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RUSIZI ou l’Abattoir des Humains.

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur les cas de disparitions forcées, les assassinats et les autres crimes graves commis sur les bords de la rivière Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda en province de Cibitoke ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur plusieurs cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves, y compris des assassinats, commis depuis janvier 2020 par des miliciens Imbonerakure, des policiers et des agents des services de renseignement chargés de surveiller les mouvements de personnes sur la Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda en province de Cibitoke.  Plusieurs dizaines de cadavres humains non identifiés ont été retrouvés dans la rivière Rusizi et à ses bords sur la même période comme le témoignent notamment plusieurs articles du journal en ligne SOS Media Burundi[1]. La rivière Rusizi constitue, dans les communes précitées, une frontière naturelle entre le Burundi et la République Démocratique du Congo (RDC) et se trouve sous une surveillance particulière des autorités burundaises craignant qu’elle soit utilisée par des groupes rebelles installés en RDC pour traverser vers le Burundi. A cet effet, des éléments de l’armée, de la police, du service national de renseignement et de nombreux miliciens Imbonerakure sont déployés sur les bords de la Rusizi. La fermeture de la frontière burundo-congolaise en raison de la pandémie du COVID-19 a créé une nouvelle donne : incapables de passer par les postes frontaliers officiels, plusieurs personnes payent des passeurs qui les font traverser la Rusizi pour se rendre au Burundi ou en RDC. Du côté du Burundi, des miliciens Imbonerakure décident arbitrairement qui ils laissent passer, qui ils arrêtent et remettent au SNR et parfois qui ils tuent notamment pour voler ses biens précieux. Des informations confidentielles font également état de personnes arrêtées dans d’autres localités du pays et qui se feraient exécuter sur les bords de la Rusizi ou bien des personnes tuées ailleurs et dont les cadavres seraient souvent jetés dans la Rusizi ainsi que dans ses environs.

Cette déclaration détaille :

  • Sept cas pouvant constituer des cas de disparitions forcées liés au phénomène de la traversée de la Rusizi : Isaie NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI arrêtés en commune Buganda le 18 janvier 2020, Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NAHAYO qui auraient été arrêtés en commune  Rugombo le 04 octobre 2020, Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANGABIYE arrêtés en commune Rugombo le  novembre 2020 ;
  • Cinq cas de disparitions signalés par les familles des victimes comme ayant eu lieu au bord de la Rusizi : Japhet NAHAYO en mai 2021 en commune Buganda, Janvier HAKIZIMANA et Joseph NSENGIYUMVA en mai 2021 en commune Rugombo,  Bernard MANDERA en septembre 2020 en commune Rugombo et Egide NIYONKURU en juin 2020 en commune Rugombo ;
  • deux cas d’assassinats survenus au bord de la Rusizi : celui du béninois Pasteur Franck YANDOKA dont le cadavre a été trouvé en commune Buganda en avril 2021 et celui du congolais Onesphore RUHIMBYA dont le cadavre a été découvert en commune Rugombo en mai 2021.

La déclaration rappelle plusieurs articles du journal SOS Media Burundi portant sur plus de 70 corps humains découverts au bord de la Rusizi dans les mêmes communes et enterrés sans aucune identification sur ordre de l’administration. Elle termine par une expérience positive de deux alertes des medias qui ont sauvé des vies des personnes arrêtées après ou avant la traversée de la Rusizi. La déclaration est clôturée par la prise de position du FOCODE sur toutes ces questions.

Comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées documentés par la « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », les crimes évoqués dans cette déclaration n’ont pas fait objet d’une véritable enquête de la part des autorités burundaises. Alors qu’une bonne partie de ces crimes ont été commis en 2020, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) a mentionné dans son rapport annuel de 2020 qu’elle n’avait eu connaissance d’aucun cas de disparition forcée en 2020 et n’a accordé aucune attention particulière aux crimes graves qui sont régulièrement commis au bord de la rivière Rusizi. Ceci démontre à quel point le Burundi a besoin du maintien d’un mécanisme indépendant et crédible de documentation des violations de droits de l’homme à l’instar de la Commission d’Enquête sur le Burundi (COIBurundi).

Les situations décrites dans cette déclaration démontrent enfin l’écart entre les promesses du Président Evariste NDAYISHIMIYE et la réalité sur terrain. Une année après sa prise du pouvoir, les violations graves de droits humains continuent dans la toute impunité de leurs auteurs. L’espoir des familles des victimes reste tourné vers la Cour Pénale Internationale (CPI) pour un début de reddition des comptes des auteurs des crimes graves.

I. DU PHENOMENE DES CADAVRES HUMAINS AU BORD DE LA RUSIZI

Depuis le début de la crise de 2015, des cadavres humains ont été signalés à plusieurs reprises dans la rivière Rusizi et sur les bords de la Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda en province de Cibitoke, au nord-ouest du Burundi. De manière quasi-systématique, les corps ont été rapidement enterrés, généralement non loin de l’endroit où ils étaient trouvés, sans aucune tentative d’identification des victimes. L’ordre d’enterrement est souvent donné aux miliciens Imbonerakure par les administrateurs communaux ou les chefs des zones, le reste de la population est souvent empêché d’approcher les lieux où les corps sont trouvés comme si les autorités administratives ont intérêt que les victimes ne soient pas reconnues. Il est quasiment impossible de connaître le nombre exact des victimes de ce phénomène. Au niveau du FOCODE, nous avons tenu à consulter les articles publiés par le journal SOS Media Burundi entre juin 2019 et juin 2021. Voici le résultat :

Date de l’incidentType d’incidentNombre de cadavresCommuneLien de l’article
04 juillet 2021Deux corps ont été découverts (pendus sur un arbre) sur la colline de Kaburantwa dans la commune de Buganda.   Un troisième corps, le seul à avoir été identifié, a été aperçu sur la colline de Samwe dans la commune de Rugombo. Les circonstances dans lesquelles les victimes sont mortes restent inconnues.3Buganda Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2021/07/04/cibitoke-décembre ouverte-de-trois-corps/
03 juin 2021Un corps d’un homme a été découvert par des bergers en milieu d’après-midi. La découverte macabre a eu lieu au pied de la transversale 5 de la commune de Buganda, non loin des rives de la rivière Rusizi. La victime, les auteurs et le mobile du meurtre n’ont pas été identifiés. Son corps présentait une grande blessure au niveau de la tête.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/06/04/buganda-décembre ouverte-dun-cadavre/
22 mai 2021Un corps d’un homme en décomposition a été découvert par des pêcheurs à la transversale 4 de la colline de Nyamitanga. La victime, les auteurs et le mobile du meurtre restent jusqu’ici inconnus. Une corde était attachée au cou du cadavre qui présentait plusieurs blessures, ce qui laisse à penser que la victime a été égorgée à l’aide d’une corde. Alertés, des militaires et l’administrateur communal sont allés faire le constat avant d’ordonner son inhumation.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/05/23/buganda-décembre ouverte-macabre/
14 mai 2021Le corps d’Onesphore, un Congolais de la communauté des Banyamulenge, a été découvert dans l’après-midi. Il a été retrouvé au pied de la colline de Mparambo 1, en commune de Rugombo. Les auteurs du crime n’ont pas été identifiés mais un élu local soupçonne des jeunes Imbonerakure.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2021/05/15/rugombo-décembre ouverte-dun-corps-dun-congolais/
27 avril 2021Franck YANDOKA, pasteur d’église originaire du Bénin, a été retrouvé mort au bord de la rivière Rusizi en commune de Buganda. Sa famille accuse des jeunes Imbonerakure du CNDD-FDD d’être auteurs du meurtre.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/04/28/buganda-un-beninois-tue/
11 avril 2021Trois corps découverts au pied de la colline Gasenyi, Transversale 4. Des corps nus et ligotés, rapidement enterrés sur ordre de l’administrateur communal.3Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/04/12/cibitoke-trois-corps-décembre ouverts-a-buganda/
20 mars 2021Découverte d’un corps à Buganda. Des habitants qui revenaient des champs ont découvert un corps sur la sous-colline de Ruhembe de la transversale 6 de la colline de Kaburantwa en commune de Buganda. L’administration à la base a ordonné l’inhumation immédiate du corps qui n’a pas été identifié.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/04/12/cibitoke-trois-corps-décembre ouverts-a-buganda/
13 mars 2021Un corps en décomposition a été découvert au bord de la rivière Rusizi. C’est à la transversale 8, au pied de la colline de Cibitoke dans la commune de Rugombo. La victime et le mobile de sa mort n’ont pas été identifiés. Il a été inhumé dans la précipitation sur ordre de l’administrateur communal.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2021/03/13/rugombo-décembre ouverte-macabre-2/
12 février. 2021Elisha Ngomirakiza a tué et noyé dans la Rusizi à Kaburantwa en commune Buganda alors qu’il voulait se rendre en RDC à la recherche du travail. Dépouillé de tous ses biens.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/02/13/buganda-la-police-recherche-un-jeune-imbonerakure-qui-a-noye-un-habitant-dans-la-rusizi/
02 janvier 2021Deux cadavres (d’un homme et d’une femme) ont été découverts en début de soirée par des habitants à la 4ème transversale, au pied de la colline de Nyamitanga. C’est en zone de Ndava, dans la commune de Buganda. Les victimes n’ont pas été identifiées. Les circonstances dans lesquelles elles ont été tuées restent floues. Elles ont été enterrées dans la précipitation sur ordre du chef de la zone Ndava.2Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2021/01/03/buganda-décembre ouverte-de-deux-corps/  
30 décembre  2020Découverte d’un corps d’une femme dans un champ à Buganda. Ce sont des cultivateurs qui l’ont découvert. Ils disent avoir aperçu le corps d’une femme à moins d’une cinquantaine de mètres de la rivière Rusizi sur la septième transversale de la colline de Kaburantwa dans la commune de Buganda. Elle était toute nue et ligotée. Depuis le début de ce mois de décembre, huit corps ont été retrouvés dans les communes de Buganda et Rugombo. Aucune enquête n’a été entreprise pour déterminer les victimes et les auteurs des meurtres.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/12/30/cibitoke-décembre ouverte-dun-corps-dune-femme-dans-un-champ-a-buganda/  
27 décembre  2020Un corps d’un homme a été découvert à Rugombo. Il a été aperçu à la sixième transversale de la colline de Kagazi en commune de Rugombo par des bergers au bord de la rivière Rusizi. Les riverains soupçonnent que l’homme a été assassiné par des policiers et des Imbonerakure de la localité. Il gisait dans une mare de sang et était ligoté.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2020/12/27/cibitoke-un-corps-dun-homme-décembre ouvert-a-rugombo/  
20 novembre 2020Un corps d’un homme découvert sur la neuvième transversale, colline de Rusiga dans la commune de Rugombo. Ce sont des habitants qui l’ont vu. Le corps a été découvert à moins de 3 kilomètres du chef-lieu de la province de Cibitoke.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2020/11/20/rugombo-un-corps-dun-homme-décembre ouvert/
13 novembre 2020Un corps en décomposition a été aperçu par des pêcheurs non loin de la rivière Rusizi, à la 7ème transversale, au pied de la colline de Kaburantwa. Il présentait des blessures comme si l’individu avait été tué poignardé. La police et l’administration locale ont ordonné que le cadavre soit enterré sans qu’il y ait une enquête. 1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/11/14/burundi-buganda-décembre ouverte-dun-corps-en-décembre omposition/
02 novembre 2020Deux corps d’un homme et d’une femme ont été découverts par des passants au bord de la rivière Rusizi. C’est à la 6ème transversale, au pied de la colline de Kagazi, en zone de Cibitoke dans la commune de Rugombo. Les victimes n’ont pas été identifiées. L’administration locale qui été alertée a immédiatement ordonné que les deux corps soient enterrés.2Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2020/11/02/rugombo-décembre ouverte-de-deux-corps/
Octobre 2020Au moins 16 cadavres trouvés dans la Rusizi, dont 6 corps pour la seule date du 17 octobre 2020. La population a l’ordre de repousser rapidement les corps dans la rivière pour qu’ils ne soient pas vus. Ceux qui sont trouvés sont rapidement enterrés.16Rugombo Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/10/20/cibitoke-plus-15-corps-décembre ouverts-a-la-riviere-rusizi-en-moins-dun-mois/
15 octobre 2020Un corps d’un homme non identifié a été trouvé au pied de la colline Mparambo 2. Il a été enterré à 50 m de la Rusizi. La population a demandé qu’il soit mis à la morgue pour identification, mais en vain.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2020/10/16/cibitoke-décembre ouverte-dun-corps-au-bord-de-la-riviere-rusizi/
07 octobre 2020Deux corps (des hommes) découverts sur la colline et zone Gasenyi, en commune Buganda, à 200 m de la Rusizi. Les victimes et les circonstances de leur mort restent inconnues. L’administration locale a ordonné que les deux corps soient enterrés dans la précipitation.2Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/10/08/buganda-décembre ouverte-de-deux-cadavres/
11 avril 2020Deux corps en décomposition ont été découverts au niveau de la deuxième transversale sur la colline de Ndava. L’administration a ordonné leur inhumation. Les deux corps (des hommes) étaient attachés et enveloppés dans des moustiquaires.  2Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/04/12/décembre ouverte-de-deux-cadavres-a-buganda-cibitoke-burundi/
21 mars 2020Un corps sans vie d’un homme en tenue militaire de l’armée burundaise a été découvert par des pêcheurs en bas de la colline de Nyamitanga dans la commune de Buganda. Le cadavre a vite été évacué par un véhicule de l’armée affecté aux patrouilles dans la localité. Le cadavre était couvert de sang, l’armée a interdit de dire que le cadavre portait l’uniforme militaire et l’a rapidement évacué pour ne pas être identifié.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2020/03/22/décembre ouverte-macabre-au-bord-de-la-riviere-rusizi-a-nyamitanga/
Février-mars 2020Au moins six cadavres ont été découverts sur les bords de la rivière Rusizi en deux mois.5BugandaIdem
15 décembre  2019Trois corps en décomposition ont été découverts par des habitants hier dans l’après-midi au bord de la Rusizi, à la transversale 3, dans la zone de Gasenyi, en commune de Buganda. Les corps portaient des blessures. Des habitants ont été sommés de les enterrer immédiatement.3Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2019/12/15/burundi-cibitoke-rusizi-securite-trois-corps-retrouves-au-bord-de-la-riviere-rusizi/
2 novembre 2019Cinq corps sans vie ont été repêchés dans la nuit de samedi 2 novembre à dimanche 3 novembre dans la rivière Rusizi. Ils ont été aperçus en bas de la colline de Rusiga en  commune de Rugombo, vers 20h. Les corps étaient ligotés et étaient couverts de sangs. La population a été appelée à les enterrer rapidement. Elle avait vu la veille des corps allongés dans deux camionnettes de l’armée.5Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2019/11/03/cibitoke-des-corps-sans-vie-retrouves-dans-la-riviere-rusizi/
Octobre-novembre 2019En moins de deux mois, au moins 13 corps sans vie ont été découverts dans la rivière Rusizi.8RugomboIdem
17 octobre 2019Quatre corps ligotés ont été aperçus par des pêcheurs dans l’après-midi sur la rivière Rusizi, en bas de la colline Nyamitanga. Tous des hommes, les victimes étaient ligotées. Rapidement enterrés sans identification.4Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2019/10/17/nyamitanga-cibitoke-nord-ouest-du-pays-décembre ouverte-de-quatre-corps-flottant-sur-la-riviere-rusizi/
16 sept 2019Un corps en décomposition a été identifié. Il s’agit d’un Imbonerakure du nom de Joseph Ndikuriyo trouvé à la rivière Rusizi sur la transversale 12 de la colline Rusiga. Joseph Ndikuriyo était chef des Imbonerakure sur la colline Kagazi, en commune de Rugombo. Il aurait été tué par ses pairs lors d’un partage d’un butin qui a mal tourné.1Rugombohttps://www.sosmediasburundi.org/2019/09/07/cibitoke-un-imbonerakure-retrouve-mort-a-la-riviere-rusizi/
23 aout 2019Des pêcheurs ont découvert tôt deux corps d’hommes au pied de la colline de Ruhagarika, près de la rivière Rusizi. Selon des responsables locaux, les corps étaient attachés et décapités.  2Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2019/08/23/cibitoke-deux-corps-décembre apites-trouves-au-bord-de-la-riviere-rusizi/
28 juin 2019Buganda : découverte d’un cadavre ligoté. Le corps en décomposition se trouvait au bord de la rivière Rusizi (frontière avec la République Démocratique du Congo) au niveau de la Transversale 2, colline de Ruhagarika, commune de Buganda. La population craint une recrudescence de la criminalité.1Bugandahttps://www.sosmediasburundi.org/2019/06/29/cibitoke-un-cadavre-ligote-décembre ouvert/

