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Disparition forcée de Messieurs Alexis Nimubona, Eric Nduwamungu, Gabriel Nsabiyumva, Firmin Ntirandekura et Jean-Claude Niyomukunzi

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Alexis NIMUBONA, Éric NDUWAMUNGU, Gabriel NSABIYUMVA, Firmin NTIRANDEKURA et Jean-Claude NIYOMUKUNZI, introuvables depuis leur arrestation par le renseignement militaire, dans la nuit du 11-12 octobre 2021, en commune Rumonge ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de cinq ressortissants de la Province Rumonge introuvables depuis leur arrestation par des agents du renseignement militaire dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021. Il s’agit de Monsieur Alexis NIMUBONA, responsable de la sous-colline Midodo[1], de ses deux fils Éric NDUWAMUNGU et Gabriel NSABIYUMVA, de son employé domestique Firmin NTIRANDEKURA, tous quatre arrêtés à leur résidence à Midodo, et de Monsieur Jean-Claude NIYOMUKUNZI, commerçant arrêté à Kirehe alors qu’il rentrait chez lui en commune Burambi. Les cinq détenus ont été emmenés, peu après minuit, dans une camionnette du renseignement militaire, vers une destination inconnue. Plus d’une année après leur arrestation, ils n’ont laissé aucune trace dans un cachot connu du Burundi. Un élu collinaire et un responsable local de la milice Imbonerakure ayant participé à cette arrestation ont été détenus brièvement par le Service national de renseignement (SNR) en octobre 2021, des cadre et agents  du renseignement militaire dont le numéro deux de ce service ont passé également deux mois dans les cachots du SNR à la suite de cette disparition forcée, mais tous ont fini par être libérés sur un ordre qui serait venu d’une haute autorité du parti CNDD-FDD.

Ce dossier de la Campagne NDONDEZA revêt un caractère d’autant plus particulier que c’est la première fois que nous traitons d’un cas de disparition forcée d’un père et de ses enfants en même temps. Certes, il y a eu d’autres cas de disparitions forcées des membres d’une même famille, comme celle d’Alexis NKUNZIMANA et son épouse Emelyne NDAYISHIMIYE en décembre 2015, celle des frères jumeaux Bukuru SHABANI et Butoyi SHABANI en novembre 2016 ou celle des frères Prosper NDUWAYO et Jean-Claude HABIYAKARE en septembre 2018. Ce sont des cas qui touchent gravement les familles des victimes. Dans le cas évoqué dans cette déclaration, un père de famille a disparu avec ses deux fils et un domestique. Il semble que les bourreaux étaient venus avec l’intention d’arrêter toute personne de sexe masculin trouvée dans cette famille.

La disparition forcée des cinq ressortissants de Rumonge fait partie de plusieurs dizaines de cas de victimes civiles enlevées par le renseignement militaire entre avril et novembre 2021. Si le renseignement militaire avait été impliqué les années précédentes dans des cas d’enlèvements et de disparitions forcées des militaires, ses crimes de 2021 ont atteint une nouvelle dimension en ciblant des civils. Ces opérations clandestines ont par ailleurs opposé le service national de renseignement (SNR), mieux indiqué pour des opérations contre des civils, et le renseignement militaire, surtout à cause de l’absence de communication entre les deux services secrets et de la concurrence que cela a générée. L’opinion publique et les familles des victimes ont continué à attribuer les enlèvements au SNR alors que celui-ci n’était même pas informé de ces opérations de l’armée. En octobre 2021, le FOCODE a commencé à dénoncer, dans différentes émissions radio, les enlèvements opérés par le renseignement militaire. Ces dénonciations, couplées avec les plaintes du SNR auprès de hautes autorités, ont poussé à la cessation des enlèvements en novembre 2021 et au limogeage du patron du renseignement militaire, le Colonel Ernest MUSABA, en décembre 2021. Malheureusement, aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre les responsables et les agents du renseignement militaire impliqués dans les disparitions forcées de 2021 et aucune autorité n’a reconnu l’existence de ces crimes de l’armée burundaise.

Les familles des cinq ressortissants de Rumonge se sont adressées à plusieurs autorités du Burundi, sans succès. Elles se sont également adressées à la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) qui a promis d’enquêter mais qui n’a plus contacté les familles des victimes. Dans son rapport annuel publié en avril 2022[2], la CNIDH n’a consacré qu’un paragraphe de quatre lignes à la question des disparitions forcées, annonçant qu’elle avait été « saisie, au cours de l’année 2021, de 35 allégations de cas de disparitions forcées », que pendant son travail « 11 personnes ont été retrouvées » et qu’elle continuait le traitement du reste des cas. Comme d’habitude, la CNIDH n’a donné aucun détail sur les cas évoqués. Dans son rapport annuel précèdent, la CNIDH avait rapporté 0 cas de disparitions forcées en 2020.[3]

Le Président Evariste NDAYISHIMIYE a reconnu, au cours d’une rencontre avec des membres de la diaspora burundaise à la fin juillet 2022, l’existence des cas d’enlèvements opérés par de « petits groupes » comprenant notamment des membres des corps de sécurité. Le Président s’est engagé à les châtier. En août dernier, le FOCODE a adressé au Président NDAYISHIMIYE une liste d’au moins 80 victimes de disparitions forcées entre le 18 juin 2020 et le 18 juin 2022 (soit les deux premières années du régime en place). Le Président NDAYISHIMIYE n’a pas répondu à cette lettre et aucune mesure n’a été prise par rapport à ces cas. Les cinq ressortissants de Rumonge arrêtés dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 figurent sur la liste envoyée au Président.

