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Disparitions forcées de sept militants du parti FNL : Lucien Ntakirutimana, Sylvain Magorwa, Jean-Marie Vianney Nshimirimana, Jonas Mugara, Ferdinand Muterateka, Theogene Nsengiyumva et Jean-Berchmans Ntakarutimana

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DECLARATION DU FOCODE n° 021 /2018 

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur les cas de disparitions forcées de Messieurs Lucien NTAKIRUTIMANA, Sylvain MAGORWA, Jonas MUGARA, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA, Ferdinand MUTERATEKA, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA,     membres du parti FNL portés disparus dans le quatrième trimestre de l’an 2018 ».

BURUNDI : DISPARITIONS FORCEES DES MILITANTS DU PARTI FNL

Une fin d’année difficile pour les fidèles d’Agathon RWASA !

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur sept cas de disparitions, y compris des cas de disparitions forcées, survenues entre fin septembre et décembre 2018 et ayant touché un ancien combattant et des militants des Forces Nationales de Libération (FNL), un parti dirigé par Agathon RWASA, non reconnu par le gouvernement du Burundi bien que représenté au parlement et au gouvernement. Les victimes sont le premier sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA, sous-officier affecté à l’Etat-major général de l’armée burundaise et ancien combattant du PALIPEHUTU-FNL enlevé à Nyakabiga le 07 octobre 2018 ; deux militants du FNL disparus après leur retour d’exil à savoir l’enseignant Sylvain MAGORWA arrêté dans la zone Munzenze[1] le 30 septembre 2018 et l’étudiant Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA enlevé à Mutanga-Nord le 31 octobre 2018 ; le gestionnaire du centre de santé de Rusigabangazi Jonas MUGARA arrêté à Cendajuru le 21 octobre 2018 ainsi que deux élus locaux et un militant du FNL enlevés à Kanyosha le 16 novembre 2018 à savoir : Theogene NSENGIYUMVA, Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA et Ferdinand MUTERATEKA. Comme dans la plupart des cas de disparitions forcées, les autorités burundaises ont gardé le silence même quand les auteurs des arrestations étaient bel et bien connus. Cinq sur les sept cas de disparitions ont eu lieu dans la Mairie de Bujumbura, les deux autres ont eu lieu dans la province de Cankuzo où le niveau de répression de l’opposition a pris des proportions extrêmement inquiétantes ces derniers mois.

Ces sept cas de disparitions, y compris des cas de disparitions forcées, témoignent d’un niveau  de méfiance qui ne cesse de s’accroître entre le régime de Pierre NKURUNZIZA et le parti FNL d’Agathon RWASA, particulièrement depuis la fin du référendum constitutionnel de mai 2018. De manière surprenante en effet, la « Coalition Amizero y’Aburundi »[2] est parvenu à  mobiliser des masses contre le projet de référendum en dépit d’un contexte très répressif entretenu par le régime. Quoique représenté au parlement et au gouvernement, le FNL d’Agathon RWASA est toujours considéré comme une force d’opposition pouvant rivaliser sérieusement avec le CNDD-FDD de NKURUNZIZA dans les échéances électorales de 2020. Des signes de la méfiance entre les deux forces politiques sont légion : Le parti FNL publie régulièrement des communiqués sur des plans d’assassinats de son Président Agathon RWASA qui seraient en préparation au SNR ;  en septembre 2018, le Ministre de l’Intérieur a refusé d’agréer le nouveau  parti FNL-Amizero y’Abarundi[3] d’Agathon RWASA ; menacé d’arrestation pour tentative d’assassinat de hautes personnalités du pays et craignant pour sa vie, le président du groupe parlementaire de la Coalition Amizero y’Abarundi, Pierre-Celestin NDIKUMANA a fui le Burundi et des consultations pour la levée de son immunité parlementaire ont été lancées le 22 novembre 2018 ; des informations faisant état des arrestations arbitraires des militants du parti FNL ou leur bastonnade par des miliciens Imbonerakure sont devenues monnaie courante dans le pays.

Les militants du parti FNL d’Agathon RWASA comptent dans les deux groupes les plus ciblés dans les cas de disparitions forcées documentées par la « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », juste à côté des militants du parti MSD d’Alexis SINDUHIJE. La publication de ce dossier de sept cas de disparitions des militants et sympathisant du FNL constitue une alerte sur le risque de plus de violence contre les partisans de l’opposition burundaise en 2019. Plus le Burundi s’acheminera vers les élections de 2020, plus il risque d’y avoir des crimes graves contre des opposants, et particulièrement contre le parti FNL d’Agathon RWASA qui se présenterait en ce moment comme le principal groupe d’opposition à l’intérieur du pays.  Les catégories ciblées sont, à l’analyse des sept cas documentés, les opposants qui rentrent d’exil, les élus locaux issus de l’opposition, les mobilisateurs politiques de l’opposition ainsi que les militaires perçus comme proches de l’opposition.

Le FOCODE recommande la mobilisation des partenaires du Burundi en appuyant sérieusement la documentation de ces cas et en condamnant vigoureusement chaque fois ces crimes. La condamnation de ces crimes graves par la Cour pénale internationale (CPI) est largement attendue par les burundais et pourra freiner l’escalade vers plus d’atrocités.

