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Disparition forcée des militaires Vital Niyonkuru et Jean-Marie Vianney Mbonimpa

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DECLARATION DU FOCODE n° 022 /2018

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA, deux militaires enlevés à Bujumbura et introuvables depuis  le 29 décembre 2015. »

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée du Premier Sergent Vital NIYONKURU et du soldat[1] Jean-Marie Vianney MBONIMPA, tous deux anciens combattants du Palipehutu-FNL affectés respectivement à l’unité de la Police Militaire et au Groupement des machines et engins militaires (GMAEM), introuvables depuis leur enlèvement dans les quartiers Rohero et Kamenge de la ville de Bujumbura le 29 décembre 2015.   Dans les semaines qui ont précédé leur enlèvement, les deux militaires originaires de Ruyigi avaient déjà échappé à des arrestations sous des soupçons de collaboration avec l’ancien ministre et homme fort de Ruyigi, Moïse BUCUMI, en exil depuis 2015 suite à sa participation à la fronde de certains cadres du CNDD-FDD opposés au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.

Après leur enlèvement en décembre 2015, Vital et Jean-Marie Vianney auraient reçu la mission d’aller capturer vivant Moise BUCUMI en Tanzanie. Malheureusement pour eux, la mission aurait tourné dans un fiasco total après quelques tournées dans des camps de réfugiés en Tanzanie et dans certaines localités tanzaniennes proches du Burundi. Les deux victimes auraient été rapatriées au Burundi mais n’ont jamais fait signe de vie depuis ce retour. Quoique l’armée n’ait pas complètement nié cette mission en Tanzanie, les familles des victimes n’ont jamais été informées du sort réservé aux leurs, elles attendent toujours leur retour.

Au-delà de la seule communication sur deux cas qui s’inscrivent dans une longue liste de disparitions dans les corps de défense et de sécurité, cette déclaration souligne aussi les frustrations et la fragilité des militaires[2] issus de l’ex-Palipehutu-FNL. Leur intégration dans l’armée burundaise n’a pas tenu en considération le niveau d’instruction des candidats ce qui est contraire aux standards de cette armée élitiste où ceux qui ont un niveau d’études plus élevé sont incorporés dans une catégorie supérieure. L’injustice faite aux ex-FNL fait que des lauréats ou des étudiants des universités se retrouvent dans la catégorie des hommes de troupe tandis que les moins instruits peuvent se retrouver dans la catégorie des officiers. Le régime profite de ces frustrations pour recruter des bourreaux à impliquer dans des crimes graves qui espèrent en retour des avancements rapides dans les grades ou d’autres faveurs.

Si cette déclaration évoque deux noms de victimes, les informations reçues révélaient l’enlèvement le 29 décembre 2015 de six militaires, tous ex-FNL et en même temps étudiants dans différentes universités. Toutes les victimes auraient été enlevées par le Service national de renseignement (SNR) à Bujumbura et à Gitega. La Campagne NDONDEZA n’a pas reçu d’information ni sur l’identification des quatre autres victimes ni sur leur sort. Le rapport de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), édition 2015, a évoqué le nom d’un autre militaire enlevé le 29 décembre 2015, Jean-Baptiste BARANTANDIKIYE : « militaire en fonction au camp Ngagara et étudiant à l’IPEA »[3]. Il est possible que ce militaire soit dans le même groupe des six militaires ex-FNL arrêtés le 29 décembre 2015.

Compte tenu de l’importance du nombre de militaires et policiers portés disparus depuis 2015 et du silence des autorités burundaises sur ces disparitions, y compris des disparitions forcées, le FOCODE recommande l’ouverture d’une enquête indépendante sur tous les cas de disparitions et d’autres crimes graves commis au sein des corps de défense et de sécurité depuis avril 2015.