Cette déclaration du FOCODE présente l’identification des cinq ressortissants de Rumonge, détaille les circonstances de leur disparition forcée, évoque les auteurs présumés et appelle tous les acteurs à un engagement véritable et des actions concrètes contre les disparitions forcées au Burundi.

A. Identification des victimes

1. Né en 1960, Alexis NIMUBONA est originaire de la cellule Midodo de la colline Muhuzu dans la zone Minago, en commune et province de Rumonge. Ses parents, Senyange et Ndayirorere, étaient originaires de la commune Gisozi en province de Mwaro et s’étaient installés à Midodo avant la naissance d’Alexis. En union avec deux femmes et père de neuf enfants, Alexis NIMUBONA a ses résidences à Midodo. Chef de colline pendant plusieurs années, Alexis NIMUBONA était encore parmi les responsables locaux de Midodo. Sexagénaire, il est décrit comme un homme très courageux et un sage qui participait dans la résolution des conflits sur sa colline.

2. Fils d’Alexis NIMUBONA et de sa première épouse, Éric NDUWAMUNGU est né en 1999. Lauréat des humanités générales, Éric s’occupait d’un petit commerce (haricots, sel, farine, etc) en attendant de se trouver des moyens financiers pour entrer à l’université. Célibataire au moment de sa disparition forcée, Éric NDUWAMUNGU résidait encore avec ses parents à Midodo.

3. Fils d’Alexis NIMUBONA et de sa première épouse, Gabriel NSABIYUMVA est né en 2004. N’ayant pu poursuivre ses études au-delà de la 4ème année de l’école primaire, Gabriel s’occupait des activités champêtres et pastorales de son père. Comme son frère, Gabriel NSABIYUMVA résidait avec ses parents à Midodo. Arrêté à 17 ans, il est la plus jeune victime de disparition forcée dans les cas déjà publiés par la Campagne NDONDEZA. Nous n’avons pas pu trouver une photo de jeunesse de Gabriel, celle-ci-joint date de premières années de son enfance.

4. Fils de Dominique BUKURU et de Prisca GAKOBWA, Firmin NTIRANDEKURA est né en 2000 sur la colline Kanyonga de la commune Taba en province de Gitega. Au moment de son arrestation, Firmin travaillait chez Alexis NIMUBONA comme employé domestique, s’occupant parfois des activités champêtres ou pastorales. Le FOCODE n’a pas pu entrer en contact avec la famille de Firmin puisque même ses employeurs ne connaissaient pas sa famille d’origine. A l’heure où nous publions cette déclaration, nous ne savons pas si la famille de Firmin NTIRANDEKURA est au courant de sa disparition forcée. Nous le maintenons sur cette liste des disparus tant qu’il est déclaré comme tel par ses employeurs et sous réserve des informations qui pourront provenir de sa famille.

5. Fils de Ntibazonkiza et de Nibaruta, Jean-Claude NIYOMUKUNZI est né en 1988 sur la colline Buhinyuza de la zone Mariza en commune Burambi, province de Rumonge. Marié, Jean-Claude est père de quatre enfants en bas-âge. Ayant arrêté ses études au niveau de la 4ème année du primaire, Jean-Claude NIYOMUKUNZI est un agriculteur qui s’est plus tard investi dans le petit commerce du charbon de bois communément appelé « Amakara » au Burundi. Son petit commerce était de plus en plus florissant : il avait installé un stock à Rutumo dans la zone Magara de la commune Rumonge, sur la route Rumonge-Bujumbura et fournissait, chaque semaine, plusieurs sacs de charbon à des revendeurs de Bujumbura. Jean-Claude NIYOMUKUNZI résidait avec sa famille à Buhinyuza et empruntait régulièrement le trajet Buhinyuza-Rutumo-Buhinyuza. Il importe de souligner ici que la cellule de Midodo en commune Rumonge est frontalière de la colline Buhinyuza en commune Burambi, un petit sentier séparant les deux localités, et que les familles NIMUBONA et NIYOMUKUNZI sont très proches.

B. Affiliation et activités politiques des cinq victimes

6. Ancien militant du parti UPRONA, Alexis NIMUBONA a fini par rallier le parti CNDD-FDD pour « sa sécurité » selon un proche qui s’est confié au FOCODE. C’est ainsi qu’il a pu rester parmi les notables de sa colline alors que ses anciens collègues se faisaient progressivement limoger. « En dépit de cette affiliation au parti au pouvoir, l’influence d’Alexis sur la colline gênait les responsables locaux de la milice Imbonerakure dont un certain Asmani NZIRORERA », a déclaré un autre proche de la victime. L’affiliation d’Alexis NIMUBONA au CNDD-FDD était-elle très assumée ? il y a lieu d’en douter puisqu’un proche de son épouse a plutôt confié au FOCODE qu’Alexis « ne militait dans aucun parti politique ». Toutes les sources du FOCODE à Midodo ont par contre souligné qu’Alexis était « un sage apprécié des militants de tous les partis politiques qui tranchait équitablement les litiges entre les habitants de sa colline ».

7. Toutes les sources contactées par le FOCODE à Midodo ont indiqué que les fils d’Alexis NIMUBONA ne militaient dans aucun parti politique et n’avaient pas participé aux manifestations de 2015 contre le troisième mandat du Président NKURUNZIZA. De même, aucune source n’a mentionné une quelconque activité politique de Firmin NTIRANDEKURA, l’employé domestique d’Alexis NIMUBONA. Les mêmes sources ont toutefois ajouté qu’il a existé de fausses rumeurs que la « famille aurait hébergé un combattant du Mouvement RED-TABARA ».

