DECLARATION DU FOCODE n° 014/2018
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Olivier MUGISHA, jeune opposant introuvable depuis son arrestation par des éléments de l’Armée burundaise (FDN) dans la matinée de mercredi 13 janvier 2016 à Cibitoke »
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Olivier MUGISHA, un jeune du quartier Cibitoke au nord du la capitale Bujumbura, arrêté par des éléments de l’armée burundaise au cours d’un bouclage dudit quartier dans la matinée du 13 janvier 2016. Selon plusieurs témoins, Olivier MUGISHA a été arrêté dans un rafle avec d’autres jeunes qui étaient opposés et qui avaient manifesté pacifiquement contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA ; entre autres MM. Firmin WAKANA et Claude NSHIMIRIMANA.[1]
A bord du pick-up de Feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE, alors Commandant du Bataillon Génie de Combat du Camp Muzinda, par ailleurs chargé de coordonner la répression dans les quartiers du Nord de la Ville de Bujumbura, Olivier MUGISHA et ses compagnons d’infortune ont été emmenés mains liées au dos, pour être retenus dans un lieu secrets jamais communiqué à leurs familles.
Ce dossier NDONDEZA s’inscrit dans la liste des cas de disparitions spectaculaires qui ont caractérisé le phénomène de bouclage des quartiers qui avaient manifesté pacifiquement contre le mandat inconstitutionnel de Pierre NKURUNZIZA. Un bouclage qui a été émaillé de plusieurs violations de droits humains dont des viols de femmes, des vols, des assassinats ainsi que des arrestations suivies de disparitions.
C’est ainsi que Monsieur Olivier MUGISHA, de même que ses compagnons d’infortune, n’ont jamais réapparu depuis le 13 janvier 2016 alors qu’ils ont été arrêtés par des éléments identifiables de l’armée et transportés dans un véhicule de la même institution au vu d’une foule d’habitants du quartier et des proches des victimes.
A. Identité de la victime
- Fils d’Onesphore BARUTWANAYO et de Claudette UWAMAHORO, Olivier MUGISHA alias « Che Guevara » est né le 15 octobre 1984 au quartier Mirango de la zone Kamenge de l’actuelle commune de Ntahangwa en Mairie de Bujumbura. Olivier MUGISHA était encore célibataire au moment de sa disparition forcée.
- Selon les témoignages reçus auprès de ses amis, Olivier MUGISHA était un membre sympathisant du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), parti d’opposition dont les membres ont été plus visés par la répression ayant suivi la contestation anti troisième mandat.
B. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Olivier MUGISHA.
- Dans la matinée du 13 janvier 2016, plusieurs éléments des corps de défense et de sécurité (armée, police, service national de renseignement) ont ceinturé la zone urbaine de Cibitoke à la traque des jeunes opposés ou présumés opposés au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Olivier MUGISHA et quelques autres jeunes se trouvaient à la 7emeavenue à Cibitoke, au domicile d’un de leurs amis du non de Firmin WAKANA. C’est là qu’ils ont été surpris par un commando d’hommes en uniforme militaire qui, sans aucun titre, les ont arrêtés, ligotés puis remis à Feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE qui les a embarqués dans son pickup pour une destination jusqu’ici inconnue ;
- D’après un témoignage d’un ami du locataire des lieux, Olivier MUGISHA alias Che Guevara, a été arrêté en même temps que Firmin WAKANA et Claude NSHIMIRIMANA dans une opération de ramassage de jeunes qui était supervisée par de hautes personnalités de l’armée, de la police et du service national de renseignement dont feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE, le Commissaire Désiré UWAMAHORO alors commandant de la Brigade anti-émeutes, le Général Gervais NDIRAKOBUCA ainsi que le tristement célèbre Joseph-Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU, officier du Service national de renseignement. Ils ont embarqué beaucoup de jeunes dans les pick-up sous les yeux des parents du quartier qui criaient impuissants « où amenez-vous nos jeunes ? »
- Avant de s’éclipser vers une destination qui reste jusqu’ici inconnue, le pick-up de Darius IKURAKURE aurait fait plusieurs tours, des allers-retours dans les parages de l’endroit où les victimes ont été arrêtées, pour bien semer la terreur au sein de la population à travers le traitement inhumain infligé aux victimes et dans l’intention de dissuader toute nouvelle idée de contestation du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.
- Les proches d’Olivier MUGISHA l’ont cherché dans les différents cachots connus, mais en vain. Craignant pour leur sécurité à leur tour, beaucoup de membres de la famille de la victime ont pris le chemin d’exil par la suite.
C. Présumés auteurs de la disparition forcée de Monsieur Olivier MUGISHA
- D’après les informations concordantes recueillies par le FOCODE dans le cadre de la présente enquête, les personnes impliquées dans la disparition forcée de Olivier MUGISHA sont notamment :
- Feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE : il était à l’époque des faits, le Commandant du Bataillon Génie de Combat du Camp MUZINDA et Coordinateur de la répression dans les quartiers du Nord de la Ville de Bujumbura. Après toutes sortes de mauvais traitements, Olivier MUGISHA et ses compagnons d’infortune ont été embarqués dans le véhicule qui, selon les sources du FOCODE, serait celui de fonction de Feu Darius IKURAKURE. Depuis lors, point de nouvelles des victimes. Cet officier de l’armée a été également cité dans plusieurs autres dossiers traités dans le cadre de la Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi;
- Gervais NDIRAKOBUCA alias NDAKUGARIKA, actuel chef de cabinet chargé des questions de police à la Présidence de la République du Burundi. Sa présence a été remarquée par des témoins lors de l’opération ayant débouché sur la disparition forcée ;
- L’officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU et le Commissaire Désiré UWAMAHORO, alors Commandant de la Brigade Anti-Emeutes, deux officiers cités dans plusieurs autres cas de disparitions forcées ou exécution extrajudiciaires ;
- L’officier de police qui était responsable du poste de police de la zone Cibitoke au moment des faits ;
N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.
D. Recommandations et prise de position.
- Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Olivier MUGISHA et ses compagnons d’infortune dont certains ne sont pas encore identifiés, le silence gardé par les autorités burundaises sur les crimes liés au bouclage de la zone urbaine de Cibitoke le 13 janvier 2016 et l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée des membres de l’opposition politique ou des personnes perçues comme tels par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
- Le FOCODE condamnela persistance de multiples actes d’atteinte graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents des corps de défense et de sécurité, la persistance du phénomène des disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires ainsi que la totale impunité garantie aux éléments égarés des corps de défense et de sécurité impliqués dans des actes de disparitions forcées;
- Le FOCODE demandeune enquête indépendante sur les crimes liés à tous les cas de bouclage des quartiers dans le cadre de la répression en cours au Burundi, en particulier sur les crimes du 13 janvier 2016 dans la zone urbaine de Cibitoke et la traduction en justice de tous ceux qui ont été impliqués dans la disparition de Monsieur Olivier MUGISHA et ses compagnons ;
- Le FOCODE demandeaux familles et aux témoins d’aider dans l’identification de toutes les autres victimes introuvables après leur arrestation le 13 janvier 2016 à Cibitoke ;
- Le FOCODE réitèresa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.
[1] Disparition forcée de Firmin Wakana et Claude Nshimirimana, http://ndondeza.org/firmin-wakana-et-claude-nshimirimana/