A. Disparition du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA, un militaire issu des FNL

 

A.1. Identification de la victime

  1. Fils de Mathias NTAHUNA et de Germaine NSABIMANA, Lucien NTAKIRUTIMANA alias « MUTUTERE[4]» est né en 1982 à Gikoto, zone urbaine de Musaga, au sud de la ville de Bujumbura. Lucien NTAKIRUTIMANA est marié et père de sept enfants, sa famille réside toujours à Gikoto dans la zone urbaine de Musaga.
  1. Matricule 77394, Lucien NTAKIRUTIMANA est un sous-officier de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB) issu de l’ancien mouvement rebelle du Palipehutu-FNL dirigé par Agathon RWASA ; il avait intégré l’armée burundaise après l’Accord de cessez-le-feu entre le Palipehutu-FNL et le gouvernement du Burundi en décembre 2008. Portant le grade de sergent-major[5], Lucien NTAKIRUTIMANA était affecté à l’Etat-major général de la FDN au moment de sa disparition.
  1. Le Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA ne militait dans aucun parti politique. En effet, la constitution burundaise interdit aux membres des corps de défense et de sécurité d’être membre d’un parti politique ou d’une association à caractère politique, de participer à des activités ou manifestations à caractère politique. Néanmoins, plusieurs rapports de la Campagne NDONDEZA ont montré que l’affiliation politique d’origine des militaires et policiers avant leur intégration à la FDN (ancêtre de l’actuelle FDNB) est souvent prise en compte dans les critères de la répression en cours. Les militaires et les policiers continuent à être considérés par le régime NKURUNZIZA comme toujours liés ou proches des mouvements politiques auxquels ils appartenaient avant leur intégration à l’armée nationale ou à la police nationale. C’est dans ce sens qu’après les éléments des anciennes Forces Armées Burundaises (ex-FAB), les anciens combattants du Palipehutu-FNL viennent en deuxième position parmi les victimes de disparitions forcées documentées par la Campagne NDONDEZA. Bien plus, selon les différentes enquêtes menées par le FOCODE, les ex-FNL sont souvent impliqués dans des crimes les plus graves afin de prouver leur fidélité au régime en place ; ceux qui refusent ce genre de missions peuvent être assassinés ou devenir des victimes de disparitions forcées. Certains des bourreaux les plus connus du Service national de renseignement (SNR) sont des anciens combattants du Palipehutu-FNL.
  1. Le Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA n’a pas participé aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ni à la tentative de putsch du 13 mai 2015 puisqu’à l’époque il était en mission de maintien de la paix en Somalie dans le cadre de l’AMISOM.

A.2. Contexte de la disparition forcée du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA

  1. Dimanche le 07 Octobre 2018, le Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA avait une réunion d’une association d’entraide communautaire dénommée « TWIYUNGUNGANYE » dont il était membre. La réunion devait se tenir au quartier 3 de la zone urbaine de Nyakabiga, au centre de la ville de Bujumbura. Selon un membre de l’association contacté par le FOCODE, aussitôt arrivé sur le lieu de la réunion et avant même le début de ladite réunion, Lucien NTAKIRUTIMANA a reçu un appel téléphonique d’un ami qui avait besoin de le rencontrer urgemment. Lucien a indiqué qu’il allait rencontrer son ami Pascal HAKIZIMANA alias NYANGOMA et a promis de revenir dans quelques instants. Pascal HAKIZIMANA est un autre militaire issu des FNL et qui serait affecté à la Police Militaire. Selon ses proches, Pascal a utilisé le numéro téléphonique +257 79 339 745 pour appeler Lucien.
  1. Parti entre 7heures30 et 8heures pour rencontrer son « ami » Pascal HAKIZIMANA à quelques mètres à Nyakabiga, Lucien NTAKIRUTIMANA espérait revenir très rapidement pour participer à la réunion de son association ; les autres membres ont également préféré repousser le début de la réunion pour attendre son retour. Lucien NTAKIRUTIMANA n’est jamais revenu, la réunion n’a finalement pas eu lieu.
  1. Le soir, la famille a attendu en vain le retour à la maison du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA. Curieusement ses trois numéros téléphoniques (+257 79 088 570/ 61 121 983/ 69 807 117) étaient tous éteints. Inquiète, la famille a alerté les amis et les recherches ont commencé. Contacté pour donner des nouvelles de son collègue parce qu’étant la dernière personne avec qui il avait rendez-vous, le militaire Pascal HAKIZIMANA de la Police Militaire aurait répondu qu’il avait laissé Lucien NTAKIRUTIMANA avec des gens à bord d’une voiture Toyota TI qu’il ne connaissait pas.

 « Je lui ai demandé quand ils se sont quittés. Il a répondu que la dernière fois qu’il l’a vu, il était en train d’échanger avec des gens qui étaient à bord d’une voiture de marque TI. Il dit qu’il ne les a pas reconnus et qu’il n’est pas au courant de l’endroit où se trouve Lucien[6]».

  1. Dès le lendemain, la famille de Lucien NTAKIRUTIMANA a étendu sa recherche aux prisons et cachots officiels, y compris ceux du SNR. C’est alors que des menaces ont commencé à l’endroit de ceux qui s’étaient impliqués dans cette recherche. Les menaces ont été proférées par téléphone. Craignant pour leur sécurité, certains proches du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA ont pris le chemin de l’exil. La famille a stoppé ses recherches, mais les alertes ont continué à circuler sur des réseaux sociaux et à travers la radio en ligne Humura. Aucune autorité, militaire ou civile, n’a répondu à ces alertes.
  1. La Radio publique africaine (RPA) a publié un article sur les menaces qui pèsent sur la famille du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA alias « Mututere » :

« Notre source au sein de la famille du sergent Major Lucien Ntakirutimana alias Mututere, révèle que ladite famille a été intimidée par des personnes qui seraient des agents du renseignement militaire, trois jours après son enlèvement. « Mercredi, j’ai commencé à recevoir des appels téléphoniques des gens qui me demandaient où se trouvait Mututere. Je pense qu’il s’agit du renseignement militaire. Je leur ai répondu que c’est plutôt à eux de nous dire où ils l’ont emmené vu qu’il a été appelé par son collègue. Ils sont venus chez moi jeudi et vendredi, mais heureusement j’étais déjà partie. Même aujourd’hui où je vous parle, ils sont toujours à ma recherche. »

