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Disparition forcée du policier Thierry Nkurunziza.

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA, agent de la Police Nationale du Burundi (PNB), introuvable depuis son enlèvement survenu en date du 11 Avril 2016 à Kinama (Nord de la ville de Bujumbura) ».

Dans le cadre de sa « Campagne Ndondeza contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a reçu des témoignages et des informations sur la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA, un agent de la police burundaise enlevé par des personnes présentées comme des agents du Service National de Renseignement (SNR), non loin de son poste d’attache à Kinama (quartier au Nord de la ville de Bujumbura), en date du 11 avril 2016. Ancien militaire des Forces Armées Burundaises (FAB)[1], Thierry NKURUNZIZA rentre dans l’une des catégories les plus ciblées par la répression en cours au Burundi depuis 2015. Ce dossier s’intéresse à l’identification de la victime, aux circonstances de son enlèvement et aux efforts fournis pour la retrouver.

A. Identité de la victime.

  1. Fils d’Onésime NIGARURA et d’Olive NDAYISENGA, Thierry NKURUNZIZA est né en 1982 à Rutegama en commune Vugizo de la province Makamba, au sud du Burundi. Marié et père de trois enfants, il avait sa résidence au quartier dit « SOKARTI » de la zone urbaine de Kinama, au nord de la ville de Bujumbura.
  2. Matricule APN 15861, APC[2] Thierry NKURUNZIZA avait intégré la Police Nationale du Burundi en provenance des anciennes Forcées Armées Burundaises (armée nationale avant l’intégration des anciens mouvements politiques armés). Au moment de sa disparition forcée, il était affecté au poste de police se trouvant au bureau de la zone urbaine de Kinama (nord de la vile de Bujumbura). La constitution de la République garantissant la neutralité des forces de défense et de sécurité vis-à-vis des partis politiques, APC Thierry NURUNZIZA n’appartenait à aucun parti politique ni n’avait participé aux manifestations populaires pacifiques contre le 3ème mandat du président NKURUNZIZA.

B. Contexte de l’enlèvement et de la disparition forcée de Thierry NKURUNZIZA.

3. Lundi 11 Avril 2016, aux environs de 17 heures locales, alors qu’il était à son lieu de travail, l’APC Thierry NKURUNZIZA a reçu un appel sur son téléphone portable. L’interlocuteur que les amis et la famille n’ont jamais pu identifier l’invitait à le rejoindre immédiatement. C’est ainsi que Thierry NKURUNZIZA a pris une mototaxi et s’est rendu à la 1ère avenue du quartier Muramvya de la même zone de Kinama, plus exactement en face de l’agence de la Coopérative d’Epargne et de Crédit (COOPEC).

4. Selon des témoins oculaires qui se sont confiés à la campagne NDONDEZA, l’APC Thierry NKURUNZIZA a été arrêté juste quelques minutes après son arrivée tout près de la COOPEC Kinama, par des personnes identifiées comme des agents du SNR, armés de pistolets, à bord d’une voiture Toyota TI de couleur rouge et à vitres teintées. La victime a été embarquée de force dans le véhicule pour une destination inconnue, sous l’œil impuissant des passants et des policiers qui gardaient la COOPEC. Malgré la panique, les chiffres de l’immatriculation du véhicule ont pu être retenus : il s’agirait de 5111 ; ce qui pourrait aider en cas d’une enquête indépendante. Depuis cet enlèvement, l’APC Thierry NKURUNZIZA n’a jamais été retrouvé.