Selon ces 25 articles consultés, au moins 15 corps ont été découverts dans la Rusizi ou à ses bords, entre janvier et juin 2021, dans les communes de Rugamba et Buganda. Au moins 33 corps ont été découverts en 2020. Au moins 24 corps ont été découverts dans la deuxième moitié de 2019. Au total, 72 corps ont été découverts dans la Rusizi ou à ses bords entre juin 2019 et juin 2021. 40 corps ont été découverts sous le régime du Président NDAYISHIMIYE (de juin 2020 à début juillet 2021).

Le FOCODE est convaincu que les corps découverts sont trop en deçà de la réalité du phénomène. Selon des sources au SNR et chez des miliciens Imbonerakure, beaucoup de corps jetés dans la Rusizi ont été mis dans des sacs avec de grosses pierres pour éviter la remontée des corps à la surface. Selon un des articles cités dans le tableau, les miliciens Imbonerakure de Rugombo ont reçu l’ordre de repousser dans l’eau les cadavres déviés par l’eau vers les bords[2]. Il est clair que la volonté de l’administration locale est de cacher l’ampleur du phénomène et d’éviter l’identification des victimes. Il faut également noter ici que nous n’avons pas considéré un certain nombre d’autres articles relatifs aux cadavres découverts dans les mêmes communes mais loin des bords de la Rusizi.

Selon les différents articles cités dans le tableau, la population de Rugombo et de Buganda a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face au phénomène de ces corps non identifiés retrouvés dans la Rusizi et à ses bords. La réaction des autorités administratives reste invariable : ordre d’enterrer les corps le plus rapidement possible et promesse d’une enquête chaque fois qu’un corps est découvert. Malheureusement ces promesses ne sont jamais été suivies d’effet. Au niveau national, le gouvernement et les autres institutions, y compris la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, ne donnent aucune importance à ce phénomène et n’en parlent jamais.

Le FOCODE tient à saluer ce travail immense et très important du journal SOS Media Burundi et lui adresse son encouragement.

II. CAS DE DISPARITIONS FORCEES EN LIEN AVEC LA TRAVERSEE DE LA RUSIZI

II.A. Disparition forcée de Messieurs Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI  

II.A.1. Identification des victimes

Isaïe (Issa pour certains) NDAYAHUNDWA, connu aussi sous le sobriquet de « MBOGO » est né en 1948 à Gasenyi, Transerversale 2, en commune de Buganda de la province Cibitoke, au Nord-Ouest du Burundi. Polygame et père d’au moins six enfants, Isaïe s’occupait de l’agriculture et d’un petit commerce transfrontalier entre le Burundi et la RDC, un commerce que nos sources ont qualifié de « secret », ce qui expliquait sa parfaite connaissance des lieux secrets de passage sur la Rusizi entre les deux pays.

Fils de Jean CIZA et de Félicité MUKANKABURA, Seth Gabriel BUTOYI est né le 18 avril 1992 à Gasenyi Transversale 2 en commune Buganda de la province Cibitoke, au Nord-Ouest du Burundi. Il a fait ses études à l’Ecole Primaire de Buganda, puis au Lycée Delhovede Buganda Section Normale, avant d’entrer à l’Institut Supérieur de la Santé Publique où il a décroché un diplôme de baccalauréat en pharmacie. Après ses études, Seth Gabriel BUTOYI avait créé une école maternelle et fondamentale privée dénommée « Lumière de Développement »[3] dont il était lui-même responsable. Jeune très actif, chrétien très pratiquant dans l’Eglise Adventiste du 7ème Jour, Seth Gabriel était considéré comme un véritable pilier de sa famille.

II.A.2. Appartenance politique des victimes

Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI n’étaient pas actifs dans des partis politiques, mais ils étaient considérés comme très proches de l’opposition au CNDD-FDD. Sans le savoir, ils vivaient sous une surveillance des services de renseignement qui les soupçonnaient de collaborer avec des mouvements rebelles.

Ancien membre du Palipehutu-FNL et du parti FNL dirigé par Agathon Rwasa, Isaïe NDAYAHUNDWA avait cessé son activisme au sein du parti. Isaïe était très connu des services de sécurité, il avait notamment été arrêté le 31 décembre 2014 à la suite d’une attaque rebelle en province de Cibitoke. La radio Isanganiro avait écrit à ce propos[4] :

« Six personnes soupçonnées de collaborer avec le groupe d’hommes armés qui a attaqué les communes de Murwi et Bukinanyana en province de Cibitoke ont déjà été arrêtées depuis le 31 décembre dernier.Parmi eux, des membres des partis de l’opposition et un agent de police. Les 3 premières sont des forces nationales de libération pro Agathon Rwasa dont Samuel Hakizimana, infirmier à Cibitoke, Saïd Ntibibuka et Isaïe Ndayahundwa. Le 4e Pascal Manirambona est membre de l’union pour la paix et la démocratie (upd zigamibanga), aile Chauvineau Murwengezo non reconnu par le pouvoir. Le 5e est un policier de grade Adjudant major et instructeur, Ernest Bagayuwitunze. Le chef du service des renseignements en province de Cibitoke a indiqué que tous ont été arrêtés pour des raisons d’enquêtes. »

Seth Gabriel BUTOYI est un petit frère d’un important responsable du parti MSD en province de CIBITOKE : Jules CIZA, responsable provincial de la jeunesse du MSD, qui a fui le pays en 2015. Depuis la fuite de Jules, sa famille à Gasenyi a fait objet de plusieurs fouilles-perquisitions de la police. Cette famille était soupçonnée d’abriter des armes pour le compte du mouvement Red-Tabara, mais toutes ces opérations ont toujours été infructueuses. Après une courte période de militantisme au sein du parti MSD, Seth Gabriel BUTOYI aurait cessé tout engagement politique peu après 2015.

II.A.3. Circonstances de la disparition forcée de Messieurs Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI

Il existe deux versions sur la disparition forcée de Messieurs Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI : la première émane des proches et des voisins des victimes qui ont assisté à leur arrestation le soir du 18 janvier 2020, la seconde émane de certains agents du renseignement militaire qui se sont confiés au FOCODE. Les deux versions présentent beaucoup de points de ressemblances et quelques précisions divergentes, notamment quant à la responsabilité de cette disparition forcée. Le FOCODE a reçu la deuxième version à la suite de l’émission NDONDEZA présentée sur la radio en ligne UMURISHO le 15 novembre 2020[5].

1ère Version de l’arrestation des deux victimes

La première alerte sur l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI a été lancée dans la soirée du 18 janvier 2020, peu après 21 heures. Rédigée en Kirundi et partagée sur les différents réseaux sociaux, l’alerte disait : « il était 20 heures quand les habitants de la 2ème Transversale de Gasenyi en commune Buganda de la province Cibitoke ont vu venir le véhicule du responsable du Service national de renseignement en province de Cibitoke ; le véhicule était plein de policiers et de personnes en tenue civile. Ils ont d’abord arrêté ISAÏE NDAYAHUNDWA qu’ils ont ensuite emmené chez BUTOYI SETH GABRIEL. Tous les deux ont été embarqués, la population reste dans la peur parce que les enlèvements se multiplient et les personnes enlevées deviennent introuvables dans la plupart des cas. »

Message d’alerte en kirundi

Les autres messages envoyés au FOCODE dans la même soirée indiquaient que la population avait pu reconnaître deux policiers dans l’équipe venue arrêter Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI : OPC1 Ildéphonse NDIKUMANA alias « GICA », commissaire communal de la police, et un certain « NSENGA », policier à Buganda. La population n’aurait pas remarqué la présence du responsable provincial du SNR, Venant MIBURO, même si le véhicule utilisé serait le sien. Très rapidement, le président du FOCODE a publié l’alerte dans un tweet pour avertir les différentes institutions du pays et des partenaires du Burundi pouvant aider dans pareille situation. Par expérience, les alertes faites dans la fraicheur des faits ont sauvé beaucoup de gens ; malheureusement cela n’a pas marché dans le cas d’Isaïe et Seth Gabriel. Aucune institution alertée n’a réagi, y compris la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) qui mentionnera dans son rapport annuel qu’aucune personne n’avait été victime de disparition forcée en 2020.  

Cette version de l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI a été partiellement corroborée par le journal Iwacu[6] et le journal en ligne SOS Media Burundi[7], notamment en ce qui concerne le véhicule utilisé, le moment et le lieu de l’arrestation ainsi que la tenue policière des auteurs de l’arrestation. Les deux journaux ont souligné que les familles n’ont pas été informées du lieu de détention des leurs.

Le FOCODE a enquêté sur le mobile de cette arrestation et le lien entre Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI. Soupçonnés d’aider des militaires et des jeunes à traverser la Rusizi pour rejoindre des mouvements rebelles burundais installés à l’Est de la RDC, les deux victimes sont malheureusement tombées dans un piège des services de renseignement. Plusieurs sources ont confirmé ce piège, aussi bien par des personnes qui étaient confidentiellement en contact avec les victimes que par des sources au sein du renseignement militaire comme nous le verrons dans la deuxième version de l’arrestation.