A. Identité des victimes

A.1. Vital NIYONKURU

  1. Fils de Raphael BIRINTANYA et d’Anne GICONDO, Vital NIYONKURU est né en 1982, sur la colline Tahe de la commune Gisuru en province Ruyigi, à l’est du Burundi. Marié et père de deux enfants, Vital NIYONKURU était à la fois militaire et étudiant ; il poursuivait ses études en 1ère candidature de la Faculté de psychologie et sciences de l’éducation à l’Université du Burundi. Sa famille résidait à Ruyigi tandis que lui-même avait une résidence en Mairie de Bujumbura.
  1. Matricule 77602, Vital NIYONKURU était un sous-officier dans la Force de Défense Nationale (FDN) du Burundi. Il avait le grade de Premier Sergent et était employé à l’unité de la Police Militaire à Bujumbura. Issu de l’ancienne rébellion du Palipehutu-FNL[4], il avait intégré l’armée burundaise après l’Accord de cessez-le-feu entre son mouvement d’origine et le Gouvernement du Burundi en décembre 2008.

A.2. Jean-Marie Vianney MBONIMPA

  1. Fils de Gratien BIRINTANYA et d’Anne MUNYANA, Jean-Marie Vianney MBONIMPA est né en 1980 en commune Gisuru de la Province Ruyigi, à l’Est du Burundi. Marié et père de trois enfants, Jean-Marie Vianney était également militaire et étudiant à la fois. Il étudiait en deuxième année de l’Institut supérieur de commerce (ISCO) à l’Université du Burundi. Il résidait avec sa famille à la 11ème avenue du quartier Mirango dans la zone urbaine de Kamenge, au nord de la ville de Bujumbura.
  1. Matricule 76687, Jean-Marie Vianney MBONIMPA était militaire de la catégorie des hommes de troupe dans la Force de Défense Nationale (FDN) du Burundi. Il était employé au Groupement des machines automobiles et engins militaires (GMAEM) à Bujumbura. Comme son cousin Vital NIYONKURU, Jean-Marie Vianney MBONIMPA avait intégré l’armée burundaise à la suite de l’Accord de cessez-le-feu entre le Gouvernement du Burundi et le mouvement Palipehutu-FNL en décembre 2008.
  1. Sur le plan politique, le principe est que les militaires n’ont pas le droit de militer dans des partis politiques ni de prendre part à des manifestations politiques. Ainsi Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA ne militaient dans aucun parti politique et n’avaient pas participé aux manifestations populaires contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Néanmoins, comme cela a été démontré dans plusieurs autres déclarations de la Campagne NDONDEZA, les militaires et les policiers issus des FNL sont suspectés d’être restés proches du parti FNL dirigé par Agathon RWASA et continuent à être la cible de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015. Le FOCODE n’a aucune information permettant de conclure que ce lien existait dans le cas des deux victimes. Par contre, il est établi que Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA étaient très proches d’un frondeur en exil et recherché par le régime de Pierre NKURUNZIZA : l’ancien ministre et député Moise BUCUMI.