Suite aux menaces de mort qu’ils ont subi, certains membres de la famille de Mututere ont préféré quitter le pays. Ils accusent le renseignement militaire dirigé par le Colonel Ignace Sibomana d’avoir commandité l’enlèvement de Lucien Ntakirutimana sous prétexte qu’il a failli à une mission lui confiée par ses supérieurs. »[7]

A.3. Présumés auteurs de la disparition forcée du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA

  1.  La Campagne NDONDEZA s’est intéressé au mobile de la disparition forcée du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA et à ses présumés auteurs. Les proches de la victime évoquent deux noms et un mobile probable :
  • Le soldat Pascal HAKIZIMANA alias « Nyangoma » du camp Police Militaire est suspecté par les proches de la victime comme auteur de la disparition du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA. En effet, avant de partir le matin du 7 octobre 2018, la victime a clairement informé qu’il allait rencontrer « son ami » Pascal HAKIZIMANA qui venait de l’appeler au téléphone. C’est à partir de là que les siens ont perdu ses traces. Pascal HAKIZIMANA n’aurait pas alerté sur un quelconque enlèvement de son ami et n’aurait pas été inquiété par la suite alors que ceux qui s’investissaient dans les recherches étaient menacés.
  • Un collègue de la victime qui s’est confié à une des sources de la Campagne NDONDEZA sur le mobile de ce crime indique que le Colonel Ignace SIBOMANA, chef du renseignement militaire[8], serait le commanditaire de cette disparition. En effet, le Colonel Ignace SIBOMANA aurait confié au Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA une mission d’assassiner une personne dont l’identité n’a pas été révélée à notre source, une mission que Lucien NTAKIRUTIMANA aurait refusée, ce qui aurait conduit le Colonel SIBOMANA à constituer un escadron chargé de filer, d’enlever et d’exécuter Lucien NTAKIRUTIMANA. Le soldat Pascal HAKIZIMANA serait membre dudit escadron.
  1. La Campagne NDONDEZA n’est pas en mesure de confirmer ces informations, ce sont plutôt des pistes qui devraient intéresser une enquête sérieuse et indépendante.

B. Disparition forcée de Monsieur Sylvain MAGORWA, arrêté le lendemain de son retour d’exil

 

B.1. Identification de la victime

  1. Fils de Jean BUCUMI et de Thérèse NICAYENKAZI, Sylvain MAGORWA est né en 1980 à Rugusu, sur la colline Munzenze, zone Munzenze en commune Mishiha de la province Cankuzo, à l’Est du Burundi. Jusqu’à son exil en Tanzanie en 2015, Sylvain MAGORWA était enseignant à l’ECOFO[9] Gikonko située sur la colline Munzenze et résidait avec sa famille sur la même colline. Il était marié et avait deux enfants.
  1. Sylvain MAGORWA était un membre très actif du parti FNL dirigé par Agathon RWASA ; il aurait adhéré au PALIPEHUTU-FNL dans sa jeunesse depuis qu’il était encore à l’école secondaire au Lycée Muyaga. A cette époque, le PALIPEHUTU-FNL était encore un mouvement rebelle. Lors des élections de 2015, boycottées par sa famille politique, l’enseignant Sylvain MAGORWA aurait particulièrement fait objet de harcèlements et intimidations très intenses de la part de Jérôme TEGIRIJE, président du parti CNDD-FDD en commune Mishiha et des miliciens Imbonerakure, ce qui l’a poussé à fuir le Burundi avec sa famille vers le camp des réfugiés de Nduta en Tanzanie. Malheureusement, il sera arrêté à son retour au Burundi en septembre 2018 et détenu dans un lieu jusqu’ici inconnu.

B.2. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Sylvain MAGORWA

  1. L’exil au camp de réfugiés de Nduta en Tanzanie aura duré 3 ans. Fatigué par l’exil, Sylvain MAGORWA a cru la parole de Pierre NKURUNZIZA qui ne cesse d’appeler les réfugiés burundais à retourner au bercail. Au soir du samedi 29 septembre 2018, Sylvain MAGORWA est arrivé chez lui à Rugusu sur sa colline natale de Munzenze, en compagnie d’un ami dont les sources du FOCODE n’ont pas pu identifier. Sylvain MAGORWA avait choisi de venir d’abord seul pour préparer le rapatriement définitif de sa famille.
  1. La première nuit de Sylvain MAGORWA au Burundi, et probablement la dernière de sa vie, a été cauchemardesque. Toute la nuit, sa maison était cernée par une horde de miliciens Imbonerakure, déployés pour le surveiller et l’arrêter.
  1. Dans la matinée du 30 septembre 2018, Pancrace MWIHORO, un Imbonerakure de la sous-colline Rubanga, l’un des miliciens qui encerclaient la maison de Sylvain, aurait appelé Cossain NDARUGUMIYE, le chef de la zone Munzenze qui serait venu ordonner et superviser l’arrestation de Sylvain MAGORWA et de son compagnon avec qui il était venu de Tanzanie. Aux environs de 9 heures locales (GMT+2), les deux compagnons d’infortune ont été ligotés et embarqués sur deux motocyclettes convoyées par des miliciens Imbonerakure. Ils furent conduits au poste de police du chef-lieu de la commune Mishiha.
  1. Arrivés au poste de police de Mishiha, Sylvain MAGORWA et son compagnon d’infortune auraient été gravement passés à tabac par des policiers et des miliciens Imbonerakure. Cette torture physique aurait été tellement violente que les deux victimes étaient incapables de tenir débout.
  1. Après cette séance de passage à tabac, le responsable provincial du Service National de Renseignement, Bonaventure NIYONKURU, serait arrivé à la commune Mishiha pour récupérer les deux hommes. Selon des témoins, Sylvain et son compagnon étaient tellement affaiblis qu’ils étaient incapables de monter  dans le pick-up du chef provincial du SNR ; ils y auraient été jetés comme des bagages par des policiers et des miliciens. Les sources du FOCODE rapportent que le véhicule aurait par la suite pris la direction du chef-lieu de la province Cankuzo.
  1. Les proches de Sylvain MAGORWA sont arrivés à Mishiha juste après le départ de la camionnette du responsable provincial du SNR. Ils ont pu glaner des informations du calvaire vécu par Sylvain et son compagnon ainsi que de leur transfert au chef-lieu de la province Cankuzo.
  1. Lundi le 1er octobre 2018, les proches de Sylvain MAGORWA se sont rendus au chef-lieu de la province pour tenter de connaitre son sort. Ils ont parcouru tous les lieux de détention connus à Cankuzo mais qu’ils n’ont pas pu trouver les victimes. La réponse qu’ils auraient obtenue d’un groupe de policiers parmi les nombreux contacts qu’ils ont pu mener laisse peu de doute sur le sort qui aurait été réservé à Sylvain MAGORWA et son compagnon : « Des gens comme celles-là, il ne faut pas venir les chercher ici. Il faut plutôt aller à Ngozi au palais présidentiel ou à Bujumbura. Des cas pareils sont traités en flagrance et c’est là qu’on leur réserve une sentence appropriée ». Ces paroles ont plongé la famille dans le désespoir le plus total et ont mis fin aux recherches.
  1. Selon un reportage de la Radio Publique Africaine (RPA), les proches de Sylvain MAGORWA s’en remettent désormais à l’autorité du gouverneur de Cankuzo : « Nous avons cherché dans tous les cachots, que ce soit au niveau communal ou provincial, mais nous ne l’avons pas trouvé. En tant que membre de la famille, nous demandons au Gouverneur de Cankuzo de nous indiquer l’endroit où se trouve le nôtre. S’il n’est plus en vie, qu’on nous le fasse également savoir afin qu’on puisse au moins faire le deuil[10]. »
  1. Comme d’habitude, les autorités burundaises gardent le silence sur ce nième cas de disparition forcée.