8. En revanche, Jean-Claude NIYOMUKUNZI est un opposant politique connu dans sa localité. Ancien militant du parti MSD d’Alexis SINDUHIJE, Jean-Claude NIYOMUKUNZI a été très actif dans les manifestations populaires de 2015. La répression politique ayant réduit sensiblement l’action du MSD sur terrain, Jean-Claude NIYOMUKUNZI s’est joint au parti CNL d’Agathon RWASA et a été très actif dans la campagne électorale de 2020. Un proche de Jean-Claude a confié au FOCODE que la victime était soupçonnée de soutenir la rébellion du Mouvement RED-TABARA.

9. Il importe de souligner ici que la commune Burambi en province Rumonge est l’une des communes rurales ayant été très actives dans la contestation populaire du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Une bonne partie de la commune est restée acquise à l’opposition politique. Un ancien militaire burundais à la retraite, Côme NIYONGABO, a été accusé par la suite d’être en train de fomenter une rébellion locale. Recherché pendant près de 4 ans, sa tête mise à prix par les autorités burundaises, Côme NIYONGABO a été abattu le 16 janvier 2021, plusieurs de ses proches ont été arrêtés dont certains exécutés en détention par le Service national de renseignement. Taxée de bastion de l’opposition, cette commune a été soumise à une surveillance des services secrets et à une répression féroce de l’opposition. La répression a ciblé particulièrement les résidents des localités à prédominance Tutsi, les militants du parti MSD et les militants du parti CNL.

10. Il faut également noter que la cellule de Midodo en commune Rumonge est fortement assimilée aux collines limitrophes de la commune Burambi. Des habitants de Midodo ont participé dans des manifestations populaires de 2015 dans la zone Maramvya en commune Burambi. Cela pourrait expliquer l’objectif de terroriser la population de Burambi et de Midodo à travers les arrestations suivies de la disparition forcée des cinq ressortissants des deux localités de Rumonge dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021. Une source journalistique à Rumonge a confié au FOCODE que les disparus de « Midodo étaient soupçonnés de collaboration avec des groupes armés ». Malheureusement, selon la même source, « ces soupçons n’ont jamais été étayés par des preuves tangibles et les victimes n’ont pas eu la chance de s’expliquer devant une juridiction. Les victimes sont toutes des mâles Tutsi, il semble que l’objectif visé par l’armée était de terroriser la communauté Tutsi de cette localité ».

C. Contexte de la disparition des cinq ressortissants de Rumonge.

12. L’arrestation des cinq ressortissants de Rumonge dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 s’est déroulée en deux temps qui mettent en exergue la collaboration entre les instances du parti CNDD-FDD et le renseignement militaire dans les crimes. Le premier à se faire arrêter a été le commerçant Jean-Claude NIYOMUKUNZI avant celle des quatre autres victimes à la résidence du sexagénaire Alexis NIMUBONA.

C.1.  Arrestation de Jean-Claude NIYOMUKUNZI

13. La journée du 11 octobre 2021, Jean-Claude NIYOMUKUNZI l’a passée à Rutumo dans la zone Minago à vendre des sacs de charbon « Amakara ». Ce jour-là, il aurait eu un bon nombre de clients et serait rentré vers 19 heures du soir avec plus de deux millions de francs burundais dans sa poche, selon des proches qui se sont confiés au FOCODE. « Il est rentré sur un moto-taxi conduit par un certain « GITSITO », selon les mêmes sources.

« Entre 19 heures et 20 heures, la moto transportant Jean-Claude NIYOMUKUNZI est arrivée sur la colline Kirehe et y a trouvé une barrière gardée par des Imbonerakure conduits par le chef de la colline Karonke, prénomé Onésime, et le milicien Asmani NZIRORERA, très connu à Muhuzu et très actif dans la traque des opposants. Le groupe a intimé à Jean-Claude l’ordre de quitter la moto et l’a arrêté sur-le-champ. Jean-Claude a tenté de se justifier en expliquant que ce n’est qu’un vendeur de charbon à Rutumo et qu’il rentrait chez lui en commune Burambi mais le groupe ne voulait rien entendre. Jean-Claude s’est adressé directement au chef de colline Onésime : Onésime peux-tu vraiment affirmer que tu ne me connais pas comme un vendeur de charbon ? L’autre a rétorqué : je ne te connais pas ! Or il se trouve qu’il existait un conflit entre les deux hommes depuis que Jean-Claude avait refusé de lui verser un pot-de-vin. Le groupe a ordonné au chauffeur de la moto de faire demi-tour tandis que Jean-Claude NIYOMUKUNZI a été conduit à une permanence locale du CNDD-FDD à Kirehe, un endroit communément appelé KW-IKOSORERO (lieu de correction). Des voisins ont confirmé qu’ils ont entendu des cris atroces de Jean-Claude NIYOMUKUNZI pendant qu’il était détenu à la permanence, il semble qu’il a été fortement battu, une pratique très courante des Imbonerakure sur les personnes arrêtées. Je n’ai pas su sur quoi portait l’interrogatoire pendant ce passage à tabac. Jean-Claude NIYOMUKUNZI est resté détenu à cet endroit en attendant l’arrivée des militaires tard dans la nuit», continue un proche de la victime dans son témoignage.

14. Selon une autre source, les militaires à bord d’une camionnette double cabine aux vitres teintées sont passés récupérer Jean-Claude NIYOMUKUNZI après l’arrestation des membres de la famille d’Alexis NIMUBONA. Ils ont emmené Jean-Claude avec les détenus de Midodo vers une destination inconnue.

