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Disparition forcée de Monsieur Frédéric Nduwimana

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DECLARATION DU FOCODE n° 016/2018

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Frédéric NDUWIMANA, enlevé à Tangara (Ngozi) et porté disparu depuis le 09 janvier 2018 ».

Burundi : Les disparitions forcées continuent en 2018 !

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Frédéric NDUWIMANA, militant du FNL et opposant au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, introuvable depuis son enlèvement le 09 janvier 2018 à Tangara en province de Ngozi. Ce cas avait déjà fait objet d’une alerte du FOCODE le 30 mars 2018[1], mais cela n’a donné à aucune trace de la victime. Frédéric NDUWIMANA n’avait jamais remis les pieds chez lui à Tangara depuis qu’il avait participé, à Bujumbura, aux manifestations pacifiques contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA. Au début de 2018 il s’est finalement résolu à rendre visite à sa famille en espérant que son cas était oublié du Service National de Renseignement. Il a été enlevé dans la soirée du 09 janvier 2018 alors qu’il partageait un verre avec son cousin Viateur NDAYISENGA qui, en plus d’être un fonctionnaire communal, serait un informateur du SNR. Comme dans d’autres cas de disparitions forcées, les autorités burundaises n’ont rien fait pour retrouver la victime.

Ce dossier NDONDEZA souligne la multiplication des cas de disparitions en province Ngozi, au nord du Burundi. Chaque fois, le nom du responsable provincial du SNR, Venant MIBURO, est cité mais aucune enquête n’a jusqu’ici été diligentée sur les crimes graves qui l’impliqueraient personnellement dans la répression sanglante de l’opposition. Venant MIBURO a été récemment muté à CIBITOKE, une province qui est dans la ligne de mire du renseignement burundais en raison des relations tendues et d’informations de plus en plus inquiétantes entre le Burundi et le Rwanda. Au regard des crimes commis à Ngozi durant la période de responsabilité de Monsieur Venant Miburo, il y a lieu de s’alarmer sur le sort des habitants de Cibitoke dans les jours à venir.

Ce dossier démontre également la récurrence du phénomène de disparitions forcées comme une arme de répression contre les militants des partis politiques de l’opposition ou des citoyens présumés comme tels.

A. Identité de la victime

  1. Fils de Simon MITEMERE et de Véronique NAHIMANA, Frédéric NDUWIMANA est né en 1991 à Gitwa dans la commune Tangara de la province Ngozi. Marié, il est père d’un enfant. Comme profession, Frédéric NDUWIMANA est chauffeur de moto-taxi. Résidant en mairie de Bujumbura, il était à Tangara pour une visite familiale au moment de sa disparition.
  1. Frédéric NDUWIMANA est un opposant politique. Il est militant du FNL- aile d’Agathon RWASA et il a été très actif dans les manifestations pacifiques contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Ainsi donc, il porte deux casquettes – militant du FNL et ancien manifestant- qui font de lui une cible privilégiée de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015.

B. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Frédéric NDUWIMANA.