La pièce maîtresse de ce piège était un militaire originaire de Nyamakarabo en commune Mugina de la province Cibitoke, nommé Evariste NINDAGIJE dans sa famille, incorporé en 2013 dans l’armée burundaise sous le nom de Fabien NINTIJE (matricule : 78800) et affecté au 212ème bataillon chargé de surveiller la Réserve naturelle de Rukoko[8]. Dans les jours précédant l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI, le soldat Fabien NINTIJE a contacté des connaissances et certains de ses proches en exil. Il affirmait qu’il voulait déserter l’armée burundaise avec un groupe d’autres militaires parce que les « tutsi n’ont plus d’avenir dans cette armée » et n’excluait pas de vouloir participer à toute initiative de « libération du Burundi ». Fabien NINTIJE qui se présentait sous le faux nom d’Evariste NIYONGABO (sauf quand il parlait à ses proches qui le connaissaient) avait besoin d’un passeur qui l’aiderait à traverser la Rusizi, une demande assez surprenante pour un militaire déployé dans la réserve de Rukoko depuis plusieurs mois. C’est ainsi qu’Evariste NINDAGIJE (Fabien NINTIJE dans l’armée) a été mis en contact avec le septuagénaire Isaïe NDAYAHUNDWA qui maitrisait parfaitement les passages secrets vers la RDC. Seth Gabriel BUTOYI, voisin d’Isaïe NDAYAHUNDWA et disposant d’un smartphone, a servi d’intermédiaire entre Isaïe et certaines personnes en exil. La nuit du 18 janvier 2020 a été fixée comme celle de la traversée de la Rusizi pour le militaire qui se présentait sous le pseudonyme d’Evariste NIYONGABO.

Le 18 janvier 2020, autour de 15 heures, ledit militaire aurait annoncé à ses interlocuteurs en exil qu’il venait d’obtenir son congé et que tout était en ordre pour la mission du soir. Il devait rapidement rencontrer Isaïe NDAYAHUNDWA pour finaliser le plan de la traversée de la Rusizi. A 18 heures, Isaïe et ledit militaire ont confirmé à leurs interlocuteurs en exil qu’ils venaient de se rencontrer à Buganda. A partir de cet instant, le contact téléphonique aurait été coupé avec les interlocuteurs en exil, ces derniers ne recevront d’autres nouvelles que peu après 20 heures en apprenant l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI. Selon un de ses interlocuteurs en exil, ils ont pensé que le militaire avait été arrêté également. Leur surprise sera totale trois mois plus tard quand ils apprendront que ledit militaire se trouvait bel et bien au travail et qu’il n’avait jamais été arrêté. C’est alors qu’ils ont compris que la demande dudit militaire n’était qu’un piège.

2ème version de l’arrestation des deux victimes.

Le 15 novembre 2020, dans le cadre de l’émission NDONDEZA diffusée hebdomadairement sur la Radio Umurisho, le FOCODE a rendu publiques les informations qu’il avait déjà recueillies dans son enquête sur la disparition forcée d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI. A la fin de l’émission, il a été demandé aux auditeurs qui auraient des informations complémentaires de les fournir et d’aider dans l’identification du militaire utilisé pour piéger les victimes. Après l’émission, des sources militaires, y compris certaines au sein du renseignement militaire, ont contacté le FOCODE et ont fourni des informations à même de mieux éclairer le piège tendu aux deux victimes.

Selon des sources au sein de l’armée, le piège aurait été conçu au bureau chargé du renseignement à l’Etat-Major Général de l’armée burundaise (G2) dans l’intention de capturer de hauts leaders du Mouvement rebelle RED-Tabara. Des cadres de ce bureau seraient parvenus à entrer en contact avec des responsables du mouvement rebelle, se seraient fait passer pour un groupe de militaires ayant l’intention de déserter l’armée pour rejoindre le RED-Tabara et auraient proposé de fournir d’importantes quantités d’armes pendant la désertion. Il aurait été demandé à ces responsables de la rébellion d’approcher la frontière burundaise dans la Rukoko pour réceptionner les armes et guider le groupe de militaires déserteurs. Les responsables contactés auraient décliné l’offre in extremis.

Face à l’échec de l’objectif principal du piège, le bureau chargé du renseignement militaire se serait finalement contenté de la capture du passeur Isaïe NDAYAHUNDWA. Les sources militaires ont également confirmé que le soldat Fabien NINTIJE s’était rendu à Buganda et avait rencontré Isaïe NDAYAHUNDWA au marché de Gasenyi le 18 janvier 2020, autour de 18 heures. Ces derniers se seraient convenus de partager un verre dans un petit bistrot de la place afin de discuter du plan de la traversée de la Rusizi la même nuit. Mais un véhicule du renseignement militaire les aurait rapidement rejoints et Isaïe aurait été forcé d’entrer dans le véhicule. Il restait encore à capturer Seth Gabriel BUTOYI qui avait servi d’intermédiaire entre Isaïe et des interlocuteurs en exil.

A 18 heures, Seth Gabriel BUTOYI n’était pas encore rentré à la maison, il avait l’habitude de rentrer peu après 19h30. En attendant, le septuagénaire Isaïe NDAYAHUNDWA serait resté captif des agents du renseignement militaire. C’est à 20 heures qu’ils seraient finalement partis chez Seth Gabriel avec Isaïe. Seth Gabriel aurait été arrêté devant ses parents, son père aurait failli être arrêté également. Pour ces sources militaires, l’opération aurait été conduite par le commandant de la première division militaire et le numéro deux du renseignement militaire. Ces sources n’ont pas pu affirmer ni infirmer la présence du commissaire communal de la police à Buganda pendant cette opération. Selon les mêmes sources, les détenus auraient été conduits par les militaires à Bujumbura. Aucune source n’a pu renseigner sur le sort final des deux détenus.

Points de convergence entre les deux versions de l’arrestation des deux victimes

  1. Quoique les deux versions sur l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA présentent quelques différences, elles se rencontrent et se complètent sur un certain nombre de points importants :
  2. Les deux versions confirment que les deux victimes sont introuvables après une arrestation par des agents de l’Etat du Burundi,
  3. Les deux versions confirment que les deux victimes sont tombées dans un piège et se complètent sur l’origine du piège,
  4. La deuxième version complète la première sur la raison de la coupure du contact téléphonique entre Isaïe NDAYAHUNDWA et ses interlocuteurs en exil le 18 janvier 2020 après avoir rencontré le soldat Fabien NINTIJE : Isaïe était déjà captif,
  5. Aucune des deux versions ne dit que les deux victimes étaient des rebelles : Isaïe est présenté comme un passeur soucieux d’aider un militaire en danger tandis que Seth Gabriel a juste prêté son téléphone pour un contact entre Isaïe NDAYAHUNDWA et des interlocuteurs en exil,
  6. Les deux versions ne permettent pas de confirmer ou d’infirmer la présence de certaines autorités de la police, du SNR et de l’armée au moment de l’arrestation.

II.A.4. Démarches entreprises par les familles pour retrouver les deux victimes.

Dans la nuit même de l’arrestation, des proches des victimes ont alerté certaines autorités dont le Général Agricole NTIRAMPEBA, chargé de missions à la présidence de la république, originaire de la même localité que les victimes. Le Général NTIRAMPEBA aurait promis de suivre de près le cas mais n’aurait jamais fait suite à sa promesse.

Dès le lendemain de l’arrestation, les proches des victimes ont mené des recherches dans les différents cachots de Buganda et de Cibitoke, mais sans aucun succès. Ils ont par la suite contacté les différentes autorités administratives et sécuritaires de Cibitoke qui ont juste promis de mener des enquêtes mais qui n’ont pas communiqué les résultats de leurs enquêtes.

Selon le journal Iwacu, les différentes autorités ont reconnu qu’elles avaient été informées de l’arrestation mais qu’elles ne connaissaient pas le lieu de détention d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI.

« Ces familles disent avoir signalé ce cas à l’administration, au parquet de Cibitoke et au commissariat de police communale. Emmanuel Bigirimana, administrateur communal de Buganda ainsi que le procureur de la République dans la province de Cibitoke disent avoir été informés de ces arrestations mais affirment ne pas connaître le lieu où ils ont été emmenés et les délits qu’ils auraient commis. Ces autorités calment ces familles et les assurent avoir ouvert les enquêtes. »[9]

Les proches des victimes ont également saisi le procureur de la république à Cibitoke comme le confirment les journaux Iwacu et SOS Media Burundi.

« Des proches des personnes disparues ont témoigné à SOS Médias Burundi avoir cherché les leurs  dans tous les cachots communaux et dans les commissariats, sans succès. Elles ont également saisi le procureur de la province. Ils disent craindre pour leur sécurité et exigent d’être informés sur leur lieu de détention. Le responsable local du SNR, lui rejette toutes les allégations à son endroit. »[10]

En conséquence du silence des autorités sur le cas, des miliciens Imbonerakure ont tenté de rançonner les familles des victimes en promettant de montrer le lieu de détention des victimes moyennant le payement de sommes d’argent, mais sans succès. Plus tard, certains miliciens auraient communiqué à des proches que les victimes avaient été détenues au stade de Cibitoke avant d’être exécutées. Aucune source crédible ne corrobore cette information.

Une année après l’arrestation d’Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI, aucune autorité n’a fourni à leurs proches la lumière sur leur lieu de détention. Toutes les institutions gardent le silence sur ce cas, y compris la Commission nationale indépendante des droits de l’homme qui n’a rapporté aucun cas de disparition forcée dans son rapport annuel sur l’année 2020.

II. B. Disparition forcée de Messieurs Yvan NDAYISHIMIYE ET Jean-Marie NIYUHIRE

II.B.1. Identification des victimes

En début de la trentaine, Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE sont des cousins originaires de la colline Ndava dans la zone et commune Ndava en province de Mwaro, au centre du pays. Fils aînés dans leurs familles respectives, Yvan et Jean-Marie étaient considérés comme des piliers de  leurs familles. Chacun des deux jeunes hommes avaient perdu très tôt un des parents (la mère dans le cas d’Yvan et le père dans le cas de Jean-Marie). Par conséquent, ils se sentaient responsables de leurs familles depuis leur jeune âge et avaient commencé à travailler très tôt. Leur disparition a gravement affecté les familles.

Fils de Cyriaque NDAYISHIMIYE et de Cassilde NIMPAGARITSE (décédée), Yvan NDAYISHIMIYE terminé l’enseignement primaire avant de commencer à travailler. Avant de s’expatrier en République Démocratique du Congo (RDC) en juillet 2020, il vendait des vêtements au marché de Kamenge. Yvan NDAYISHIMIYE était célibataire au moment de sa disparition et n’aurait pas laissé d’enfant. Selon nos sources, Yvan n’avait milité dans aucun parti politique.

Fils du prénommé Ladislas NDAYIRAGIJE (décédé) et de Marie Goreth NDUWIMANA (une sœur du défunt père d’Yvan NDAYISHIMIYE), Jean-Marie NIYUHIRE avait pu terminer le premier cycle des humanités générales avant de s’engager à travailler pour soutenir sa mère. Avant de s’expatrier en RDC en juillet 2020, Jean-Marie était employé au Kira Hospital de Bujumbura. Son contrat venait de prendre fin au moment de son départ pour le Congo. Selon nos sources, Jean-Marie NIYUHIRE n’avait milité dans aucun parti politique.

En juillet 2020, les deux jeunes ont traversé la Rusizi à la recherche du travail en République Démocratique du Congo. Les frontières étaient fermées dans le cadre des mesures prises pour limiter la propagation de la COVID-19. Aidés par un ami qui connaissait bien les lieux, ils ont traversé la Rusizi à partir de la commune Rugombo et se sont rendus dans la ville de Bukavu où ils auraient été employés dans un hôtel de la place, selon des proches. Trois mois plus tard, leur employeur aurait souhaité recruter cinq autres travailleurs originaires du Burundi et auraient demandé aux deux cousins de l’aider à les trouver. Pour Yvan et Jean-Marie, c’était aussi une bonne opportunité de prendre un petit congé et de retourner voir leurs familles et amis. Ce fut malheureusement un aller sans retour.

II.B.2. Circonstances de la disparition forcée de Messieurs Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE

Quand Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE ont annoncé à leurs amis qu’ils allaient revenir au Burundi à la fin de septembre 2020, certains ont tenté de les en dissuader. Le contexte sécuritaire n’était pas propice à ce genre de déplacements. Un de leurs amis a témoigné : « Yvan et Jean-Marie étaient de grands amis à moi. Ils m’ont informé qu’ils allaient prendre un petit congé et revenir au Burundi à la fin de septembre. Leur patron avait besoin de cinq nouveaux employés, Yvan et Jean-Marie étaient chargés de trouver ces cinq nouveaux travailleurs. Je leur ai dit que c’était très dangereux de traverser la frontière congolaise à ce moment-là. Des rebelles de RED-Tabara étaient entrés au Burundi à partir de la RDC en août 2020 et continuaient à mener des attaques dans plusieurs communes du pays. Les frontières entre le Burundi et la RDC étaient très surveillées parce que les autorités craignaient de nouveaux renforts des rebelles qui pourraient traverser la Rusizi notamment. Tout jeune inconnu qui traversait la Rusizi était suspecté d’être un rebelle, et c’était pire pour des jeunes TUTSI comme Yvan et Jean-Marie. J’ai cru qu’ils avaient compris mes craintes et nous n’avons pu parler de ce sujet. Ils n’ont pas voulu m’informer de leur départ, j’ai été surpris en apprenant qu’ils avaient traversé le 04 octobre. S’ils m’en avaient parlé, j’allais au moins les aider à trouver le passage le moins dangereux et leur donner un certain nombre de consignes. Le passage qu’ils ont emprunté est trop dangereux parce qu’il est très éloigné des habitations, les miliciens Imbonerakure peuvent faire tout ce qu’ils veulent à cet endroit ».