B.3. Les présumés responsables de la disparition forcée de Sylvain MAGORWA.

  1. Les témoins oculaires de l’arrestation et de la torture de Sylvain MAGORWA et son compagnon sont sans équivoque quant à l’implication directe de Cossaïn NDARUGUMIYE, chef de la zone MUNZENZE, de Rénovat MIBURO, chef communal de la milice Imbonerakure du CNDD-FDD, de Anaclet HAKIZIMANA, administrateur de la commune Mishiha, de Jérôme TEGIRIJE président du parti CNDD-FDD en commune Mishiha et enfin de Bonaventure NIYONKURU, responsable provincial du SNR à Cankuzo. Ce sont ces hommes qui auraient coordonné tout le processus du crime depuis l’encerclement de la maison de Sylvain MAGORWA, son arrestation, sa torture et son transfert vers une destination jusqu’ici inconnue.
  1. Dans son Bulletin hebdomadaire « ITEKA N’IJAMBO » n°130[11], la Ligue burundaise des droits de l’homme « ITEKA » rapporte la disparition forcée de Sylvain MAGORWA ainsi que la responsabilité des autorités ci-haut mentionnées :

« L’information parvenue à la Ligue Iteka en date du 1er octobre 2018 indique qu’en date du 29 septembre 2018, vers 10 heures, Sylvain Magorwa, ancien enseignant à l’ECOFO Gikonko et membre du parti FNL aile d’Agathon Rwasa, de la sous-colline Rugusu, colline Munzenze, commune Mishiha, province Cankuzo, a été arrêté par Cossain, chef de zone Munzenze accompagné des Imbonerakure et conduit vers une destination inconnue. Selon des sources sur place, Sylvain Magorwa était de retour du camp de réfugiés de Nduta en Tanzanie où il avait pris refuge de peur d’être tué par Jérôme Tegirije, responsable communal du parti CNDD-FDD, Bizimana Anaclet, administrateur communal et Rénovat Miburo, responsable communal des Imbonerakure. Selon les mêmes sources, ses proches l’ont cherché au cachot du poste de police de la commune, au commissariat et un peu partout mais en vain. »

C. Disparition de Monsieur Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA, après son retour d’exil.

 

C.1. Identité de la victime

  1. Fils de Méthode NTIGACIKA et de Césarie NDINZURUVUGO, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA est né en 1985 à Rusangwe sur la colline Raro dans l’actuelle commune de Nyabiraba, en province de Bujumbura (dit rural). Il est connu sous plusieurs sobriquets : chez lui, on le surnomme « Rupfu » (la mort) tandis que ses collègues de l’université le surnommaient « Kabizi » (le connaisseur). Finaliste de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département d’Histoire, à l’Université du Burundi, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA n’avait pas d’emploi au moment de sa disparition le 31 octobre 2018. Il est encore célibataire et le FOCODE n’a pas d’information si la victime aurait laissé des enfants. Ses anciens camarades de l’Université du Burundi le décrivent comme un homme gentil, très attaché à la philosophie et constamment en révolte contre toute forme d’injustice. Sur son compte Facebook[12], il a plusieurs citations d’écrivains ou de philosophes qui louent le courage et la détermination dans les moments difficiles.
  1. Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA est militant très engagé du FNL dirigé par Agathon RWASA dont il aurait dirigé la branche jeunesse dans la commune Nyabiraba jusqu’en 2015. A ce titre, il a organisé et participé assidument dans les manifestations populaires contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Grâce notamment à son dynamisme, la commune de Nyabiraba est l’une des rares communes rurales qui ont organisé ce genre de manifestations de manière assidue et continue à l’instar des communes de la ville de Bujumbura. Cet engagement lui a valu d’être une cible privilégiée du SNR.
  1. En 2016, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA a connu un premier enlèvement par le SNR. Détenu secrètement pendant quelques jours, il a bénéficié de plusieurs alertes sur les réseaux sociaux et de l’intervention d’un député auprès du SNR. Son cas était à tel point inquiétant qu’un cadavre en état de décomposition et méconnaissable découvert en commune Mpanda a été présenté à un certain moment comment celui de Monsieur NSHIMIRIMANA. Mais quelques jours après, l’étudiant a été libéré avant de fuir le Burundi vers la Tanzanie. Espérant que le SNR l’avait oublié et croyant au discours appelant les réfugiés à rentrer au pays, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA est revenu au Burundi en octobre 2018 et a été enlevé à la fin du même mois.