B. Prélude d’une disparition forcée : le casse-tête « Moise BUCUMI » à RUYIGI.

  1. Avant que Moise BUCUMI ne participe à la fronde d’un certain nombre de cadres du CNDD-FDD contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA en 2015, la circonscription électorale de Ruyigi était considérée comme son fief. Moise BUCUMI avait été gouverneur de cette province de 2014 à 2010 avant de devenir ministre puis député représentant la même province. Il y disposait d’une équipe de football à même de rivaliser avec les équipes de l’Académie de Footaball « Le Messager » de Pierre NKURUNZIZA et avait une certaine ascendance sur les militants du CNDD-FDD de la province.
  1. En 2014, des allégations de formation paramilitaire des Imbonerakure[5] à l’Est de la République Démocratique du Congo ont largement occupé l’actualité nationale burundaise. En 2015, peu avant le début des manifestations, des armes auraient été distribuées aux Imbonerakure dans les différentes communes du pays. En province Ruyigi, selon certaines sources, le député Moise BUCUMI aurait participé à cette distribution et aurait privilégié des Imbonerakure proches à lui ou anciens membres des FNL[6]. L’objectif étant probablement de retourner ces jeunes au cas où… Certains des Imbonerakure  bénéficiaires de ces armes seront la cible du SNR et de la police nationale après les manifestations de 2015 et seront accusés de faire partie d’une rébellion de Moise BUCUMI.  C’est là que commencent les déboires du Premier Sergent Vital NIYONKURU et du soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA.
  1. Selon les informations recueillies par le FOCODE au commissariat provincial de la police à Ruyigi, la première arrestation du Premier Sergent NIYONKURU a eu lieu un soir de juin 2015 alors qu’il était en congé et qu’il se promenait au centre de Ruyigi. Il aurait été arrêté par le commissaire provincial d’alors, Edouard MUKOKO, sous des soupçons de détention illégale d’armes dans sa maison. Après la production d’une feuille de route attestant que le sous-officier était régulièrement en congé, le commissaire se serait personnellement rendu, peu après 19 heures 30[7], à la résidence de la famille de Vital NIYONKURU à Ruyigi pour vérifier les effets militaires à sa disposition.  A part une veste imperméable et deux paires de bottines, aucune arme n’a été trouvée dans cette maison. Le Premier Sergent NIYONKURU est resté libre cette fois-là.
  1. Trois mois plus tard, un soir de septembre 2015, le grand frère de Vital NIYONKURU, Ferdinand NYABENDA, aurait été appréhendé chez lui à Tahe dans la commune Gisuru en possession de cinq fusils et conduit au commissariat de la police de Ruyigi. Le lendemain, une deuxième personne originaire de la même colline aurait été arrêtée et un montage sordide aurait été construit pour impliquer les deux autres militaires originaires de la colline Tahe et membres de la famille de Ferdinand NYABENDA : Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA allaient être accusés de préparer l’assassinat de l’administrateur communal de Gisuru sur l’ordre du frondeur Moise BUCUMI. Les deux militaires n’auraient été sauvés que par leur relation avec le Colonel Marius NGENDABANKA[8], alors commandant de la 1ère région militaire[9].
  1. Selon une source au commissariat provincial de la police à Ruyigi, le commissaire Edouard MUKOKO aurait appelé le Colonel Marius NGENDABANKA pour solliciter l’arrestation des deux militaires Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA et de les mettre à la disposition du commissariat de Ruyigi. Le Colonel NGENDABANKA aurait choisi de discuter d’abord avec le Premier Sergent Vital NIYONKURU[10] qu’il connaissait très bien. Selon un proche de la victime, Vital NIYONKURU aurait expliqué que les fusils trouvés chez Ferdinand NYABENDA avaient été distribués par des cadres du CNDD-FDD en 2015 et aurait avoué qu’il gardait un contact téléphonique avec Moise BUCUMI. Le Colonel NGENDABANGA aurait ensuite rencontré le soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA sur le même sujet ; il aurait enfin appelé le Commissaire MUKOKO pour le rassurer que les deux militaires n’avaient aucun lien avec les cinq fusils trouvés chez Ferdinand NYABENDA. Ainsi le dossier semblait clos pour les deux militaires originaires de Tahe, mais l’accalmie n’allait durer que deux mois.
  1. Au début de décembre 2015, le Colonel Marius NGENDABANKA aurait tenu une rencontre confidentielle à Bujumbura avec des cadres natifs de Ruyigi dont l’administrateur de Gisuru. Il aurait évoqué un projet de capture de Moise BUCUMI en utilisant ses relais dans le pays. Il aurait demandé aux administratifs et aux policiers de stopper toute tracasserie à l’égard des militaires NIYONKURU et MBONIMPA qui allaient jouer un rôle clé dans cette opération de capture de Moise BUCUMI. Il aurait par la suite contacté les deux militaires pour les informer des préparatifs de cette opération à laquelle ils allaient participer. Il les aurait instruit de garder un contact étroit avec Moise BUCUMI afin de renforcer sa confiance à leur égard. Même si les deux militaires n’auraient pas refusé la mission, ils auraient confié à certains de leurs proches qu’ils ne pouvaient pas l’accomplir et se seraient même empressés d’informer Moise BUCUMI du plan de sa capture. En réalité, les deux militaires craignaient d’être éliminés à leur tour après l’accomplissement d’une mission aussi dangereuse selon un proche des deux victimes. Ils auraient même envisagé de déserter l’armée, mais un proche les en aurait dissuadé.
  1. Entre le 15 et le 27 décembre 2015, Vital NIYONKURU aurait de nouveau séjourné à Ruyigi, selon une source au commissariat de Ruyigi. Encore une fois, il aurait été interpellé pendant un court moment dans la journée du 17 décembre, juste le temps de vérifier sa feuille de route et de l’interroger sur le mobile de sa présence à Ruyigi. Des coups de téléphones de plusieurs autorités se seraient succédé pressant le commissariat de libérer le Premier Sergent NIYONKURU. Le gouverneur provincial de Ruyigi serait passé au commissariat pour se moquer de Vital NIYONKURU : « c’est toi le garçon à qui BUCUMI a promis le grade de général !» C’est finalement l’appel du Colonel NGENDABANKA qui aurait dénoué la situation : Vital NIYONKURU serait rentré libre chez lui et n’aurait quitté Ruyigi que le 27 décembre 2015.