Le 04 octobre 2020, Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE ont quitté la ville de Bukavu à destination du Burundi. Selon leurs amis, Yvan et Jean-Marie étaient accompagnés d’un éclaireur, « un agent de sécurité » mis à leur disposition par leur patron. L’éclaireur connaissait très bien les passages vers le Burundi via la Rusizi et il connaissait des passeurs. L’éclaireur les aurait accompagnés jusqu’à la rivière Rusizi et serait retourné quand il a vu qu’ils avaient atteint le côté burundais dans la commune Rugombo en province de Cibitoke. Aucune indication n’a été fournie quant à l’identité des passeurs.

Les amis et les proches d’Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE ont perdu leur contact après cette traversée. Les deux cousins n’ont plus fait signe de vie. Inquiets, les amis et les proches ont commencé leur recherche dès le lendemain avant de lancer une alerte sur les réseaux sociaux. La recherche dans les différents cachots de Rugombo et de Cibitoke n’a donné aucun résultat. Certains habitants de Rugombo ont dit qu’ils avaient remarqué l’arrestation de deux jeunes hommes le 04 octobre 2020, sans plus de précisions. Les recherches se sont par la suite focalisées sur les cachots du service national de renseignement à Cibitoke.

Les proches des victimes ont pu recevoir des informations extrêmement inquiétantes et décourageantes. Un des agents du SNR à Cibitoke a reconnu, de manière très confidentielle, que les deux jeunes cousins avaient été arrêtés par des miliciens Imbonerakure et remis au SNR. Pour le SNR, c’était suspect de voir deux jeunes TUTSI originaires de Mwaro traverser la Rusizi à partir de la RDC dans une période caractérisée par des incursions rebelles. Selon cet agent, Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE auraient été exécutés la même nuit du 04 octobre 2020. L’agent du SNR aurait affirmé avoir directement pris part à l’exécution. L’agent n’aurait donné aucun détail à propos du lieu d’exécution et de sépulture des corps des deux jeunes hommes. Il aurait conseillé aux proches des deux jeunes d’arrêter cette recherche qui risquait d’emporter d’autres membres de la famille. Découragés et désespérés, les proches des victimes n’avaient pas encore porté plainte au moment de la rédaction de ce rapport.

Un ami des deux victimes qui a suivi de près toutes les étapes de cette recherche s’est confié au FOCODE : « il y a vraiment très peu de chances de retrouver Yvan et Jean-Marie. La Rusizi est devenue comme un abattoir des humains. Quand vous rentrez au Burundi avec de l’argent, il est impossible que les Imbonerakure vous laissent passer. Après trois mois de travail en RDC, c’est sûr qu’Yvan et Jean-Marie sont rentrés avec leur paye de trois mois. Bien plus grave, deux jeunes TUTSI de Mwaro qui traversent la Rusizi dans une période sécuritaire tendue devenaient la proie du SNR. Je n’arrive pas à comprendre comment mes amis ont osé venir dans ces conditions, c’était presque un suicide. Ce pays est vraiment foutu, je ne sais pas d’où viendra le salut, c’est très désespérant. »

Compte-tenu de l’importance de la personne qui a livré l’information de l’exécution des deux jeunes et du niveau d’engagement dans les recherches de celui qui a décroché l’information, les proches des victimes ont été complètement découragés et ont perdu tout espoir de revoir les leurs. Le 12 juin 2021, les familles ont organisé les cérémonies coutumières de levée de deuil définitive pour leurs enfants Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE.

Le FOCODE a tenté un contact avec l’employeur d’Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE pour confirmer les informations obtenues par les proches des victimes. Encore sous le choc, l’employeur a indiqué qu’il cherchait lui aussi des informations sur la disparition de ses employés et n’a pas voulu donner d’autres détails.

Dès le 10 octobre 2020, le FOCODE a alerté[11] les autorités burundaises et la commission nationale indépendante des droits de l’homme, CNIDH, sur la disparition d’Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE. Comme d’habitude, aucune autorité n’a réagi à cette alerte. La CNIDH n’a pas daigné enquêter sur ce cas et a signalé, dans son rapport annuel sur l’année 2020, qu’elle n’avait pris connaissance d’aucun cas de disparition en 2020[12].

Ce cas mérite des investigations supplémentaires et, comme dans tous les cas qu’il documente, le FOCODE va continuer la recherche des informations y relatives. Mais les données déjà obtenues portent à croire qu’il pourrait s’agir d’un cas de disparition forcée : possible arrestation des victimes par des miliciens et des agents du SNR, refus par les autorités burundaises de reconnaître l’arrestation et d’indiquer le lieu de détention, silence et inaction des autres corps de l’Etat. Ce cas est une autre indication de la gravité des crimes qui sont commis sur les bords de la Rusizi et nécessitent une enquête minutieuse et une intervention sérieuse de l’Etat ainsi que des différents mécanismes internationaux de droits de l’homme.

II.C. Disparition forcée de Messieurs Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE.

Les trois victimes appartiennent à un groupe religieux extrêmement secret qui livre rarement des informations sur leurs membres. Jusqu’ici, le FOCODE n’a pas encore obtenu les photos des trois victimes.

II.C.1. Identification des victimes

Fils de Mathias BAMVUNE et Domitille SINZINKAYO, Michel MBARUBUKEYE est né le 17 avril 1987 sur la colline Munanira (sous-colline Gakowe) de la commune Musigati en province Bubanza, au nord-ouest du Burundi. Il a fait ses études successivement à l’Ecole Primaire de Ciya, au collège communal de Kivyuka, au Lycée communal de Murengeza et à l’ENE Ngagara où il a obtenu en 2012 un diplôme d’instituteur de l’école primaire. Michel MBARUBUKEYE n’a jamais été affecté dans une école pour enseigner ; depuis la fin de ses études, il a vécu au gré de la déstabilisation et de la persécution des adeptes de la prophétesse Zebiya NGENDAKUMANA et s’est contenté de plusieurs petites occupations temporaires allant du petit commerce à l’agriculture. Il a été emprisonné à plusieurs reprises à cause de sa foi religieuse et vivait comme « banni » par sa propre famille qui ne tolérait pas sa croyance. Célibataire, Michel n’a pas laissé d’enfant au moment de sa disparition forcée.

Né en 1984, Félix IRANDAGIYE est originaire de la colline Masare de la commune Musigati en province de Bubanza au nord-ouest du Burundi. Felix avait terminé l’école primaire et vivait de l’agriculture. Marié, Félix IRANDAGIYE a laissé une veuve et six enfants au moment de sa disparition forcée.

Né en 1985, Vianney RUMUMBA est originaire de la commune Matongo en province de Kayanza. Le FOCODE cherche encore d’autres détails de son identification.

Les trois hommes ne sont membres d’aucun parti politique. Ils sont tous adeptes de la Prophétesse Zebiya NGENDAKUMANA, un mouvement religieux interdit et violemment persécuté depuis 2013 au Burundi et en RDC.

II.C.2. La persécution du mouvement des adeptes de la Prophétesse Zebiya NGENDAKUMANA

Très peu de burundais connaissaient l’existence du Mouvement des adeptes de la Prophétesse Zebiya NGENDAKUMANA avant le 12 mars 2013, date à laquelle la police burundaise a tiré à bout portant sur plusieurs centaines de pèlerins qui se rendaient au « Sanctuaire de Businde[13] », lieu présenté comme celui des apparitions de la Vierge Marie à Mademoiselle Eusebie (Zebiya) Ngendakumana tous les 11 et 12 du mois. Un carnage qui a fait au moins 9 morts et plusieurs dizaines de blessés[14]. L’utilisation disproportionnée de la force par la police burundaise sur un groupe non armé a choqué l’opinion burundaise et a provoqué une vague de protestations. Bien plus, le discours impitoyable du ministre de l’intérieur Edouard NDUWIMANA devant des cadavres et des personnes agonisantes a écœuré plus d’un. Pourtant, le mouvement de Zebiya existait depuis le début des années 2000. Au départ, la jeune Zebiya NGENDAKUMANA, née en 1986 à Businde en commune Gahombo de la province Ngozi et instruite à peine du niveau de l’école primaire, n’était qu’une fidèle très zélée (très dévote) de la paroisse catholique de Rukago. Chargée en 1997 d’organiser « une équipe de jeunes qui animeront en permanence par des danses et des chants certaines fêtes religieuses » de la paroisse Rukago, la jeune Zebiya entrainera plus tard son groupe dans des séances régulières de prières et commencera elle-même à avoir des « visions ». Le Mouvement est ainsi né au sein de l’Eglise Catholique et gardera de bonnes relations avec l’Eglise jusqu’en octobre 2012. Même si Zebiya et ses adeptes NGENDAKUMANA se déclarent toujours comme des fidèles de l’Eglise Catholique[15], l’Eglise a pris des distances avec le mouvement de Zebiya et l’Etat du Burundi l’a carrément interdit. Le 12 mars 2013, le Ministre Edouard NDUWIMANA a comparé le Mouvement de Zebiya au groupe terroriste Boko Haram.

Le Groupe de presse IWACU a consacré une enquête très intéressante sur le Mouvement de Zebiya NGENDAKUMANA sous le titre « Zebiya, la rebelle de Dieu »[16]. Nous recommandons la lecture de cette enquête pour comprendre la genèse du mouvement, son ampleur et les cycles de persécution qu’il a connus au Burundi et en RDC.

La Prophétesse Zebiya Ngendakumana

Outre le carnage du 12 mars 2013 à Businde, le mouvement a été la cible d’une  attaque plus meurtrière par l’armée congolaise le 15 septembre 2017 à Kamanyola à l’Est de la RDC où les adeptes de Zebiya étaient constitués dans un camp de demandeurs d’asile. L’attaque, condamnée même au niveau international, a fait au moins 38 morts et des centaines de blessés[17]. Six mois plus tard, refusant l’enregistrement biométrique par l’agence onusienne chargée des réfugiés (UNHCR), près de 2500 adeptes de Zebiya ont quitté Kamanyola en RDC en mars 2018 pour se réfugier au Rwanda[18]. Au Rwanda, ils ont été confrontés au même défi de l’enregistrement biométrique et sont retournés au Burundi en avril de la même année. Au Burundi, la persécution du mouvement continue à travers des arrestations et des détentions arbitraires. La disparition forcée de Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE s’inscrit donc dans cette longue persécution.

Visages des 38 victimes du carnage de Kamanyola. (Photo de HRW)

II.C.3. Circonstances de la disparition forcée de Messieurs Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMBUMBA et Félix IRANDAGIYE

Le 02 novembre 2020, Michel MBARUBUKEYE et une fille prénommée Aline, adeptes de la Prophétesse Zebiya originaires de la commune Musigati, se rendent en commune Rugombo pour recevoir trois autres adeptes de Zebiya qui rentrent de la RDC. Comme les frontières sont fermées, les trois adeptes vont traverser la Rusizi. Michel MBARUBUKEYE connaissait les lieux et avait noué des liens forts avec des miliciens Imbonerakure de la colline Rukana qui l’aidaient à faire traverser des adeptes de Zebiya qui rentraient de la RDC ou se rendaient en RDC, moyennant le payement d’une certaine somme d’argent convenue. D’emblée, la traversée des trois adeptes ne présentait aucun risque, ce n’était qu’une opération de coutume pour Michel MBARUBUKEYE.

Les trois adeptes ont bel et bien traversé comme convenu. Ils s’appelaient Vianney RUMUMBA originaire de la commune Matongo en province de Kayanza, Félix IRANGABIYE originaire de la commune Musigati et d’une autre fille prénommée Aline originaire de la commune Matongo. Deux miliciens Imbonerakure les auraient fait traverser la Rusizi : les prénommés Japhet et Yves. A l’arrivée, il y avait, selon les sources du FOCODE, quatre autres miliciens de Rukana : Lambert NZISABIRA, Oscar NTEZICIMPAYE, Emile alias MUSOSE et un certain SERIMU alias Ardon.  Après la traversée, les choses ne se seraient pas passées comme convenu : tous les cinq adeptes de Zebiya auraient été arrêtés par les miliciens Imbonerakure et conduits à l’Ecole primaire de Rukana où ils auraient été dépouillés de leurs biens. Toutefois, selon nos sources, le groupe des cinq adeptes a pu sauver des statuettes, images et écrits de leur mouvement en les confiant à une personne que nous n’avons pas pu identifier. Les cinq adeptes auraient donc été arrêtés sans aucun signe ou document de leur mouvement.

