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Disparition forcée de Messieurs Jean-Marie Vianney Badogomba, Amuri Kwizera, Christophe Niyonzima, Eddy Irakoze, Caporal Innocent Gashirahamwe, Rémy Niyonsaba, Désiré Niyuhire et Abdoul Niyonzima.

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 « Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, Amuri KWIZERA, Christophe NIYONZIMA, Eddy IRAKOZE, Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, Rémy NIYONSABA, Abdoul NDAYISHIMIYE et Désiré NIYUHIRE enlevés par le renseignement militaire burundais entre juillet et novembre 2021 ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur huit cas de disparitions forcées consécutifs à des enlèvements des citoyens burundais opérés entre juillet et novembre 2021 en Mairie de Bujumbura ainsi que dans les provinces de Muyinga, Muramvya et Cibitoke. Les huit enlèvements présentent beaucoup de similitudes dans leur mode opératoire et plusieurs indices concordent pour indiquer que ces opérations ont été menées par le renseignement militaire burundais. Il s’agit de la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Vianney BADOGOMBA enlevé le 19 septembre 2021 sur l’Avenue de l’Université à Bujumbura, de Monsieur Amuri KWIZERA enlevé le 16 juillet 2021 à Nyakabiga (au centre de Bujumbura), de Monsieur Christophe NIYONZIMA enlevé le 23 août 2021 à Kumasanganzira (croisement des routes Ngozi-Kirundo et Ngozi-Muyinga), de Monsieur Eddy IRAKOZE enlevé le 12 septembre 2021 à Musaga (au sud de Bujumbura), du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE enlevé le 29 septembre 2021 à Carama (au nord de Bujumbura), de Monsieur Rémy NIYONSABA enlevé le 23 octobre 2021 en commune Mbuye, de Monsieur Désiré NIYUHIRE enlevé le 1er novembre 2021 en commune Kiganda et de Monsieur Abdoul NDAYISHIMIYE enlevé le 1er novembre 2021 en commune Rugombo.

A. Disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Vianney BADOGOMBA.

Ce dossier de la Campagne NDONDEZA met particulièrement en exergue le modus operandi des opérations d’enlèvements menées par le renseignement militaire (appelé G2 dans le jargon de l’armée burundaise) en 2021 et rappellent certains des principaux acteurs de ces opérations. Contrairement aux opérations similaires généralement menées par plusieurs équipes du Service national de renseignement (SNR), une petite équipe du renseignement militaire a été employée dans les disparitions forcées de 2021 et un même véhicule a été utilisé dans la majorité des opérations. Ce dossier met le projecteur sur une camionnette décrite par plusieurs témoins comme étant « un pickup Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées, de couleur blanche, ayant des motifs rougeâtres sur ses côtés gauche et droit », utilisée dans ces enlèvements. Le renseignement militaire ne s’est pas embarrassé d’un minimum de discrétion dans ses opérations contrairement aux pratiques du SNR. Alors que les agents du SNR ont l’habitude de piéger les victimes en leur donnant des rendez-vous dans des endroits moins fréquentés, le renseignement militaire a opéré dans des bars bondés, sur les lieux de travail des victimes, sur les routes en présence de témoins. Comme dans les dossiers précédents impliquant le G2, on retrouve, dans au moins six cas de ce dossier, la présence d’un milicien Imbonerakure ou d’un autre informateur ayant assuré la surveillance de la victime avant son enlèvement.

Les autorités burundaises ne se sont jamais prononcées sur les huit cas de disparitions forcées qu’évoque ce dossier alors qu’ils ont tous fait objet de publications dans des alertes du FOCODE et dans des publications de la presse. Leurs auteurs bénéficient d’une totale impunité et ont reçu des promotions ou des missions convoitées à l’extérieur du Burundi en 2022. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) n’a pas non plus évoqué ces cas. Dans son rapport annuel édition 2021, elle avait promis de continuer des enquêtes sur des allégations de disparitions forcées qu’elle avait reçues, mais elle ne les a pas reprises dans son rapport annuel de 2022.

Cette déclaration du FOCODE présente l’identification des huit victimes de disparitions forcées, détaille les circonstances de ces disparitions forcées, évoque leurs auteurs présumés et appelle tous les acteurs à un engagement véritable et des actions concrètes contre les disparitions forcées au Burundi.

Le kidnapping de Monsieur Jean-Marie Vianney BADOGOMBA le 19 septembre 2021 à Bujumbura constitue la meilleure illustration du modus operandi des enlèvements commis par le renseignement militaire burundais en 2021. Il renseigne sur la petite équipe qui effectuait ces enlèvements, sur la surveillance des victimes avant l’enlèvement, sur le véhicule souvent utilisé et sur l’impunité des auteurs de ces violations graves. Bien des aspects similaires à ceux du kidnapping de Monsieur BADOGOMBA vont être retrouvés dans tous les huit cas de disparitions forcées que présente ce dossier.

A.1. Identité de la victime

Fils de Dismas BADOGOMBA et de Spès GAKUYANO, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA est né en 1980 sur la colline Kanyunya de la zone Rukina, en commune Mukike, province Bujumbura (rural). Travailleur indépendant (tantôt commerçant, tantôt transporteur des biens et des personnes), marié et père de trois enfants, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA résidait dans la zone urbaine de Kanyosha au Sud de Bujumbura, au moment de sa disparition forcée en 2021.

Au niveau politique, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA a manifesté contre le troisième mandat du Président NKURUNZIZA en 2015. En 2020, il a été très actif dans la campagne électorale du principal parti politique de l’opposition, le Congrès National pour la Liberté (CNL). Dans sa commune natale de Mukike, les candidats du CNDD-FDD le considéraient comme leur principal adversaire, parfois comme un « ennemi » redoutable. Jean-Marie Vianney BADOGOMBA se savait en danger à cause de cette perception.

Après les élections de 2020, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA faisait le profil bas, préférant faire oublier sa casquette d’opposant politique. Ancien employé de la Ligue Burundaise des Droits de l’Homme ITEKA, il a gardé le contact avec des medias et des organisations de défense des droits de l’homme en exil. De manière très discrète, il fournissait des informations sur des cas de violations des droits humains dont il avait connaissance.

A.2. « Un ami » connu sous le sobriquet de « BUJIGINYA »…

Jean-Marie Vianney BADOGOMBA connaissait Jean Bosco NIBITEGEKA alias «BUJIGINYA » depuis l’école secondaire. Ils avaient étudié ensemble au Lycée Rubanga en commune de Matana, province Bururi, au Sud du Burundi. Ils s’étaient liés d’amitié pendant leur parcours scolaire avant que les chemins de la vie post scolaire ne les séparent. Après les études, ils avaient gardé le contact et pouvaient partager un verre quand une bonne occasion se présentait. La famille de Jean-Marie BADOGOMBA connaissait BUJIGINYA. L’opposant Jean-Marie Vianney BADOGOMBA ignorait les liens entre « son ami » et les services secrets burundais.

Jean Bosco NIBITEGEKA est originaire de la commune Ntega en province de Kirundo. Après le meurtre de ses parents dans les massacres de Ntega et Marangara en 1988[1], Jean Bosco a grandi chez des parentés en commune Busoni (province Kirundo). Après ses études secondaires, il aurait brièvement fréquenté l’Université du Burundi et se serait occupé de plusieurs sortes de boulots. En 2015, BUJIGINYA s’est rapproché de l’opposition au troisième mandat du Président NKURUNZIZA et s’est exilé au Rwanda où il a séjourné au camp des réfugiés de Mahama. Des sources au camp de Mahama ont confirmé ce séjour ajoutant qu’il y a même été un employé d’une ONG humanitaire.

Plusieurs sources à Mahama ont confié à la Campagne NDONDEZA que, déjà à l’époque de son exil au Rwanda, ils soupçonnaient BUJIGINYA d’être un agent du renseignement burundais. Tout en étant réfugié au Rwanda, BUJIGINYA avait l’habitude de traverser tranquillement la frontière burundaise et de se rendre à Kirundo. Une source à Kirundo a révélé que chaque fois qu’il traversait la frontière, il avait des rencontres avec Olivier NIBITANGA, à l’époque chef provincial du Service national de renseignement (SNR). Sentant la suspicion monter à son égard dans la communauté des réfugiés de Mahama, Jean Bosco NIBITIGEKA est retourné au Burundi. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu obtenir la date précise du retour de Jean Bosco NIBITEGEKA au Burundi.

De retour au pays, Jean Bosco NIBITEGEKA a alterné plusieurs séjours à la prison centrale de Mpimba selon un proche de sa famille : « après son retour du Rwanda, BUJIGINYA a été arrêté à plusieurs fois. Mais ce qui nous étonnait est que, chaque fois, il ne passait que quelques semaines ou quelques mois à la prison de Mpimba avant d’être libéré. Nous n’avons jamais su les motifs de ses arrestations ni les circonstances de ses libérations. Il était entouré d’un mystère. Mais comme c’est un garçon qui passe plusieurs heures dans les bars et qui est souvent ivre, ses proches avaient fini par s’habituer à ces arrestations. »

En réalité, même en prison, Jean Bosco NIBITEGEKA était dans des missions du SNR. Depuis 2015, plusieurs civils et militaires ont séjourné dans les cachots et dans les prisons pour surveiller et rapporter au SNR les conversations des prisonniers politiques. Ces informateurs des services secrets entrent en prison comme les autres détenus, vivent comme eux, se font passer pour des opposants politiques ou même des membres des différents groupes rebelles et tentent de soutirer des secrets aux vrais opposants et aux vrais combattants des différentes rébellions. Selon une source confidentielle dans les services secrets burundais, « BUJIGINYA » a souvent joué ce rôle d’informateur dans les prisons. 

En septembre 2021, Jean Bosco NIBITEGEKA est sorti de la prison de Mpimba et en a informé « son ami » Jean-Marie Vianney BADOGOMBA. Selon des proches de ce dernier, « BUJIGINYA » a sollicité plusieurs rendez-vous pour « partager un verre ». Jean-Marie Vianney BADOGOMBA aurait hésité plusieurs fois avant d’accepter de le rencontrer le 19 septembre 2021. Ce fut la rencontre fatidique.

A.3. Circonstances de la disparition forcée de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA

Dimanche le 19 septembre 2021, aux environs de 13 heures, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA et Jean Bosco NIBITEGEKA se rencontrent au bar dit « Ku Mpene », tout près des bureaux de la zone Rohero, sur l’Avenue Muyinga à Bujumbura. Jean-Marie Vianney BADOGOMBA est vient dans sa voiture Toyota Probox blanche immatriculée I 1566 A. Il porte une tenue décontractée : un short et une chemise blanchâtres ainsi que des sandales. Jean-Marie Vianney et Jean Bosco occupent une table, partagent de la bière et se racontent des blagues. A un moment, une troisième personne jusqu’ici non identifiée se joint au groupe.

Jean-Marie Vianney ne fait pas attention à un détail très important : « BUJIGINYA » est très occupé au téléphone. Il reçoit et émet plusieurs textos pendant leur conversation. Même si cela n’est pas inhabituel chez des burundais, il y a lieu de s’étonner de la sensibilité et de la densité de la conversation parallèle que tient « BUJIGINYA » avec un agent du renseignement militaire alors qu’il est toujours en discussion avec « son ami » Jean-Marie Vianney BADOGOMBA. Ce dernier ne sait pas encore que son pseudo « ami » BUJIGINYA est en train d’envoyer sa description et celle de sa voiture à des agents du renseignement militaire qui s’apprêtent à l’enlever. Monsieur BADOGOMBA ne sait pas non plus qu’un autre agent du renseignement militaire les a rejoints dans le bar pour mieux les surveiller.

Entretemps, l’épouse de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA est près de la zone Buyenzi, sur la Chaussée du Peuple Murundi et veut savoir si son mari peut la ramener à la maison. Jean-Marie Vianney demande à son épouse de l’attendre quelques minutes, le temps de terminer une conversation avec « un ami ».  Lasse d’attendre indéfiniment, l’épouse se résout à prendre un bus en commun ; elle rentre seule ce soir-là et ne reverra plus son mari.

Peu après 18 heures, Jean-Marie Vianney BADOGOMBA prend congé de « BUJIGINYA » et de la troisième personne non identifiée. Au volant de sa voiture, Jean-Marie Vianney s’engage dans l’Avenue Muyinga, bifurque dans l’Avenue de l’Université et descend vers la Mairie de Bujumbura (vers Bwiza). Une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, immatriculée IT 492, le suit. Arrivée tout près de la route pavée menant vers la paroisse catholique Saint-Michel, alors qu’elle est toujours dans l’Avenue de l’Université, la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA reçoit un choc à l’arrière. Elle vient d’être cognée par la camionnette IT 492. Jean-Marie Vianney stoppe sa voiture au milieu de la route et sort pour constater ce qui vient de se passer. Il n’en aura pas le temps, il est aussitôt saisi brutalement par des hommes inconnus et jetés dans la camionnette qui s’en va à toute vitesse. Jean-Marie Vianney crie très fort, appelant au secours, mais personne n’est en mesure de le sauver.

A ce moment de la soirée, la circulation est assez importante sur l’Avenue de l’Université. Les occupants d’autres véhicules sont stupéfaits et tétanisés par la scène de ce kidnapping. Certains ont pu noter le numéro d’immatriculation de la camionnette et ont partagé sur les réseaux sociaux la description de la voiture de la victime. Toute la soirée, l’alerte sera intensément partagée sur les réseaux sociaux et la famille de la victime sera rapidement informée grâce à la description de la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA.

Plus tard, dans la même soirée, la police de roulage viendra enlever la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA qui bloquait la circulation dans l’Avenue de l’Université. Depuis cette soirée, le propriétaire de la voiture n’a jamais été retrouvé.

A.4. Recherches menées par la famille et blocage de l’enquête au niveau du parquet.

Dès le matin du 20 septembre 2021, la famille de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA s’est mise à sa recherche dans les différents cachots de Bujumbura. Une première piste a mené les proches de Monsieur BADOGOMBA à la police spéciale de roulage (PSR) où se trouvait sa voiture. Rien n’avait été touché dans la voiture, même le téléphone de Jean-Marie Vianney était là. En sortant de la voiture pour voir qui l’a cognée, Jean-Marie Vianney n’avait pas eu le temps de prendre son téléphone. Tout pressés qu’ils étaient, les ravisseurs n’ont pas eu le temps de chercher le téléphone. Ce sera l’erreur qui aidera dans l’identification des ravisseurs.

La famille a déposé sa plainte à la Police Judiciaire et lui a remis le téléphone de la victime. L’historique du téléphone a permis d’identifier la personne avec laquelle Jean-Marie Vianney BADOGOMBA avait partagé un verre avant son enlèvement : Jean Bosco NIBITEGEKA alias BUJIGINYA. Ce dernier a été appréhendé par la police dans les plus brefs délais. Imprudent, assuré d’une totale impunité, Jean Bosco n’avait pas effacé dans son téléphone les messages échangés avec les ravisseurs. La lecture des messages ne laissait aucun doute que BUJIGINYA était complice du kidnapping de « son ami ».

Jean Bosco NIBITEGEKA a été transféré au Parquet de la République de Mukaza. Son dossier a été confié au magistrat Samuel NDAYISHIMIYE, Substitut du Procureur de la République. Le même jour, Jean Bosco NIBITEGEKA a été transféré à la Prison Centrale de Mpimba, prison dont il était un habitué et qu’il avait quittée quelques jours plus tôt. Comme d’habitude, son séjour à Mpimba sera très court avant une nouvelle libération. L’enquête du parquet n’a connu aucune évolution. Alors que le parquet dispose du téléphone de BUJIGINYA, il n’a pas cherché à connaître le responsable du kidnapping de Jean-Marie BADOGOMBA alors que son numéro était clairement visible dans les messages échangés via Whatsapp avec BUJIGINYA. Qui a stoppé l’enquête ? Qui a ordonné la libération de BUJIGINYA ? Seul le magistrat Samuel NDAYISHIMIYE pourra répondre à ces questions.

Quelques semaines plus tard, Jean Bosco NIBITEGEKA sera de nouveau arrêté, cette fois-ci par le Service national de renseignement (SNR). Le SNR avait besoin de s’informer sur les opérations du renseignement que ne cessait de dénoncer la Campagne NDONDEZA et avait l’intention de sanctionner certains des informateurs du SNR qui travaillaient désormais avec le renseignement militaire sans autorisation. Malade, Jean Bosco NIBITEGEKA aurait été libéré de nouveau vers décembre 2021. Quelques semaines plus tard, il a disparu sans laisser de traces. Ses proches s’inquiètent et pensent qu’il aurait été éliminé à son tour.