C. Circonstances de la disparition forcées des militaires Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONOMPA.

  1. Plusieurs militaires, tous ex-FNL et en même temps étudiants dans différentes universités, ont été enlevés à Bujumbura et Gitega dans la journée du 29 décembre 2015, selon une source à la Police Militaire, et auraient été conduits au siège du SNR à Bujumbura. Le Premier Sergent Vital NIYONKURU et le soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA figuraient parmi les victimes de cette vaste opération de kidnappings. Vital NIYONKURU aurait été enlevé au quartier Rohero à Bujumbura selon une source proche du SNR. Le rapport annuel de la CNIDH[11], édition 2015, a mentionné deux autres enlèvements : Jean-Marie Vianney MBONIMPA présenté comme étudiant et Jean-Baptiste BARANTANDIKIYE présenté comme un militaire en fonction au Camp Ngagara.

Jean-Marie Vianney MBONIMPA, 36 ans, résidant au Quartier Mirango, 11ème Avenue  en zone urbaine de Kamenge, étudiant, a été enlevé le 29 décembre  2015 àKamenge par des personnes non identifiées en tenue policière qui  étaient à bord d’un  véhicule pick‐up qui appartiendrait à la police. Depuis ce jour, sa famille ne connait pas sa situation. Le 29 décembre 2015, Jean Baptiste BARANTANDIKIYE, 33 ans, originaire de Bisoro, en province Mwaro, militaire en fonction au camp Ngagara, étudiant à  l’IPA a  été enlevé près du Centre Neuropsychiatrique de Kamenge par des  individus non identifiés qui étaient à bord d’une camionnette double cabine fumée. Il était sur sa moto qui aurait été emportée par les ravisseurs.

  1. La Campagne NDONDEZA n’a pas pu identifier les autres militaires enlevés, mais sa source à la Police Militaire évoquait au moins six militaires kidnappés. Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA auraient été interrogés sur leur relation avec Moise BUCUMI avant d’être contraints de participer à une opération secrète de capture de Moise BUCUMI en Tanzanie. L’ancien Ministre Moise BUCUMI a confirmé à la Campagne NDONDEZA qu’il avait été informé dès que l’équipe à sa recherche était entrée sur le territoire tanzanien. Selon les informations qu’il a reçues à l’époque, l’équipe à la recherche de Monsieur BUCUMI serait entrée en Tanzanie dans trois véhicules du SNR et l’opération aurait été dirigée par le Major Thaddée BUTUMAGU, garde du corps du président NKURUNZIZA. Une somme de cinquante mille dollars américains (USD 50.000) aurait été investie dans cette opération selon la même source. Moise BUCUMI aurait lui-même dérouté l’équipe à sa recherche par un texto envoyé au Major BUTUMAGU via un numéro inconnu : « Venez voir Moise à Ngara». L’équipe se serait alors rendue à Ngara, naturellement sans résultat. L’équipe aurait poursuivi les recherches dans d’autres localités à l’ouest de la Tanzanie et serait retournée au Burundi sans avoir trouvé Moise BUCUMI. Ce dernier pense que Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney auraient été exécutés à leur retour au Burundi.
  1. Les familles de Vital NIYONKURU et Jean-Marie Vianney MBONIMPA ne les ont jamais revus depuis leur enlèvement le 29 décembre 2015 et n’ont aucune information sur leur situation.