C.2. Arrestation d’Alexis NIMUBONA, Éric NDUWAMUNGU, Gabriel NSABIYUMVA et Firmin NTIRANDEKURA à Midodo.

15. « Peu après minuit, des militaires à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées sont venus à Kirehe. Comme il était impossible d’arriver jusque chez Alexis NIMUBONA en véhicule, ils ont laissé la camionnette sous la garde des Imbonerakure à Muhuzu, puis ils sont partis à pied. Servant d’éclaireur, le milicien Asumani NZIRORERA est parti en avant des militaires jusqu’à la résidence d’Alexis NIMUBONA à Midodo. Le sexagénaire Alexis NIMUBONA, ses fils Éric NDUWAMUNGU et Gabriel NSABIYUMVA ainsi que leur domestique Firmin NTIRANDEKURA ont été arrêtés et ligotés sans aucune forme d’interrogatoire. Tout homme qui se trouvait à cette résidence cette nuit-là devait être arrêté sans explication. Les prévenus ont été conduits à la camionnette qui s’est ensuite rendue à la permanence du CNDD-FDD à Kirehe pour prendre Jean-Claude NIYOMUKUNZI. La camionnette est partie et nous n’avons plus entendu parler des nôtres», selon l’auteur du premier témoignage.

16. Les informations contenues dans ce témoignage ont été corroborées par des témoignages d’autres proches d’Alexis NIMUBONA et de Jean-Claude NIYOMUKUNZI. Tous les témoignages confirment qu’aucun mandat d’arrêt n’a été présenté avant l’arrestation, qu’aucune explication de l’arrestation n’a été fournie et que les militaires n’ont pas décliné leur identité. Selon les différents témoignages obtenus par la Campagne NDONDEZA, les arrestations à Midodo se sont déroulées entre minuit et deux heures du matin. Le rôle du milicien Imbonerakure Asumani NZIRORERA est également revenu dans tous les témoignages.

17. Les radios en ligne RPA et Inzamba ainsi que le journal en ligne SOS Media Burundi ont rapporté les arrestations (certains ont parlé d’enlèvements) d’Alexis NIMUBONA, ses deux fils et son employé à Midodo ainsi que d’une autre personne non identifiée qui était en route vers la commune Burambi. Tous ces media ont également signalé que les personnes arrêtées sont restées introuvables en dépit des recherches menées par leurs proches dans tous les cachots officiels.

18. Au lendemain des arrestations, la Radio publique africaine (RPA) a publié le 12 octobre 2021 un article[4] sur les arrestations de Midodo :

Le chef de secteur Midodo, colline Muhuzu en commune  Rumonge et trois autres personnes ont été arrêtées tard la nuit de ce lundi et conduits dans un endroit inconnu. Les auteurs de cette arrestation aux allures d’enlèvement étaient en treillis militaires. La famille et les voisins  craignent  pour leur sécurité et demandent aux autorités de les aider à les retrouver. Les informations en provenance de la sous-colline Midodo révèlent que le chef de cette sous-colline du nom d’Alexis Nimubona, âgé d’à peu près 60 ans, a été arrêté chez lui par des individus en tenues militaires. Nos sources disent qu’il a été arrêté avec ses deux fils et leur  domestique. Les auteurs de cette arrestation qui n’ont pas signalé les motifs de l’arrestation se déplaçaient à bord d’un véhicule. C’est dans ce même véhicule qu’ils ont embarqués les 4 individus arrêtés comme le rapporte cette source. « Ceux qui les ont interpellés étaient en tenues militaires et ont débarqué au domicile de Nimubona Alexis vers 1 heure. Ils se déplaçaient dans un véhicule qu’ils ont laissé à Muhuzu et sont montés à pied vers la sous-colline Midodo de la zone Minago. Ils ont arrêté ce chef de la sous-colline Midodo nommé Nimubona Alexis, ses deux fils à savoir Éric Nduwamungu et Gabriel ainsi que leur domestique. Les voisins n’ont pas pu intervenir car ils ont eu peur vu que cette arrestation est survenue durant les heures avancées ». Le matin de ce mardi, la famille a essayé de chercher en vain où les quatre personnes auraient été acheminées. Une situation qui accentue ainsi les craintes pour la sécurité de ces individus interpellés dans un même ménage par des individus non identifiés. « La famille a mené des recherches jusqu’à Muhuzu. Mais, ils n’ont reçu aucune information et elle a opté à se confier aux administratifs. Ces derniers leur ont dit qu’ils vont entamer des enquêtes. Jusqu’à maintenant, personne ne sait si ces gens qui les ont enlevés seraient des militaires, des policiers où des agents du service national de renseignements. Personne donc ne sait  l’endroit où les victimes ont été conduites », poursuit la source. La famille et les voisins demandent à l’administration de les aider à retrouver leurs proches et à connaître le motif de leur arrestation. La rédaction de la RPA n’a pas pu joindre l’administrateur de la commune Rumonge, Jérémie Bizimana.

19. Le journal en ligne NET PRESS a évoqué brièvement ces arrestations dans son article[5] du 13 octobre 2021 :

Alexis Nimubona, le sous-chef de la circonscription de Midodo, de la colline Muhuzu, dans la zone Minago, en province de Rumonge, au Sud-ouest du pays, ses deux fils et un domestique, ont été enlevés dans la nuit de lundi à mardi 12 octobre, par des éléments en uniforme. Ils restent introuvables dans tous les cachots de cette province, selon des informations concordantes. Leurs proches demandent à l’administration de Rumonge de les aider à les retrouver.