La famille de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA a continué ses recherches, avec une attention particulière sur les cachots du SNR. Les recherches sont restées sans résultat. Elle a également saisi la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) qui a promis de lui communiquer les résultats de son enquête. Malheureusement, comme dans tous les dossiers relatifs aux cas de disparitions forcées impliquant le renseignement militaire, la CNIDH n’a plus communiqué avec cette famille. Dans ses rapports annuels, la CNIDH n’a jamais confirmé ces disparitions forcées. Il n’a pas non plus évoqué l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA. La famille a enfin écrit au Président Evariste NDAYISHIMIYE. Elle n’a reçu aucune réponse. 

A.5. Le téléphone de BUJIGINYA livre des secrets …

La Campagne NDONDEZA a pu obtenir une copie d’une partie des messages échangés par Jean Bosco NIBITEGEKA et le responsable de l’équipe des ravisseurs via la messagerie Whatsapp dans l’après-midi du 19 septembre 2021. BUJIGINYA utilisait le numéro (+257) 79 888 009 tandis que son interlocuteur était sur le (+257) 67 979 401. Le premier message part du téléphone de BUJIGINYA à 13h44 et dit : « Souvenez-vous qu’il a une voiture, il faut venir avec un chauffeur ». L’heure du message montre que la conversation a commencé dès que BUJIGINYA et Jean-Marie Vianney se sont installés dans le Bar « Ku Mpene ». Le contenu de ce premier message sous-entend que les détails du kidnapping avaient déjà été discutés avant cette rencontre au Bar « Ku Mpene » et que BUJIGINYA craignait qu’un détail qu’il prenait pour très important soit oublié. Pour lui, il ne fallait pas laisser le véhicule de Jean-Marie Vianney dans la rue, donc il fallait que l’équipe des ravisseurs comprenne un deuxième chauffeur qui allait conduire la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA. Ce détail n’a pas retenu l’attention des ravisseurs et c’est d’ailleurs cette négligence qui a facilité l’identification des ravisseurs.

Les messages échangés entre BUJIGINYA et le ravisseur sont explicites quant à la personne visée : il s’agit de celui qui était avec BUJIGINYA et qui était venu dans la voiture de couleur blanche immatriculée IA 1566. BUJIGANYA s’est d’abord trompé d’un chiffre dans l’immatriculation en annonçant le IA 1556. Entre 15h00 et 15h05, le ravisseur lui écrit : « Ok je vais passer tout près de vous », « Je vois I 1566 A, vérifie bien si tu ne t’es pas trompé ». BUJIGINYA lui répond : « C’est vrai. Elle se trouve derrière une double cabine ». A travers toutes ces indications, il est clair que la personne visée est Jean-Marie Vianney BADOGOMBA dont la voiture Toyota Probox blanche était immatriculée I 1566 A.

Les échanges entre BUJIGINYA et le ravisseur sont également explicites quant au plan du kidnapping. A 16h47, BUJIGINYA a ramené la question du deuxième chauffeur. Le ravisseur a répondu à 16h58 : « Le chef a dit que nous allons laisser sa voiture dans la rue ». Cette réponse laisse entendre que les ravisseurs ont un chef qui n’est pas avec eux et qu’ils doivent respecter ses ordres. Cette réponse explique aussi pourquoi les ravisseurs ont laissé la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA en pleine rue sur l’Avenue de l’Université.

Le reste des messages renseignent sur des détails de la surveillance de la victime. Pour ne pas se faire remarquer, les ravisseurs avaient stationné leur véhicule près de l’actuel « Stade Intwari »[2]. Tout en restant sur l’Avenue Muyinga, ils avaient dû traverser le Boulevard de l’UPRONA. De là ils pouvaient surveiller la voiture de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA sans se faire remarquer. Les ravisseurs ont passé plus de trois heures dans cette position d’observation avant de recevoir le message de BUJIGINYA les invitant à se rapprocher puisque Jean-Marie Vianney BADOGOMBA était sur le point de quitter le bar. Le dernier message de BUJIGINYA a été envoyé aux ravisseurs à 18h19 et dit : « approchez-vous ».

Voici des extraits importants de la conversation entre BUJIGINYA et les ravisseurs :

« Souvenez-vous qu’il a une voiture, il faut venir avec un chauffeur »
« Ok, donne-moi la plaque d’immatriculation »
« I 1556 a Probox »
« Elle est de quelle couleur ?»
« Blanc »
« Ok je vais passer tout près de vous », « Je vois I 1566 A, vérifie bien si tu ne t’es pas trompé »
« C’est vrai. Elle se trouve derrière une double cabine »
« Ok Komera. Nous sommes tout près du stade et nous voyons la voiture. S’il décide de partir, regarde bien et indique-nous la direction qu’il va prendre »
« Il est parti ? »
« Non, on commande une autre bouteille »
« S’il décide de partir, tu nous signales »
« Et le chauffeur ? Il faut rester tout près »
« Le chef a dit que nous allons laisser sa voiture dans la rue »
« Nous allons bientôt terminer »
« Je suis en train de suivre tout »
« Il va partir »
« OK »
« Approche 
»

A.6. La Campagne NDONDEZA découvre le renseignement militaire (G2).

Dès que la Campagne NDONDEZA a reçu la copie de la conversation entre Jean Bosco NIBITEGEKA et le chef de l’équipe des ravisseurs, elle s’est attelée à l’identification de l’interlocuteur de BUJIGINYA. La fiche d’enregistrement du numéro (+257) 67 979 401 dans la compagnie LUMITEL (ou Viettel Burundi) indique que son propriétaire est NDAYISHIMIYE Onesphore, fils de MUNDANIKURE et  NDABIRETSE, né en 1979, originaire de la colline Gasheke en commune Murwi (province Cibitoke), fonctionnaire. La photo prise par LUMITEL a été envoyée aux membres du réseau NDONDEZA. Le propriétaire du numéro a été identifié comme étant l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE, sous-officier de l’armée burundaise (Matricule SC 0699 / 74763) affecté au Bataillon Police Militaire, mais qui travaille surtout au service du bureau du renseignement militaire (G2) à l’État-major Général de la FDNB. Onesphore NDAYISHIMIYE alais Braddock a été décrit par des sources militaires comme un ancien combattant du CNDD-FDD, un homme de confiance des services secrets qui auraint participé à plusieurs missions secrètes y compris à l’extérieur du Burundi.

Selon une source au renseignement militaire, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE coordonnait une petite équipe composé de sous-officiers et d’hommes de rang qui opérait des enlèvements dans toutes les provinces du pays. Il recevait des ordres directement du responsable adjoint du renseignement militaire, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU. Selon la même source, les personnes enlevées étaient conduites au bureau du renseignement militaire à l’État-major Général de la FDNB pour interrogatoire, et pouvaient passer un à deux jours dans les cachots de la Police Militaire. Selon la même source, il était très rare que les personnes enlevées par cette équipe restent en vie plus de trois jours après leur enlèvement.

Ces révélations ont percé un mystère et levé une confusion dans les enquêtes de la Campagne NDONDEZA en 2021. Les kidnappings se multipliaient et suivaient un mode opératoire que le SNR avait abandonné depuis 2018 : celui des enlèvements commis en public, de manière presque ostentatoire. Le SNR organise des enlèvements très discrets, généralement sans témoin, et fait recours à la ruse pour piéger ses victimes. Ce n’était pas le cas dans la majorité des enlèvements de 2021. La tenue des ravisseurs était également différente de celle des agents du SNR. Dans plusieurs cas de 2021, les ravisseurs étaient en tenue militaire et utilisaient le même véhicule : une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Beaucoup de témoins des enlèvements disaient que la camionnette avait des sortes de lignes rougeâtres sur les portières. Bien plus, les sources de la Campagne NDONDEZA au SNR n’ont cessé de signaler que les personnes enlevées ne se trouvaient pas dans les cachots du SNR alors que les familles des victimes s’acharnaient sur le SNR, certaines étant même prêtes à payer des millions au responsable du renseignement intérieur. C’est au moment de l’identification de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE qu’il a été clair que la majorité des enlèvements de 2021 étaient opérés par le renseignement militaire et que ce dernier était de connivence avec la nouvelle direction du parti CNDD-FDD.

A.7. Des medias ont évoqué l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA  

En plus des informations largement partagées sur les réseaux sociaux, l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA a été évoqué par plusieurs médias. Les radios en exil RPA et Inzamba ainsi que la Télévision Renaissance[3] ont rapporté cette disparition forcée, la crainte de la famille et l’alerte du FOCODE. Dans un article publié trois jours après cet enlèvement, la Radio Inzamba l’a rapporté ainsi[4] :

« Pas de traces de Jean-Marie Vianney Badogomba. Ses proches s’inquiètent. Cet habitant de la zone Kanyosha dans le sud de la mairie de Bujumbura a été enlevé dimanche dernier par des inconnus, non loin du centre-ville de Bujumbura. Depuis ce jour-là, il n’a plus donné signe de vie. Jean-Marie Vianney Badogomba a été enlevé alors qu’il roulait sur l’Avenue de l’Université. Il venait de quitter le centre-ville où il partageait un verre dans un bar avec un ancien camarade de classe, selon un proche. Il se rendait en zone urbaine de Bwiza. Les kidnappeurs n’ont pas été identifiés, mais des témoins révèlent qu’ils étaient à bord d’un véhicule Toyota Hilux. Les auteurs du même rapt ont percuté sa voiture et l’en ont alors extrait. Ils l’ont par la suite embarqué brutalement dans leur véhicule et sont partis vers une destination jusqu’à présent inconnue de la famille de l’homme enlevé. Sa voiture a été retrouvée dans les enceintes de la police spéciale de roulage, selon le récit de l’un de ses proches. « Sa voiture était restée à l’endroit où il a été enlevé. Quand nous étions à sa recherche hier, nous avons été informés que la police avait récupéré le véhicule après avoir été alertée par des policiers en poste à Bwiza ». La famille de Jean-Marie Vianney Badogomba dit craindre pour sa vie et réclame une enquête pour le retrouver encore en vie. « S’il s’est rendu coupable d’une quelconque infraction, qu’il soit présenté devant la justice pour être jugé et puni. Nous demandons au gouvernement et à la justice de nous aider à le retrouver avant qu’il ne soit tué », a lancé le même proche. La police n’a pas encore officiellement réagi à cet enlèvement.

Le journal IWACU a mené une enquête remarquable sur l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA dont voici quelques extraits de son article publié le 31 janvier 2022[5] :

« Nous voulons savoir ce qui lui est arrivé et les motifs de son enlèvement », indique un membre de la famille de Jean-Marie Vianney Badogomba. Ce père de 3 enfants, la quarantaine et résident à Kanyosha en mairie de Bujumbura, a été enlevé le 19 septembre 2021. D’après sa famille, il a été kidnappé alors qu’il arrivait au niveau de l’Avenue de l’Université dans la zone Bwiza, commune Mukaza en mairie de Bujumbura. « Une autre voiture l’a heurté à l’arrière. Lorsqu’il est sorti de son véhicule pour voir ce qui venait de se passer, il a été jeté dans cette voiture puis l’autre voiture est partie en trombe». Selon un membre de la famille du porté disparu, l’épouse de Badogomba a téléphoné les proches le lendemain pour leur dire que son mari n’est pas rentré. « Nous avons cherché dans tous les cachots en vain. Par après, nous avons su que son véhicule se trouve à la police spéciale de roulage. Ils nous ont dit que la voiture gênait la circulation et ils ont été obligés de le déplacer. Même le téléphone de Vianney se trouvait toujours dans la voiture », confie un autre membre de la famille.

Le guet-apens

Avec la permission de la police judiciaire, la famille s’est procurée, auprès des compagnies de téléphonie, la liste des derniers appels entrants et sortants de Badogomba. Le dernier appel était celui d’un certain Jean Bosco Nibitegeka alias Bujiginya. Ce dernier a été appelé par un membre de la famille et il a confirmé qu’il partageait un verre avec Jean-Marie Vianney Badogomba au Bar « Kumpene » situé à l’Avenue Muyinga, zone Rohero de la commune Mukaza. « On le connaît dans la famille. Ils étudiaient ensemble au Lycée de Rubanga. Il nous a dit qu’ils se sont séparés à 16h. Nous avons continué à chercher sans trouver aucune piste. », confie un proche de Badogomba. Selon la famille, elle ne soupçonnait pas Bujiginya d’être impliqué dans l’enlèvement, mais la dernière piste s’arrêtait à lui. Bujiginya est arrêté le 21 septembre 2021 au centre-ville de Bujumbura. Surprise. En consultant le téléphone de Bujiginya, les enquêteurs découvrent des messages qu’il a échangés, lorsqu’il était avec Badogomba, avec une autre personne utilisant un numéro de Lumitel. Selon des témoignages, le numéro appartient à un certain Onesphore Ndayishimiye, un adjudant-Major de l’armée burundaise. « On a été surpris. Il n’avait pas effacé les messages».

Jean Bosco Nibitegeka a été déféré devant le parquet puis transféré à la prison de Mpimba. L’autre interlocuteur n’a pas été inquiété. Selon des sources au parquet de Mukaza, le dossier du prévenu Jean Bosco Nibitegeka a été programmé trois fois pour la chambre de conseil, mais ce prévenu n’a jamais comparu. Même les avocats de la famille de Badogomba ont envoyé une correspondance, le 26 novembre 2021, au procureur de la République en commune urbaine de Mukaza pour solliciter son intervention dans le dossier RMP 7488/NDAS : Ministère Public contre Nibitegeka Jean-Bosco et Ndayishimiye Onesphore afin que les prévenus cités puissent comparaître en chambre de conseil. « Cette situation est alarmante et choquante pour la famille et ses proches ; et ne savent quoi faire pour prendre des nouvelles de Jean Marie Vianney Badogomba et pire encore les présumés auteurs de son enlèvement ne comparaissent pas en chambre de conseil, depuis bientôt deux mois». Et d’ajouter : « Nous nous interrogeons aussi sur la situation carcérale du prévenu Nibitegeka Jean Bosco qui n’a jamais comparu devant le juge alors qu’il est à la disposition du parquet. »

En dépit de nombreuses alertes publiées sur les réseaux sociaux, des émissions radio et télévisées, des articles de presse et des lettres de la famille aux différentes autorités du pays y compris le Président de la République, aucune autorité burundaise ne s’est exprimée sur la disparition forcée de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA.

B. Disparition forcée de Monsieur Amuri KWIZERA.

Jeune homme âgé de 33 ans au moment des faits, Amuri KWIZERA connu sous le sobriquet de « BABU » a été enlevé dans la soirée du 16 juillet 2021, tout près de sa résidence à Nyakabiga, par des hommes inconnus dont certains étaient en tenue militaire, à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Donc, la même camionnette déjà décrite dans la disparition forcée de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA.

B.1. Identité de la victime

Fils de Ramazani JUMA et d’Ashura KAYITASIRE, Amuri KWIZERA alias « BABU » est né en 1988 dans la zone urbaine de Nyakabiga, au centre de la ville de Bujumbura. Il appartient à une longue lignée de chauffeurs de véhicules. Il était employé par le Garage Toyota « chez Ruganira SEFU » selon ses proches. BABU faisait régulièrement des allers-retours entre le Burundi et la Tanzanie, récupérant des véhicules neufs au port de Dar-es Salaam en Tanzanie qu’il conduisait jusqu’à Bujumbura. Célibataire vivant encore avec ses parents, Amuri KWIZERA résidait à Nyakabiga I 15ème Avenue n°18, au moment de sa disparition forcée.

Amuri KWIZERA n’aimait pas la politique selon ses proches. Il n’aurait jamais appartenu à un parti politique. Même si la zone urbaine de Nyakabiga avait été une des bastions de la contestation populaire du troisième mandat du Président NKURUNZIZA en 2015, Amuri KWIZERA n’aurait pas participé aux manifestations de 2015.

Amuri KWIZERA est décrit par les siens comme un jeune homme très paisible, qui aimait raconter des blagues avec des amis, qui pouvait parfois exagérer ses blagues en s’inventant des scènes auxquelles il n’avait pas participé. « Aurait-il raconté des histoires sur les manifestations de 2015 à des personnes mal intentionnées ? », s’interroge un de ses cousins qui le connaissait très bien. Les proches de « BABU » sont unanimes : ils ne lui connaissaient pas de conflit avec qui que ce soit.