Selon les sources du FOCODE, les cinq adeptes de Zebiya ont été transportés de Rukana à Rugombo à bord de la camionnette de l’administrateur communal de Rugombo, Gilbert MANIRAKIZA. Aucune source n’a confirmé la présence de l’administrateur à bord du véhicule. Par contre, nos sources ont confirmé la présence du policier Samson NAHIMANA, un sous-officier de la police plus connu sous le sobriquet de Brigadier RUCOCA. Arrivés au commissariat communal de la police à Rugombo, les cinq adeptes auraient été soumis à un court interrogatoire. Il aurait été présenté aux cinq adeptes une photo des victimes du carnage de Kamanyola du 15 septembre 2017 et il leur aurait été demandé s’ils connaissaient ces personnes, la réponse aurait été positive selon les sources du FOCODE. Il aurait ensuite été demandé aux cinq adeptes s’ils considéraient ces victimes comme des martyrs, la réponse aurait également été positive. Une question aurait été posée à chacun des cinq adeptes s’ils voulaient devenir des martyrs à leur tour : les trois hommes auraient répondu que si c’était la volonté de Dieu ils étaient prêts à devenir ses martyrs, les deux filles se seraient tues.

Après l’interrogatoire à Rugombo, les cinq adeptes de Zebiya auraient été scindés en deux groupes : les deux filles (toutes prénommées Aline) ont été détenues au cachot communal de Rugombo tandis que les trois hommes (Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE) ont été emmenés de nouveau par le policier Samson NAHIMANA alias Brigadier RUCOCA. La camionnette aurait pris le chemin de Cibitoke. Une source a confié au FOCODE que, en cours de route, le Brigadier RUCOCA aurait remis les trois hommes à une voiture noire qui n’a pas été identifiée. Une autre source a souligné que le policier est lui-même propriétaire d’une voiture noire. Le FOCODE n’est pas en mesure de confirmer cette version de la remise des trois hommes à une voiture noire et ne saurait conclure que ladite voiture serait celle du policier Samson NAHIMANA alias Brigadier RUCOCA. En revanche, plusieurs sources de Rugombo ont confirmé que le policier Samson NAHIMANA, ancien rebelle originaire de la commune Mugina, est un homme craint à Rugombo depuis plusieurs années et qu’il aurait des liens très étroits avec les miliciens Imbonerakure qui arrêtent les gens et les dépouillent de leurs biens au bord de la Rusizi. Chargé de la sécurité du marché de Rugombo, Samson NAHIMANA serait également connecté aux responsables des corps de sécurité en province Cibitoke, particulièrement ceux du SNR et de la police.

Depuis leur départ du commissariat communal de la police de Rugombo, Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE n’ont jamais été retrouvés. Les deux filles détenues au cachot de Rugombo ont été libérées après l’intervention des proches et des défenseurs de droits humains auprès du gouverneur de Cibitoke, OPC1 Carème BIZOZA. Le gouverneur n’a donné aucune indication sur la situation des trois autres détenus. Un des proches impliqués dans la recherche a passé un message très pessimiste sur le sort de Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE : « il n’y a plus d’espoir de retrouver vivants les nôtres. Moi-même, j’ai failli y laisser ma peau. Je suis convaincu qu’ils les ont été tués même si je n’en ai pas des preuves ». Aucune autre démarche de recherche des disparus n’a été menée par leurs proches après ce message.

Comme dans tous les autres cas de disparitions forcées, les autorités burundaises sont restées silencieuses et inactives après cette disparition. Le Gouverneur Carème BIZOZA n’a rien entrepris pour retrouver les trois hommes après avoir libéré les filles qui les accompagnaient. La police et la justice sont muettes sur le cas. La Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) n’a rien fait sur ce cas même après avoir été interpellée sur Twitter en décembre 2020.

Une enquête indépendante s’impose sur ce cas. Le policier Samson NAHIMANA dit Brigadier RUCOCA devrait expliquer la destination finale des trois hommes qu’il a emmenés depuis le commissariat communal de Rugombo. L’administrateur communal de Rugombo, Gilbert MANIRAKIZA, dont le véhicule a été utilisé dans le transport des détenus devrait fournir également son éclairage. Le FOCODE est disposé à fournir, à tout organe réellement indépendant qui enquêtera sur le cas, des informations qu’il estime confidentielles.

Si la disparition forcée de Messieurs Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE fait partie des crimes graves commis dans l’enfer de la Rusizi, il faut noter également qu’elle s’inscrit dans la grave persécution des adeptes de la Prophétesse Zebiya NGENDAKUMANA. Il est extrêmement important que les crimes liés à cette persécution soient documentés et qu’une enquête sérieuse y soit consacrée. Il est important de rappeler aux autorités burundaises leur obligation à protéger la liberté de conscience et la laïcité de l’Etat telles que déclarées et garanties par la Constitution de la République du Burundi ainsi que les instruments nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme. Les auteurs de ces crimes ignobles doivent être tenus responsables de leurs actes et punis.

III. AUTRES CAS DE DISPARITIONS SIGNALES AU FOCODE

Des familles ont signalé au FOCODE des cas de disparitions des leurs après qu’ils aient traversé la Rusizi en rentrant de la RDC ou avant la traversée vers la RDC. Le FOCODE n’a reçu sur ces cas aucune indication que ces personnes avaient été arrêtées par des corps de sécurité du Burundi et ne sauraient qualifier ces cas de cas de disparitions forcées. Mais ce sont des cas de disparitions de citoyens burundais qui devraient interpeller les autorités burundaises à enquêter sur tous les crimes commis au bord de la Rusizi. Dans cette partie, nous mentionnons cinq noms signalés au FOCODE par leurs proches qui demandent une enquête sur le sort des leurs.

III.1. Disparition de Japhet NAHAYO

Fils de Gustave NTIRANDEKURA alias MUGOZI et Phoibe SABIYANKA, Japhet NAHAYO est né en 1982 au quartier Kaziba, colline Bukeye de la commune Nyanza-Lac en province de Makamba, au sud du Burundi. Marié et père de six enfants, Japhet vit du petit commerce. Selon ses proches, il ne militerait dans aucun parti politique et ne s’intéresserait pas à des activités politiques.

Selon ses proches, Japhet NAHAYO s’est rendu en RDC le 08 mai 2021. Un partenaire commercial lui aurait indiqué un marché intéressant à Uvira. Il aurait passé six jours au Congo et serait resté en contact avec sa famille. Le 14 mai, Japhet NAHAYO aurait traversé la Rusizi à Gasenyi en commune Buganda de la province Cibitoke. Il aurait appelé un des proches juste après la traversée et aurait demandé de l’argent à payer aux militaires qui surveillaient les rives de la Rusizi. Il craignait d’être arrêté ou même d’être tué s’il n’avait pas d’argent à payer. Mais lorsque la même personne a tenté de rappeler Japhet avant d’envoyer l’argent, son téléphone (+257 69 773 638) ne passait plus. Plus tard, des partenaires de Japhet au Congo ont demandé ses nouvelles alors qu’il n’était pas arrivé à la maison, ils ont alors commencé à soupçonner soit qu’il aurait été arrêté par des militaires soit qu’il aurait été tué. Curieusement, dès qu’ils ont appris que Japhet NAHAYO n’était pas arrivé à la maison, tous ses partenaires commerciaux (aussi bien celui du Burundi qui lui avait indiqué le marché du Congo que ceux du Congo) ont éteint leurs téléphones et coupé toute communication avec les proches de la victime, selon les sources du FOCODE.

Depuis le 14 mai 2021, Japhet NAHAYO reste introuvable selon ses proches. Aurait-il été arrêté par des militaires qui surveillent les bords de la Rusizi ? Aurait-il été tué par des miliciens Imbonerakure cités dans des meurtres de plusieurs personnes qui traversent la Rusizi et rentrent au Burundi avec de l’argent ou des biens précieux ? Aurait-il été piégé par ses partenaires commerciaux ? Sans une enquête sérieuse, il est impossible de répondre à ces questions.

III.2. Disparition de Janvier HAKIZIMANA et Joseph NSENGIYUMVA     

Fils de Martin BATAKAYO et de la prénommée Bibiyana, Janvier HAKIZIMANA est né en 1997 sur la colline Rwingiri de la commune Bugendana dans la province de Gitega, au centre du Burundi. il a terminé l’école primaire et il est encore célibataire.

Fils de Zachée NTAKIMURABA et de Victoire NTAMIKEVYO, Joseph NSENGIYUMVA est né en 1991 sur la colline Rwingiri de la commune Bugendana dans la province de Gitega, au centre du pays. Lui aussi il avait terminé l’école primaire. Marié, il est père d’un enfant.

Janvier HAKIZIMANA et Joseph NSENGIYUMVA devaient traverser la Rusizi le 12 mai 2021 et se rendre en RDC à la recherche du travail, selon des proches. Ils avaient contacté un passeur prénommé Medard résidant à Rukana (3ème Transversale) en commune de Rugombo, selon les mêmes proches. Au moment de la traversée, le passeur avait un autre client et aurait demandé à un « ami » de l’aider à faire traverser Janvier et Joseph. Curieusement, le premier client (parti avec Médard) serait arrivé à destination mais Janvier et Joseph ne sont jamais arrivés. Le premier client aurait confirmé cette version aux proches des victimes et n’aurait fourni aucun autre détail sur les circonstances de la disparition de Janvier et Joseph.

Les proches de Janvier HAKIZIMANA et de Joseph NSENGIYUMVA sont désespérés et ne savent pas à quel saint se vouer. Dans ce cas aussi, il est impossible de savoir ce qui s’est réellement passé sans une enquête sérieuse sur les circonstances de cette disparition.

III.3. Disparition de Bernard MANDERA

Fils de Gabriel BUDANARI (décédé en 2004) et de Séraphine NICAYENZI, Bernard MANDERA est né en 1995 sur la colline Nini (sous-colline Kanyeregete) dans la commune Gashikanwa en province de Ngozi, au nord du Burundi. A la fin de ses études primaires, Bernard a commencé à travailler, tantôt comme domestique tantôt comme agriculteur. Comme beaucoup d’autres jeunes hommes originaires de sa commune, Bernard s’est expatrié en RDC où il alternait le même type d’activités (travailleur domestique ou travailleur dans les champs) dans le territoire d’Uvira au Sud-Kivu. Veuf, Bernard MANDERA est père d’une fille âgée de quatre ans.

Selon ses proches, Bernard MANDERA avait l’habitude de rentrer au Burundi après chaque trimestre de travail au Congo et passait un mois de vacances au pays avant de retourner en RDC. En septembre 2020, Bernard a annoncé à sa famille qu’il rentrait pour un mois de vacances, des collègues lui ont donné des affaires à apporter à leurs familles. Bernard serait rentré avec des collègues originaires d’autres provinces. Dès qu’il a traversé la Rusizi en commune Rugombo, Bernard MANDERA aurait communiqué avec ses collègues restés au Congo. Ce fut son dernier signe de vie. Selon ses proches, Bernard a disparu quelques temps après la traversée de la Rusizi, ses compagnons de voyage auraient également disparu. Le FOCODE n’a pas pu obtenir l’identification de ceux qui avaient traversé avec Bernard MANDERA.

Près d’une année après la disparition de Bernard MANDERA, ses proches sont désespérés : ils ne savent plus s’ils doivent continuer à attendre ou s’ils doivent débuter le deuil. La famille n’a pas eu le courage de s’adresser à l’administration. Ici encore, sans une enquête sérieuse, il est impossible de savoir si Bernard MANDERA a été arrêté et serait détenu, s’il a été tué par des miliciens Imbonerakure en vue de le dépouiller de ses biens ou s’il y aurait une autre justification de sa disparition.

III.4. Disparition d’Egide NIYONKURU

Egide NIYONKURU connu aussi sous le sobriquet de TAIGA est originaire de la colline Nyagasenyi dans la commune de Giheta en province de Gitega, au centre du Burundi. L’histoire de sa disparition est racontée par ses collègues de travail à Misisi à l’Est de la RDC. Sa famille est à ce point découragée et désespérée qu’elle ne veut plus évoquer le cas, elle est convaincue que leur fils a été tué à Rugombo et qu’il ne sert plus à rien de continuer à le chercher.