D. Démarches entreprises par les familles des victimes pour les retrouver.

  1. Dès le lendemain de l’enlèvement des deux militaires, leurs proches se sont mis à leur recherche. Ils ont notamment contacté les commandants des unités dont ils relevaient et celui de la 1ère Région Militaire. Si les réponses obtenues confirmaient les nouvelles des enlèvements, elles ne permettaient pas de savoir la destination des personnes enlevées. Une source a confirmé la détention au SNR au premier jour mais ne voulait plus se prononcer sur ce dossier dans les jours qui ont suivi. Les proches des victimes ont eu peur de se rendre au SNR.
  1. La famille de Jean-Marie Vianney MBONIMPA a saisi la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) qui n’aurait été d’aucune utilité. La commission s’est contentée de mentionner le nom de la victime dans son rapport annuel de 2015, sous le point des victimes de disparitions forcées. Le rapport de la CNIDH a omis de mentionner le statut militaire de la victime, se contentant de celui d’étudiant.
  1. Selon les proches des victimes, les autorités de l’armée n’ont pas confirmé la mission en Tanzanie, elles ne l’ont pas complètement niée non plus. Les familles ont bénéficié d’un traitement de faveur qu’on ne retrouve pas dans les autres cas de disparitions forcées des militaires. Dans plusieurs cas, l’armée a l’habitude de couper immédiatement les soldes des disparus tandis que des responsables n’hésitent pas à annoncer que les victimes ont rejoint des mouvements rebelles. Dans des situations où elle se montre plus clémente, l’armée continue à payer six mois de soldes et respecte ainsi les délais légaux de déclaration d’une disparition.
  1. Dans le cas de Vital NIYONKURU et de Jean-Marie Vianney MBONIMPA, une source à la CECAD[12] a confirmé que les épouses des deux victimes ont continué à percevoir les soldes de leurs maris pendant deux ans et demi après les disparitions. La source n’en revenait pas et croyait que l’armée aurait envoyé les deux militaires dans une mission spéciale. Selon la même source, l’épouse de Vital NIYONKURU aurait reçu une attestation de service de son mari, neuf mois après sa disparition ; elle aurait également reçu l’autorisation de devenir mandataire (donc signataire) du compte de son mari après sa disparition. La campagne NDONDEZA dispose des preuves de ces informations qu’elle ne peut pas rendre publiques pour des raisons de sécurité des sources.
  1. Les proches de Vital NIYONKURU et de Jean-Marie-Vianney MBONIMPA perdent chaque jour l’espoir de revoir les leurs. L’armée burundaise reste muette comme dans tous les autres cas de disparitions forcées des militaires.