C.2. Contexte de la disparition de Monsieur Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA

  1. L’exil tanzanien de Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA aura duré environ deux ans. Fatigué par la dureté des conditions de vie et l’insécurité dans les camps de réfugiés en Tanzanie, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA a imploré un député de la Coalition AMIZERO y’Abarundi pour qu’il l’aide à trouver son ticket retour et à se réinstaller chez lui à Nyabiraba. Le député était très réticent car la situation sécuritaire des militants du FNL d’Agathon RWASA continuait à se détériorer dans le pays, mais l’insistance du jeune homme a eu raison des réticences du député. Le député, lui-même poussé à l’exil moins d’un mois après la disparition de Monsieur NSHIMIRIMANA exprime aujourd’hui ses regrets : « je n’aurais jamais dû écouter ce jeune homme. Il voulait absolument rentrer et il insistait pour que je lui paye le ticket retour. J’ai pensé qu’il pouvait se dire que je ne veux pas l’aider ou que je ne veux pas qu’il rentre chez lui alors que j’aidais beaucoup d’autres personnes qui sont dans le besoin dans notre commune. Finalement, j’ai cédé et voilà ce que je craignais est arrivé. Cela me fait vraiment mal.»
  1. Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA est rentré deux semaines avant sa disparition le 31 octobre 2018. Le FOCODE n’a pas obtenu la date précise de son retour. Dès son retour, le jeune homme a cherché à entrer en contact avec les autorités administratives de sa commune pour signaler ce retour avant de se réinstaller sur sa colline. Entretemps, il résidait chez une parenté à Mutanga Nord en Mairie de Bujumbura.
  1. Selon un proche de la victime, Monsieur NSHIMIRIMANA est rapidement entré en contact avec l’Ingénieur Dieudonné NAHIMANA, Directeur de l’ISABU[13] et Président du Conseil communal de Nyabiraba, originaire de la même colline que la victime. Monsieur NAHIMANA aurait conseillé à la victime de limiter drastiquement ses mouvements et de rester caché dans un endroit sûr jusqu’à sa rencontre avec l’administrateur communal de Nyabiraba qui devrait le ramener sur sa colline natale. Entretemps, Monsieur NAHIMANA se serait engagé à contacter l’administrateur pour préparer sa rencontre avec la victime. Comme convenu, le contact entre la victime et l’administrateur de Nyabiraba a été convenu et leur rencontre aurait été fixée au 1er novembre 2018. Curieusement, Jean-Marie Vianney sera enlevé le 31 octobre 2018, soit la veille de sa rencontre avec l’administrateur communal de Nyabiraba.
  1. Le 31 octobre 2018, autour de 10 heures du matin, Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA s’est rendu à une petite boutique sur l’avenue Nyarugongo à Mutanga Nord pour faire quelques achats. Il ne savait pas que ses mouvements étaient surveillés. Aussitôt arrivé à la boutique, il a été arrêté par des hommes en tenue de la police nationale à bord d’une voiture Toyota TI aux vitres teintées, un mode opératoire souvent utilisé par le SNR dans le kidnapping des opposants. Jean-Marie Vianney a été conduit à une destination jusqu’ici inconnue.
  1. Très peu de gens, même dans sa famille, savaient que Jean-Marie Vianney était de retour au Burundi. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas eu d’alerte après son enlèvement. Un proche de la victime aurait contacté l’Ingénieur Dieudonné NAHIMANA, président du Conseil communal de Nyabiraba, pour l’informer de cette disparition. Monsieur NAHIMANA, en colère, aurait répondu : «  ne me parlez plus de cet homme !» Les proches de la victime s’interrogent toujours sur la signification de cette colère du président du Conseil communal. Etait-ce pour dire : «  j’ai conseillé au jeune homme de se cacher, il ne m’a pas écouté et voilà ce qui est arrivé » ou bien « ne parlez pas de ce cas qui risque de me causer des ennuis à moi aussi » ou enfin « je m’en moque de sa disparition, c’est le châtiment qu’il méritait » ? De toutes les façons, en conseillant à la victime de se cacher, l’Ingénieur NAHIMANA connaissait les risques qui pesaient sur Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA ou même ceux qui seraient intéressés par sa mort ; il reste une source intéressante en cas d’une enquête sérieuse et indépendante sur ce cette disparition.

D. Disparition de Monsieur Jonas MUGARA

D.1. Identité de la victime

  1. Jonas MUGARA est né en 1982 dans la zone Camazi de la commune Gisagara en province Cankuzo, à l’Est du Burundi. Marié et père de deux enfants, Jonas MUGARA est fonctionnaire et exerce un commerce à titre subsidiare. Jusqu’au jour de sa disparition, il était gestionnaire du centre de santé de Rusigabangazi dans le district sanitaire[14] de Murore en province Cankuzo. En même temps, Jonas MUGARA entretenait un petit commerce. Il a été arrêté le 21 octobre 2018 à Cendajuru alors qu’il venait du chef-lieu de la province Cankuzo et ramenait quelques articles à vendre dans sa boutique.
  1. Sur le plan politique, Jonas MUGARA est un militant très engagé du parti FNL dirigé par Agathon RWASA. Jusqu’au moment de sa disparition forcée, Jonas était le responsable de ce parti dans la commune de Gisagara en province de Cankuzo. En raison de son engagement politique et de cette position au sein des FNL, Jonas MUGARA était suivi à la loupe par le SNR et se savait en danger. Il aurait subi beaucoup de menaces et toutes sortes de tracasseries administratives avant son arrestation le 21 octobre 2018 et sa détention dans un lieu jusqu’ici inconnu. A titre illustratif, en 2017, Jonas MUGARA aurait vu toutes ses marchandises ainsi qu’une somme de dix millions de francs burundais saisies par l’administrateur communal de Gisagara pour le seul prétexte qu’il avait obtenu le droit de vendre du sucre sans passer par les responsables du parti CNDD-FDD dans cette commune[15].