B.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Amuri KWIZERA

Le soir du vendredi 16 juillet 2021, Amuri KWIZERA se trouve à la maison, à Nyakabiga I 15ème Avenue n°18. Il visionne un film avec ses proches. A 23 heures 30, il sort prendre de l’air à l’extérieur et s’assoit à l’entrée de la résidence familiale (« au portail » comme on dit dans le langage populaire à Bujumbura). C’est alors qu’un certain MINANI, un voisin, l’appelle pour partager un verre. MINANI est avec son épouse prénommée Henriette. Au moment d’ouvrir la bouteille de « Viva Malt » qu’affectionne Amuri KWIZERA, une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées arrive lentement sur les lieux, les lumières presqu’éteintes. A bord de la camionnette se trouve des hommes en tenue militaire et un autre, décrit comme de courte taille, en costume civile. Un témoin de la scène raconte :

« L’homme en costume a débarqué en premier, puis deux hommes en tenue militaires l’ont suivi. Un homme a pointé son doigt vers BABU en disant : c’est lui ! Aussitôt, BABU a été saisi et jeté dans la camionnette en un éclair de temps. BABU a appelé au secours : Baranyishe, baranyishe ! (ils me tuent, ils me tuent)… Il a tapé sur les vitres de la camionnette, mais en vain. Tout s’est passé très rapidement. Nous avons pris un taxi pour suivre la camionnette mais les militaires ont pointé des armes vers nous, le taximan a eu peur et dû rebrousser chemin. La camionnette s’est finalement engagée dans l’Avenue Muyinga et nous l’avons perdu de vue. »

Ce témoignage concorde avec les résultats de l’enquête menée par le journal IWACU[6] :

Babu, 33 ans, a été enlevé le 16 juillet 2021. Assis au salon en train de visionner un film avec les membres de sa famille, le jeune homme sort pour prendre l’air. C’est aux environs de 23h30 minutes ce vendredi-là. « Il s’est assis devant le portail pendant environ deux minutes », raconte un témoin qui était à quelques mètres du domicile de Babu. Minani, son ami et voisin avec qui il partage souvent un verre, l’a appelé. Il y avait également une certaine Ariette. « Babu est allé les voir. Avant qu’on lui ouvre son Viva Malt, les ravisseurs débarquaient », raconte un autre témoin. De l’arrivée au portail au débarquement des kidnappeurs, moins de 3 minutes ont suffi.

« Ils étaient dans un pick-up Toyota Hilux blanche aux vitres teintées. Un homme de petite taille en costume est descendu du véhicule. Deux hommes en tenues militaires ont aussi débarqué », raconte un témoin. Un d’entre eux a pointé du doigt Babu : « C’est lui ! » Sans aucune autre forme de procès, Babu est embarqué dans le véhicule. Ce dernier se dirige vers l’avenue Muyinga.

« Nous avons entendu les cris de Babu. Il criait : ‘’Baranyishe !’’ (Au secours !). Il a commencé à taper des mains sur les vitres », confie un voisin de la famille. Selon lui, avec des amis et quelques membres de la famille de Babu, ils ont réquisitionné un taxi pour suivre le pick-up.  » Arrivés aux environs de l’Avenue de l’Université, le pick-up a ralenti et ils ont fait semblant de nous tirer dessus. Le taximan a eu peur et il a rebroussé chemin. Le véhicule a continué sur l’Avenue Muyinga. Apeuré, indique l’ami de Babu, personne n’a pu relever la plaque d’immatriculation.

B.3. Une opération du renseignement militaire

Le modus operandi de l’enlèvement ressemble à celui de plusieurs autres enlèvements opérés par le renseignement militaire (G2). La tenue militaire des ravisseurs en est une première indication. Le véhicule utilisé ressemble à celui utilisé dans plusieurs autres opérations du G2 en 2021 : une camionnette double cabine blanche aux vitres teintées, de la marque Toyota Hilux. Un détail très important qui revient dans la description du véhicule concerne des motifs rougeâtres observés sur les portières. La Campagne NDONDEZA a envoyé à un témoin de l’enlèvement une photo de la camionnette fournie par une source au sein du G2, le témoin a confirmé que la camionnette de l’enlèvement était similaire à celle sur la photo. Le fait d’enlever une personne devant des témoins est également typique des opérations menées par le G2 en 2021. Dans le cas du SNR, par contre, les enlèvements sont menés de manière très subtile et cachée depuis 2018.

Les opérations de kidnapping opérées par le G2 en 2021 ont souvent impliqué un civil (responsable local du parti CNDD-FDD ou bien un informateur du SNR), parfois « un ami » de la victime, qui se charge de la surveillance de la victime avant l’enlèvement. Dans le cas de Monsieur Amuri KWIZERA, il y a lieu de s’interroger sur le rôle joué par son voisin MINANI et sa femme Henriette. Comment les ravisseurs pouvaient-ils savoir la localisation précise de la victime sans un renseignement sur place ? il est possible que MINANI ait joué ce rôle de surveillance et de coordination avec les ravisseurs, tout comme il peut y avoir eu une autre personne dans le voisinage de BABU qui ait joué ce rôle. De toute évidence, l’appel de MINANI à partager un verre a facilité le kidnapping de Monsieur Amuri KWIZERA. Des voisins de MINANI ont par ailleurs indiqué qu’ils considéraient MINANI, depuis plusieurs années, comme un informateur des services secrets.

Une source très proche du renseignement militaire a confirmé à la Campagne NDONDEZA que l’enlèvement de Monsieur Amuri KWIZERA avait été opéré par une équipe du G2. Selon cette source, l’équipe comprenait le Major Juvénal NDABANEZE, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias Braddock, l’Adjudant Jean Bosco BIZIMANA, le Caporal Dieudonné BIGIRIMANA alias Cobra et le chauffeur, Caporal Youssouf HAVYARIMANA. Selon la même source, Amuri KWIZERA aurait passé la nuit du 16 au 17 juillet 2023 sous interrogatoire au bureau du G2. Le 17 juillet, vers 8 heures du matin, Amuri KWIZERA aurait été emmené dans un cachot du Bataillon Police Militaire. « Il semblait très affaibli et marchait avec difficulté, ce qui laissait croire qu’il avait été torturé pendant l’interrogatoire », selon la même source.

Ces informations ont été corroborées par une autre source dans le cadre de l’enquête de la Campagne NDONDEZA sur la disparition forcée de Christian NDIZEYE[7]. Christian NDIZEYE est un homme d’affaires enlevé en plein jour le 17 juillet 2021 au bar Le Calvados à Bujumbura. Lui aussi, il aurait été détenu dans un cachot du Bataillon Police Militaire et y aurait trouvé Amuri KWIZERA. Durant sa détention, Christian NDIZEYE aurait contacté un ami pour lui demander de l’argent via le téléphone d’Amuri KWIZERA. Cet ami de Christian NDIZEYE a confirmé à la Campagne NDONDEZA qu’il avait transféré cent mille francs burundais (100.000 BIF) sur ledit numéro et qu’il avait pu parler avec Christian, via un appel direct.

Si ces dernières informations indiquent que Christian NDIZEYE et BABU peuvent avoir été détenus dans un même endroit, elles soulèvent également une autre interrogation intéressante : pourquoi Amuri KWIZERA n’a-t-il jamais contacté sa famille alors qu’il avait accès à son téléphone ? De même, pourquoi Christian NDIZEYE n’a-t-il pas utilisé le même numéro pour contacter sa propre famille pendant la détention ? Ici il y a lieu d’imaginer que les téléphones étaient dans les mains des agents du G2 et que ce sont ces derniers qui ont ordonné à Christian NDIZEYE de demander de l’argent via le téléphone d’Amuri KWIZERA qu’ils lui ont tendu. Dans ce cas, Christian NDIZEYE n’aurait eu que la possibilité des appels qu’on lui ordonnait de faire.

Selon la source proche du renseignement militaire, Amuri KWIZERA aurait été sorti de son cachot le dimanche 18 juillet 2021 pour une destination qui reste inconnue.

A.4. Recherches menées par la famille pour retrouver Monsieur Amuri KWIZERA

Dès le lendemain de l’enlèvement d’Amuri KWIZERA, ses proches l’ont cherché dans les différents cachots de Bujumbura, mais en vain. La Campagne NDONDEZA a rapidement fait parvenir à la famille l’information selon laquelle « BABU se trouvait dans un cachot du Bataillon Police Militaire ». Un membre de la famille s’est présenté au Bataillon Police Militaire mais un garde à l’entrée du camp lui a refusé tout accès, arguant qu’aucun civil ne pouvait être détenu dans un camp militaire. Ce membre de la famille a directement appelé le commandant du camp Bataillon Police Militaire, à l’époque Lieutenant-Colonel Alfred MAYUYU, et celui-ci a donné la même réponse : « on ne détient pas des civils dans un camp de l’armée » ! La famille a continué ses recherches dans d’autres cachots, notamment au SNR, se faisant parfois arnaquer par des escrocs. Au moment de la sortie de ce rapport, deux ans après la disparition forcée d’Amuri KWIZERA, la famille continue d’espérer que « BABU est détenu quelque part et finira par réapparaître ».   

Dans son enquête, le journal IWACU a évoqué les recherches menées par la famille[8] :

Les proches du désormais porté-disparu assurent que le samedi et le dimanche, ils ont fait le tour des cachots sans le trouver. « Nous avons cherché à la police militaire, au Bureau spécial de recherche (BSR) en vain. » D’après eux, la police et les agents du SNR sont venus au domicile de Babu. « Ils ont amené pour interrogatoire, au bureau de la zone, le père de Babu, ses sœurs, Minani et Ariette. De 9 h, ils ont été relâchés vers 13h».

L’armée burundaise a officiellement nié l’enlèvement d’Amuri KWIZERA dans un entretien accordé au journal IWACU[9] :

« Le rôle de l’armée n’est pas d’appréhender des gens. Elle a la mission de sécuriser les frontières du pays et d’aider la police en cas de besoin », réagit le colonel Floribert Biyereke. Pour lui, ce sont des allégations mensongères. « L’armée ne peut pas faire une chose pareille ». Et de soutenir que nul n’est au-dessus de la loi : « Les criminels doivent être punis conformément à la loi. »

Face à la multiplication des informations faisant état des cas de disparitions forcées, notamment après l’enlèvement d’Elie NGOMIRAKIZA le 09 juillet 2021, celui d’Amuri KWIZERA le 16 juillet 2021 et celui de Christian NDIZEYE le 17 juillet 2021, le Procureur Général de la république, Sylvestre NYANDWI, a organisé un point de presse le 29 juillet 2021 dans lequel il a nié l’existence des cas de disparitions forcées au Burundi :

Lors d’un point de presse de ce mercredi 29 juillet 2021, le procureur général de la République, Sylvestre Nyandwi, a fait savoir que certaines de ces allégations de personnes disparues sont mensongères : « Des personnes partent pour se faire enrôler dans des groupes armés sans en informer leurs familles et celles-ci croient à tort qu’elles ont été enlevées. »[10]

Aucune personne n’a été poursuivie pour la disparition forcée d’Amuri KWIZERA et aucune autorité burundaise n’a reconnu cette disparition forcée.

C. Disparition forcée de Monsieur Christophe NIYONZIMA

Alors qu’il était au volant d’une voiture de transport en commun et qu’il transportait ses clients de Kirundo à Ngozi, Christophe NIYONZIMA a été enlevé le 23 août 2021, au lieu appelé Ku Masanganzira, par des hommes en tenue militaire à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Les ravisseurs avaient un deuxième chauffeur qu’ils ont mis aux commandes de la voiture de la victime pendant le kidnapping. L’enlèvement de Christophe NIYONZIMA ressemble à plusieurs dizaines d’autres opérations menées par le renseignement militaire (G2) en 2021. Christophe NIYONZIMA était rentré d’exil huit mois avant son enlèvement.

C.1. Identité de la victime

Fils de Mathias NIRONKA et de Spès SIBONIYO, Christophe NIYONZIMA est né en 1977 sur la colline Rubuga, en commune Bugabira, province Kirundo, au nord du Burundi. Mais il a grandi, après le déménagement de sa famille, sur la colline Ruhehe de la même commune. Après des études primaires, il avait appris à conduire des véhicules et obtenu un permis de conduire. Pendant plusieurs années, Christophe a été un chauffeur des véhicules de transport en commun sur le trajet Bugabira – Kirundo – Ngozi. En 1997, il a été engagé comme chauffeur communal de Bugabira et l’était resté pendant près de 17 ans. Marié à Jeannette NYIRABUKEYE, Christophe NIYONZIMA est père de huit enfants. La résidence familiale est à Ruhehe.

Après l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD, Christophe NIYONZIMA avait adhéré au parti CNDD-FDD pour des raisons de sécurité et pour garder son poste de chauffeur communal. Peu avant la crise de 2015, Christophe NIYONZIMA a démissionné de son poste de chauffeur communal, en raison d’une mésentente avec l’autorité communale, et il a pris des distances avec le parti CNDD-FDD.

Réfugié avec sa famille au Rwanda en 2015, Christophe NIYONZIMA et les siens ont cru à l’appel du nouveau président Evariste NDAYISHIMIYE et ont été rapatriés au Burundi en décembre 2020. Les rapatriés du Rwanda étant souvent assimilés à des rebelles (surtout en province de Kirundo), Christophe NIYONZIMA a dû regagner le parti CNDD-FDD pour rassurer son entourage. Peine perdue, il sera enlevé huit mois plus tard.

A son retour au Burundi, Christophe NIYONZIMA a repris son métier de chauffeur. Il s’est fait engager par un particulier pour l’exploitation d’une voiture de transport en commun, une Toyota Probox immatriculée KA 2422. Chaque jour, il faisait des allers-retours sur le trajet Bugabira – Kirundo – Ngozi.

C.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Christophe NIYONZIMA.

Comme tous les jours, tôt le matin du 23 août 2021, à bord de la voiture Toyota Probox immatriculée KA 2422, Christophe NIYONZIMA a transporté des passagers de Bugabira à Ngozi, en passant par le chef-lieu de Kirundo. De retour, il a pris à Ngozi un passager qui se rendait à Kirundo avec beaucoup de bagages. Aux environs de 14 heures, il a pris à Kirundo des passagers qui se rendaient à Ngozi. Ce fut son tout dernier voyage et il n’arriva pas à destination. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu identifier ces derniers clients de Christophe NIYONZIMA, histoire de vérifier s’il s’agissait des passagers normaux ou s’il s’agissait des agents des services secrets qui s’étaient fait passer pour des passagers.

Durant ce dernier voyage, la voiture de Christophe NIYONZIMA a été stoppée par des personnes en tenue militaire, au lieu communément appelé « Ku Masanganzira ya Ngozi – Muyinga » (croisement des routes Ngozi – Muyinga et Ngozi – Kirundo). Le lieu se trouve en partie dans la commune Gashoho de la province Muyinga et en partie dans la commune Kiremba de la province Ngozi. Christophe NIYONZIMA a été sommé de quitter sa voiture et d’embarquer dans une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. Les ravisseurs étaient venus avec un autre chauffeur qu’ils ont mis au volant de la voiture de Christophe NIYONZIMA. Les militaires ont embarqué dans la camionnette et les deux véhicules sont partis à toute allure vers Ngozi. Les derniers témoins à avoir vu la voiture de Christophe NIYONZIMA disent qu’ils l’ont aperçue en commune Gashikanwa : « elle roulait à grande vitesse vers Ngozi ».

Depuis ce dernier témoignage, il n’y a de trace ni de Christophe NIYONZIMA ni de sa voiture. Curieusement, aucun message provenant d’un passager de la voiture de Christophe NIYONAIMA n’a été enregistré par la suite. D’habitude, un incident comme celui-ci pouvait donner lieu à des messages d’alarme sur les réseaux sociaux ou de tels messages pouvaient être envoyés de manière confidentielle à la Campagne NDONDEZA. Deux hypothèses sont possibles ici : soit les personnes transportées étaient de faux passagers de mèche avec les ravisseurs, soit les passagers ont reçu des menaces de la part des ravisseurs.

C.3. Une opération du renseignement militaire

Comme dans le cas précédent, celui de la disparition forcée d’Amuri KWIZERA, le mode opératoire de l’enlèvement de Christophe NIYONZIMA est typique des opérations menées par le renseignement militaire en 2021. La tenue militaire des ravisseurs, la camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, la publicité de l’opération menée dans un endroit très fréquenté et à une heure d’affluence, sont des traits caractéristiques des opérations menées par le renseignement militaire en 2021.

Interrogée par la Campagne NDONDEZA, une source militaire proche du G2 a confirmé, de manière très confidentielle, que le kidnapping de Christophe NIYONZIMA a été opéré par le renseignement militaire. Selon cette source, l’opération aurait[11] été pilotée par le Lieutenant-Colonel Libère Niyonkuru. D’autres agents du G2 auraient pris part à l’opération, notamment l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias Braddock, le Caporal Dieudonné NAHIMANA alias Cobra et le Caporal-Chef Youssouf HAVYARIMANA (chauffeur de la camionnette). 

La Campagne NDONDEZA n’a pas reçu d’informations supplémentaires sur le sort réservé à Christophe NIYONZIMA et à sa voiture après l’enlèvement.