E. Frustration et fragilité des militaires ex-FNL

  1. Au cours de l’enquête sur la disparition forcée de Vital NIYONKURU et de Jean-Marie Vianney MBONIMPA, un aspect a attiré l’attention du FOCODE : les six militaires enlevés le 29 décembre 2015 ont en commun d’être tous issus de l’ancien mouvement Palipehutu-FNL et d’être tous des étudiants dans différentes universités. Curieusement, il n’y aurait aucun officier parmi les victimes alors que, selon les règlements de l’armée burundaise, les officiers sont recrutés parmi les finalistes du deuxième cycle de l’école secondaire, les sous-officiers parmi les finalistes du premier cycle de l’enseignement secondaire et les hommes de troupe parmi les finalistes de l’école primaire. Dans le groupe des militaires enlevés le 29 décembre 2015, il y avait au moins un sous-officier et un homme de troupe alors qu’ils étaient tous des étudiants dans différentes universités burundaises. Jusqu’ici, les critiques sur les niveaux d’études des militaires burundais se focalisaient sur les cas des officiers issus des anciens mouvements armés qui portent des grades élevés alors qu’ils ont un niveau minimal d’instruction. Les frustrations de ceux qui ont un niveau universitaire mais se retrouvant dans la catégorie des hommes de troupe n’ont pas été relevées.
  1. Cette situation paradoxale s’explique par la manière dont les ex-FNL ont été intégrés dans l’armée burundaise. Pour obtenir un officier, il y avait des critères sur le nombre de combattants et le nombre d’armes à montrer pendant le désarmement. Ces critères ont abouti à ces situations injustes où notamment des étudiants des universités qui avaient rejoint le Palipehutu-FNL juste après la signature de cessez-le-feu et à la veille du déploiement dans les zones de cantonnement, ont été incorporés dans l’armée dans la catégorie des hommes de troupe tandis que des combattants de longue date pouvaient devenir des officiers avec un niveau d’études très minimal (certains officiers issus des FNL ont à peine terminé l’école primaire). Cela s’explique aussi par le fait que les critères de bravoure et de courage primaient sur ceux du niveau d’études dans l’avancement de grades dans les mouvements rebelles.
  1. La conséquence de cette situation paradoxale est une frustration permanente des militaires ex-FNL instruits qui les rend malléables à toutes sortes de sollicitations. D’un côté, ces ex-FNL sont sollicités par le régime dans des plans d’élimination des opposants ou dans des montages du SNR contre des opposants ou contre d’autres militaires perçus comme des opposants ; ils sont particulièrement recrutés aussi pour des missions d’espionnage étant donné qu’ils sont intelligents et qu’ils peuvent gagner la confiance des cibles du SNR. D’un autre côté, les ex-FNL risquent d’être sollicités par des mouvements rebelles en gestation pour aider dans la sensibilisation d’autres militaires pour la cause rebelle ou dans la recherche de différentes informations dont ces mouvements ont besoin.
  1. Le régime NKURUNZIZA et, dans une moindre mesure, l’opposition armée essaient d’exploiter la frustration et la fragilité des militaires ex-FNL instruits en leur promettant des promotions ou des sommes d’argent alléchantes.

F. Les présumés auteurs de la disparition forcée de Vital NIYONKURU et de Jean-Marie Vianney MBONIMPA

  1. D’après les informations concordantes recueillies par le FOCODE dans le cadre de la présente enquête, au moins trois cadres des corps de défense de sécurité auraient joué des rôles clés dans le processus ayant conduit à la disparition forcée du Premier Sergent Vital NIYONKURU et du soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA. Il s’agit du Général de brigade Marius NGENDABANKA (colonel à l’époque des faits), du Major Thaddée BUTUMAGU et du Commissaire Edouard MUKOKO. L’audition des trois officiers serait très cruciale dans le cadre d’une enquête indépendante sur la disparition forcée des deux militaires.
  1. Le Général de brigade Marius NGENDABANKA était commandant de la première région militaire au moment des faits, il est actuellement Commandant-adjoint de la Force terrestre. Après avoir discuté avec les deux militaires, le Général NGENDABANKA aurait conçu, avec le SNR, un plan de capture du frondeur Moise BUCUMI en Tanzanie et de le ramener vivant au Burundi. Le plan aurait consisté à attirer Moise BUCUMI dans un guet-apens par le biais des militaires de confiance qu’il devait rencontrer. Aussitôt qu’il aurait répondu à leur rendez-vous, il aurait été attrapé par un commando préparé à cet effet. L’échec de ce plan a été dû en partie au fait que Moise BUCUMI était informé presque en temps réel de chaque étape franchie dans son accomplissement. Le Général NGENDABANKA est le mieux indiqué pour connaître ce qu’il est advenu des deux militaires après l’échec du plan. Il importe de rappeler que le Général NGENDABANKA a été sanctionné en juin 2016 par les Etats-Unis d’Amérique qui l’accusent notamment d’avoir commis des exécutions sommaires après une attaque rebelle en province Cibitoke en décembre 2014 et d’avoir participé à l’épuration de la ville de Bujumbura par des crimes commis contre des opposants depuis avril 2015.