5. Après son émission hebdomadaire diffusée sur la radio Umurisho le 22 juin 2019, la Campagne NDONDEZA a été contacté par un homme proche des services secrets burundais qui affirmaient détenir des informations sur la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA. Ce nouveau témoignage a confirmé l’enlèvement du policier par des agents du SNR conduits par « Joe Dassin »[3]. Contrairement aux témoins affirmant que l’APC Thierry NKURUNZIZA a été emmené dans une voiture Toyota TI de couleur rouge, ce nouveau témoignage a indiqué que la voiture rouge était effectivement sur les lieux et appartenait au responsable d’alors du SNR dans la zone Kinama, Abdon Gasaba alias « 10 Tonnes », mais que la victime a été plutôt emmenée dans la voiture Toyota Starlet de couleur grise immatriculée A5511H appartenant à « Joe Dassin ». Après l’enlèvement, la voiture se serait dirigée à Carama, aurait bifurqué sur la 8ème avenue de Kinama, puis sur la 14ème avenue de Kamenge et aurait continué vers le lieu abritant actuellement la présidence de la république. Selon la même source, outre « Joe Dassin » et deux autres agents du SNR, deux miliciens imbonerakure de Kinama auraient participé dans la filature et la capture de Thierry NKURUNZIZA : il s’agirait d’un prénommé Salvator et d’un certain « Mbavu ».

6. La Campagne NDONDEZA a cherché à comprendre les raisons de la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA. Selon la source proche du SNR, Thierry NKURUNZIZA était soupçonné de fournir des informations sensibles à l’opposition. La position de Kinama à laquelle il était affecté servait de lieu de transit des opposants avant leur élimination. Certains anciens manifestants contre le 3ème mandat du président NKURUNZIZA et certains militaires qui venaient de passer des jours sous torture au sein des cachots secrets du SNR auraient été transférés le jour sur la position de Kinama et la quittaient la nuit pour leur exécution par des agents du SNR. Thierry NKURUNZIZA aurait reconnu certaines victimes, notamment des anciens collègues dans les FAB, et auraient parfois échangé avec elles. Le SNR aurait craint que l’APC Thierry NKURUNZIZA puisse divulguer les secrets de la position de Kinama. D’autres sources ont dit que le policier Thierry NKURUNZIZA était soupçonné d’être en contact avec des jeunes qui avaient débuté une sorte de guérilla urbaine après la fin des manifestations pacifiques de 2015. La Campagne NDONDEZA n’a reçu aucune preuve de toutes ces allégations.

C. Efforts et calvaire de la famille dans la recherche de l’APC Thierry NKURUNZIZA.

7. La triste nouvelle de l’enlèvement de l’APC Thierry NKURUNZIZA est parvenue à la famille dans la soirée même du 11 avril 2016 et les informations reçues faisaient écho d’un emprisonnement au quartier général du SNR. La famille a contacté une personne qui pouvait y accéder, il est allé vérifier mais n’a pas trouvé Thierry NKURUNZIZA dans les geôles du SNR.

8. La famille est ensuite allée se plaindre auprès de la police, l’employeur de l’APC Thierry NKURUNZIZA pour aider à retrouver le policier disparu. Comme pour d’autres cas de disparition des policiers, la police a déclaré à la famille qu’une enquête était ouverte mais jusqu’à ce jour il n’y aucune suite.

9. Dès le lendemain de la disparition de Thierry NKURUNZIZA, un homme s’identifiant comme agent du SNR a approché une connaissance de la famille de la victime en affirmant qu’il savait où était détenu le policier NKURUNZIZA. Il promettait qu’en échange d’une somme de Huit Cent Mille Francs burundais (800.000 BIF)[4], il pouvait montrer à la famille le lieu secret où était emprisonné Thierry NKURUNZIZA. Le montant était exorbitant pour la famille d’un caporal-chef de la police, mais le plus important était de retrouver le père de famille. La famille a tout fait pour rassembler la somme exigée. Le jour de récupération de la rançon, ledit agent du SNR est venu dans un pick-up bourré de policiers en uniforme, peut-être une façon d’impressionner la famille ou bien de la dissuader de toute tentative de dénonciation ultérieure. L’homme est parti avec l’argent de cette pauvre famille, mais il n’a jamais montré le lieu de détention de Thierry NKURUNZIZA.