C.4. Recherches menées par la famille de Monsieur Christophe NIYONZIMA

L’alerte provenant de la famille de Christophe NIYONZIMA a circulé sur les réseaux sociaux dès le 25 août 2021. Le même jour, le président du FOCODE a partagé cette alerte sur sa page Facebook[12]. Des activistes ont partagé l’alerte sur leurs comptes Twitter à partir du 28 août 2021. Comme d’habitude, aucune autorité et aucune institution burundaises n’ont daigné répondre à ces alertes.

La famille de Christophe NIYONZIMA a d’abord mené des recherches dans des cahots à Ngozi, sans succès. Elle s’est ensuite adressée à la Police nationale du Burundi et à différentes institutions du pays pour signaler l’enlèvement et la disparition de Christophe NIYONZIMA. Le 27 août 2021, la famille a écrit au Commissaire Général de la Police Judiciaire en ces termes :

Monsieur le Commissaire Général,

J’ai l’honneur de m’adresser auprès de votre haute autorité pour solliciter une enquête afin de retrouver Monsieur NIYONZIMA Christophe qui est introuvable depuis le 23/08/2021, la carte Sim de son téléphone est 6732674.

En effet, Monsieur le Commissaire Général, Monsieur NIYONZIMA Christophe était chauffeur d’une voiture de biens et de personnes sur l’itinéraire Kirundo-Ngozi. Cette voiture était de type TOYOTA PROBOX PLAQUE KA 2422. Depuis le 23/08/2021 nous ne savons pas où il est et même son véhicule reste introuvable jusqu’à maintenant. Nous l’avons appelé à maintes reprises, mais son téléphone reste toujours éteint. Dans le but de faciliter l’enquête, nous aimerions vous demander l’autorisation d’accéder aux derniers numéros de contact téléphoniques qu’il aurait fait.

Espérant une suite favorable à ma demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Commissaire Général, l’expression de ma considération très distinguée.

NKUNZIMANA Pierre

La famille de la victime a saisi également la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH). Cette dernière a promis d’enquêter et de communiquer ses résultats à la famille. La CNIDH n’a jamais honoré cette promesse.

De même, la Police Nationale n’a jamais contacté la famille de la victime pour l’informer des résultats de son enquête sur l’enlèvement de Christophe NIYONZIMA. Aucune autorité burundaise n’a jamais évoqué la disparition forcée de Christophe NIYONZIMA ni pour la confirmer ni pour l’infirmer.

D. Disparition forcée de Monsieur Eddy IRAKOZE

Vigile à l’Ambassade de Russie au Burundi, Eddy IRAKOZE a été enlevé dans la soirée du 12 septembre 2021, à Musaga, par des hommes inconnus à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. La camionnette avait des motifs rougeâtres sur les côtés gauche et droit. Le mode opératoire de l’enlèvement d’Eddy IRAKOZE et la camionnette des ravisseurs portent à croire qu’il s’agit d’une opération du renseignement militaire (G2). Comme dans les autres cas de disparitions forcées, les autorités burundaises restent silencieuses et inactives sur ce cas alors qu’elles ont été saisies régulièrement par la famille de la victime.

D.1. Identité de la victime

Fils de Pascal NAKOBAMPORANIYE et d’Amélie NDIHOKUBWAYO, Eddy IRAKOZE est né en 1988 sur la colline Kigina-Mugomera, en commune Mugamba de la province Bururi, au Sud du Burundi. Eddy IRAKOZE a terminé ses études secondaires en électromécanique au Lycée Saint-Luc de Bujumbura en 2011. Ses anciens condisciples le décrivent comme un garçon très dynamique et très débrouillard qui savait étudier le jour et travailler comme vigile la nuit. Au moment de sa disparition forcée, il travaillait à l’ambassade de Russie au Burundi comme vigile appartenant à la société de gardiennage PSG. Marié et père de trois enfants (dont un nourrisson né sept mois après la disparition forcée de son père), Eddy IRAKOZE résidait au quartier Gitaramuka de la zone urbaine de Musaga, au Sud de la ville de Bujumbura.

Selon ses proches, Eddy IRAKOZE n’appartenait à aucun parti politique et n’avait pas manifesté en 2015 contre le troisième mandat du Président NKURUNZIZA. Des voisins de la victime ont, par contre, déclaré à la Campagne NDONDEZA qu’ils considéraient Eddy IRAKOZE comme un membre de la milice Imbonerakure ou tout au moins un sympathisant de cette dernière. Les proches de la victime ont réfuté cette appartenance à la milice Imbonerakure, ils ont plutôt indiqué qu’Eddy IRAKOZE avait résisté à plusieurs tentatives de recrutement par des Imbonerakure.

D.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Eddy IRAKOZE

Dimanche 12 septembre 2021. Eddy IRAKOZE avait commencé sa journée à son travail à l’Ambassade de Russie au Burundi. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu savoir s’il avait passé la nuit à l’Ambassade, mais cela est d’autant plus probable qu’il était libre l’après-midi et le soir de ce dimanche fatidique. L’après-midi, selon une source familiale, Eddy IRAKOZE a pu partager un verre avec des amis au Mess des officiers militaires de la Garnison de Bujumbura. Ces amis n’ont pas été identifiés.

Vers 18 heures, Eddy IRAKOZE a reçu un appel de son beau-père qui l’invitait chez lui à Musaga. Son beau-père avait deux gendres (Eddy IRAKOZE et un autre), il venait de recevoir en visite un des deux gendres et voulait qu’Eddy IRAKOZE partage aussi ce moment de convivialité familiale. Un proche de la famille, témoin oculaire de cette soirée, a livré ce témoignage à la Campagne NDONDEZA :

« Ce soir-là, le beau-père d’Eddy IRAKOZE avait la visite d’un de ses gendres, un enseignant des universités. Il avait l’habitude d’inviter l’autre gendre chaque fois que l’un des deux lui rendait visite. Il a invité également un de ses amis. Quand il a appelé Eddy, celui-ci a promis de venir rapidement puisqu’il n’était pas loin : il était au Mess des officiers, c’est tout près de Musaga. Eddy a beaucoup traîné, ils ont dû le rappeler deux ou trois fois. Ils sont partis l’attendre au bar KUWINGOMA sis entre la 3ème avenue et le bureau de la zone Musaga, tout près de la route goudronnée et juste à côté de l’Hôtel dit Chez Nduwayo. Eddy est arrivé peu après 19 heures et ils ont partagé le verre jusqu’à 21 heures. Eddy IRAKOZE était très bavard ce soir-là, il semblait déjà ivre. Il parlait de beaucoup de politique et à haute voix, évoquant surtout une attaque armée qui venait d’avoir lieu en commune Mugamba, s’insurgeant contre les auteurs de cette attaque qu’il qualifiait de personnes irresponsables. Il y avait beaucoup de personnes dans le bar, dont le responsable du SNR en commune Musaga, un certain Damien. Le beau-père et l’autre gendre semblaient gênés par cette conversation et tentaient de changer de sujet mais Eddy était très absorbé par son sujet. »

Aux environs de 21 heures, le beau-père, ses gendres et son ami ont quitté le bar et sont rentrés. Les deux gendres sont partis ensemble, descendant la 3ème Avenue de Musaga. C’est là que les ravisseurs d’Eddy IRAKOZE les ont trouvés. Voici un autre témoignage d’un témoin :

« Nous étions sur la troisième Avenue, côté gauche. On descendait en bavardant. On a entendu des pas derrière nous, nous nous sommes retournés et nous avons remarqué trois hommes en tenue civile qui nous suivaient. Derrière eux, il y avait une camionnette stationnée sur le côté droit, les lumières éteintes. On n’avait pas entendu l’arrivée de la camionnette. En un éclair de temps, les trois hommes ont saisi Eddy IRAKOZE qui a tenté de résister, ils lui ont collé une gifle et l’ont jeté dans la camionnette. La camionnette est partie en trombe, tout s’est passé en moins de cinq minutes. C’était une camionnette double cabine blanche, de type Toyota Hilux, très neuve. Elle avait des lignes rougeâtres sur les portières et la plaque d’immatriculation était illisible à l’arrière. J’étais pétrifié, je suis rentré et je n’ai pu rien dire à ma famille cette nuit-là. »

D.3. Une opération du renseignement militaire

L’enlèvement d’Eddy IRAKOZE a les traits des opérations de kidnapping menées par le renseignement militaire en 2021. Le véhicule utilisé est le même que celui utilisé dans l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, celui d’Amuri KWIZERA et celui de Christophe NIYONZIMA. La Campagne NDONDEZA a envoyé au témoin la photo de la camionnette utilisée par le G2 et le témoin a confirmé que c’est la même camionnette qu’il avait vue. Les ravisseurs portaient la tenue civile, ce qui ne permet de confirmer qu’il s’agissait des militaires. La saisie brutale de la victime et le fait de ne pas se soucier des témoins qui assistent à la scène rappellent plusieurs autres kidnappings du renseignement militaire en 2021.

Une source militaire proche du G2 a confirmé confidentiellement à la Campagne NDONDEZA que l’opération a été menée par le renseignement militaire. Selon cette source, l’opération aurait[13] été conduite par l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias Braddock.

D.4. Recherches menées par la famille de Monsieur Eddy IRAKOZE.

Dès le 13 septembre 2021, la famille d’Eddy IRAKOZE a mené des recherches dans les différents cachots de Bujumbura et a saisi plusieurs organes de l’Etat, mais en vain. Aucun organe de l’Etat n’a communiqué sur cette disparition forcée. Certains agents du Service National de Renseignement ont longtemps communiqué avec la famille d’Eddy IRAKOZE, la rassurant qu’Eddy se trouvait dans des cahots du SNR, mais en réalité ce n’était que des escrocs qui profitaient du désespoir de la famille.

La famille a porté plainte à la Police Judiciaire et lui a remis les relevés téléphoniques d’Eddy IRAKOZE. La famille a également écrit à l’Inspecteur Général de la Police Nationale du Burundi pour demander une enquête sur l’enlèvement d’Eddy IRAKOZE. La Police Judiciaire a promis d’enquêter, mais la famille n’a reçu aucune suite à sa plainte.

La famille d’Eddy IRAKOZE a saisi la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme le 13 septembre 2021. La CNIDH a enregistré le cas et a promis de revenir à la famille après son enquête, mais elle n’a jamais concrétisée sa promesse. La CNIDH n’a même pas mentionné le cas dans son rapport annuel de 2021.

Selon des proches d’Eddy IRAKOZE, l’Ambassade de la Russie au Burundi se serait également impliquée dans les recherches et aurait contacté certains services de l’Etat dont la Police Nationale. La démarche est restée également improductive.

Alerté par les proches d’Eddy IRAKOZE, le président du FOCODE a communiqué à plusieurs reprises sur ce cas de disparition forcée, mais aucune autorité du Burundi n’a répondu à toutes ces alertes.

E. Disparition forcée du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE

Le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE est un militaire de l’armée burundaise enlevé à Carama (un quartier au nord de la ville de Bujumbura) dans la soirée du 29 septembre 2021, par des hommes armés à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Le kidnapping s’est déroulé dans un lieu public, en présence de plusieurs témoins y compris des policiers qui assuraient l’ordre dans la circulation des véhicules. Une opération qui ressemble à plusieurs dizaines d’enlèvements menés par le renseignement militaire en 2021.

E.1. Identité de la victime

Fils de Joël NIZIGIYIMANA et de Daphrose NZIKOBANYANKA, Innocent GASHIRAHAMWE est né en 1986 sur la colline Murama de la commune Mbuye, en province de Muramvya, au centre du pays. Innocent avait étudié jusqu’en 9ème année de l’école secondaire (trois années post primaires) avant de s’engager dans la rébellion du Palipehutu-FNL en 2005. Après la signature de l’Accord de cessez-le-feu par son mouvement en décembre 2008, Innocent GASHIRAHAMWE a été incorporé dans l’armée burundaise le 1er mai 2009 om il a porté les numéros matricule 76743 / HR 23401. Dans l’armée il avait une spécialité de brancardier de combat et avait le grade de caporal au moment de son enlèvement.  Longtemps affecté à la 1ère Division d’infanterie, il a été enlevé alors qu’il faisait partie du 7ème Bataillon MINUSCA[14] en attente d’être déployé en République Centrafricaine. En attendant leur déploiement, les militaires de ce bataillon étaient cantonnés au Camp Muzinda en province de Bubanza, à près de sept kilomètres de Bujumbura.

Marié à Sophie MUSONERE, le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE est père de deux enfants (deux filles âgées de 5 ans et d’1 an en 2021) au moment de sa disparition forcée. Sa résidence se trouve au quartier Gasenyi au nord de la ville de Bujumbura, près du Palais Ntare House (bureau de la présidence de la république).

En plus de ses fonctions militaires, Innocent GASHIRAHAMWE était un homme d’affaires. Il s’occupait notamment du prêt d’argent aux militaires qui vont dans les missions de paix en Somalie et en Centrafrique. Ces prêts, une sorte de « banque Lambert », avec des taux usuraires sont communément appelés « Kumena amaso » (briser les yeux) par les militaires. Suite aux retards des rémunérations des militaires en missions, les bénéficiaires de ces prêts se retrouvent en train de payer parfois le triple des prêts reçus. La Campagne NDONDEZA a déjà documenté plusieurs cas de disparitions forcées des militaires qui pratiquent ces prêts usuraires. Des agents des services secrets ont souvent été utilisés dans l’élimination de plusiuers militaires prêteurs d’argent. La campagne NDONDEZA n’est pas en mesure de confirmer que la disparition forcée du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE est lié à son activité de prêteur d’argent aux militaires.

Sur le plan politique, le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE avait gardé un lien très fort avec son ancien mouvement rebelle devenu un parti politique, le parti CNL (Congrès National pour la Liberté). Selon ses proches, il avait un contact régulier avec Agathon RWASA, le président du CNL.

Selon des proches du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, celui-ci aurait reçu à plusieurs reprises des avertissements du Colonel[15] Elie NDIZIGIYE alias Muzinga, alors commandant de la 1ère Division d’Infanterie, qui lui aurait dit : « ivyo bintu utabihevye, uzobona ivyo bizogukwegera » (si tu n’abandonnes pas ces histoires, tu en verras les conséquences). Mais le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE avait juré de ne jamais trahir son ancien mouvement, selon ses proches.

Selon un membre de la famille du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, celui-ci avait connu un incident en février 2021 (soit sept mois avant sa disparition forcée) qui préfigurait les futurs malheurs du Caporal GASHIRAHAMWE. Voici son témoignage :

« En février, au cours d’une nuit, GASHIRAHAMWE a été attaqué chez lui par un voleur. Heureusement, GASHIRAHAMWE avait passé cette nuit-là à la maison. Il a pu attraper le voleur et l’a gravement battu.  Le lendemain matin, le corps sans vie du voleur a été trouvé non loin de la résidence de GASHIRAHAMWE. Le parquet s’est saisi du dossier et le Procureur a juré qu’il allait coincer ce fidèle d’Agathon RWASA. Entendre un procureur qualifier un militaire en fonction de fidèle d’Agathon RWASA n’augurait rien de bon. Innocent GASHIRAHAMWE aurait payé 6 millions de francs burundais pour se sortir de cette situation. Certes les poursuites judiciaires ont été abandonnées, mais cette casquette d’opposant et d’ennemi du pouvoir en place n’allait pas le laisser indemne. »

Une source très confidentielle a confié à la Campagne NDONDEZA que le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE était soupçonné de collaboration avec des rebelles du Général Aloys NZABAMPEMA[16] et du mouvement RED-TABARA[17]. Le Caporal GASHIRAHAMWE était un homme très téméraire qui n’hésitait pas à dénoncer à haute voix la mal gouvernance du CNDD-FDD. Ses faits et gestes étaient suivis de près et régulièrement rapportés aux services secrets par des personnes qu’il prenait pour des amis, selon la même source.

Le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE se savait en danger, et il ne cessait de recevoir des conseils de ses amis qui le dissuadaient des sorties à l’extérieur du camp. Ses amis craignaient qu’il se fasse enlever à l’extérieur du camp alors que cela aurait été quasi impossible dans les enceintes du camp. Selon l’un de ses proches, le Caporal GASHIRAHAMWE traitait de « peureux » ceux qui lui prodiguaient ce genre de conseils. Malheureusement, la suite leur a donné raison.

E.2. Circonstances de la disparition forcée du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE.

Le soir du 29 septembre 2021, aux environs de 18 heures 30, le Caporal Innocent GASHIRAHAMWE et un collègue attendaient un bus pour se rendre au Cam Muzinda où se trouvait cantonné le 7ème Bataillon MINUSCA en attente du déploiement en République Centrafricaine. Le Caporal GASHIRAHAMWE avait passé la journée chez lui au quartier Gasenyi. Les deux militaires se trouvaient à Carama, à l’endroit communément appelé « Ku Mabarabara abiri » (aux deux routes). La circulation des véhicules était dense, des hommes de la police de roulage étaient tout près.