D.2. Circonstances de la disparition de Monsieur  Jonas MUGARA

  1. Le 21 octobre 2018, un jour férié au Burundi[16], Jonas MUGARA s’est rendu au chef-lieu de la province Cankuzo pour s’approvisionner en articles pour sa boutique sise à Gisagara. Il est parti sur sa moto conduite par son chauffeur, Innocent Gasase. Jonas aurait constaté une certaine filature des agents du SNR alors qu’il était encore au chef-lieu de Cankuzo. C’est alors que lui serait venue l’idée de dévier son retour en passant par la commune CENDAJURU au lieu d’emprunter une voie directe vers Gisagara.
  1. Comme s’il était plutôt attendu, Jonas MUGARA et son chauffeur ont été arrêtés par des miliciens Imbonerakure dès son arrivée à Cendajuru, en présence de l’administrateur communal de Cendajuru, Béatrice NIBARUTA[17], selon une source de la société civile à Cankuzo. Les deux compagnons d’infortune auraient subi une séance de passage à tabac par Madame Béatrice NIBARUTA, puis par des miliciens et des policiers, avant d’être détenus au cachot de la commune Cendajuru.
  1. Appelé par l’administrateur NIBARUTA, le responsable provincial du SNR à Cankuzo, Bonaventure NIYONKURU, serait  rapidement venu récupérer les deux détenus. Au moment de leur livraison, Madame NIBARUTA aurait dit à Monsieur NIYONKURU : « uyo MUGARA Jonas  yama yafashwe  agatoroka ; mukuru, mutamugiriyeko, aratoroka ». Ce qui signifie littéralement : « Ce MUGARA Jonas  est habitué à s’évader  après être attrapé ; Chef, si vous ne l’achevez pas vite, il va encore s’évader ».  Monsieur NIYONKURU aurait rétorqué : « ko narinze ndamufata vyaheze », ce qui signifie « comme je l’ai capturé, c’est la fin de ses jours». Ces propos sont rapportés par une source de la société civile à Cankuzo.
  1. Jonas MUGARA et son chauffeur auraient été conduits par la suite, à bord du pick-up de Bonaventure NIYONKURU, à la résidence du responsable provincial du SNR à Cankuzo[18]. Selon une source à Cankuzo, Bonaventure NIYONKURU aurait exigé une somme de trois millions de francs burundais (BIF 3.000.000[19]) pour libérer Jonas MUGARA et son chauffeur. Jonas aurait été autorisé à contacter des proches par téléphone et aurait trouvé rapidement un collègue qui accepta de payer dans l’urgence. La Campagne NDONDEZA ne peut pas publier tous les détails sur les péripéties ayant conduit jusqu’au payement des trois millions, au risque de mettre en danger un certain nombre de personnes.
  1. Après le payement des trois millions de francs burundais, Bonaventure NIYONKURU n’aurait pas tenu sa parole de libérer Jonas MUGARA et son chauffeur. Feignant le transfert des deux détenus au commissariat provincial de la police, le chef du SNR en province Cankuzo les aurait de nouveau transportés à bord de son pick-up. Loin de se rendre au commissariat, il aurait pris le chemin vers le Parc national de la Ruvubu. Le chauffeur Innocent GASASE aurait pu s’évader à l’arrivée au parc de Ruvubu. Jonas MUGARA n’a jamais pu être retrouvé, certaines sources à Cankuzo sont convaincues que ce responsable du parti FNL a été assassiné dans le parc de Ruvubu. Mais il n’existe aucune preuve de cette conviction. Seule une enquête sérieuse et indépendante peut déterminer le sort réservé à Jonas MUGARA par le patron du SNR en province Cankuzo.
  1. Désespérés, certains membres de la famille de Jonas MUGARA, dont sa femme et ses enfants, ont pris le chemin d’exil.

E. Disparition de Messieurs Ferdinand MUTERATEKA, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA.

  

E.1. Identification des trois victimes

  1. Fils de Sylvère SIBIGANGO et de Capitoline NIJENAHAGERA, Ferdinand MUTERATEKA est né le 24 mai 1987 en commune Mugamba de la province Bururi, au Sud du Burundi. Lauréat de l’ETS Kamenge, Section électromécanique (niveau A2), Ferdinand MUTERATEKA avait terminé ses études en 2015 et n’avait pas d’emploi au moment de sa disparition. Célibataire, Ferdinand a sa résidence à Kinanira II 6ème avenue n°2, dans la commune urbaine de Muha, au Sud de la ville de Bujumbura.
  1. Theogene NSENGIYUMVA est né en 1982 à Nyamutenderi en commune de Kanyosha dans la province de Bujumbura (dit rural). Après ses études primaires à l’EP Kamesa et secondaires au Lycée municipal de Musaga, il a fréquenté l’Université du Lac Tanganyika où il a obtenu une licence en sciences politiques en 2014. En 2015, Theogene NSENGIYUMVA a été élu comme membre du Conseil communal de Muha en mairie de Bujumbura sur la liste de la « Coalition Amizero y’Abarundi »[20] dirigée par Agathon RWASA. Theogene a sa résidence dans la zone urbaine de Musaga, au sud de la ville de Bujumbura.
  1. Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA est un autre élu local, membre du Conseil collinaire de Musama dans la zone urbaine de Kanyosha. La Campagne NDONDEZA cherche encore les autres éléments de son identification.
  1. Au niveau politique, Ferdinand MUTERATEKA, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA sont tous des militants très engagés du parti FNL dirigé par Agathon RWASA. Ils ont tous participé activement aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015 à Musaga et à Kanyosha. Ferdinand MUTERATEKA est un mobilisateur politique du FNL tandis que Théogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKIRUTIMANA sont des élus locaux, l’un au conseil communal de Muha et l’autre au Conseil collinaire de Musama. Les trois victimes, à l’instar de plusieurs autres militants du parti FNL-Rwasa, vivaient sous diverses formes de menaces et de pressions ; Theogene venait de passer une année en prison avant sa disparition forcée.