Voici le récit de la disparition d’Egide NIYONKURU tel que raconté par un de ses collègues à Misisi en RDC dans le Territoire de Fizi, province du Sud-Kivu : « mon ami Egide NIYONKURU a disparu à la Rusizi alors qu’il tentait de retourner au Congo. A un certain moment, il était mon colocataire à Masisi dans le Territoire de Fizi au Sud-Kivu. Il était rentré au Burundi avant la fermeture des frontières. En juin 2020, il a tenté de retourner en traversant la Rusizi via la commune de Rugombo. Il m’a appelé alors qu’il était déjà à Rugombo, puis il s’est dirigé vers la Rusizi. Il voyageait avec un ami qui travaille à Uvira. Selon le témoignage de son ami, ils ont été arrêtés par des miliciens Imbonerakure à la Rusizi. L’ami a pu s’échapper et s’est jeté dans la Rusizi, il savait très bien nager et il est arrivé à l’autre bord. Egide est resté avec les miliciens, nous n’avons aucune information de ce qui lui est arrivé après. Nous pensons qu’il a été tué. »

Comme dans les autres cas de disparitions à la Rusizi, il est difficile de savoir ce qui s’est réellement passé dans le cas d’Egide NIYONKURU. Que se serait-il passé après l’arrestation d’Egide par les miliciens Imbonerakure ? Aurait-il été remis au SNR comme dans pas mal d’autres cas ? Aurait-il été tué sur place ? Aurait-il pu s’échapper à son tour ? Il est important qu’une enquête sérieuse soit diligentée pour déterminer les circonstances exactes de cette disparition.

En concluant ce point sur les cas de disparitions à la Rusizi, il importe de souligner qu’on n’a pas d’éléments suffisants pour les qualifier de cas de disparitions forcées. Toutefois, ce sont des cas extrêmement douloureux dans les familles qui ont perdu les leurs à tel point que les familles sont même découragées à s’adresser aux autorités publiques. Certaines familles disent que cela ne servirait à rien de s’adresser aux autorités, d’autres estiment qu’elles n’ont pas de données à présenter aux autorités, d’autres ont simplement peur de subir le même sort ou d’autres formes de représailles. L’Etat ne gagne rien à laisser perdurer ces perceptions et il est de son obligation d’enquêter tant qu’il subsistera des soupçons qu’il existe un réseau de miliciens Imbonerakure qui font disparaître des citoyens à la Rusizi. Il y va de la crédibilité même de l’Etat du Burundi.

IV. CAS D’ASSASSINATS A LA RUSIZI

A titre illustratif des crimes d’assassinats commis par des miliciens Imbonerakure à la Rusizi, nous présentons un cas survenu en commune Buganda en avril 2021 et un autre survenu en commune Buganda en mai 2021. Comme pour les cas de disparitions forcées impliquant des agents de l’Etat ou de disparitions sans informations détaillées sur les auteurs et le mobile du crime, le FOCODE est convaincu que les cas d’assassinat portés à sa connaissance restent de loin en deçà de l’effectif réel des cas d’assassinat. Le travail de documentation sur tous ces cas devra se poursuivre.

IV.1. Assassinat du Pasteur Franck YANDOKA d’origine béninoise.

Franck Yandoka

Dans l’après-midi du 27 avril 2021, un corps sans vie d’un homme a été découvert au bord de la Rusizi, au pied de la colline Nyamitanga, à la transversale 4, dans la commune Buganda en province de Cibitoke. Le corps était nu et présentait plusieurs blessures à la tête, au visage, à la poitrine selon des proches de la victime. « Il semble qu’il est mort après une longue séance de torture comprenant des brulures et des coups de couteau », selon un proche qui s’est adressé au FOCODE.

L’homme a en effet été identifié. Il s’agissait du Pasteur Franck YANDOKA, 46 ans selon son frère au Bénin, ressortissant béninois résidant au Burundi depuis un certain nombre d’années, fondateur et responsable de l’église « Mission Evangélique au Burundi » (MEB), fondateur et directeur académique de l’Institut Supérieur de l’Entrepreneuriat au Burundi (ISEBU). Il était introuvable depuis le soir du samedi 24 avril 2021 alors qu’il avait traversé la Rusizi du Congo vers le Burundi. La frontière étant fermée, il avait pris contact avec des miliciens Imbonerakure pour l’aider à traverser la Rusizi avec sa famille. L’épouse, Judith BAHENDWA, et les enfants ont traversé sans difficultés au premier tour, mais le mari n’est pas rentré ce soir-là. Un proche de la famille s’est adressé au FOCODE en ces termes :

« Notre Pasteur rentrait d’un long voyage. Venu de la République Centrafricaine, il a traversé tout le Congo (RDC) et, avec sa famille, il est arrivé le 24 avril 2021 à la frontière burundaise. Vous savez que la frontière était fermée, ils n’avaient que le choix de traverser la Rusizi. Ils ont négocié des passeurs, des miliciens Imbonerakure de Buganda. Les miliciens ont proposé la traversée en deux tours : au premier tour l’épouse et les enfants, au second tour le Pasteur et les bagages. Ainsi, ils ont fait traverser le premier groupe et l’a aidé à trouver à Nyamitanga un bus de transport en commun vers Bujumbura. Ils ont fait comprendre à Madame Judith BAHENDWA qu’il fallait quitter les lieux le plus vite possible, Judith est partie à Bujumbura avec les enfants. Les miliciens sont retournés de l’autre de la rivière pour ramener le Pasteur Franck YANDOKA et les bagages. Il ne savait pas que c’était dangereux d’avoir de l’argent et des objets de valeur dans ce coin, or c’est lui qui avait gardé tout l’argent de la famille et tous les bagages. La famille a attendu toute la soirée, toute la nuit, Franck YANDOKA n’est pas arrivé à Bujumbura. Les 25 et 26, les recherches ont commencé à Buganda mais sans résultat. Malheureusement, la découverte macabre a eu lieu le 27 avril : le corps sans vie du Pasteur YANDOKA était tout nu et portait des blessures à plusieurs endroits. Il n’y avait aucune trace de ses bagages. L’homme de Dieu est mort de manière atroce, il semble qu’il a été torturé. Les autorités ont promis une enquête. Bien sûr, ce sera une enquête à la burundaise, sans résultat. Nous sommes désespérés ! »

Ce récit corrobore un article du journal SOS Media Burundi[19] :

« Ce sont des pêcheurs qui ont découvert le corps de Franck Nyandaka ce mardi après-midi. Il gisait au bord de la rivière Rusizi, au pied de la colline de Nyamitanga, à la transversale 4. Alertées, la police et l’administration à la base se sont déplacées sur le lieu de la découverte macabre. Le cadavre a été évacué vers Bujumbura (…). Selon ses proches, l’homme d’église et sa famille (son épouse et leurs deux enfants) revenaient d’une mission d’évangélisation en Afrique du Sud et en Centrafrique. « De leur retour, ils sont passés par la RDC. Arrivés de l’autre côté de la Rusizi samedi dernier, ils devraient avoir des gens pour les aider à traverser la rivière. C’est ainsi qu’ils ont fait recours à des Imbonerakure adaptés à nager », racontent des témoins. Selon nos sources, l’équipe des jeunes du CNDD-FDD a aidé à traverser le reste de la famille laissant à l’autre bord le pasteur. « Ils ont laissé M. Nyandaka de l’autre côté et accompagné sa famille prendre un véhicule qui les a embarqués vers Bujumbura », a-t-on appris des sources locales. Selon nos sources, les jeunes Imbonerakure en question sont retournés à la Rusizi après quelques heures pour prendre Franck Nyankanda. « Comme ils s’étaient aperçus qu’il avait une grosse somme d’argent sur lui, au lieu de le ramener à la terre burundaise, il l’ont égorgé et jeté sur les bords de la rivière », rassurent-elles. La famille du défunt exige l’arrestation des Imbonerakure qui, selon elle sont sans doute responsables de l’assassinat. La police à Cibitoke promet une enquête. »

Le corps sans vie de Franck Yandoka au bord de la Rusizi le 7 avril 2021

L’assassinat du Pasteur Franck YANDOKA rappelle plusieurs dizaines de cadavres humains découverts sur les bords de la Rusizi en commune Buganda. La seule différence est que les autorités ont cette fois-ci accepté son identification et sa remise à la famille qui l’a enterré dignement. Une exception qui s’explique par les liens de parenté entre l’épouse et certains agents du SNR et que la famille savait où le chercher. Fera-t-on justice pour autant au Pasteur YANDOKA ?

IV.2. Assassinat d’Onesphore RUHIMBYA d’origine congolaise

Le 7 mai 2021, un corps sans vie d’un homme a été découvert dans un champ de manioc à Mparambo 1, à quelques mètres de la Rusizi, en commune Rugombo. Il semblait que l’homme avait été poignardé  avant d’être jeté dans le champ selon une source bien informée à Rugombo. Le défunt a été identifié comme étant Onesphore RUHIMBYA, 50 ans, citoyen congolais de la communauté Banyamulenge, résidant dans la collectivité de Bwegera, Territoire d’Uvira dans la province du Sud-Kivu.

Cinq jours plus tôt, soit le 2 mai 2021, Onesphore RUHIMBYA avait appelé des miliciens du secteur Mparambo 1 pour l’aider à traverser la Rusizi vers le Burundi, selon une source locale à Rugombo. Malade, Onesphore voulait se faire soigner au Burundi. Arrivé du côté du Burundi, Onesphore RUHIMBYA a été poignardé dans les côtes et jeté dans un champ de manioc. Les tueurs auraient volé une somme de 600 dollars américains que la victime comptait utiliser dans ses soins, selon la même source. Curieusement, les mêmes miliciens Imbonerakure auraient appelé la famille de la victime pour signaler qu’Onesphore était mort en cours de route. La famille a dû payer une somme de 150.000 FBU encore une fois aux miliciens Imbonerakure pour l’enterrement d’Onesphore RUHIMBYA, selon notre source à Rugombo. Le corps a été enterré le même jour (7 mai), à quelques mètres de la Rusizi, en présence de représentants de l’administration et de la police. Un OPJ a été dépêché sur le lieu du drame mais l’enquête n’aurait connu aucune évolution alors que les coordonnées téléphoniques « montrent clairement le numéro du milicien qui a mené tous les contacts et qui a fait traverser la victime », se désole la source du FOCODE en commune Rugombo.

Le journal SOS Media Burundi qui suit régulièrement les crimes au bord de la Rusizi a rapporté ainsi l’assassinat d’Onesphore RUHIMBYA[20] :

Le corps d’Onesphore, un Congolais de la communauté des Banyamulenge a été découvert ce vendredi après-midi. Il a été retrouvé au pied de la colline de Mparambo 1, en commune de Rugombo. (…) Les auteurs du crime n’ont pas été identifiés mais un élu local soupçonne des jeunes Imbonerakure. Selon des témoins, le corps de la victime était en décomposition. « Nous avons été alertés par une odeur nauséabonde et beaucoup de mouches. Quand nous avons vérifié, nous avons aperçu un cadavre en décomposition. Il présentait des traces de blessures au niveau des côtes, preuve qu’il a sauvagement été tué », racontent des cultivateurs qui ont découvert en premier le cadavre. Alertés, les responsables administratifs locaux et la police ont ordonné l’inhumation immédiate du corps, selon nos sources. (…) D’après sa famille, Onesphore avait quitté la région de Kamanyola (province du Sud-Kivu, est de la RDC) pour se rendre au Burundi le 2 mai. Le Sud-Kivu est frontalier de la province de Cibitoke. « Il nous avait appelé pour nous informer qu’il devrait venir pour se faire soigner au Burundi. Nous avons attendu qu’il arrive, en vain. C’est seulement ce vendredi que nous avons appris la découverte de son corps à Mparambo 1. C’est vraiment déplorable de tels crimes odieux », a réagi en pleurs son frère. Selon des témoins, les auteurs du crime sont de jeunes Imbonerakure de la même colline où le cadavre a été découvert. « Ce soir de dimanche, un groupe d’Imbonerakure est descendu à la rivière. Souvent, ils y vont pour aider les gens à traverser la rivière Rusizi (séparant le Burundi et la RDC). Sans doute qu’ils ont eux-mêmes tué la personne qu’ils venaient d’aider à franchir la rivière », affirme un élu local. Ses proches pensent que l’intention du crime était de voler l’argent de la victime. « Il avait sur lui 600 dollars pour des soins médicaux et d’autres achats qu’il devrait faire », racontent-ils. Certainement que les bourreaux voudraient juste voler son argent, soupçonnent-ils avant de demander à la police d’arrêter les auteurs.

En terminant ce point sur les assassinats à la Rusizi, il est important de noter que les cas d’assassinat de personnes rentrant de la RDC, au bord de la Rusizi, sont généralement motivés par le vol de leur argent et de leurs biens. Quand il y a une motivation d’ordre sécuritaire, les victimes sont certes dépouillées de leurs biens mais elles sont ensuite envoyées au SNR. Un bon nombre de ceux qui sont envoyées au SNR  disparaissent et ne sont jamais retrouvées, à l’instar des trois adeptes de la Prophétesse Zebiya.

EXEMPLES POSITIFS D’ALERTES AYANT SAUVE DES VIES !

V.1. Alerte émise par le journal SOS Media Burundi sur l’arrestation et la probable exécution de trois ressortissants de la commune Nyamurenza.

Le 24 septembre 2020, le journal en ligne SOS Media Burundi a alerté sur l’arrestation de trois jeunes hommes sur la 9ème transversale sur la colline Rusiga en commune Rugombo. Selon les informations obtenues, les trois jeunes venaient de la RDC où ils s’approvisionnaient en pagnes.