20. Voici le contenu d’un article du journal SOS Media Burundi datant du 11 novembre 2021[6], un mois après les faits :

Alexis Nimubona, deux de ses fils, leur domestique et une autre personne dont l’identité n’a pas été connue ont été enlevés la nuit du 12 octobre dernier. Les quatre premiers l’ont été au domicile d’Alexis Nimubona sur la colline de Midodo en commune et province de Rumonge (sud-ouest du Burundi). Un cinquième individu a été enlevé en cours de route quand il a croisé les ravisseurs. Depuis près d’un mois, la famille de Nimubona dit perdre espoir de les retrouver. Elle demande d’être informée sur leur lieu de détention. Au moment des faits, des témoins oculaires ont affirmé avoir vu des hommes en tenue militaire de l’armée burundaise au domicile d’Alexis Nimubona pendant la nuit. Ils étaient à bord d’une camionnette à bord de laquelle ils l’ont embarqué en compagnie de deux de ses fils et son domestique. Dans un premier temps, la famille de Nimubona indique avoir eu des informations qu’ils seraient détenus à Kabezi en province de Bujumbura (ouest), mais n’a jamais eu la possibilité de les visiter. « Des informations non vérifiées nous disaient qu’ils sont détenus dans un cachot connu comme « ndakugarika (Je vais t’étendre raide mort) » à Kabezi. Mais, nous n’avons jamais eu la chance de les voir », disent des proches de la famille. Un jeune Imbonerakure du CNDD-FDD soupçonné d’avoir collaboré avec les ravisseurs a été interpellé par les renseignements. Il a été relâché après quelques jours de détention. Les proches de Nimubona indiquent avoir cherché les personnes enlevées dans tous les cachots officiels, en vain. « Nous perdons espoir de les retrouver vivants. Qu’on nous dise s’ils sont au moins en vie ou pas. Les accusations portées contre eux sont fausses. Ils n’ont jamais collaboré avec de groupes armés. C’est un montage grotesque », désespèrent-ils. À Midodo, des habitants estiment que Nimubona et les siens sont victimes d’un règlement de compte sur une affaire de longue date. « Nous soupçonnons un militaire qui a tué son père il y a 6 ans. C’est Alexis Nimubona qui avait chargé l’auteur du meurtre. Le militaire a toujours juré de se venger. La justice devrait se saisir du cas et lancer une enquête indépendante », estiment des habitants de Midodo. Au moment du meurtre du père de l’homme introuvable depuis un mois, l’accusé n’était pas encore entré à l’armée. Un rapport récent de l’initiative des droits humains sur le Burundi (IDHB) indique que les cas de disparitions forcées et d’enlèvements se sont multipliés au Burundi depuis avril dernier.

21. La succession des événements dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 à Kirehe, Midodo et Muhuzu laisse penser que les miliciens de Muhuzu étaient informés d’avance de l’opération qu’allait mener le renseignement militaire dans ces localités. L’arrestation de Jean-Claude NIYOMUKUNZI au moins quatre heures avant l’arrivée des militaires et sa détention provisoire dans une permanence locale du CNDD-FDD pourraient indiquer que les miliciens attendaient l’arrivée des militaires pour le livrer. L’ont-ils arrêté et détenu sur demande du renseignement militaire ou l’ont-ils fait sur leur propre initiative afin de le livrer aux militaires attendus cette nuit-là à Midodo ?

D. Recherches menées par les familles des victimes

22. Les familles d’Alexis NIMUBONA et de Jean-Claude NIYOMUKUNZI ont cherché les leurs dans les cachots de Rumonge, en vain. Elles se sont adressées aux différents responsables administratifs de Rumonge mais personne n’avait une information ni sur l’identité des auteurs de l’arrestation ni du lieu de détention des personnes arrêtées. Certains proches des victimes ont contacté le Service national de renseignement (SNR), corps habituellement plus impliqué dans les enlèvements et les disparitions forcées des citoyens, mais là aussi la réponse était négative. Une source très confidentielle a révélé au FOCODE qu’une somme importante aurait été remise par un homme d’affaires à un cadre du SNR pour qu’il aide à retrouver les victimes. S’il est vrai que ce cadre a mené des actions importantes, le résultat reste malheureusement négatif : les victimes n’ont pas été retrouvées et les bourreaux n’ont pas été sanctionnés.

23. Le chef de la zone Minago en commune Rumonge, lui-même associé de Jean-Claude NIYOMUKUNZI dans le commerce du charbon de bois selon des proches de la victime, s’est engagé particulièrement dans la recherche des victimes. Mais ses efforts n’ont pas abouti à retrouver les victimes.

24. Les familles des victimes ont également contacté la Commission nationale indépendante des droits l’homme (CNIDH). La commission a promis d’enquêter et de revenir vite à la famille. Une année après, la CNIDH n’a toujours pas recontacté les familles. Ce comportement de la CNIDH ne constitue pas un cas isolé : dans les cas des disparitions forcées opérées par le renseignement militaire en 2021, des dizaines de familles ont signalé au FOCODE qu’elles avaient contacté la CNIDH, que cette dernière a promis d’enquêter mais qu’elle n’a pas voulu communiquer les résultats de ses enquêtes. Dans son rapport annuel sur 2021, la CNIDH n’a reconnu aucun cas de disparition forcée, elle a évoqué des allégations sur lesquelles elle poursuivait son enquête. Evidemment, la CNIDH n’a pas évoqué le cas de ces cinq victimes de disparition forcée de Rumonge. La CNIDH n’a par ailleurs consacré qu’un paragraphe[7] de 4 lignes à la question des disparitions :