C’est à ce moment qu’est venue une camionnette Toyoya Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, à bord de laquelle se trouvaient six hommes en tenue civile, armés de pistolets. La camionnette a stoppé près du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, les six hommes l’ont rapidement saisi et ligoté avant de le jeter dans la camionnette. Un témoin de la scène s’est confié à la Campagne NDONDEZA :

« Les hommes qui l’ont enlevé étaient au nombre de six. Ils sont venus dans une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres fumées. La camionnette avait une plaque IT[18] mais les chiffres étaient illisibles. J’ai pu compter six hommes. Ils étaient en tenue civile et portaient des pistolets. Ils ressemblaient à des militaires. Ils sont sortis rapidement de la camionnette, ont violemment saisi Innocent GASHIRAHAMWE qui attendait un bus avec un ami et l’ont ligoté avant de le pousser dans la camionnette. Tout s’est passé dans un laps de temps et la camionnette est partie en trombe. »

Dans les minutes suivant cet enlèvement, une autre source a alerté la Campagne NDONDEZA dans ces termes :

« Il y a un militaire qui vient d’être enlevé par des personnes inconnues. Elles étaient en tenue civile, mais avaient des pistolets. Elles étaient dans une camionnette double cabine avec une plaque d’immatriculation illisible commençant par IT. Elles l’ont attrapé à Carama à l’endroit appelé « Ku Mayira abiri ». Beaucoup de personnes ont assisté à la scène, y compris des policiers, mais personne n’a pu le sauver. Il allait au Camp Muzinda parce qu’il est du 7ème Bataillon MINUSCA. »

Un troisième témoin oculaire a décrit à la Campagne NDONDEZA la peur des personnes qui ont assisté à la scène de cet enlèvement. Il s’agissait d’un burundais expatrié qui était en vacances au Burundi. Ce soir-là, il venait de Muzinda et était au volant de sa voiture. Il a écrit à la Campagne NDONDEZA juste après la publication d’une alerte par le Président du FOCODE. Voici son témoignage :

« J’ai assisté à cette scène, c’était très effrayant. J’ai tremblé de tout mon corps. J’ai demandé aux autres pourquoi personne n’a tenté de le sauver. Ils m’ont répondu : ‘nous sommes déjà habitués à ce genre de scènes. Il y a quelques jours, un autre homme a été enlevé de la même manière et le lendemain nous avons retrouvé son cadavre. Nous tous, nous vivons dans l’attente de notre tour. Que pouvons-nous faire d’autre ?’

Au moment de l’enlèvement, il y avait beaucoup de véhicules en circulation, ils se sont tous arrêtés et ont attendu la fin de l’opération. Tout près, il y avait un homme de la police de roulage, mais lui aussi n’a rien fait. Quand on arrive au Burundi, on a l’impression que tout va bien, c’est quand on assiste à ce genre de scènes qu’on se rend compte qu’il n’y a vraiment pas de paix. J’ai décidé de partir dès demain, je ne peux pas vivre dans un pays où l’on peut enlever tout citoyen, à n’importe quel moment, devant tout le monde sans que personne ne vienne à son secours. »

C.3. Une opération du renseignement militaire.

L’enlèvement du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE a les traits des autres opérations menées par le renseignement militaire en 2021. La camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées a été citée dans la quasi-totalité des enlèvements opérés par le G2 en 2021. Le mode opératoire du kidnapping du Caporal GASHIRAHAMWE est semblable à celui de plusieurs autres enlèvements menés par le G2.

Une source interne au renseignement militaire a confirmé à la Campagne NDONDEZA que l’enlèvement du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE a été mené par une équipe du renseignement militaire conduite par l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias Braddock. La source a ajouté : « c’est vrai que les ravisseurs portaient des pistolets, mais ils avaient caché sous les sièges de la camionnette des fusils Kalachnikov AK 47. Innocent GASHIRAHAMWE avait été dénoncé par un militaire du camp Ngagara comme un collaborateur du RED-TABARA ».

C.4. Recherches menées par la famille du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE.

Les proches du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE ont alerté quelques minutes seulement après son enlèvement. L’alerte a été largement partagée sur les réseaux sociaux (Whatsapp, Facebook, Twitter) dans la même soirée. A titre illustratif, le président du FOCODE a lancé une alerte sur Facebook[19] et sur Twitter[20], une heure après l’enlèvement du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE. Le lendemain, 30 septembre 2021, les éditions de la Radio Inzamba[21] et de la Télévision Renaissance[22] ont également évoqué cet enlèvement. Les deux médias ont accordé une interview au président du FOCODE. Le 20 mars 2022, le FOCODE a animé une émission d’une vingtaine minute sur la disparition forcée du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, via la Radio Umurisho.

Les proches de la victime l’ont recherchée dans les différents cachots de Bujumbura, sans succès. Comme la plupart des autres familles des victimes de disparitions forcées, une attention particulière a été accordée au Service National de Renseignement (SNR). Un proche de la victime a pu accéder aux cachots du SNR et ne l’y a pas trouvée. A l’époque, les familles ne savaient pas encore que le renseignement militaire était lui aussi impliqué dans les enlèvements des citoyens.

La famille du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE a déclaré son enlèvement à l’armée, précisément à son camp d’affectation. L’autre militaire témoin de l’enlèvement a été auditionné, un procès-verbal a été rédigé. Il n’y a pas eu de suite. Depuis, la famille du Caporal GASHIRAHAMWE vit dans la peur et le désespoir, ne sachant pas s’il faut commencer le deuil ou s’il faut continuer d’attendre le chef de famille.

F. Disparition forcée de Monsieur Rémy NIYONSABA.

Après avoir survécu au premier enlèvement en septembre 2020, l’enseignant Rémy NIYONSABA a été enlevé le soir du samedi 23 octobre 2021, alors qu’il discutait avec des amis tout près bureau communal de Mbuye en province de Muramvya. Les ravisseurs, certains en tenue militaire et d’autres en tenue civile, étaient à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Une opération de kidnapping similaire à plusieurs dizaines d’autres opérations menées par le renseignement militaire en 2021.

F.1. Identité de la victime.

Rémy NIYONSABA est né en 1975 sur la colline Musongati, commune Rutovu, en province de Bururi, au Sud du Burundi. C’était un enseignant à l’ECOFO[23] Ruhanza communément appelé « Collège Giheta » en commune Giheta, province Gitega, au centre du pays. Les jours de service, généralement de lundi à jeudi, Rémy NIYONSABA résidait dans la ville de Gitega. Les autres jours, il résidait avec sa famille au chef-lieu de la commune Mbuye en province de Muramvya. Le chef-lieu de la commune Mbuye est communément appelé « Mu Kivoga » (à Kivoga) en référence à la Paroisse catholique de Kivoga, mais de manière précise le bureau communal se trouve sur la sous-colline Rwesero, colline Teka de la zone Mbuye.  C’est là, à 350 mètres du bureau communal, que se trouve la résidence principale de Rémy NIYONSABA, là où résident son épouse et ses quatre enfants (deux filles et deux garçons).

Au niveau politique, Rémy NIYONSABA avait été un militant du parti MSD (Mouvement pour la solidarité et la Démocratie) dirigé par l’ancien journaliste Alexis SINDUHIJE. En 2015, Rémy NIYONSABA faisait partie des opposants au troisième mandat du Président NKURUNZIZA. A la veille du processus électoral de 2020, son parti MSD ayant été interdit au Burundi, Rémy NIYONSABA a adhéré au parti de l’opposition Congrès National pour la Liberté (CNL) dirigé par le député Agathon RWASA. Après les élections de mai 2020, beaucoup de militants du CNL ont été victimes d’arrestations arbitraires, de torture, d’assassinats et de disparitions forcées. Il est donc possible que la disparition forcée de Rémy NIYONSABA soit liée à ses opinions politiques.

Rémy NIYONSABA est décrit par ses amis comme « un homme libre de pensée, très courageux, qui n’hésite pas à exprimer ouvertement ses opinions et ses critiques du régime en place ». Rémy NIYONSABA savait qu’il était surveillé et que sa vie pouvait être en danger, surtout après avoir survécu à un premier enlèvement en septembre 2020.

F.2. Premier enlèvement de Rémy NIYONSABA en septembre 2020.

Le 29 septembre 2021, vers 14 heures, Rémy NIYONSABA venait de quitter son service au « collège de Giheta », avec des collègues. Le collège se trouve à quelques kilomètres de la ville de Gitega et la plupart des enseignants résident dans la ville. Comme il y a une grande circulation de véhicules entre Giheta et la ville de Gitega, les enseignants de Giheta ont l’habitude d’attendre au bord de la route des véhicules pouvant les prendre en lift. Ce jour-là, Rémy NIYONSABA avec ses collègues attendaient, au lieu communément appelé « Ku Kirato », l’arrivée d’un véhicule qui pouvait les déplacer vers Gitega.

C’est alors qu’a surgit une voiture Toyota T.I. noire aux vitres teintées et qu’elle stoppa devant Rémy NIYONSABA. Des hommes en tenue de la police burundaise en sont sorti, ont saisi brutalement Rémy NIYONSABA et l’ont poussé  violemment dans la voiture qui partit en trombe vers Gitega.

L’alerte a été très rapide, les collègues de Rémy NIYONSABA ont partagé l’information par tous les canaux de communication et décrivaient clairement la voiture qui venait de l’enlever. L’une des premières personnes à recevoir l’information fut le Président du FOCODE qui, à son tour, lança une alerte très détaillée sur sa page Facebook. C’est cette alerte qui sauva Rémy NIYONSABA ce jour-là. Une année plus tard, un proche de Rémy NIYONSABA a partagé à la Campagne NDONDEZA le témoignage que lui a laissé l’intéressé :

« Il m’a dit qu’après l’enlèvement, les ravisseurs allaient le tuer. La voiture avait déjà dépassé la ville de Gitega, Rémy ne savait pas où on l’emmenait. Le téléphone du chef des ravisseurs a sonné, il lui a été ordonné de retourner à Gitega puisque tout était déjà connu du grand public. Rémy a passé deux jours au cachot du Service National de Renseignement (SNR) à Gitega. Le troisième jour, il a été transféré au quartier général du SNR à Bujumbura. Heureusement, à Gitega et à Bujumbura, il n’a pas été torturé. Après deux semaines de détention au SNR, il a été remis au parquet et transféré à la Prison Centrale de Mpimba. On l’accusait d’être en contact avec des rebelles. Dans un premier temps, ils n’avaient rien trouvé dans son téléphone mais, vers minuit le jour de son arrestation, il y a de nouveaux messages suspects qui sont tombés dans son téléphone alors que celui-ci se trouvaient dans les mains d’un agent du SNR. On l’a accusé à partir de ces messages. Le tribunal a condamné Rémy NIYONSABA à trois mois de prison. Il a été libéré en mars 2021, soit six mois après son enlèvement. Mais ce ne sera qu’un répit de sept mois. Selon ce qu’il m’a dit, son premier enlèvement avait été ordonné par le Colonel Alfred Innocent MUSEREMU[24]. »

L’enlèvement de Rémy NIYONSABA en septembre 2020 avait été très maladroit. En principe, le SNR n’opérait plus des enlèvements en public, devant des témoins depuis 2018. La publicité de cette opération et l’alerte rapide qui en a suivi l’ont fait échouer et ont obligé les responsables du SNR à agir à visage découvert et à présenter Rémy NIYONSABA au parquet. C’est là la grande différence entre les opérations du SNR et celles du renseignement militaire en 2021. En dépit de la publicité des enlèvements du G2 en 2021, les victimes n’ont jamais été retrouvées.

F.3. Circonstances de la disparition forcée de Rémy NIYONSABA

Rémy NIYONSABA a passé la journée du samedi  23 octobre 2021 chez lui à Mbuye. Sa résidence se trouve à quelques mètres du bureau communal de Mbuye, à Rwesero sur la colline Teka de la zone Mbuye. Le soir, les fonctionnaires de cette localité ont l’habitude de se rencontrer devant le bureau communal pour discuter. Ce soir de weekend, Rémy NIYONSABA a rejoint les autres fonctionnaires pour un moment d’échange amical.

Vers 18h30, ce groupe de fonctionnaires a remarqué une camionnette Toyota Hilux double cabine de couleur sombre qui venait vers eux, lentement, les lumières éteintes. La camionnette a passé à côté du groupe, ses vitres étaient teintées.  C’était une camionnette inconnue dans la localité, le comportement de ses occupants paraissait bizarre. La camionnette a continué vers un bar appelé « Kwa Désiré » (Chez Désiré). Un homme est sorti de la camionnette, est revenu vers la commune pour saluer le responsable communal du parti CNDD-FDD à Mbuye, Désiré NIJIMBERE. Le comportement de ce responsable du parti paraissait également bizarre ce soir-là. Alors qu’il habite à des kilomètres du chef-lieu de Mbuye, il était inhabituellement resté tout près du bureau communal ce soir du 23 octobre 2021. Il s’était tenu isolé, à l’écart du groupe des fonctionnaires. C’est comme s’il attendait ladite camionnette. La suite a été raconté par un témoin oculaire de l’enlèvement de Rémy NIYONSABA en ces termes :

« Cet homme a passé quelques petites minutes avec Désiré NIJIMBERE, puis il est retourné à la camionnette. La camionnette a fait demi-tour, puis elle est revenue vers le groupe des fonctionnaires qui se trouvait devant le bureau communal, elle a stoppé à leur niveau. Six hommes sont sortis du véhicule, certains étaient en tenue militaire, d’autres en tenue civile. En un laps de temps, ils ont saisi Rémy NIYONSABA. Celui-ci a tenté de se débattre, il a crié très fort, mais ce fut une peine perdue puisqu’ils ont réussi à le pousser dans la camionnette. Les autres fonctionnaires étaient comme tétanisés, ébahis, ne sachant pas quoi faire. Les six hommes ont rapidement sauté dans la camionnette, celle-ci est aussitôt partie en trombe, les lumières toujours éteintes. Au moment de cet enlèvement, les policiers stationnés au bureau communal assistaient à la scène de même que le responsable communal du parti CNDD-FDD. Dès que la camionnette est partie, Désiré NIJIMBERE est monté sur sa moto et il a suivi la camionnette. D’autres personnes nous ont appris plus tard que la camionnette s’est arrêtée momentanément tout près de l’endroit communément appelé « Kwa BIHA » (Chez Biha). Il semble que les ravisseurs étaient en train de ligoter Rémy NIYONSABA. La camionnette est repartie, nous n’avons plus revu Rémy NIYONSABA. »

F.4. Une opération du renseignement militaire ?

Plusieurs indices semblent indiquer que l’enlèvement de Rémy NIYONSABA est une opération du renseignement militaire. La présence de la tenue militaire chez les ravisseurs, le kidnapping dans un lieu public en présence de témoins y compris des policiers, le mouvement lent du véhicule avec des lumières éteintes ainsi que le chiffre six des ravisseurs rappellent plusieurs autres cas d’enlèvements en 2021. Dans cette opération, il existe un autre indice important déjà remarqué dans d’autres cas, c’est la collaboration entre le renseignement militaire et des responsables du parti CNDD-FDD. Cette collaboration étrange de certains responsables du parti avec le G2 a été forgée avec l’élection de Révérien NDIKURIYO à la tête du CNDD-FDD en janvier 2021. Le renseignement militaire n’ayant pas des structures établies dans les provinces et les communes du pays à l’instar du SNR, il a dû ponctuellement se rabattre sur des agents de NDIKURIYO dans les différentes localités où devait se dérouler une opération d’enlèvement d’un citoyen. Le comportement inhabituel de Désiré NIJIMBERE le soir du 23 octobre 2021, son aparté avec l’un des ravisseurs juste avant le kidnapping, le fait de suivre la camionnette juste après l’enlèvement semblent indiquer l’existence d’une connivence entre les ravisseurs et le responsable communal du CNDD-FDD.

Par contre, la couleur sombre de la camionnette n’est pas habituelle dans les opérations du renseignement militaire en 2021. Cela s’explique par le fait que deux opérations étaient en parallèle le 23 octobre 2021. A part l’opération de Mbuye, une autre opération se déroulait à Kayanza pour l’enlèvement de Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA[25]. Il a fallu diviser en deux l’équipe chargée des opérations de kidnapping au G2 et ajouter d’autres véhicules ainsi que d’autres agents.