  1. Depuis qu’il avait manifesté à Bujumbura contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015, Frédéric NDUWIMANA n’avait jamais remis les pieds dans sa commune natale. Il était averti qu’il était recherché par le renseignement burundais. Selon un habitant de la commune : «  les autorités de notre commune ne supportent pas de voir un membre du FNL d’Agathon RWASA » et c’est pire quand à cela s’ajoute le fait d’avoir manifesté contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Mais près de trois ans après les manifestations, Frédéric a pensé que son cas avait été oublié et il a décidé d’aller rendre visite à sa famille à la fin de 2017 ; il voulait célébrer le nouvel an avec sa famille.
  1. Le 09 janvier 2018, Frédéric NDUWIMANA aurait été invité à partager un verre avec son cousin Viateur NDAYISENGA. Ce dernier est un employé de la commune : il est assistant-comptable de la commune Tangara. Bien plus, Viateur NDAYISENGA serait également un informateur du SNR. Si c’est le cas et au regard de la suite des événements, il est possible que l’invitation à partager un verre n’était qu’un piège pour attraper facilement Frédéric NDUWIMANA.
  1. Frédéric NDUWIMANA et Viateur NDAYISENGA auraient passé ensemble une bonne partie de la journée du 09 janvier 2018. A 20 heures, ils étaient encore dans le bar « Ku Mwembe » au chef-lieu de Tangara. C’est autour de 20 heures que des personnes à bord d’une camionnette double cabine, de couleur blanche et aux vitres teintées, seraient venues arrêter Frédéric NDUWIMANA. Au moins deux des personnes qui l’ont arrêté étaient en tenue de police tandis que trois étaient en tenue civile selon des témoignages parvenus à la Campagne NDONDEZA.
  1. Selon des sources de la Campagne NDONDEZA à Ngozi, le véhicule utilisé dans l’enlèvement serait celui du responsable provincial du SNR à Ngozi, Monsieur Venant MIBURO. Le véhicule, de même que son utilisateur, ont déjà été cités dans plusieurs autres dossiers de disparitions forcées à Ngozi. Aucune enquête officielle n’a suivi ces alertes.
  1. Depuis cette arrestation, les proches de Frédéric NDUWIMANA l’ont cherché dans tous les cachots de NGOZI mais ne l’ont jamais retrouvé. Six mois après, la famille a perdu tout espoir de le retrouver vivant un jour. Elle ne demande qu’à connaître tout au moins le lieu où son corps aurait été jeté pour un enterrement digne. L’administration, la police et la justice sont restées silencieuses et inactives après cette disparition. Les proches de Frédéric NDUWIMANA vivent dans la peur des représailles au cas où ils se mettraient à demander une enquête sur cette disparition.
  2. Un comportement bizarre a été observé du côté de Viateur NDAYISENGA, le cousin de Frédéric NDUWIMANA. Loin de participer à la recherche de son cousin ou même d’alerter après l’enlèvement, il aurait tout répondu avec arrogance : « on y peut rien, ce qui est arrivé est bel et bien arrivé ».

C. Venant MIBURO, le bourreau de Ngozi ?

 

  1. La province de Ngozi a une particularité : c’est la province d’origine de Pierre NKURUNZIZA qui y passe par ailleurs beaucoup de jours chaque mois. Beaucoup de services de sécurité y opèrent : notamment le SNR et le service de renseignement du palais présidentiel. Ngozi est aussi la province d’origine de plusieurs leaders de l’opposition et de la société civile dont Agathon RWASA et Pierre-Claver MBONIMPA à titre illustratif. C’est l’une des rares provinces de l’intérieur du pays où de véritables manifestations contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA ont été organisées et tout récemment on a assisté à une mobilisation sans précédent des militants du FNL d’Agathon RWASA contre le référendum constitutionnel. Ngozi abrite enfin une université privée de bonne réputation qui est particulièrement fréquentée par des étudiants d’origine rwandaise[2].
  1. De par cette particularité, la province de Ngozi connaît beaucoup de crimes graves contre des opposants et de ressortissants rwandais depuis plusieurs mois. Après la Marie de Bujumbura, Ngozi est la province la plus citée dans les rapports de la « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi ». Le nom de l’ex- responsable du SNR en province de Ngozi, Venant MIBURO, est souvent revenu dans ces rapports. A titre illustratif, Ngozi a connu la disparition de :
  • Jérémie NDUWIMANA[3], responsable provincial de la jeunesse du parti MSD, enlevé en novembre 2015,
  • Dieudonné GAHUNGU[4], un employé de l’ONATEL à Ngozi, enlevé en juin 2016 ;
  • Pacifique BIRIKUMANA[5], un chauffeur à l’économat général du diocèse catholique de Ngozi en avril 2017,
  • Faustin GASHEMA[6], un étudiant d’origine rwandaise en août 2017,
  • Frédéric NDUWIMANA, militant du FNL enlevé en janvier 2018,
  • Thaddée NDUWIMANA[7] (Kagabo), chauffeur burundais récemment rentré du Rwanda, enlevé en mai 2018,
  • Nestor NAHIMANA[8], ancien militaire (ex-FAB) enlevé en juin 2018, etc.
  1. En dépit des alertes et des dénonciations des quelques crimes connus qui, selon les nombreux témoignages parvenus au FOCODE, impliqueraient directement le chef provincial du SNR, Venant MIBURO, ce dernier a continué son travail de manière imperturbable, signe qu’il est soutenu dans ses crimes par le sommet du régime burundais. Ce soutien s’est d’ailleurs confirmé avec la mutation de Venant MIBURO dans la province de Cibitoke, une province actuellement dans le viseur du SNR à cause des tensions qui s’observent sur la frontière burundo-rwandaise dans les forêts naturelles de la Kibira (côté burundais) et de Nyungwe (côté rwandais). Des incursions rebelles seraient signalées de part et d’autre de cette frontière. La nomination de Venant MIBURO à Cibitoke est un signe que le SNR a besoin d’un de ses hommes les plus impitoyables et les plus cruels dans cette province qui nécessite une grande surveillance.
  1. Face à cette situation, il importe qu’une enquête spéciale et indépendante soit diligentée sur les crimes commis à Ngozi pendant la période où Venant MIBURO prestait dans cette province en qualité de responsable provincial du SNR.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

