaire, le caporal Janvier BIZIMANA, ont été enlevés par le SNR (avec des allures d’enlèvement) à Bujumbura mais ils ont été retrouvés dans les cachots du SNR. Le soir du même jour, la police a reconnu l’arrestation de l’avocat pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » mais n’a pas dévoilé l’identité des deux autres personnes arrêtées comme lui[12]. Le fait de cacher l’identité des personnes arrêtées peut facilement donner lieu à la disparition forcée.

  N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.                                                               

F. Recommandations et prise de position.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Jean-Marie Vianney ARAKAZA, le silence des autorités burundaises sur ce crime grave ainsi que l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée et d’exécutions extrajudiciaires des membres de l’opposition politique ou des personnes perçues comme tel par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  2. Le FOCODE condamne les arrestations aux allures d’enlèvements opérées par la police et le SNR en connivence avec les miliciens Imbonerakure ainsi que la non communication par la police sur l’identité des personnes arrêtées ainsi que les lieux de détention, un comportement qui malheureusement facilite la disparition forcée des détenus ;
  3. Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes d’atteinte graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents du SNR, la persistance du phénomène des disparitions forcées et exécution extrajudiciaire ainsi que la totale impunité garantie aux éléments égarés des corps de défenses et de sécurité impliqués dans des actes de disparition forcée ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur l’enlèvement suivi de disparition forcée de Jean-Marie Vianney ARAKAZA ainsi que la traduction en justice de l’Officier du Service National de Renseignement, Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU et de tous les complices dans le processus de la disparition forcée de jean Marie Vianney ARAKAZA ;
  5. Le FOCODE demande à la population burundaise de redoubler de vigilance et d’éviter de répondre aux rendez-vous téléphoniques de personnes inconnues et de briser la peur pour alerter quand on est témoin d’acte de violation des droits des citoyens ;
  6. Le FOCODE encourage la communauté diplomatique à Bujumbura de continuer à s’impliquer dans le suivi des cas d’arrestations arbitraires et de s’intéresser davantage aux cas de disparitions forcées. Le suivi remarqué du cas de l’arrestation du Président du RANAC a sauvé une vie qui pouvait être gravement en danger.

[1] Tout droit vers l’amendement de la Constitution, http://www.iwacu-burundi.org/droit-vers-lamendement-de-la-constitution/

[2] https://twitter.com/pnininahazwe/status/963366504787054592

[3] https://twitter.com/pnininahazwe/status/963338906438717440

[4] https://twitter.com/pnininahazwe/status/975614084291940353

[5] Enquête/Mort de Simon, l’homme qui refusait de voter, http://www.iwacu-burundi.org/enquete-mort-de-simon-lhomme-qui-refusait-de-voter/

[6] https://twitter.com/pnininahazwe/status/979311960700391424

[7] https://twitter.com/NEpithace/status/972419092421468160 et https://twitter.com/NEpithace/status/972419095093284864

[8] http://ndondeza.org/alerte-jean-marie-vianney-arakaza/

[9] http://ndondeza.org/alerte-rubin-ndayikeza/

[10] https://twitter.com/BurundiPolice/status/978596438212071424 et https://twitter.com/SOSMediasBDI/status/978708702093029376

[11] https://twitter.com/pnininahazwe/status/978598227586019328

[12] https://twitter.com/BurundiPolice/status/979014933097713664