Une source proche du renseignement militaire a confirmé confidentiellement ces informations en ces termes :

« Comme d’habitude, les deux opérations étaient coordonnées par le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, à l’époque numéro deux du renseignement militaire. Libère NIYONKURU est resté dans un bar communément appelé « Kwa Médard » (chez Médard) en commune Rutegama. L’équipe envoyée à Mbuye était dirigée par l’Adjudant Jean Bosco BIZIMANA. La camionnette utilisée était de couleur verte foncée. Elle n’était pas noire. L’équipe envoyée à Kayanza était dirigée par l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias Braddock. Comme les deux opérations nécessitaient beaucoup de personnel, ils ont fait recours aux élèves de l’Ecole Militaire du Renseignement (EMR). Voilà ce qui explique ces nouveautés observées dans l’opération de Mbuye. »

F.5. Aucune enquête sérieuse n’a suivi la disparition forcée de Rémy NIYONSABA

Contrairement au premier enlèvement de Rémy NIYONSABA en septembre 2020, le deuxième enlèvement n’a pas connu le même niveau d’alerte. Les proches de la victime n’ont partagé l’information comme la première fois. Deux raisons peuvent expliquer cette situation. Le fait que la première fois Rémy NIYONSABA avait disparu de la même manière avant d’être retrouvé, des proches se sont sentis rassurés qu’il allait être retrouvé comme la première fois. La deuxième justification possible est liée à la différence des lieux d’enlèvement. Gitega c’est la capitale politique du pays, les gens sont plus ouverts et plus téméraires, les amis de Rémy NIYONSABA n’ont pas hésité à alerter ;  Mbuye en revanche est une très petite localité, les gens sont plus réservés et se croient surveillés par les agents du parti au pouvoir, ils ont peur de se mettre en danger en lançant des alertes sur un cas d’enlèvement qui s’était passée de la manière aussi brutale.

La première alerte sur la disparition forcée de Rémy NIYONSABA a été publiée le 15 novembre 2021 sur la page Facebook du président du FOCODE[26], plus de trois semaines après l’enlèvement. Le 15 mai 2022, le FOCODE a organisé une émission d’une vingtaine de minutes sur la disparition forcée de Rémy NIYONSABA, via la Radio Umurisho. La Télévision Renaissance a également évoqué le dossier de la disparition forcée de Rémy NIYONSABA[27].

Dans un premier temps, les proches de Rémy NIYONSABA ont gardé l’espoir qu’il allait revenir comme en septembre 2020. Cet espoir a plombé leurs initiatives de recherche. Par après, cette disparition forcée a créé un choc de désespoir et de la peur dans la famille de la victime. Des proches auraient contacté la CNIDH et n’auraient reçu aucune suite.

Rémy NIYONSABA était un fonctionnaire de l’Etat. Ses responsables hiérarchiques ont reçu toutes les informations de son enlèvement, mais ils n’ont commandité aucune enquête sur la disparition forcée d’un fonctionnaire à leur charge. La police de Mbuye a assisté à la scène de l’enlèvement, mais elle n’a engagé aucune enquête.

G. Disparition forcée de Monsieur Abdoul NDAYISHIMIYE alias SHEHE

Le 1er novembre 2021 en fin d’après-midi, Abdoul NDAYISHIMIYE alias SHEHE, responsable local du parti CNL, a été enlevé sur la colline Mparambo I de la commune de Rugombo en province de Cibitoke, par des hommes à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées. L’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE a été mené de la même manière que plusieurs autres opérations du renseignement militaire en 2021.

G.1. Identité de la victime.

Fils de Bernard BARANKANIRA et d’Anastasie NTAHONICAYE, Abdoul NDAYISHIMIYE connu sous le sobriquet de « SHEHE », est né en 1988 sur la colline Musenyi en commune Rugombo, province Cibitoke, au nord-ouest du Burundi. Plus tard, Abdoul NDAYISHIMIYE a déménagé vers la colline Mparambo I, sous-colline Rubuye, dans la même commune de Rugombo. C’est là qu’il résidait avec sa famille, depuis plus de dix ans, au moment de sa disparition forcée. Marié avec Mariam BAYAVUGE, Abdoul NDAYISHIMIYE est père de 6 enfants dont l’aîné avait 14 ans en 2021 et le cadet 2 ans. Abdoul NDAYISHIMIYE exerçait le métier de réparateur des radios et des téléphones. Il avait également construit une série de petites maisons à faire louer à l’endroit communément appelé « Ku Kabasazi » sur la colline Mparambo I.

Sur le plan politique, Abdoul NDAYISHIMIYE est un militant très connu du parti de l’opposition CNL. Il était responsable de la jeunesse du CNL dans la zone Rugombo au moment de sa disparition forcée. Son dynamisme et sa capacité de persuasion étaient considérés comme une menace par le parti CNDD-FDD. A plusieurs reprises, Abdoul avait refusé d’adhérer au parti au pouvoir en dépit des menaces qu’il ne cessait de recevoir, selon ses proches. « Il savait que sa vie était en danger », selon son entourage.

G.2. Au commencement des malheurs d’Abdoul NDAYISHIMIYE, un contrat de location d’une maison avec un Imbonerakure.

Si la disparition forcée d’Abdoul NDAYISHIMIYE ne manque pas de motivation politique, elle fait directement suite au non-respect d’un contrat de location d’une maison d’Abdoul NDAYISHIMIYE par un membre de la milice Imbonerakure. Cela faisait des mois qu’Abdoul NDAYISHIMIYE avait fait louer une de ses maisons de Mparambo I à un membre de la milice Imbonerakure. En octobre 2021, le milicien n’avait pas payé trois mois de loyers, ce qui entrainait la rupture du contrat le liant avec Abdoul NDAYISHIMIYE. Comme le milicien affirmait qu’il était dans l’impossibilité de payer, Abdoul NDAYISHIMIYE lui avait accordé deux semaines supplémentaires pour chercher une autre maison et déménager. Au bout de la période convenue, il a fallu encore une dizaine de jours avant la remise de la maison à Abdoul NDAYISHIMIYE. Mais, comme la maison n’était pas fermée, le milicien revenait le soir et y passait la nuit sans en informer le propriétaire. Un incident assez grave s’est produit le matin du 28 octobre 2021 : Abdoul NDAYISHIMIYE a fermé sa maison sans savoir que le milicien s’y trouvait encore. C’est à partir de là que l’affaire a pris une allure politique et a abouti à la disparition forcée d’Abdoul NDAYISHIMIYE.

La Campagne NDONDEZA a pu obtenir des messages vocaux d’Abdul NDAYISHIMIYE expliquant à ses amis politiques ce conflit qu’il qualifiait de « piège tendu par ses adversaires ». Voici la teneur de ses explications :

«Je suis dans une situation très difficile. J’ai des maisons que je fais louer ici à Kabasazi. Il y a un étudiant qui m’a demandé une maison à louer, à ce moment j’étais à Bujumbura, j’ai accepté de la lui donner même si nous n’avons pas passé un contrat en bonne et due forme. A mon retour, nous nous sommes convenu sur les modalités de payement des loyers. Mais, par la suite, notre relation s’est dégradée. Certes, il n’y avait pas de querelles entre nous, mais il n’arrivait pas à payer régulièrement son loyer. C’est alors que j’ai décidé de reprendre ma maison. Je lui ai demandé de me remettre la maison au premier octobre (2021). A la date du premier octobre, je lui ai accordé une dizaine de jours pour qu’il puisse trouver une autre maison, je lui ai dit qu’il allait remettre ma maison le 12 ou le 13 octobre. Il a accepté de se conformer à ce délai. Le 12 octobre, je suis allé demander s’il était prêt à remettre la maison, il m’a répondu qu’il quitterait le 13 octobre. Le lendemain, je suis reparti le voir, j’y ai trouvé sa femme qui m’a dit qu’ils avaient plutôt compris qu’il fallait quitter le 15 octobre. J’ai répondu que même pour le 15 me convenait. Le 15 octobre, je suis revenu, son épouse m’a dit qu’elle ne savait pas où se trouvait son mari depuis deux jours. Il est réapparu le 22 ou le 23 octobre. J’ai repris l’espoir que j’allais enfin retrouver ma maison.

Le lundi 25 octobre, vers 21 heures, je suis allé les voir. J’ai toqué à la porte et j’ai appelé, la femme est sortie me demander ce que je voulais, je me suis tu. Puis le mari a dit de l’intérieur : SHEHE, demain tu auras ta maison. Je suis parti. Le mardi (26 octobre), un autre de mes locataires m’a informé que finalement ma maison venait d’être libérée. Je suis allé vérifier et j’ai trouvé qu’ils avaient réellement quitté, il ne restait que quelques nattes bien rangées dans un coin et une petite table. Jeudi (28 octobre), je suis passé dans ma parcelle pour récupérer le loyer d’un autre locataire. Celui-ci m’a informé : tu sais, l’autre a passé la nuit dans ta maison, il n’a pas où aller, mais il n’a pas ramené ses affaires. Comme la porte n’était pas fermée, je suis entré dans la maison pour vérifier : j’ai vu une natte bien déroulée, la preuve que quelqu’un y avait passé la nuit. Je ne l’ai pas vu, je suis parti à mon travail.  Mais je me disais qu’il n’allait pas revenir. J’ai pris un cadenas de mon bureau et je suis venu fermer momentanément la maison. Après le travail, j’ai dû reprendre le cadenas pour fermer mon bureau.

Le matin d’aujourd’hui (samedi 30 octobre), convaincu que la maison était vide, j’ai acheté un cadenas et je suis venu fermer la maison. Je ne savais pas que le jeune homme était encore dans la maison. J’ai fermé et je suis parti. Arrivé à mon travail, un autre de mes locataires est venu m’informer que j’avais enfermé l’ancien locataire dans la maison. Je me suis étonné : comment est-il revenu dans ma maison alors qu’il l’avait déjà rendue ? Et vous autres, comment pouvez-vous accepter qu’une personne qui n’a plus de lien avec moi vienne habiter ma maison ? Il m’a répondu qu’ils n’ont pas pu le loger dans leurs maisons et qu’il s’est permis de passer la nuit dans cette maison qui était encore libre. J’ai pensé qu’il valait mieux faire intervenir l’administration locale, je suis allé chercher notre chef de cellule, je lui ai donné les clés et lui ai demandé d’aller ouvrir la maison pour que l’ancien locataire puisse sortir. Je lui ai également recommandé de fermer lui-même cette maison puisque je n’avais plus de contrat me liant avec l’ancien locataire. Je suis resté confiant qu’avec l’appui de l’administration la situation allait être réglée. Quelques instants après, j’ai reçu un texto dans mon téléphone : il a refusé de sortir ! Et il ne m’a donné aucune explication sur ce refus de sortir de ma maison.Trente minutes après, un ami m’a appelé pour m’informer du complot qui se tramait chez moi. En réalité, l’ancien locataire et le chef de cellule ont appelé le chef de secteur, ce dernier a appelé tout son comité, ils ont appelé un officier de la police judiciaire (OPJ) et cinq autres policiers pour mon arrestation. Dès que les policiers sont arrivés, le conflit a pris une tournure politique. Ils ont raconté qu’avant la fermeture de la maison, j’ai eu une longue discussion avec l’ancien locataire, et que je lui ai demandé d’adhérer obligatoirement au parti CNL, faute de quoi j’allais l’enfermer dans la maison. C’est pour cette raison que je suis pour le moment recherché, j’ai dû me cacher loin de ma famille pour ma sécurité. Le chef de secteur m’a appelé, je lui ai expliqué comment tout s’est passé. Il m’a demandé de comparaître devant le conseil collinaire, je lui ai répondu que cela était impossible puisqu’ils avaient appelé un OPJ avant de m’écouter, et que je comprenais plutôt leur un piège. J’ai donné la même réponse à son adjoint. Voilà ma situation. »

La suite a été racontée à la Campagne NDONDEZA par un proche d’Abdoul NDAYISHIMIYE :

« Le samedi 30 octobre 2021, quatre personnes se sont mises à la recherche d’Abdoul NDAYISHIMIYE : l’OPJ, le chef de secteur de Mparambo I Deus MANIRAKIZA, le chef des Imbonerakure de Mparambo I, prénommé Eric,  et son adjoint connu sous le nom de NYAMUNINI. Abdoul était déjà en cachette, ils n’ont pas pu le trouver. L’OPJ est allé ouvrir la maison pour libérer l’ancien locataire et lui a laissé un avis de recherche d’Abdoul. Des membres du parti CNL se sont alors impliqués pour trouver une solution à l’amiable. Le soir, une réunion de conciliation a été organisée entre les élus de la colline Mparambo I, les proches d’Abdoul NDAYISHIMIYE, l’ancien locataire et l’OPJ. Il a été demandé à la famille d’Abdoul NDAYISHIMIYE une somme de 70.000 FBU en guise de demande de pardon : 20.000 FBU pour le chef de secteur Deus MANIRAKIZA, 30.000 FBU pour l’ancien locataire et 20.000 FBU pour l’OPJ. La famille a accepté de payer cette somme à une seule condition : que l’avis de recherche soit déchiré pour rassurer Abdoul NDAYISHIMIYE qu’il n’y avait plus de poursuites contre lui. Le lendemain (dimanche 31 octobre), l’avis de recherche a été déchiré, la réconciliation a été scellée et Abdoul a pu passer la nuit dans sa famille en espérant que l’affaire était close. »

Contrairement à ce qui avait été convenu, Abdoul NDAYISHIMIYE a été enlevé le lendemain par des personnes non identifiées en tenue militaire. Etait-ce en raison du conflit avec son ancien locataire, était-ce en raison de sa responsabilité politique au sein du parti CNL, était-ce pour une autre raison ? La réponse à ces questions reste impossible.

G.3. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Abdoul NDYISHIMIYE

Lundi 1er novembre 2021, Abdoul NDAYISHIMIYE a débuté normalement sa semaine de travail. Le conflit avec son ancien locataire étant réglé, il n’avait aucun sujet d’inquiétude. Le matin, Abdoul s’est rendu à son lieu de travail. Dans l’après-midi, il a reçu un client qui cherchait une batterie de téléphone, selon des témoins. Parmi les personnes présentes, personne n’a pu identifier ce client. Ce dernier est resté là pendant un long moment, comme s’il attendait quelqu’un. Aux environs de 17 heures, il est venu à Mparambo I une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées à bord de laquelle se trouvaient des hommes en tenue militaire, selon un témoin qui s’est confié à la Campagne NDONDEZA. La camionnette s’est d’abord arrêtée devant la boutique d’un certain « MUHUMURE », responsable du parti CNDD-FDD dans la commune Rugombo. Certains décrivent « MUHUMURE » comme un informateur des services secrets. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu savoir si « MUHUMURE » se trouvait à la boutique à ce moment.

La camionnette a continué jusqu’au lieu de travail d’Abdoul NDAYISHIMIYE. « Deux hommes en tenue militaire sont sortis de la camionnette, se sont précipités à arrêter immédiatement Abdoul NDAYISHIMIYE et l’ont jeté violemment dans la camionnette. Le client non identifié, qui avait prétendu chercher une batterie de téléphone, s’est emparé de l’ordinateur d’Abdoul NDAYISHIMIYE avant de monter dans la même camionnette. La camionnette est partie à toute allure et a pris la direction Mabayi – Kayanza selon des témoins.

G.4. Recherches menées par les proches de Monsieur Abdoul NDAYISHIMIYE.

Dès le lendemain de l’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE, ses proches l’ont cherché dans tous les cachots de la police et du SNR à Cibitoke, sans succès. Un proche de la victime s’est adressé au chef de secteur de Mparambo I, Deus MANIRAKIZA, pour demander la raison de l’arrestation d’Abdoul alors que le conflit avec son ancien locataire avait été réglé à l’amiable. Deus MANIRAKIZA aurait répondu, sur un ton violent et menaçant : « ziba canke ndakujane iyo najanye abandi ! » (tais-toi ou je t’emmène où j’ai mis les autres).

L’épouse de la victime a porté plainte au parquet de Cibitoke contre le chef de secteur Mparambo I,  Deus MANIRAKIZA, et le milicien Imbonerakure connu sous le nom de NYAMUNINI. Les deux hommes ont été convoqués au parquet, mais il n’y a pas eu de suite.

Les responsables du parti CNL en province de Cibitoke dont un parlementaire se sont également impliqués dans la recherche d’Abdoul NDAYISHIMIYE, mais les recherches n’ont abouti à aucun résultat.

L’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE a fait objet d’alertes sur les réseaux sociaux. Dès le 02 novembre 2021, le président du FOCODE a lancé l’alerte dans une publication qui portait sur les enlèvements d’Abdoul NDAYISHIMIYE en commune Rugombo et de Désiré NIYUHIRE en commune Kiganda[28]. Le même 02 novembre 2021, le journaliste King Blaise IRANZI a alerté sur son compte Twitter en ces termes :

« NDAYISHIMIYE Abdoul alias SHEHE, militant du parti CNL en commune Rugombo de la province Cibitoke, vient d’être enlevé par des agents des services secrets à Rugombo. Il est emmené à bord d’une camionnette Hilux aux vitres  teintées. » (Premier tweet)[29]

« Abdoul NDAYISHIMIYE a été trouvé sur son lieu de travail où il exerce comme réparateur des téléphones. La raison de son enlèvement pourrait être le conflit qu’il a avec un Imbonekure qui avait récemment loué sa maison. Affaire à suivre… » (Deuxième tweet)[30].