« Des cas de fugues, de disparitions naturelles ont été signalés à la CNIDH. Par ailleurs, celle-ci a été saisie, au cours de l’année 2021, de 35 cas d’allégations de disparitions forcées. Au cours du travail de la CNIDH, 11 personnes ont été retrouvées. Les cas qui restent sont en cours de traitement. »

25. Des proches des victimes ont contacté la Campagne NDONDEZA. En plus des alertes et des informations postées par le Président du FOCODE sur sa page Facebook et son compte Twitter, des interventions dans les radios RPA, Inzamba, Umurisho et sur la Télé Renaissance, le FOCODE a écrit au Président Evariste NDAYISHIMIYE le 30 août 2022 à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées.  Les noms d’Alexis NIMUBONA, Éric NDUWAMUNGU, Gabriel NSABIYUMVA, Firmin NTIRANDEKURA et Jean-Claude NIYOMUKUNZI figurent dans la liste des victimes envoyée au Président. Le nom d’Alexis NIMUBONA figure clairement, à titre illustratif, dans cette lettre[8] : « Alexis Nimubona, élu collinaire à Midodo en commune Rumonge, a été enlevé nuitamment avec ses deux fils et un domestique le 12 octobre 2021 chez lui à Midodo. Des éléments du renseignement militaire impliqués dans cet enlèvement ont été brièvement détenus au SNR en octobre et novembre 2021 avant d’être libérés et remis à leur service ». Alors que son porte-parole a reconnu la réception de la lettre, le Président NDAYISHIMIYE n’y a pas répondu et aucune enquête n’a été engagée sur ces disparitions.

E. Les auteurs présumés de la disparition forcée des cinq ressortissants de Rumonge : un cas notoire d’impunité !

26. Le Directeur du renseignement intérieur au SNR, à l’époque Colonel Alfred Innocent MUSEREMU, a joué un rôle inédit dans la recherche des cinq victimes. Alors que les services sous son autorité ont été impliqués dans plusieurs autres cas de disparitions forcées, le Colonel MUSEREMU s’est personnellement impliqué dans la recherche et l’arrestation des auteurs présumés de la disparition forcée des cinq ressortissants de Rumonge, allant jusqu’à provoquer un bras de fer entre le SNR et le renseignement militaire. C’est la première fois que le FOCODE a constaté une telle confrontation entre les services de renseignement depuis qu’il enquête sur les disparitions forcées au Burundi.

27. Selon les sources de la Campagne NDONDEZA à Rumonge, le milicien Imbonerakure Asmani NZIRORERA et le chef de la colline Karonke, le prénommé Onésime, ont été arrêtés par le SNR en date du 21 octobre 2021 et détenus au siège du SNR à Bujumbura. Les deux hommes étaient à la tête des miliciens Imbonerakure qui ont arrêté Jean-Claude NIYOMUKUNZI dans la soirée du 11 octobre 2021 à Kirehe, qui l’ont détenu brièvement dans une permanence locale du CNDD-FDD avant de le remettre aux agents du renseignement militaire. L’arrestation d’Asmani et Onésime a pris la forme d’un enlèvement, leurs familles n’ont pas été informées du mobile de l’arrestation, de l’identité des auteurs de l’arrestation et du lieu de détention des leurs. Pendant près de deux semaines, les familles ne savaient pas où se trouvaient Asmani et Onésime et craignaient qu’ils soient tués en guise de représailles après la disparition forcée des victimes de Midodo.

28. L’interrogatoire d’Asmani NZIRORERA et du prénommé Onésime a permis au SNR de remonter jusqu’aux cadres et agents du renseignement militaire impliqués dans la disparition forcée des cinq ressortissants de Rumonge. Dans la dernière semaine d’octobre 2021, le SNR a arrêté et détenu le responsable adjoint du bureau du renseignement militaire à l’Etat-Major Général de l’armée burundaise, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, ainsi que deux sous-officiers militaires affectés au même bureau, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE plus connu sous le sobriquet de BRADDOCK et l’Adjudant-Chef Jean-Bosco AHISHAKIYE connu sous le sobriquet de « Tigre Rouge ». Des sources au SNR ont confirmé à la Campagne NDONDEZA que les trois militaires étaient détenus dans les cachots du SNR jusqu’en décembre 2021. Les mêmes sources ont indiqué que le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU aurait assumé l’arrestation des cinq ressortissants mais aurait refusé de se soumettre à l’interrogatoire du SNR, estimant que ce dernier n’avait aucune compétence d’auditionner un officier militaire de son rang.  L’officier aurait enfin demandé la libération immédiate d’Asmani NZIRORERA et du prénommé Onésime qui n’avaient agi qu’en tant qu’informateurs et sous les ordres du renseignement militaire et qui, par conséquent, n’avaient, selon lui, aucune responsabilité dans ce qui est arrivé aux cinq ressortissants de Rumonge après leur arrestation.

29. Le milicien Asmani NZIRORERA et le chef collinaire prénommé Onésime ont été libérés des cachots du SNR au début de novembre 2021.

30. Le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE et l’Adjudant-Chef Jean-Bosco AHISHAKIYE auraient été libérés à leur tour en décembre 2021. Selon une source très confidentielle, leur libération aurait été ordonnée par le président du parti CNDD-FDD, Réverien NDIKURIYO. En mars 2022, les trois militaires étaient revenus à leurs postes d’attache au renseignement militaire. En Mai 2022, Onesphore NDAYISHIMIYE et Jean-Bosco AHISHAKIYE ont été déployés en Somalie dans le 66ème bataillon ATMIS[9] (ex-AMISOM). Ils sont pour le moment affectés à la position de Biocadale. Libère NIYONKURU continue impunément ses missions au renseignement militaire.