10. Parallèlement au premier rançonneur, un autre agent du SNR est venu dire à la famille que l’APC Thierry NKURUNZIZA était bel et bien détenu dans les enceintes du Quartier Général du SNR. Il s’est présenté comme quelqu’un de très soucieux de l’état précaire dans laquelle Thierry NKURUNZIZA était détenu et il a plaidé pour que la famille puisse lui envoyer des vêtements de rechange ainsi que du lait parce que, disait-il, la victime avait besoin de quoi manger. Ainsi, à côté des habits qu’il a pris, ledit agent s’est présenté pendant huit (8) jours pour prendre quotidiennement un bidon de cinq (5) litres de lait destiné à Thierry NKURUNZIZA.

11. Au 9ème jour, l’agent du SNR a dit à la famille que Thierry NKURUNZIZA, de même que huit (8) autres compagnons d’infortune, avait été transférés nuitamment vers un endroit inconnu dans une province de l’intérieur du pays. La famille et les amis ont alors mené des recherches dans plusieurs prisons connues comme Muramvya et autres mais n’ont pu trouver aucune trace de l’APC NKURUNZIZA. Depuis lors, la famille n’a reçu aucune autre nouvelle.

D. Le silence étrange de la police après la disparition de l’APC Thierry NKURUNZIZA

12. Depuis la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA le 11 Avril 2016, malgré une alerte lancée sur les réseaux sociaux dès le lendemain de l’enlèvement, la police burundaise n’a jamais communiqué sur ce cas et aucune action connue n’a été entreprise pour retrouver le policier, à part une déclaration vague faite à la famille « que les enquêtes allaient commencer », des enquêtes dont le résultat se fait toujours attendre plus de quatre ans après les faits. La famille de l’APC Thierry NKURUNZIZA n’a reçu aucune assistance de la part de l’employeur, elle a complètement perdu tout espoir de retrouver le père de famille.[5]

E. Prise de position et recommandations du FOCODE

  1. Le FOCODE condamne l’enlèvement suivi dela disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA ainsi que tous les crimes commis contre d’autres policiers perçus comme des opposants au régime du CNDD-FDD; 
  2. Le FOCODE demande une enquête indépendante pour sur le sort de l’APC Thierry NKURUNZIZA et sur les auteurs de sa disparition forcée ;
  3. Le FOCODE demande la traduction en justice de l’agent du SNR dit « Joe Dassin » cité dans l’enlèvement de l’APC Thierry NKURUNZIZA et une enquête globale sur tous les crimes dans lesquels ce nom a été cité ;
  4. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction de la justice burundaise et des autorités policières après la disparition forcée de l’APC Thierry NKURUNZIZA, ce qui est d’ailleurs le cas dans tous les autres cas de disparitions forcées des policiers et militaires considérés comme des opposants au régime ;
  5. Le FOCODE condamne pour la nième fois la persistance des lieux de détention secrète coordonnés par le service de la sécurité intérieure au sein du Service National de Renseignement (SNR) ;
  6. Le FOCODE condamne une fois de plus la pratique cruelle et criminelle de rançonnage des familles des victimes de disparitions forcées qui semble être coordonnée et couverte par le Service National de Renseignement ;
  7. Le FOCODE réitère enfin sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter  profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.              

[1] Ancienne dénomination de l’armée burundaise avant l’intégration des éléments provenant des anciens mouvements rebelles majoritairement hutu.

[2] APC est un grade des agents de la police nationale burundaise équivalent à celui de caporal-chef dans l’armée burundaise.

[3] « Joe Dassin » est un agent du SNR cité dans de nombreux dossiers de disparition forcée depuis 2015. Pour certaines sources, il s’appellerait Joe Dassin NKEZABAHIZI, pour d’autres ce serait plutôt Joe Dassin NDUWIMANA. Au moment de la rédaction de ce rapport, il dirige le SNR dans la commune Mutimbuzi de la province Bujumbura rural.

[4] Environ 400 dollars américains

[5] Tweet d’alerte publié par le président du FOCODE dès le lendemain de l’enlèvement de Thierry Nkurunziza