G.5. Une opération du renseignement militaire ?

En contactant la Campagne NDONDEZA, des proches d’Abdoul NDAYISHIMIYE ont évoqué le « renseignement militaire » comme ayant opéré son enlèvement. C’est l’une des rares familles des victimes qui ont mentionné le renseignement militaire alors que toutes les autres pensaient que les leurs avaient été enlevés par le SNR. C’est probablement parce que le FOCODE avait déjà commencé à évoquer des enlèvements commis par le G2.

Il existe plusieurs indices pouvant indiquer qu’Abdoul NDAYISHIMIYE a été enlevé par le renseignement militaire. La tenue militaire des ravisseurs, l’enlèvement devant des témoins, la présence d’une personne chargée d’identifier et de surveiller la victime avant l’enlèvement, un possible lien entre les ravisseurs et un responsable local du CNDD-FDD sont des traits communs à plusieurs autres opérations du G2 en 2021.

La camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées est présente dans la quasi-totalité des enlèvements menés en 2021 par le G2. Le trait distinctif de cette camionnette était les motifs rougeâtres sur les côtés gauche et droit de la camionnette. La Campagne NDONDEZA a envoyé une photo de la camionnette utilisée par le G2 dans les autres enlèvements, des témoins ont confirmé que celle utilisée dans l’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE était similaire.

Toutefois, il reste un aspect intrigant entre l’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE et celui de Désiré NIYUHIRE qui l’a suivi trois heures plus tard en commune Kiganda de la province Muramvya. La même camionnette a été citée dans les deux disparitions forcées. Toutefois, alors que les ravisseurs d’Abdoul NDAYISHIMIYE étaient en tenue militaire selon les témoins, les ravisseurs de Désiré NIYUHIRE étaient cette fois-là en tenue civile. La distance entre la commune Rugombo et la commune Kiganda peut facilement être parcourue dans les trois heures séparant les deux enlèvements. La direction de Mabayi-Kayanza prise par les ravisseurs d’Abdoul NDAYISHIMIYE peut également s’expliquer par le plan de se rendre à Kiganda. Mais il y a lieu de se demander si les ravisseurs ont dû changer leur tenue durant le trajet ou si les équipes ont été changées en cours de route. De même, Abdoul NDAYISHIMIYE n’était pas dans la camionnette à son arrivée à Kiganda. Ici aussi, il y a lieu de se demander si Abdoul NDAYISHIMIYE a été détenu dans un endroit entre Kayanza et Kiganda ou si un autre véhicule n’a pas été impliqué dans ces opérations. La Campagne NDONDEZA n’a pas reçu de réponses à ces interrogations.

H. Disparition forcée de Monsieur Désiré NIYUHIRE alias GASONGO

Le soir du 1er novembre 2021, un homme d’affaires, Désiré NIYUHIRE alias GASONGO, a été enlevé par des hommes armés en tenue civile à bord d’une camionnette double cabine aux vitres teintées de la marque Toyota Hilux. L’opération s’est déroulée devant le bar de la victime sis au chef-lieu de la commune Kiganda en province de Muramvya, en présence de beaucoup de témoins dont ses clients. L’opération ressemble à plusieurs dizaines d’enlèvements opérés par le renseignement militaire en 2021.

H.1. Identité de la victime.

Fils d’Emile KAMWENUBUSA et de Geneviève SIMBARAKIYE, Désiré NIYUHIRE connu sous le sobriquet de « GASONGO » (élancé) est né le 04 juin 1983 sur la colline Kiganda (sous-colline Tara), en commune Kiganda, province Muramvya, au centre du pays. A peine après les études primaires, Gasongo s’est lancé dans le petit commerce avant de devenir un commerçant de bétails (les vaches surtout) et un tenancier d’un bar très fréquenté au centre de MUGITABO, chef-lieu de la commune Kiganda. Marié, Désiré NIYUHIRE est père de trois enfants. « GASONGO » est décrit par son entourage comme un homme très populaire et très généreux dans sa localité, il aurait aidé beaucoup de personnes à débuter leur business, notamment des  conducteurs de motos-taxis et d’autres commerçants.

Au niveau politique, Désiré NIYUHIRE est avant tout décrit comme un homme très critique du régime du CNDD-FDD. « Il critiquait ouvertement les autorités communales et les responsables du parti, il exprimait ses idées sans crainte et participait à toute forme de manifestation qui se présentait contre le pouvoir en place», selon un de ses proches.

Jusqu’en 2015, Désiré NIYUHIRE était un membre très actif du parti de l’opposition MSD dirigé par l’ancien journaliste Alexis SINDUHIJE. En février 2015, lors de la libération du journaliste Bob RUGURIKA, Désiré NIYUHIRE était parmi les personnes qui ont veillé toute la nuit à la prison de Muramvya afin de s’assurer que Bob RUGURIKA ne soit pas sorti de prison pendant la nuit[31]. La participation à cette veillée a souvent été reprochée à « GASONGO » par les autorités de Kiganda comme une preuve de son hostilité envers le pouvoir. En 2020, comme son parti n’était plus autorisé, Désiré NIYUHIRE a adhéré au principal parti de l’opposition, le CNL dirigé par le député Agathon RWASA, et s’est montré très impliqué dans sa campagne électorale.

L’activisme politique et le franc-parler de Désiré NIYUHIRE lui ont valu plusieurs emprisonnements par le Service National de Renseignement à Muramvya et à Rutegama. A chaque arrestation, « GASONGO » a dû monnayer sa libération de telle sorte qu’il ne craignait plus les agents du SNR. Ces derniers savaient lui soutirer de l’argent en inventant des causes d’arrestation et lui savait qu’il pourra chaque fois s’en sortir grâce à son argent.

H.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Désiré NIYUHIRE

Désiré NIYUHIRE alias GASONGO a passé la journée du 1er novembre 2021 au marché de bétail de Rutegama, communément appelé « KWIBUYE ». Il avait vendu des vaches et était rentré avec plus de 9 millions de francs burundais dans sa poche, selon ses proches. Un incident mineur n’avait pas attiré son attention lorsqu’il était en cours de route vers Rutegama. Deux hommes l’ont arrêté et lui ont demandé sa carte d’identité, il a pensé qu’il s’agissait d’un contrôle normal d’identité. Pourtant, sur le chemin du retour vers Kiganda, les deux hommes l’auraient suivi discrètement.

Aux environs de 19 heures 30, Désiré NIYUHIRE est entré dans le bar de son épouse au centre de MUGITABO. Selon des témoins, Désiré NIYUHIRE a demandé une bière, mais, contrairement à son habitude, il n’a pas pu la consommer. Il semblait très fatigué, hagard et perdu. La suite est racontée par un témoin, en ces termes :

« C’était à quelques minutes de 20 heures quand nous avons vu arriver une camionnette double cabine blanche aux vitres fumées avec des sortes de lignes rougeâtres sur les deux portières, elle était de la marque Toyota Hilux. Il n’y avait que deux hommes à bord de la camionnette. L’un des deux hommes est sorti pour aller dire à Gasongo : mon chef a besoin de te parler. Gasongo était habitué à voir débarquer chez lui des responsables du SNR, il a cru qu’il s’agissait d’un autre agent du SNR qui le cherchait, peut-être pour lui soutirer de l’argent. Gasongo est sorti avec sa bière à la main, mais l’homme lui a dit de remettre la bouteille parce qu’on ne parle pas aux chefs avec de la bière.

Dès que Gasongo est arrivé à la camionnette, d’autres personnes se sont levées dans les alentours pour converger vers la camionnette, nous avons remarqué qu’au moins six personnes en tenue civile et armées de pistolets l’entouraient. En réalité, parmi les clients qu’on voyait dans les bars de ce centre, il y avait des agents qui attendaient la camionnette. Ces hommes ont pointé leurs pistolets sur Gasongo et lui ont ordonné d’entrer rapidement dans la camionnette. Tout le groupe a sauté dans ce véhicule qui est parti à toute vitesse en direction de Mwaro. Un petit-frère de la victime a suivi le véhicule sur une moto-taxi, mais les hommes à bord de la camionnette ont menacé de tirer sur la moto si elle ne rebroussait pas chemin. Le frère a dû abandonner la poursuite. C’est ainsi qu’on a perdu Gasongo. »

Depuis cette soirée du 1er novembre 2021, Désiré NIYUHIRE alias GASONGO n’a jamais été retrouvé. Les alertes et les recherches menées par les proches de la victime n’ont eu aucun succès.

H.3. Recherches menées par les proches de Monsieur Désiré NIYUHIRE.

L’alerte de l’enlèvement de Désiré NIYUHIRE a été rapidement partagée sur les réseaux sociaux, à l’instar de ce tweet du 02 novembre 2021 de King Blaise IRANZI (sous le pseudonyme King:Umurundi)[32] :

« Monsieur Désiré NIYUHIRE alias GASONGO, militant du parti CNL, a été enlevé hier soir par des agents des services secrets, à GITABO, commune Kiganda, province Muramvya. Ils ont pointé un pistolet sur lui et lui ont ordonné d’embarquer dans une camionnette double portant une plaque d’immatriculation de type IT. »

La famille de Désiré NIYUHIRE a mené des recherches dans les différents cachots de Muramvya et de Bujumbura, mais sans succès. La police nationale a été très bien informée de l’enlèvement de Désiré NIYUHIRE. Le commissaire provincial de la police à Muramvya a personnellement appelé l’épouse de la victime et lui a promis de continuer les recherches. Mais il n’y a jamais eu de suite à cette promesse.

La famille a contacté L.N., un membre influent du CNDD-FDD et proche des services secrets, pour l’aider dans les recherches. Après des contacts menés dans les services secrets, N.L. a annoncé à la famille que c’était trop tard. Aucune autre précision n’a été fournie sur ce « c’est trop tard ».

Un commerçant de Kiganda, ami de Désiré NIYUHIRE et proche du CNDD-FDD, s’est particulièrement impliqué dans la recherche de Désiré NIYUHIRE, notamment au bureau du SNR à Rutegama. Il aurait reçu des menaces et n’a plus contacté la famille de Désiré NIYUHIRE au retour de Rutegama.

Pendant plusieurs jours, la population du chef-lieu de Kiganda a continué d’évoquer l’enlèvement et la disparition de Désiré NIYUHIRE. Le commissaire communal aurait ordonné l’arrestation de toute personne qui commenterait de nouveau la disparition forcée de Désiré NIYUHIRE. Toute personne qui se serait trouvée dans une telle situation était menacée de devoir témoigner à la police de ce qu’elle savait. La population a eu peur, aucune nouvelle n’a plus circulé sur cette disparition forcée. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu obtenir une preuve matérielle de cet ordre du commissaire communal.

H.4. Une opération du renseignement militaire

Même si aucun des ravisseurs n’a pu être identifié, l’enlèvement de Désiré NIYUHIRE alias GASONGO a tous les traits des autres opérations de kidnapping menées par le renseignement militaire en 2021. Le véhicule utilisé est une camionnette double cabine blanche aux vitres teintées de la marque Toyota Hilux, portant une plaque d’immatriculation de type IT. Les ravisseurs estimés à six hommes étaient en tenue civile et portaient des pistolets. L’enlèvement a été opéré dans un lieu public, en l’occurrence devant des bars bondés, comme si les ravisseurs n’avaient aucune peur des témoins. Tous ces traits sont caractéristiques des opérations du G2 en 2021.

Des sources à Kiganda ont évoqué l’implication d’un commerçant et du responsable communal des Imbonerakure dans la surveillance de Désiré NIYUHIRE avant son enlèvement. Cela confirmerait encore une fois la collaboration entre le G2 et le parti CNDD-FDD dans les enlèvements de 2021, mais la Campagne NDONDEZA n’a pas reçu des preuves suffisantes de cette implication du responsable communal des Imbonerakure à Kiganda.

I. La camionnette de la terreur.

La photo de cette camionnette a été prise le 06 avril 2021 à l’État-major Général de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB). La photo a été envoyée à plusieurs témoins des cas de disparitions forcées de 2021, les témoins ont confirmé qu’ils avaient vu une camionnette similaire pendant les enlèvements. Toutefois, tous les témoins ont souligné que les sièges à l’arrière de la camionnette n’y étaient pas au moment des enlèvements. Cela a été confirmé par une source de la Campagne NDONDEZA au sein du G2, elle a précisé que les sièges à l’arrière de la camionnette ont été ajoutés au début de 2022. Des sources au renseignement militaire et à la permanence nationale du parti CNDD-FDD ont également confirmé que c’est cette camionnette qui a été utilisée dans la majorité des opérations d’enlèvements des citoyens menées par le renseignement militaire. Au moins deux sources ont affirmé avoir participé dans des opérations d’enlèvements en étant à bord de cette camionnette.

Des témoins oculaires de la disparition forcée d’Eddy IRAKOZE, du caporal Innocent GASHIRAHAMWE, d’Abdoul NDAYISHIMIYE et de Désiré NIYUHIRE ont clairement reconnu cette camionnette. Les motifs rougeâtres sur les côtés gauche et droit ont été les traits les plus distinctifs permettant aux témoins de reconnaître cette camionnette.

Nos sources au renseignement militaire ont indiqué que cette camionnette était la seule de cette couleur ayant ces motifs rougeâtres qui était utilisée par le G2. Elles ont également indiqué que la plaque d’immatriculation pouvait changer. Ce pouvait être une plaque civile, une plaque rouge de type IT, une plaque gouvernementale, etc. Dans la plupart des cas, la plaque d’immatriculation était manquante à l’arrière, dans d’autres situations, elle était illisible.

Deux chauffeurs conduisaient souvent la camionnette, selon les sources au G2 et à la permanence nationale du parti CNDD-FDD. Il s’agissait du Caporal-chef Youssouf HAVYARIMANA, chauffeur au sein du G2, et de Daniel BIGIRIMANA, chauffeur à la permanence nationale du CNDD-FDD. Ce dernier est très impliqué dans le système de renseignement du parti, selon plusieurs sources à la permanence du parti.

Une source au G2 a informé la Campagne NDONDEZA que la camionnette aurait été vendue dans la deuxième moitié de 2022 pour ne pas attirer l’attention après les nombreuses dénonciations de la Campagne NDONDEZA. Le président du FOCODE avait déjà signalé cette camionnette dans une publication sur sa page Facebook le 13 avril 2022[33].

J. Silence des autorités burundaises et défaillance de la CNIDH.

En dépit de tant d’alertes, des saisines des familles des victimes, des articles de presse, les autorités burundaises – policières, judiciaires, administratives et politiques – ont gardé le silence dans la quasi-totalité de ces crimes horribles. Sept sur les huit familles ont saisi la police burundaise, mais dans cinq cas la police n’a fait aucun retour aux familles. Dans le cas de la disparition forcée d’Amuri KWIZERA en juillet 2021, la police s’est contentée d’un interrogatoire des membres de la famille de la victime et des témoins de l’enlèvement. Dans le cas de la disparition de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, la police a joué un rôle important qui a permis l’identification de Jean Bosco NIBITEGEKA, l’informateur du G2 impliqué dans la surveillance de la victime, et de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE, chef de l’équipe du G2 ayant opéré l’enlèvement. La police a pu arrêter, auditionner et transférer Jean Bosco NIBITEGEKA au parquet. C’est un travail remarquable en comparaison de son inaction dans les autres cas.

Un seul sur les huit cas a fait objet d’une enquête, tout au moins superficielle, du parquet. Un substitut du procureur de la république à Mukaza a auditionné et arrêté Jean Bosco NIBITEGEKA, impliqué dans l’enlèvement de Jean-Marie Vianney BADOGOMBA en septembre 2021. En dépit d’informations précises à sa disposition, le parquet n’a ni auditionné ni arrêté l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE, responsable de cet enlèvement. La Campagne NDONDEZA n’a pas obtenu des indications claires sur la libération de Jean Bosco NIBITEGA, mais le parquet de Mukaza n’a plus poursuivi son enquête.