31. Numéro Matricule SS0947, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU est un officier du renseignement militaire réputé pour sa violence. Né en 1977 en commune Rutegama (province Muramvya), ayant formellement étudié jusqu’en 9ème année de l’école secondaire (c’est-à-dire 3 ans après l’école primaire), le Lieutenant-Colonel NIYONKURU est un ancien combattant des FDD[10] incorporé dans l’armée burundaise le 1er janvier 2005. Numéro deux du renseignement militaire burundais, Libère NIYONKURU est cité comme le coordinateur des opérations d’enlèvements des citoyens en 2021. Selon des sources de la Campagne NDONDEZA au sein de l’Etat-Major Général de la FDNB[11], le Lieutenant-Colonel NIYONKURU avait sous sa responsabilité une petite équipe de sous-officiers et d’hommes de rang chargée de mener les opérations d’enlèvements. Selon les mêmes sources, Libère NIYONKURU aurait participé lui-même dans certaines de ces opérations sur terrain. Les mêmes sources indiquent que la plupart des personnes enlevées ont été exécutées, au plus tard, dans les trois jours suivant leur enlèvement. Ces sources n’ont pas su si Libère NIYONKURU a participé de manière directe à l’opération de Midodo dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021, mais ce qui est sûr, selon les mêmes sources, la petite équipe chargée des opérations de terrain ne pouvait pas agir sans son autorisation. Libère NIYONKURU aurait par ailleurs assumé la responsabilité de l’opération durant sa détention au SNR.

32. Numéro Matricule SC0699, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE, connu sous le sobriquet « BRADDOCK » ou « MUMFANKURU » est un sous-officier de l’armée burundaise, officiellement affecté au Bataillon Police Militaire. Né en 1979 à Gasheke en commune Murwi (province Cibitoke), ancien combattant des FDD, Onesphore NDAYISHIMIYE a été incorporé dans l’armée le 1er janvier 2005. Agent du renseignement militaire, l’Adjudant-Major NDAYISHIMIYE est un homme de terrain ayant participé à plusieurs opérations secrètes selon des collègues qui se sont confiés au FOCODE. En 2021, Onesphore NDAYISHIMIYE aurait pris part à la majorité des enlèvements des citoyens opérés par le renseignement militaire. C’est un acteur clé des disparitions forcées de 2021 selon les sources du FOCODE. Pour le moment, il est en Somalie dans le 66ème Bataillon ATMIS.

33. Numéro Matricule SC4712, l’Adjudant-Chef Jean Bosco AHISHAKIYE, connu sous le sobriquet de Tigre Rouge, est un sous-officier affecté au bureau du renseignement militaire (G2). Son nom est cité depuis plusieurs années dans des cas de disparitions forcées, notamment des militaires ex-FAB et ex-FNL. La Campagne NDONDEZA a notamment cité son nom dans son rapport sur la disparition forcée de l’Adjudant Philibert NDUWAMUNGU et de d’Adjudant-Major Emmanuel NAHAYO en mai 2016[12]. Jean Bosco AHISHAKIYE a déjà séjourné dans les cachots de la Police Militaire, non pour être sanctionné, mais à des fins de renseignement pour espionner des codétenus. En guise de récompense, Adjudant-Chef Ahishakiye a été déployé plusieurs fois dans les missions de paix en Somalie. Ces missions, très choyées par les militaires burundais en raison du niveau de rémunération, sont en effet utilisées par les autorités burundaises pour calmer les militaires mécontents de leur petite solde et pour récompenser les plus zélés dans des violations des droits de l’homme. En mai dernier, Jean Bosco AHISHAKIYE a de nouveau été envoyé en Somalie dans le 66ème bataillon ATMIS. Des sources du FOCODE à l’Etat-Major Général de la FDNB ont cité l’Adjudant-Chef Jean Bosco AHISHAKIYE dans les membres de l’équipe du renseignement militaire ayant opéré des enlèvements des citoyens en 2021.

34. Il subsiste un mystère sur la concurrence observée en 2021 entre le bureau du renseignement militaire (G2) et le Service national de renseignement (SNR). L’élection de Réverien NDIKURIYO à la tête du parti CNDD-FDD en janvier 2021 a créé des liens très étroits entre la direction du parti au pouvoir et le renseignement militaire. Le renseignement militaire s’est alors mis à recruter et à détourner à son compte certains informateurs du SNR. De mai à novembre 2021, le renseignement militaire a participé dans des enlèvements de plusieurs dizaines de civils dans différentes provinces du pays. Les responsables provinciaux du SNR n’ont pas été informés de ces opérations alors que l’opinion publique les attribuait au SNR. Dans bon nombre de cas, le renseignement militaire a collaboré avec des responsables provinciaux et locaux du CNDD-FDD. Un chauffeur de la permanence nationale du parti aurait participé à plusieurs opérations du renseignement militaire et l’entourage de Réverien NDIKURIYO aurait aidé le G2 à détourner des informateurs du SNR[13]. Toutes ces situations ne pouvaient que générer un conflit entre les dirigeants du SNR et du G2. La détention pendant près de deux mois du numéro deux du renseignement militaire dans les cahots du SNR a marqué le sommet du bras de fer entre les deux services secrets.