  1. Le Major Thaddée BUTUMAGU était garde du corps du Président NKURUNZIZA au moment des faits et garde le même poste. Il aurait dirigé la mission de tentative de capture de Moise BUCUMI en Tanzanie. C’est lui qui devrait rémunérer les membres du commando, c’est lui encore qui aurait ramené au pays les militaires après l’échec de la mission. Formé en Egypte sur les techniques de la protection rapprochée des dirigeants, Le Major BUTUMAGU serait un homme de confiance de Pierre NKURUNZIZA et aurait beaucoup d’informations sur plusieurs opérations secrètes des services de sécurité du Burundi. Il devrait également avoir des informations sur le sort des deux militaires à leur retour au Burundi.
  1. Le Commissaire Edouard MUKOKO était commissaire provincial de la police à Ruyigi au moment des faits, il est pour le moment commissaire provincial à Ngozi. En cette qualité, il a tenté d’arrêter à plusieurs reprises les deux militaires. Il connaît très bien la raison pour laquelle ils étaient tellement recherchés et la raison qui a empêché leur arrestation alors qu’ils étaient disponibles. Il aurait été informé du plan de capture de Moise BUCUMI et il en saurait sur le sort réservé aux deux militaires originaires de Tahe en commune Gisuru.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

G. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée du Premier Sergent Vital NIYONKURU et du soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA introuvables depuis leur enlèvement le 29 décembre 2015 dans la ville de Bujumbura ainsi que le silence de l’armée burundaise sur la situation des deux militaires depuis trois ans ;
  1. Le FOCODE condamne les nombreux autres cas de disparitions forcées qui continuent à cibler particulièrement les membres de ces corps issus des ex-FAB et des ex-FNL dans le silence étrange et total des responsables de ces corps ainsi que de leur commandant suprême, Pierre NKURUNZIZA ;
  1. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée du Premier Sergent Vital NIYONKURU et du soldat Jean-Marie Vianney MBONIMPA, sur l’identité et le sort des autres militaires ex-FNL enlevés le 29 décembre 2015 à Bujumbura et Gitega ainsi que le rôle présumé du Général de brigade Marius NGENDABANKA, du Major Thaddée BUTUMAGU et du Commissaire Edouard MUKOKO dans cette disparition forcée ;
  1. Le FOCODE demande une enquête globale sur les crimes graves commis au sein des corps de défense et de sécurité depuis avril 2015, particulièrement contre les militaires issus des ex-FAB et des ex-FNL ou d’autres perçus comme des opposants au régime NKURUNZIZA ainsi que l’impact de ces crimes sur les équilibres voulus dans ces corps par l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi ;
  1. Le FOCODE recommande aux autorités de l’armée burundaise de trouver des solutions aux frustrations des militaires plus instruits issus des ex-FNL et d’organiser sans discrimination un système de passation d’une catégorie inférieure à une catégorie supérieure en cas d’obtention d’un diplôme académique adéquat ;
  1. Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.

[1] Des proches de la victime hésitent entre le grade de 1ère Classe et de Caporal, cette déclaration ne va pas utiliser son grade contrairement aux habitudes des publications de la Campagne NDONDEZA

[2] La même situation se retrouve dans la police nationale

[3] Rapport annuel de la CNDIH, édition 2015, P.60 http://cnidh.bi/sites/default/files/CNIDH_Rapport%20annuel%202015%20.pdf

[4] Palipehutu- FNL : Parti pour la libération du peuple hutu – Forces Nationales de Libération

[5] Jeunesse du parti CNDD-FDD taxée de milice par l’ONU

[6] Ces informations de participation à la distribution des armes aux Imbonerakure n’ont pas été confirmées par Monsieur BUCUMI, nous les gardons au conditionnel.

[7] La loi burundaise n’autorisait pas à l’époque des fouilles nocturnes de domiciles, au-delà de 18 heures.

[8] Marius Ngendabanka porte actuellement le grade de Général de brigade et occupe les fonctions de Commandant-adjoint de la Force terrestre (ancien Etat-major interarmes).

[9] La première région militaire comprend tous les camps militaires de la région ouest, y compris la ville de Bujumbura.

[10] Marius Ngendabanka et Vital Niyonkuru sont tous originaires de Ruyigi et se connaissaient de longue date

[11] Rapport annuel de la CNIDH, édition 2015, P.60, http://cnidh.bi/sites/default/files/CNIDH_Rapport%20annuel%202015%20.pdf

[12] Une caisse de microfinance de l’armée burundaise par laquelle passe la majorité des salaires des militaires