Au moins trois familles des victimes ont écrit au Président de la république. Aucune famille n’a reçu une moindre réponse de la présidence de la république. Le 30 août 2022, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, le FOCODE a écrit au Président NDAYISHIMIYE et lui a transmis une liste de 80 personnes victimes de disparitions forcées dans les deux premières années de son régime (18 juin 2020 – 18 juin 2022) dont les huit cas documentés dans le présent dossier de la Campagne NDONDEZA. Le Président NDAYISHIMIYE n’a jamais réagi à cette lettre. Toutefois, en décembre 2021 à l’occasion d’une conférence publique et en juillet 2022 à l’occasion d’une réunion avec des membres de la diaspora burundaise à Ngozi, le Président NDAYISHIMIYE a reconnu l’existence des enlèvements opérés par des équipes comprenant des éléments des corps de sécurité. Chaque fois, il a promis une lutte impitoyable contre ces groupes, mais la promesse n’a pas été suivie d’effets.

En 2021, la Campagne NDONDEZA a encouragé plusieurs familles des victimes à saisir la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH). Dans un débat avec le secrétaire Général du FOCODE le 17 septembre 2021 sur la Voix d’Amérique (VOA), le président de la CNIDH, Sixte Vigny NIMURABA, avait proclamé que sa commission partageait aux familles des victimes les résultats de ses enquêtes dans les trois jours suivant la saisine. Pourtant, la CNIDH n’a jamais fait de retour aux familles des victimes de disparitions forcées de 2021. Dans les huit cas exposés dans le présent dossier, au moins six familles ont saisi la CNIDH. Aucune n’a reçu un retour de la CNIDH.

Un frère d’une des victimes a partagé à la Campagne NDONDEZA son expérience des contacts avec la CNIDH, notamment son président :

« Dès que ma famille a obtenu les données de la police, elle a saisi la CNIDH. Nous avons une suite à notre saisine pendant au moins deux semaines, mais en vain. J’ai alors décidé d’appeler le Président de la CNIDH. Les autres membres de la famille avaient peur de continuer de s’impliquer dans les enquêtes et je les comprends. Comme je réside loin du Burundi, je n’encours pas les mêmes risques que ceux qui sont au Burundi. Sixte Vigny NIMURABA m’a très bien accueilli au téléphone et m’a accordé tout le temps qu’il fallait pour exposer le cas. Il m’a promis de faire le suivi et de me tenir informé de ce qu’il aura trouvé. Dans les semaines qui ont suivi, je l’ai appelé plus de trois fois, chaque fois, il décrochait pour m’annoncer qu’il était dans une réunion ou dans un déplacement. A mes textos, il ne répondait pas. J’ai fini par laisser tomber, car j’ai compris qu’il ne voulait plus évoquer ce sujet. C’est très décevant de la part d’une commission indépendante des droits de l’homme. »

La Campagne NDONDEZA a trouvé ce sentiment de déception chez toutes les familles des victimes qu’elle avait encouragées à contacter la CNIDH après la disparition des leurs en 2021. Ce sentiment s’est davantage développé après les deux derniers rapports annuels de la CNIDH. Dans son rapport sur l’année 2021[34], la CNIDH n’a consacré qu’un paragraphe de quatre lignes à la question des disparitions forcées, annonçant qu’elle avait été « saisie, au cours de l’année 2021, de 35 allégations de cas de disparitions forcées », que pendant son travail « 11 personnes ont été retrouvées » et qu’elle continuait le traitement du reste des cas. Son rapport sur l’année 2022 n’a pas mentionné le résultat des enquêtes qu’elle avait promis de continuer sur les allégations de disparitions forcées de 2021. Les familles des victimes ont compris que la CNIDH les avait purement et simplement abandonnées.

K. Conclusions

Les huit cas de disparitions forcées présentées dans cette déclaration – Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, Amuri KWIZERA alias BABU, Christophe NIYONZIMA, Eddy IRAKOZE, Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, Rémy NIYONSABA, Abdoul NDAYISHIMIYE alias SHEHE et Désiré NIYUHIRE alias GASONGO – s’inscrivent dans le cadre d’une longue enquête de la Campagne NDONDEZA sur plusieurs dizaines de cas de disparitions forcées commises par le renseignement militaire burundais en 2021. Ils s’ajoutent à 11 autres cas rendus publics dans les déclarations précédentes, à savoir :

  • La disparition forcée d’Alexis NIMUBONA, ses deux fils Eric NDUWAMUNGU et Gabriel NSABIYUMVA, son employé  domestique Firmin NTIRANDEKURA, ainsi que le commerçant Claude NIYOMUKUNZI, arrêtés par le renseignement militaire dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 en commune Rumonge ;
  • La disparition forcée d’Éric NTUNZWENIMANA et Dominique NDUWIMANA arrêtés en septembre 2021, respectivement aux chefs-lieux de Kayanza et de Karusi ;
  • La disparition forcée de Gaspard HAVYARIMANA, Lévis NDAYISABA, Thierry NDIHOKUBWAYO et Désiré MANIRAGABA, enlevés par le renseignement militaire le 23 octobre 2023  au chef-lieu de Kayanza.

Les huit cas de disparitions forcées exposées dans cette déclaration présentent un certain nombre de traits communs qui précisent davantage le modus operandi des enlèvements opérés par le renseignement militaire en 2021 :

  1. Dans sept sur les huit cas, une même camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, ayant des motifs rougeâtres sur ses côtés gauche et droit, a été utilisée dans l’enlèvement des victimes. La camionnette avait déjà été citée dans les déclarations précédentes.
  2. Les enlèvements ont été opérés dans des endroits publics, en présence de témoins. Cela signifie, d’abord, que le renseignement militaire était assuré de l’impunité et n’avait pas peur des conséquences de ces crimes ; cela indique ensuite que le G2 n’avait pas l’expérience du SNR dans ce genre d’opérations. En effet, entre 2015 et 2017, le SNR agissait de la même manière, mais à partir de 2018, il a commencé à user de la ruse et de la discrétion pour cacher ses enlèvements. Les imprudences du renseignement militaire dans ses opérations de 2021 sont enfin une preuve de l’absence de collaboration, et même une sorte de concurrence, entre le G2 et le SNR.
  3. Dans au moins quatre cas sur les huit, les ravisseurs portaient une tenue militaire, dans d’autres cas ils étaient en tenue civile mais étaient armés de pistolets.
  4. Dans tous les cas, on note la présence d’une personne chargée de surveiller la victime avant l’enlèvement. Cette personne, comme dans les précédentes déclarations, peut être un informateur des services secrets ou un responsable local du parti CNDD-FDD. Ces personnes ont été facilement identifiées parce que le renseignement militaire ne dispose pas de relais dans les différentes structures administratives du pays, ce qui n’est pas le cas pour le SNR.

Comme dans les déclarations précédentes, les mêmes noms sont revenus dans la coordination des opérations d’enlèvements : le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, responsable adjoint du renseignement militaire au moment des faits, et l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE. Toutefois, comme cela avait été signalé dans le dossier sur les enlèvements de Rumonge en octobre 2021[35], les deux militaires ont été arrêtés et détenus par le SNR à la fin d’octobre 2021. Leur arrestation n’a pas mis fin immédiatement aux opérations d’enlèvement des citoyens, ceux-ci ont continué dans la première semaine de novembre ainsi, l’enlèvement d’Abdoul NDAYISHIMIYE et de Désiré NIYUHIRE le 1er novembre 2021 se seraient déroulés en l’absence de Libère NIYONKURU et d’Onesphore NDAYISHIMIYE. En réalité, d’autres officiers du renseignement militaire ont été impliqués dans les disparitions forcées de 2021.

Les agents du renseignement militaire impliqués dans les huit cas de disparitions forcées présentés dans cette déclaration n’ont pas été poursuivis. En mars 2022, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU et l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE sont revenus au service  au bureau du G2 à l’État-major Général de l’armée. Dans les mois qui ont suivi, les deux militaires ont été envoyés dans des missions à l’extérieur du pays, l’un à Nairobi au Kenya, l’autre en Somalie. Une bonne partie d’autres cadres et agents du renseignement militaire en fonction en 2021 ont été également déployés dans des missions à l’extérieur.  Le chef du renseignement militaire, le Colonel Ernest MUSABA a été limogé en décembre 2021, avant d’être nommé à un poste plus prestigieux de l’armée burundaise, celui de chef de la logistique de l’armée, en décembre 2022.

Près de deux ans après les huit cas de disparitions forcées présentés dans cette déclaration, aucun agent du renseignement militaire et aucune autorité burundaise n’en a été tenu responsable. Ces huit cas rappellent un constat amer : l’arrivée du Président Evariste NDAYISHIMIYE au pouvoir n’a pas véritablement changé la situation des droits de l’homme au Burundi. Les corps de l’Etat peuvent toujours s’adonner à des violations graves des droits humains, EN TOUTE IMPUNITE.

L. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne :  
    • la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, opposant enlevé par le renseignement militaire le 19 septembre 2021 sur l’Avenue de l’Université à Bujumbura,
    • la disparition forcée de Monsieur Amuri KWIZERA, enlevé par le renseignement militaire le 16 juillet 2021 à Nyakabiga,
    • la disparition forcée de Monsieur Christophe NIYONZIMA, ancien réfugié au Rwanda, enlevé par le renseignement militaire le 23 août 2021 à Kumasanganzira (croisement des routes Ngozi-Kirundo et Ngozi – Muyinga), huit mois après son rapatriement,
    • la disparition forcée de Monsieur Eddy IRAKOZE, enlevé par le renseignement militaire, le 12 septembre 2021 à Musaga (Sud de Bujumbura,
    • la disparition forcée du Caporal Innocent GASHIRAHAMWE, enlevé par le renseignement militaire, le 29 septembre 2021 à Carama (nord de Bujumbura),
    • la disparition forcée de Monsieur Rémy NIYONSABA, enseignant et opposant politique enlevé par le renseignement militaire, le 23 octobre 2021 au chef-lieu de la commune Mbuye,
    • la disparition forcée de Monsieur Abdoul NDAYISHIMIYE, opposant politique enlevé par le renseignement militaire, le 1er novembre 2021 en commune Rugombo,
    • la disparition forcée de Monsieur Désiré NIYUHIRE, opposant politique enlevé par le renseignement militaire, le 1er septembre 2021 au chef-lieu de la commune Kiganda ;
  2. Le FOCODE condamne le silence des autorités burundaises sur ces disparitions forcées, y compris le silence de la CNIDH pourtant saisie par les familles des victimes, et l’inaction de la justice burundaise observée dans ces cas tout comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées depuis 2015 ;
  3. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Jean-Marie Vianney BADOGOMBA, Amuri KWIZERA, Christophe NIYONZIMA et Désiré NIYUHIRE ;
  4. Le FOCODE demande une enquête globale sur les nombreux cas de disparitions forcées des personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire burundais en 2021 ;
  5. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la collaboration entre la direction du parti CNDD-FDD et le renseignement militaire dans les disparitions forcées de 2021 ;
  6. Le FOCODE réitère son appel au Chef de la FDNB, le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  7. Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de traduire en réalité sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
  8.  Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  9. Le FOCODE réitère son soutien au travail de la Cour Pénale Internationale et salue son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015 dont des cas de disparitions forcées au Burundi.
  10. Le FOCODE soutient et salue le travail de Monsieur Fortuné ZONGO, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi.                                                      

      


[1] La crise de Ntega et Marangara est l’une des crises interethniques qui ont émaillé l’histoire du Burundi postcolonial. Elle a commencé par des massacres des Tutsi dans les communes de Ntega en province de Kirundo et Marangara en province de Ngozi, dans la nuit du 14 au 15 août 1988. Elle a ensuite donné lieu à une répression sanglante de l’armée burundaise tuant à son tour des milliers de Hutu.

[2] C’est l’ancien Stade Prince Louis Rwagasore situé à côté de l’Ecole Française de Bujumbura, non loin des anciens bureux de la Présidence de la République.

[3] Télé Renaissance : Le renseignement militaire a enlevé Jean-Marie BADOGOMBA, https://www.youtube.com/watch?v=nVgnWNc1whs

[4] Bujumbura-Marie : un homme a été enlevé dimanche sur l’Avenue de l’université, https://inzamba.org/bujumbura-mairie-un-homme-a-ete-enleve-dimanche-sur-lavenue-de-luniversite/

[5] Enlevement de Jean-Marie Vianney Badogomba : la famille réclame justice, https://www.iwacu-burundi.org/enlevement-de-jean-marie-vianney-badogomba-la-famille-reclame-justice/

[6] Nyakabiga : Après Elie, « Babu », un autre disparu, https://www.iwacu-burundi.org/nyakabiga-apres-elie-babu-un-autre-porte-disparu/

[7] Le rapport sur cette disparition forcée n’est pas encore publié.

[8] Nyakabiga : Après Elie, « Babu », un autre disparu, https://www.iwacu-burundi.org/nyakabiga-apres-elie-babu-un-autre-porte-disparu/

[9] Idem

[10] Idem

[11] C’est nous qui mettons le conditionnel

[12] Gutabariza : Ari hehe Christophe Niyonzima, https://www.facebook.com/PacifiqueNininahazwe/posts/-gutabariza-ari-hehe-christophe-niyonzima-christophe-niyonzima-yavutse-mu-1977-a/4194282673982679/

[13] C’est nous qui mettons la phrase au conditionnel

[14] MINUSCA : Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine.

[15] Elie NDIZIGIYE porte le grade de Général de brigade au moment de cette publication

[16] Ancien officier du PALIPEHUTU-FNL avant son intégration dans l’armée burundaise, le Major Aloys NZABAMPEMA a fait défection en 2010 et s’est installé en RDC avec un groupe d’anciens combattants des FNL.

[17] La résistance pour un Etat de Droit (RED-TABARA) est un autre mouvement rebelle burundais basé en RDC.

[18] Les plaques d’immatriculation IT sont de couleur rouge et son souvent attribuées à des véhicules des coopérants étrangers employés dans différentes sociétés financées par des fonds de la coopération internationale.

[19]https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=pfbid0uWQa3J7QqJ2Ti4vN8pW89z9CgWaDDWr59Y6t8CpMi9Cs68Bmagyqbrcy5HCzWCL3l&id=100009253659534&mibextid=Nif5oz

[20] https://twitter.com/pnininahazwe/status/1443304044517265416?t=6yJsbtaA_dtzY54ozScH6g&s=19

[21] https://inzamba.org/journal-du-30-sept-2021/

[22] Télé Renaissance : Innocent Gashirahamwe, une victime de plus des disparitions forcées au Burundi, https://youtu.be/-fNY9dKLqaI

[23] ECOFO : Ecole Fondamentale, c’est-à-dire l’enseignement primaire au Burundi qui va de la 1ère année à la 9ème année.

[24] A cette époque, le Colonel Alfred Innocent MUSEREMU dirigeait le Département du renseignement intérieur au sein du SNR.

[25] https://ndondeza.org/kambayingwe/

[26]https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=pfbid09QGbE1CYhgDnNeTtp4SbPyvQaYHKBpR51CpBTYHXrZfBtgatd64HZbeNSCTsiqi3l&id=349706308440354&mibextid=Nif5oz

[27] Télé Renaissance : Rémy Niyonsaba a été enlevé avec la complicité du responsable du CNDD-FDD à Mbuye, Rémy Niyonsaba a été enlevé avec la complicité du responsable du CNDD-FDD à Mbuye, https://youtu.be/31FkeU2Duhc

[28]https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=pfbid0Nf1B8wB9tn5MVGejqFshRqzrzXbXX6p469wWf2qQWU5xvfNebXA7VM8ZKi2EBJvcl&id=349706308440354&mibextid=Nif5oz

[29] https://twitter.com/KingBurundian/status/1455283469580443649?t=5vzAnunSzy24bbFUqqkZBg&s=19

[30] https://twitter.com/KingBurundian/status/1455287029747666956?t=nVSEC_hOvShBEZLKYQI2uQ&s=09

[31] Directeur de la radio indépendante RPA, Bob RUGURIKA a été arrêté en janvier 2015 pour étouffer les investigations de sa radio sur l’assassinat de trois religieuses italiennes tuées les 7 et 8 septembre 2014 à la Paroisse catholique de Kamenge. La détention de Bob RUGURIKA a suscité un grand mouvement populaire de soutien. Sous une forte pression nationale et internationale, les autorités burundaises ont dû libérer Bob RUGURIKA mais voulaient le faire discrètement la nuit pour éviter des manifestations et des célébrations populaires. Peine perdue, dès que l’information a fuité, une foule s’est organisée autour de la prison de Muramvya et a veillé toute la nuit.

[32] https://twitter.com/KingBurundian/status/1455450592164433924?t=lca1Bsmvf9Z4q_XQTVeJ4A&s=19

[33]https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=pfbid0peKbAvPTQgEwkpaArw8pVECpNSazCEtHxdwbuUrmLg71v3n1ppX7REPRW9JrvFwzl&id=100044589066824&mibextid=Nif5oz

[34] CNIDH – rapport annuel édition 2021, p.83 https://www.cnidh.bi/documents/Rapport%20annuel,%20Edition%202021.pdf

[35] https://ndondeza.org/disparus-midodo/