35. Le Président NDAYISHIMIYE a tranché le conflit entre le SNR et le G2 en limogeant le 22 décembre 2021 le chef du renseignement militaire, le Colonel Ernest MUSABA, remplacé par le Général de Brigade Silas Pacifique NSAGUYE. La décision du Président NDAYISHIMIYE n’a pas résolu la question des disparitions forcées de 2021 puisqu’aucun responsable du renseignement militaire n’a été convoqué en justice pour rendre des comptes et aucune enquête officielle sur les disparitions de 2021 n’a été commanditée, même après la lettre du FOCODE au Président NDAYISHIMIYE en août 2022.

36. En mars 2022, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE et l’Adjudant-Chef Jean Bosco AHISHAKIYE sont revenus à leurs postes d’attache au renseignement militaire. En mai 2022, Onesphore AHISHAKIYE et Jean Bosco AHISHAKIYE ont été envoyés dans la mission de paix en Somalie dans les effectifs du 66ème Bataillon ATMIS. Le 16 novembre 2022, le Président NDAYISHIMIYE a nommé le Colonel Ernest MUSABA au poste de responsable du Service de la Logistique à l’Etat-Major Général de la FDNB, poste le plus convoité dans l’armée burundaise après celui de Chef de la FDNB. Cette nomination a été interprétée comme un retour en grâce signifiant que le Président NDAYISHIMIYE n’a aucune intention de poursuivre les auteurs des disparitions forcées de 2021.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée des ressortissants de la province Rumonge – le sexagénaire Alexis NIMUBONA, ses deux fils Éric NDUWAMUNGU et Gabriel NSABIYUMVA, son employé domestique Firmin NTIRANDEKURA arrêtés à leur résidence à Midodo, et le commerçant Jean-Claude NIYOMUKUNZI arrêtés à Kirehe – introuvables depuis leur arrestation par le renseignement militaire dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 ;
  2. Le FOCODE condamne le silence des autorités burundaises sur ces disparitions forcées, y compris celui de la CNIDH, et l’inaction de la justice burundaise observée dans ce cas tout comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées des opposants ou des personnes supposées comme tels ;
  3. Le FOCODE condamne la non-poursuite en justice du Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE et de l’Adjudant-Chef Jean Bosco AHISHAKIYE, identifiés par le Service national de renseignement comme des auteurs présumés de la disparition forcées des cinq ressortissants de la province Rumonge arrêtés à Midodo et à Kirehe dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Alexis NIMUBONA, Éric NDUWAMUNGU, Gabriel NSABIYUMVA, Firmin NTIRANDEKURA et Jean-Claude NIYOMUKUNZI depuis leur arrestation dans la nuit du 11 au 12 octobre 2021 ;
  5. Le FOCODE demande une enquête globale sur les nombreux cas de disparitions forcées des personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire burundais en 2021 ;
  6. Le FOCODE appelle le Chef de la FDNB, le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  7. Le FOCODE demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de traduire en réalité sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des crimes graves et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
  8.  Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  9. Le FOCODE salue le récent renouvellement du mandat du Rapporteur Spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi par le Conseil des Droits de l’Homme, le maintien de Monsieur Joseph Mathias NIYONZIMA sur la liste des personnes sous sanctions de l’Union Européenne et la réinsertion du Général Alain Guillaume BUNYONI sur la liste des personnes sous sanctions des Etats-Unis d’Amérique ;
  10. Le FOCODE salue la récente annonce de la Cour Pénale Internationale et son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015 dont des cas de disparitions forcées au Burundi.                                                      
Emission Ndondeza sur la disparition forcée de Messieurs Alexis Nimubona, Eric Nduwamungu, Gabriel Nsabiyumva et Firmin Ntirandekura (en Kirundi)

Emission Ndondeza sur la disparition forcée de Jean-Claude Niyomukunzi (en kirundi)

[1] Midodo est une sous-colline de la colline Muhuzu dans la zone Minago, commune et province Rumonge, Kirehe est une autre colline de la zone Minago, Burambi est une commune de la province Rumonge.

[2] CNIDH – rapport annuel édition 2021, p.83 https://www.cnidh.bi/documents/Rapport%20annuel,%20Edition%202021.pdf

[3] CNIDH – rapport annuel édition 2020, p.85 https://cnidh.bi/documents/Rapport%20annuel%202020.pdf

[4] https://www.rpa.bi/index.php/actualites/2securite/quatre-personnes-d-un-meme-menage-de-muhuzu-ont-ete-enlevees-ce-lundi

[5] https://www.netpress.bi/spip.php?article9616

[6] https://www.sosmediasburundi.org/2021/11/11/rumonge-les-proches-des-personnes-enlevees-en-octobre-perdent-espoir-de-les-retrouver/

[7] CNDIH – Rapport annuel édition 2021, p.83 https://www.cnidh.bi/documents/Rapport%20annuel,%20Edition%202021.pdf

[8] Lettre du FOCODE au Président Evariste NDAYISHIMIYE https://focode.org/lettre-du-focode-au-president-evariste-ndayishimiye/

[9] ATMIS : African Union Transition Mission in Somalia

[10] FDD : branche armée de l’ancien mouvement rebelle CNDD-FDD

[11] FDNB : Force de Défense Nationale du Burundi (nom officiel de l’armée burundaise)

[12] https://ndondeza.org/la-disparition-forcee-de-ladjudant-philibert-nduwamungu-de-ladjudant-major-emmanuel-nahayo-et-du-caporal-chef-ndereyimana/

[13] Plusieurs publications à venir sur d’autres cas de disparitions forcées de 2021 vont fournir plus d’exemples de cette collaboration entre le renseignement militaire et la direction du CNDD-FDD