« Ces jeunes arrêtés n’appartiennent ni à un parti politique ni à aucun mouvement armé. Ils font un commerce de pagnes. Après avoir été appréhendés par des Imbonerakure, le responsable local des renseignements est venu les prendre au cachot de la police communale de Buganda. Ils étaient dans un état très critique. Il les a embarqués dans son véhicule et nous ignorons où il les a conduits », disent des témoins de la scène.[21]

Cinq jours plus tard, SOS Media Burundi a alerté cette fois-ci sur la probable exécution des trois jeunes hommes arrêtés les 24 septembre 2020 en commune Rugombo.

« Ce sont des jeunes Imbonerakure qui avaient interpellé les trois jeunes gens. Après être retenus quelques heures dans un cachot en commune de Buganda, le responsable du service national de renseignements (SNR) à Cibitoke est venu les récupérer. Selon des sources policières, le fonctionnaire les a par après acheminés à son bureau. La même source indique qu’il a lui-même donné l’ordre de les tuer. Une autre source policière précise qu’ils ont été abattus dans la nuit de vendredi dernier au bord de la rivière Rusizi séparant le Burundi et la RDC. »[22]

Après cette deuxième alerte du journal SOS Media Burundi, le FOCODE s’est mis à enquêter sur ce cas, commençant notamment à chercher l’identification des victimes grâce à leur photo publiée par le journal. L’appel lancé par le président du FOCODE via sa page Facebook[23] a rapidement atteint les familles des victimes et leur identification a été obtenue en quelques minutes. Il s’agissait de Dieudonné MAJAMBERE, originaire de la colline Kinyovu en commune de Nyamurenza (Province Ngozi au nord du Burundi), du prénommé Epipode, originaire de la colline Bitambwe de la même commune, et de Daniel MIBURO, originaire de la colline Shoza dans la même commune Nyamurenza. Selon leurs proches, les trois hommes étaient partis en RDC à la recherche du travail (« GUPAGASA ») et étaient très bien connus dans leur entourage en commune Nyamurenza. Une source en RDC a également confirmé que les trois hommes étaient des chauffeurs de taxis-vélos à Mulongwe dans le territoire d’Uvira au Sud-Kivu[24].

Le FOCODE a également obtenu deux messages audio d’un homme qui racontait l’arrestation des trois hommes par lui-même. L’homme a été identifié comme un chauffeur d’un véhicule privé de transport en commun à Cibitoke, proche de la milice Imbonerakure et du SNR. Sa version est quelque peu différente de celle publiée par SOS Media mais contient, parfois dans un langage codé, des informations intéressantes sur le soupçon qui pèse sur les personnes traversant la Rusizi et les pouvoirs des personnes proches du régime dans cette localité :

« Salutations à tous les membres de notre réseau des natifs [il ne précise pas s’il s’agit des natifs de la commune Rugombo ou de Buganda]. Ce que vous voyez, c’est un petit travail que je viens de terminer sur la 9ème transversale, celle pavée à Cibitoke. Ces trois hommes [il utilise des mots avec un sens péjoratif : « ubwo bugabo butatu »] dont je viens d’envoyer la photo dans le groupe [ici il parle d’un groupe Whatsapp], je les ai croisés alors que je venais de chez nous et j’ai rapidement découvert qu’ils venaient du Congo. Ils ont traversé et sont entrés via la 9ème transversale. C’est moi qui les ai attrapés, j’ai demandé de leurs nouvelles [un langage codé : « nca ndabusekesha »] et ils m’ont dit qu’ils voulaient se rendre à Bujumbura. Comme je me rendais moi aussi à Bujumbura, j’ai proposé de les emmener et quand je suis arrivé à Buganda, je les ai directement déposés au bureau communal. En fait pendant le voyage, j’ai continué à discuter avec eux pour recueillir des informations sur eux. Arrivés à la commune Buganda, les policiers [langage codé : « papa oscar » pour dire policiers] les ont fouillés et ont découverts des pagnes dans leurs sacs, des habits mouillés et des titres de voyage qui montrent qu’ils ont déjà fait plusieurs allers-retours entre le Burundi et la RDC.  Ils ont été interrogés avant d’être mis au cachot [langage codé : « mu kabiriti »] et c’est là que je viens de les laisser. L’administrateur communal[25] était là et il m’a offert dix mille francs (équivalent de 5 dollars américains) et m’a dit : « vas prendre une bière, tu as fait un excellent travail. » … En fait l’administrateur a dit : « si tous les chauffeurs travaillaient ainsi, si chaque fois que vous avez des soupçons sur vos passagers vous les emmeniez aux bureaux des communes et des zones, aucun rebelle ne saurait plus infiltrer le pays. C’est vraiment un travail formidable que tu viens de réaliser », et il m’a donné un billet de dix milles francs. C’est ainsi que tout s’est passé et moi j’en suis très content. Quand leurs chefs apprendront qu’ils [les trois passagers considérés comme des rebelles] ne sont pas arrivés à destination, ils sauront qu’à Cibitoke nous sommes vigilants. En fait ils ont traversé par la 10ème Transversale et il y a des jeunes hommes à cette Transversale qui me l’ont signalé : il y a des hommes qui arrivent avec des sacs, si tu es à la 9ème Transversale, tu peux les attendre à la route goudronnée (« ku ryirabura »). Ainsi je suis venu avec tous ces renseignements et j’ai demandé aux trois hommes s’ils allaient à Bujumbura. J’ai donc promis de les emmener à Bujumbura, mais que voulez-vous, leur Bujumbura c’est exactement là où je les ai emmenés (« Mugabo nabamanukanye, erega Bujumbura ni harya nyene nabamanukanye »). Imaginez : ils m’avaient même bien payé, 27.000 francs à trois, eh ben je les ai emmenés à la bonne destination. Ils m’ont également révélé qu’ils allaient à Ngozi, j’ai promis que je pouvais les emmener même jusqu’à Ngozi… »

La publication de toutes ces informations a poussé les familles des victimes à faire pression sur l’administration de la commune Nyamurenza en province de Ngozi. Selon les sources du FOCODE, l’administrateur communal de Nyamurenza a appelé directement son collègue de la commune Buganda en province de Cibitoke. Fort heureusement, les trois hommes étaient encore en vie et l’intervention de l’administration de Nyamurenza a facilité leur libération. Deux semaines après leur arrestation, les trois hommes sont arrivés chez eux en commune Nyamurenza le 10 octobre 2020, dépouillés de tous leurs biens[26] mais contents de rentrer sains et saufs.

Le FOCODE tient à saluer le rôle du journal SOS Media Burundi dans le sauvetage de ces trois hommes. Les deux alertes du journal ont entraîné l’intervention de plusieurs autres acteurs (FOCODE, internautes, les familles des victimes, l’administration), c’est cela qui a sauvé Dieudonné, Epipode et Daniel. L’enquête du FOCODE n’a pas pu confirmer certains éléments contenus dans les deux articles de SOS Media Burundi mais sans les deux alertes du journal, le sort des trois hommes aurait pu être tragique.

V.2. Alerte émise par la RPA sur l’arrestation et la disparition de cinq ressortissants de Makamba en route vers la Rusizi

En date du 18 janvier 2021, le reportage[27]du journaliste Onésime DUSHIMAGIZE de la Radio Publique Africaine (RPA)[28]a alerté sur l’arrestation et la disparition de sept personnes dont quatre hommes originaires de la commune Nyanza-Lac, un homme originaire de la commune Makamba, un homme originaire de la commune Bubanza et un policier qui devaient les aider à traverser la Rusizi vers la RDC. Selon un proche des victimes qui s’est exprimé dans le reportage, les six personnes auraient été arrêtées par le commissaire provincial de la police à Cibitoke alors qu’ils s’apprêtaient à traverser la Rusizi pour aller chercher du travail en RDC. Le policier aurait été accusé de faciliter la traversée des rebelles. Les familles des victimes réfutaient ces accusations de rebelles portées sur les leurs, affirmaient qu’il ne s’agissait que de chercheurs d’emplois et demandaient à être informées du lieu de leur détention. Il faut noter qu’au moment du reportage, cela faisait déjà huit jours que le lieu de détention des sept personnes était inconnu.

Le FOCODE a enquêté sur ce dossier, en commençant par l’identification des personnes arrêtées. Il s’agissait de quatre hommes originaires de la colline Buheka en commune de Nyanza-Lac de la province Makamba : Elias KABURA, Felix NAHINKUYE alias Terama, Alexis NDUWIMANA, Jean Bosco MANARIYO. Le cinquième, Prosper UWIDAHARURUKA, est originaire de la commune Makamba. Les cinq avaient passé la nuit du 09 au 10 janvier 2021 chez Cyrille BIZIMANA à Musenyi en commune Bubanza de la province Bubanza. Ils étaient tous des militants du parti CNL et voulaient se rendre en RDC pour trouver du travail dans des exploitations minières à Misisi dans le territoire de Fizi au Sud-Kivu. Pour traverser la Rusizi en toute tranquillité, ils avaient besoin de la protection d’un policier, chef d’un des postes qui surveillent la Rusizi en commune Buganda, Jean-Claude BIMENYIMANA alias Ntwari. Toutes ces personnes ont été arrêtées le 10 janvier 2021.

Le FOCODE a pu obtenir le témoignage de l’un de ces compagnes de l’infortune du 10 janvier :

« Notre intention était de nous rendre à Misisi au Congo à la recherche du travail. Un de nous connaissait très bien Misisi pour avoir travaillé dans des exploitations minières. Nous avons passé la nuit chez Cyrille à Musenyi, lui aussi connait très bien les chemins vers le Congo. Le matin, nous sommes au centre de Randa en commune Bubanza pour prendre des motos qui allaient nous emmener en commune Buganda. Nous avons rencontré un milicien Imbonerakure qui nous a stoppés avant de demander à Cyrille : qui sont tous ces gens ? Cyrille a répondu que nous étions des travailleurs qu’il amenait dans ses champs de tomates en province de Cibitoke. Le milicien Imbonerakure a rapidement alerté des policiers qui sont venus vérifier nos cartes d’identité. Quand les policiers ont découvert que nous venions d’une province aussi lointaine de Makamba, ils n’ont plus cru à l’histoire de travailleurs qui vont dans des champs de tomates à Cibitoke. Cyrille est connu comme un ancien combattant des FNL, comme un militant très engagé du parti CNL et comme quelqu’un qui se rend souvent au Congo. Il a été rapidement soupçonné qu’il emmenait des rebelles en RDC. Nous avons été emmenés sur une position de la police à Randa où nous avons subi une séance horrible de passage à tabac. C’est alors que nous avons reconnu que nous allions au Congo à la recherche du travail. Les policiers ne nous ont pas crus, ils ont plutôt appelé leurs supérieurs à Bubanza qui sont venus nous prendre avec un pickup. Nous avons été détenus à Bubanza, dans des cachots séparés. Je ne sais pas si nous étions au commissariat provincial de la police ou s’il s’agissait du bureau provincial du renseignement. Nous avons été horriblement torturés : on nous battait alors que nous étions suspendus la tête vers le bas, le sang giclait de nos corps. L’objectif de cette torture était de nous faire confesser que nous allions rejoindre des groupes rebelles au Congo. Par après, on nous a fait signer des procès-verbaux dont nous ne connaissions pas le contenu. C’est aussi durant cette torture qu’un de nous a donné le nom du policier Jean-Claude BIMENYIMANA alias Ntwari. »

Le soir du 10 janvier 2021, les détenus ont été emmenés à Bujumbura au siège du Service national de renseignement, souvent appelé à la « cathédrale » pour sa proximité avec la Cathédrale Regina Mundi. Le récit de l’un des détenus se poursuit ainsi :

« Nous sommes arrivés la nuit à la cathédrale. Nous étions sûrs qu’on nous emmenait pour nous tuer. D’autres détenus que nous avons trouvés là-bas nous ont dit qu’il y avait beaucoup d’exécutions à la cathédrale. Ils nous ont dit que s’il arrivait qu’on nous convoque à 22 heures pour un interrogatoire que cela signifiait qu’on nous emmenait à la mort. Mais par contre si l’interrogatoire se passait à quatre heures du matin, cela signifiait une séance d’interrogatoire sous la torture. Ce fut le cas : très tôt le matin, nous avons été sortis du cachot pour l’interrogatoire. Mais cette fois-là, nous n’avons pas été torturés comme nous le craignions. En revanche, nous avons été surpris de trouver des photos qui nous montraient avec cinq fusils devant nous. Les OPJ du SNR ont prétendu que ces images avaient été prises au moment de notre arrestation à Randa en commune Bubanza, nous avons protesté. Ils nous ont montré des procès-verbaux que nous avions signés et qui le confirmaient, nous avons répondu que nous les avions signés sous des coups et sans en connaitre le contenu. Kazungu[29] est intervenu lui-même pour nous poser des questions. Nous avons expliqué comment s’était passé l’arrestation et leur avons demandé d’aller vérifier à Randa si nous avions des armes. Nous pensons que Kazungu a vérifié à sa manière. Il nous a posé des questions sur ce que nous allions faire à Masisi et nous avons bien répondu. Un de nous connaissait très bien Masisi, Kazungu lui a posé de nombreuses questions très précises sur les lieux et des personnalités de Masisi. Notre collègue a répondu à toutes les questions sans difficultés. En réalite, Kazungu se rend souvent à Masisi et nous pensons qu’il y a lui-même investi dans l’extraction des mines. Après l’interrogatoire, on nous a inscrits dans le registre des détenus. C’est alors que nous avons commencé à espérer qu’ils n’allaient pas nous tuer. Nous avons passé deux semaines dans les cahots du SNR, sans contact avec les nôtres. »