D. Recommandations et prise de position.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Frédéric NDUWIMANA, le silence des autorités burundaises sur ce crime grave ainsi que l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée et d’exécutions extrajudiciaires des membres de l’opposition politique ou des personnes perçues comme tel par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  2. Le FOCODE condamne les arrestations aux allures d’enlèvements opérées par la police et le SNR en connivence avec les miliciens Imbonerakure ainsi que l’absence de communication par la police sur l’identité des personnes arrêtées ainsi que les lieux de détention, un comportement qui malheureusement facilite la disparition forcée des détenus ;
  3. Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes d’atteinte graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents du SNR, la persistance du phénomène des disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires ainsi que la totale impunité garantie aux éléments égarés des corps de défenses et de sécurité ainsi que des miliciens Imbonerakure impliqués dans des actes de disparition forcée ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur l’enlèvement suivi de disparition forcée de Frédéric NDUWIMANA ainsi que la traduction en justice de de toutes les personnes qui auraient participé dans cette disparition, particulièrement de Messieurs Viateur NDAYISENGA et Venant MIBURO ;
  5. Le FOCODE demande une enquête sérieuse et indépendante sur les nombreux crimes commis à Ngozi dans la période où Monsieur Venant MIBURO était responsable du SNR dans cette province ainsi que sa traduction devant une juridiction compétente ;

Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter  profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.

[1] Alerte NDONDEZA n°4 : Disparition de Frédéric Nduwimana, http://ndondeza.org/disparition-de-frederic-nduwimana/

[2] Ceci s’explique par le niveau très bas des frais académiques au Burundi par arapport à ceux des universités rwandaises

[3] Disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA, http://ndondeza.org/jeremie-nduwimana/

[4] Disparition forcée de Dieudonné Gahungu, http://ndondeza.org/dieudonne-gahungu/

[5] Disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA, chauffeur du diocèse catholique de Ngozi, http://ndondeza.org/pacifique-birikumana/

[6] Disparition forcée de trois ressortissants rwandais : Emile Kwizigira, Léonidas Bizimana et Faustin Gashema, http://ndondeza.org/emile-kwizigira-emmanuel-bizimana-faustin-gashema/

[7] Disparition forcée de Monsieur Thaddée Nduwimana, http://ndondeza.org/thaddee-nduwimana/

[8] Disparition forcée de Nestor Nahimana, ancien militaire burundais, http://ndondeza.org/nestor-nahimana/