E.2. Circonstances de la disparition des trois victimes

  1. Ferdinand MUTERATEKA a quitté sa résidence à Kinanira II le vendredi 16 novembre 2018 à 17 heures selon ses proches. Il s’est alors rendu à Kanyosha où il avait rendez-vous avec ses deux compagnons de lutte politique, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA. Jusqu’à 19h30 ils ont partagé un verre devant une boutique en container sise à la 12ème avenue de la zone urbaine de Kanyosha, tout près du bistrot communément appelé « Chez Musitanteri ».
  1. Peu après 19h30, deux voitures TOYOTA TI aux vitres teintées ont surgi et avaient à leur bord des personnes en tenue de la police nationale et en tenue civile. Ces personnes n’ont pas été identifiées et leur nombre n’a pas été communiqué au FOCODE. En un laps de temps, ils ont brutalement saisi et jeté Ferdinand, Theogene et Jean-Berchamans dans leurs voitures avant de s’enfuir à toute allure vers une destination jusqu’ici inconnue. Ce mode opératoire est particulièrement utilisé dans les kidnappings du SNR.
  1. Dès le lendemain, les familles des victimes ont cherché les leurs dans les différents cachots officiels de Bujumbura, mais sans succès. Les familles ont également saisi les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ) œuvrant à Kanyosha et Musaga, mais les OPJ seraient restés inactifs sur ces dossiers.
  1. Les proches des victimes ont pu obtenir les relevés téléphoniques des trois victimes. Ils auraient constaté un seul numéro qui avait contacté plusieurs fois les trois victimes dans la journée de leur disparition. Ce numéro appartiendrait à un agent du SNR plus connu sous le sobriquet de «MUJOSI ». Un proche des victimes aurait appelé le numéro et Mujosi aurait avoué qu’il avait des informations sur la disparition des trois victimes. Les proches de Ferdinand MUTERATEKA assurent les relevés de son téléphone montrent que le téléphone a été éteint sur la route Bujumbura-Cibitoke peu après son enlèvement.
  2. Dans leur recherche des leurs, les proches des victimes ont recruté un avocat proche du régime NKURUNZIZA, Maître Jean-Marie NDUWIMANA[21], et ont saisi le parquet de la république à Muha le 20 novembre 2018. Après une réunion avec les deux OPJ de Kanyosha et Musaga, le procureur de Muha aurait ordonné l’arrestation du surnommé « Mujosi ». visiblement soutenue par une main forte invisible, Mujosi n’a pas été inquiété et reste libre de ses mouvements. Les proches des victimes se plaignent enfin que leur avocat se serait muré dans le silence après une longue rencontre d’explication entre l’avocat et l’administrateur communal de Muha. Ils pensent que l’administrateur connaitrait le mobile de la disparition des trois militants du parti FNL dont deux élus locaux.
  1. Comme dans la majorité des cas de disparitions, y compris des disparitions forcées, les autorités burundaises ont gardé le silence après la disparition de Ferdinand MUTERATEKA, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA. La commune urbaine de Muha, la Mairie de Bujumbura et le Ministère de l’Intérieur n’ont pas réagi à la disparition des deux élus locaux de la commune Muha. La Campagne NDONDEZA avait déjà documenté un cas de disparition forcée d’un élu local, celle de Nestor NDAYIZEYE en octobre 2015, et les autorités burundaises avaient affiché le même silence.

E.3. Une volonté de casser la présence du parti FNL dans les structures de la Commune Muha

  1. Selon les informations fournies par le groupe de communication en ligne « AGAKEMANYI », plusieurs élus locaux membres du parti FNL dirigé par Agathon RWASA ont été limogés ou emprisonnés sous de fausses accusations dans les mois et semaines précédant la disparition de Ferdinand MUTERATEKA, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Berchmans NTAKARUTIMANA. A titre illustratif, l’élu communal Theogene NSENGIYUMVA avait été arrêté en 2017 et a disparu en novembre 2018 deux mois seulement après sa libération. Tous les chefs de quartiers issus du FNL dans la commune Muha auraient été limogés : celui de Kinanira serait en exil après un moment d’emprisonnement, celui de Musama serait présentement en détention à la prison de Rutana, celui de Ruziba aurait été limogé en octobre 2018.
  1. L’objectif de ces limogeages serait d’écarter des structures communales tous les élus issus du parti FNL d’Agathon RWASA avant les élections de 2020. En dépit du boycott des élections de 2015, la Coalition AMIZERO dirigée par Agathon RWASA avait obtenu un nombre de sièges assez important dans les structures locales au Sud de la ville de Bujumbura. La volonté du régime serait donc de casser l’influence de ce parti dans cette partie de la ville avant les échéances de 2020. Dans un premier temps, la démarche avait consisté à menacer, emprisonner ou limoger des élus locaux. La tendance serait plus inquiétante avec la pratique des disparitions forcées.
  1. Le FOCODE souhaite encore une fois une enquête sérieuse et indépendante sur toutes ces allégations afin d’arrêter une spirale qui risque d’être extrêmement tragique.