Le 23 janvier 2021, tous les sept détenus ont été conduits au parquet de Ntahangwa et à la prison centrale de Mpimba. Ils y passeront deux mois en détention. Le récit de l’un des détenus continue:

« Nous avons passé deux mois à la prison centrale de Mpimba. Nous avons loué un avocat et notre cas a été présenté devant la chambre de conseil au tribunal de grande instance de Ntahangwa. Là aussi, nous avons dû répondre aux mêmes accusations qu’au sein du SNR, notamment que nous avions été arrêtés avec cinq fusils et que nous allions rejoindre des groupes armés au Congo. Nous avons présenté les mêmes arguments. Nous avons appris par la suite que les juges, pourtant convaincus de notre innocence, avaient peur de nous libérer directement sur un dossier venu du SNR avec d’aussi graves accusations mais ils promettaient d’alléger notre dossier de telle sorte que nous allions être libérés en appel. Nous avons été libérés en appel et sommes sortis de prison à la mi-mars 2021. Ce fut une terrible expérience de l’injustice qui règne au Burundi et nous sommes sortis de prison complètement ruinés. Nous ne savons pas comment nous allons nous remettre de ce cauchemar. Certains d’entre nous ont été gravement affectés par la torture, le médecin a d’ailleurs interdit à certains de porter des sacs lourds pendant une période d’une année, à cause des coups reçus dans nos dos. »

Le FOCODE a profité de ce témoignage pour s’informer davantage sur le passage à la Rusizi. Voici ce que le témoin a répondu :

« Comme vous savez, la Rusizi est très surveillée. Il y a beaucoup de positions de militaires et de policiers qui surveillent cette rivière du côté du Burundi. Dans cette tâche, ils collaborent avec des miliciens Imbonerakure. Malgré cela, il y a beaucoup de personnes qui traversent et qui passent sur ces mêmes positions de surveillance. Seulement pour passer, il faut payer de l’argent. En partant vers le Congo, chaque personne doit payer cent mille francs burundais (environ 50 dollars américains) ; de retour du Congo, chaque personne doit payer deux mille francs burundais (environ 100 dollars). Tous les groupes qui surveillent la Rusizi savent comment ils finissent par se partager cette somme. Certaines personnes qui n’arrivent pas à payer après avoir traversé sont assassinées et jetées dans la rivière, d’autres peuvent être tuées en raison des biens précieux qu’on trouve sur elles. Il y en a aussi qui se mettent gravement en danger en passant par des zones contrôlées uniquement par des miliciens Imbonerakure. Nous savons que c’est un voyage dangereux, mais nous sommes contraints d’aller chercher du travail à cause de la pauvreté. »

Le FOCODE tient à saluer ici le rôle de la RPA et du journaliste Onésime DUSHIMAGIZE dans le sauvetage des sept personnes arrêtées le 10 janvier 2021. L’alerte de la RPA a enclenché la mobilisation de plusieurs personnes qui se sont investies pour sauver les détenus. La forme que l’arrestation a prise, les accusations extrêmement graves portées sur les détenus et la détention secrète pendant deux semaines auraient pu conduire à la disparition forcée des sept personnes. Pour la sécurité de certaines personnes, le FOCODE se réserve de révéler certains détails peu recommandables du processus judiciaire de libération des détenus.

En guise de conclusion générale de cette enquête, il importe de souligner la gravité, l’ampleur et la diversité des crimes qui sont commis aux bords de la rivière Rusizi, dans les communes de Rugombo et Buganda de la province Cibitoke. Cette enquête a rappelé le phénomène de nombreux cadavres humains qui continuent à être trouvés aux bords de la Rusizi et qui sont rapidement enterrés sans aucune forme d’identification : au moins 15 corps ont été découverts dans la première moitié de 2021 et 33 dans l’année 2020. Cette enquête a mis en exergue sept cas de disparitions forcées liés au phénomène de la traversée de la rivière Rusizi dans les communes précitées dans la seule année 2020, dont cinq cas survenus sous le régime du Président Evariste NDAYISHIMIYE. Aucun de ces cas n’a été suivi d’une enquête officielle sérieuse, moins encore d’une poursuite judiciaire. L’enquête a soulevé la question d’autres disparitions et des assassinats à la Rusizi, des crimes qui semblent liés au vol des biens des victimes par des miliciens Imbonerakure se présentant comme des passeurs à la Rusizi. Enfin, l’enquête a martelé l’importance des alertes lancées par des media notamment et relayées sur des réseaux sociaux. Ce genre d’alertes a sauvé bien des vies, il importe donc de renforcer le système d’alerte.

VI. PRISE DE POSITION DU FOCODE

  1. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises sur les nombreux crimes qui sont commis aux bords de la rivière Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda, dont des cas de disparitions forcées, des disparitions et des assassinats ;
  2. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Isaïe NDAYAHUNDWA et Seth Gabriel BUTOYI arrêtés en commune Buganda le 18 janvier 2020, Messieurs Yvan NDAYISHIMIYE et Jean-Marie NIYUHIRE arrêtés en commune Rugombo le 04 octobre 2020Messieurs Michel MBARUBUKEYE, Vianney RUMUMBA et Félix IRANDAGIYE arrêtés en commune Rugombo le 02 novembre 2020 ;
  3. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur les nombreuses disparitions signalées par les familles des victimes comme survenues au bord de la Rusizi, notamment celle Messieurs Japhet NAHAYO en mai 2021, Janvier HAKIZIMANA et Joseph NSENGIYUMVA en mai 2021, Bernard MANDERA en septembre 2020 et Egide NIYONKURU en juin 2020 ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur les assassinats du béninois Pasteur Franck YANDOKA au bord de la Rusizi en commune Buganda en avril 2021 et celui du congolais Munyamulenge Onesphore RUHIMBYA au bord de la Rusizi en commune Rugombo en Mai 2021;
  5. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur plusieurs dizaines de cadavres humains découverts au bord de la Rusizi et enterrés rapidement sans aucune identification des victimes dans les communes de Buganda et Rugombo, dont au moins une cinquantaine depuis 2020 ;
  6. Le FOCODE salue et encourage le travail d’alerte mené par des medias, des organisations de défense de droits de l’homme et des individus dans des conditions très difficiles ; travail qui a déjà sauvé plusieurs citoyens menacés de disparition forcée ;
  7. Le FOCODE dénonce l’attitude complaisante de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) qui reste également muette sur les crimes commis au bord de la Rusizi et lui demande de mériter son nouveau statut A en se montrant plus éloigné du DENI des crimes graves affiché par les différentes autorités et institutions burundaises;
  8. Le FOCODE appelle au renouvellement du mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi (COIBurundi) dans la prochaine session du Conseil des Droits de l’Homme à Genève ou bien à la mise en place d’un autre mécanisme de même importance, compte tenu de la nécessité impérieuse de la continuation d’une documentation indépendante et crédible des violations de droits humains au Burundi ;
  9. Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment à l’Union Européenne engagée dans un processus de normalisation de ses relations avec le Burundi, d’exiger la lumière sur les crimes graves commis au bord de la rivière Rusizi, y compris des cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  10. Le FOCODE demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter sur les crimes graves commis au Burundi au bord de la rivière Rusizi, y compris des cas de disparitions forcées, et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.                                                       

FIN


Emission Ndondeza sur la disparition forcée d’Isaie Ndayahundwa et Seth Gabriel Butoyi
Emission NDONDEZA sur la disparition forcée d’Yvan Ndayishimiye et Jean-Marie Nahayo
Audios du chauffeur de Cibitoke racontant comment il a arrêté les trois hommes originaires de Nyamurenza
Reportage (version française) de la RPA sur l’arrestation des hommes de Nyanza-Lac (humura du 18 janvier 2021)
Reportage de la RPA (version kirundi)

[1] https://www.sosmediasburundi.org/

[2] https://www.sosmediasburundi.org/2020/10/20/cibitoke-plus-15-corps-décembre ouverts-a-la-riviere-rusizi-en-moins-dun-mois/

[3] https://www.iwacu-burundi.org/cibitoke-buganda-deux-personnes-enlevees/

[4] https://isanganiro.org/2015/01/07/la-traque-des-presumes-membres-du-fameux-groupe-de-cibitoke-continue/

[5] Cette émission radio hebdomadaire est souvent suivie de nouvelles révélations sur les cas présentés, ce qui en fait une source importante de la Campagne Ndondeza.

[6] https://www.iwacu-burundi.org/cibitoke-buganda-deux-personnes-enlevees/

[7] https://www.sosmediasburundi.org/2020/01/23/cinq-personnes-kidnappees-en-moins-de-deux-semaines-a-cibitoke/

[8] Ancien parc national de la Rusizi, devenue réserve naturelle en 2000, la réserve de Rukoko (ou réserve naturelle de Rusizi) est à cheval entre le Burundi et la RDC et s’étend côté burundais dans les provinces de Bubanza (commune Gihanga) et de Bujumbura rural (commune Mutimbuzi), tout près de la rivière Rusizi. Tout comme la rivière, la réserve naturelle de Rukoko est très surveillée par les forces de sécurité burundaise craignant qu’elle devienne le repaire des mouvements rebelles. De même que la rivière, la réserve naturelle  connaît également un phénomène de corps sans vie souvent trouvés et rapidement enterrés sans aucune identification. Des opposants exécutés par les mêmes corps auraient également été enterrés dans cette réserve naturelle. Comme dans la traversée de la rivière Rusizi, des cas de disparitions ont été également signalées dans la réserve naturelle et aucune enquête des institutions burundaises n’a suivi.  

[9] https://www.iwacu-burundi.org/cibitoke-buganda-deux-personnes-enlevees/

[10] https://www.sosmediasburundi.org/2020/01/23/cinq-personnes-kidnappees-en-moins-de-deux-semaines-a-cibitoke/

[11] https://twitter.com/pnininahazwe/status/1314985695946190851?s=19

[12] CNIDH – Rapport annuel Edition 2020 (page 85), https://cnidh.bi/documents/Rapport%20annuel%202020.pdf

[13] Une colline de la commune Gahombo dans la province de Ngozi, au nord du Burundi.

[14]Reportage de la Télévision Renaissance sur le carnage de Businde https://youtu.be/BkwJnnRXkVw et témoignages des rescapés https://youtu.be/7iZu11lAWYU 

[15] Interview de Zebiya : https://youtu.be/4IGSMgwv1U0

[16] Zebiya, la rebelle de Dieu : https://www.iwacu-burundi.org/longform/zebiya-la-rebelle-de-dieu/

[17] Cette déclaration de l’ONG Human Rights Watch livre plusieurs détails sur le carnage de kamanyola https://www.hrw.org/fr/news/2019/07/29/rd-congo-le-proces-du-massacre-de-kamanyola-place-la-justice-sous-les-projecteurs

[18] https://www.voaafrique.com/amp/les-refugies-burundais-coantonnes-vident-un-camp-dans-l-est-de-la-rdc/4284444.html?

[19] https://www.sosmediasburundi.org/2021/04/28/buganda-un-beninois-tue/

[20] https://www.sosmediasburundi.org/2021/05/15/rugombo-décembre ouverte-dun-corps-dun-congolais/

[21] https://www.sosmediasburundi.org/2020/09/24/cibitoke-trois-jeunes-arretes-par-des-imbonerakure/

[22] https://www.sosmediasburundi.org/2020/09/29/cibitoke-trois-jeunes-arretes-la-semaine-derniere-auraient-ete-tues/

[23] https://www.facebook.com/PacifiqueNininahazwe/posts/3292949157449373

[24] https://www.facebook.com/PacifiqueNininahazwe/posts/3293625387381750

[25] Il s’agit de Pamphile Hakizimana, administrateur de la commune Buganda

[26] Il s’agissait de petits sacs contenant quelques pagnes et d’autres affaires personnelles.

[27] https://www.rpa.bi/index.php/nos-journaux-parles/jpk/humura-kirundi-du-18-01-2021

[28] La RPA est l’une des radios indépendantes brûlées par les autorités burundaises en mai 2015. Elle est jusqu’ici interdite au Burundi et émet en ligne à partir de l’étranger.

[29] Kazungu est le sobriquet de Joseph Mathias NIYONZIMA, officier du SNR cité dans de nombreux crimes de sang.