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée du Sergent-major Lucien NTAKIRUTIMANA alias « Mututere », sous-officier affecté à l’Etat-major général de l’armée burundaise et ancien combattant du Palipehutu-FNL, introuvable depuis le 07 octobre 2018 ainsi que le silence des autorités de l’armée burundaise après cette disparition ;
  2. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Messieurs Sylvain MAGORWA et Jonas MUGARA, deux militants du parti FNL en province CANKUZO, introuvables depuis leur arrestation par le responsable provincial du SNR, Bonaventure NIYONKURU, respectivement en date du 30 septembre 2018 à Munzenze et du 21 octobre 2018 à Cendajuru ;
  3. Le FOCODE condamne la disparition de l’étudiant mémorand Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA, militant du parti FNL enlevé à Mutanga Nord le 31 octobre 2018, deux semaines seulement après son retour d’exil ainsi que le silence des autorités communales de Nyabiraba pourtant bien informées de la situation sécuritaire de la victime ;
  4. Le FOCODE condamne la disparition de Messieurs Ferdinand MUTERATEKA, mobilisateur politique du parti FNL, Theogene NSENGIYUMVA et Jean-Marie Vianney NTAKARUTIMANA, deux élus locaux issus du FNL, introuvables depuis leur enlèvement à Kanyosha le 16 novembre 2018 ainsi que le silence de l’Administrateur communal de Muha, du maire de la ville de Bujumbura et du Ministre de l’Intérieur dans un cas de disparition des élus relevant   de leurs entités respectives ;
  5. Le FOCODE condamne les disparitions, y compris forcées, des rapatriés volontaires issus de l’opposition répondant favorablement aux discours de Pierre NKURUNZIZA appelant au retour des réfugiés burundais, comme dans le cas des deux militants du parti FNL Sylvain MAGORWA et Jean-Marie Vianney NSHIMIRIMANA ;
  6. Le FOCODE condamne la persistance des lieux de détention secrets, notamment dans les résidences des responsables provinciaux du SNR, une réalité qui facilite les disparitions forcées ;
  7. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur tous les cas de disparitions, y compris forcées, soulevées dans cette déclaration ;
  8. Le FOCODE demande une enquête indépendante et globale sur tous les crimes dont le responsable du SNR en province Cankuzo, Bonaventure NIYONKURU, serait l’auteur à Cankuzo tout comme ailleurs dans le pays ;
  9. Le FOCODE sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés ;
  10. Le FOCODE appelle les partenaires du Burundi à hausser le ton sur ce regain de violences contre l’opposition politique au Burundi, une situation qui risque de s’aggraver en 2019 et 2020.

[1] La zone Munzenze se trouve dans la commune Mishiha de la province Cankuzo, à l’Est du Burundi.

[2] Initiée en 2015, la Colaition AMIZERO y’Uburundi rassemble le FNL d’Agathon Rwasa et l’UPRONA non gouvernemental alors dirigé par CHARLES Nditije

[3] Le nouveau parti FNL d’Agathon RWASA se nomme « Front National pour la Liberté-Amizero y’Abarundi », le ministre a refusé son agrément en arguant que les symboles du parti ressemblaient à ceux d’un autre parti déjà agréé ; M. Agathon RWASA a déposé un recours le 12 novembre 2018 et attend une nouvelle réponse du ministre

[4] « Mututere » ou « Mu-tout-terrain » signifie « homme de tout terrain ».

[5] Officiellement, le grade de sergent-major n’existe pas dans l’armée burundaise. La dénomination légale du grade est « premier sergent-major » (1SM en abrégé), mais depuis quelques années le langage courant de l’armée burundaise adopte la dénomination « sergent-major ».

[6]https://rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/droits-de-l-homme/item/5513-un-militaire-burundais-ancien-membre-du-fnl-porte-disparu-depuis-plus-de-10-jours?auid=2391

[7] https://www.rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/droits-de-l-homme/item/5524-la-famille-du-sergent-lucien-ntakirutimana-menacee-par-les-renseignements-militaires

[8] G-2 à l’Etat-Major Général de la FDNB, Ignace SIBOMANA est cité dans plusieurs dossiers de disparitions et d’assassinats de militaires.

[9] ECOFO : Ecole Fondamentale

[10] https://rpa.bi/index.php/component/k2/item/5469-un-habitant-de-cankuzo-enleve-24-heures-seulement-apres-s-etre-rapatrie

[11] http://ligue-iteka.bi/wp-content/uploads/2018/10/Bulletin-ITEKA-N-IJAMBO-130.pdf

[12] https://web.facebook.com/nshimirimana.jeanmarievianney

[13] Institut agricole du Burundi

[14] Au Burundi, un district sanitaire assure la supervision de toutes les structures de soins (centres de santé et hôpitaux) dans deux ou trois communes administratives du pays

[15] Cette information a passé dans l’édition Humura de la RPA du 25 octobre 2018.

[16] Les 21 octobre, le Burundi commémore l’assassinat du Président Melchior Ndadaye en 1993

[17] Ceci n’est pas une première pour Madame NIBARUTA. En février 2018, elle aurait déjà gravement frappé Simon Bizimana, un habitant  de sa commune qui refusait de se faire enrôler au référendum constitutionnel et qui a succombé un mois plus tard.

[18] Plusieurs sources évoquent l’existence d’un cachot à la résidence du chef du SNR à Cankuzo

[19] Environ 1200 dollars américains

[20] Il importe de rappeler ici que la Coalition s’est retirée de la course électorale après avoir déposé les listes de ses candidats. En dépit de sa déclaration de retrait, la CENI présenté les listes de cette Coalition et cette dernière a obtenu des sièges dans les conseils communaux et au parlement.

[21] Maitre Jean-Marie NDUWIMANA est président de PISC-Burundi, une coalition d’organisations proches du CNDD-FDD