DECLARATION DU FOCODE n° 013/2017 du 15 juin 2017
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur l’exécution du prisonnier Rénovât NIMUBONA dans la nuit du 13 au 14 décembre 2016 à Gitega et garantir la sécurité des prisonniers politiques ».
Qui a tué le détenu Rénovât NIMUBONA ?
Le matin du 14 décembre 2016, le corps sans vie du prisonnier Rénovât NIMUBONA a été découvert par des passants au bord d’un sentier, non loin de la rivière séparant les quartiers de Mushasha et Shatanya au chef de lieu de la Province de Gitega. La tête semblait avoir été partiellement fracassée par un métal tandis que les bras étaient ligotés par un morceau de moustiquaire selon des témoins. La veille, des informations faisaient état de l’évasion rocambolesque de Rénovât NIMUBONA alors qu’il était en sortie autorisée pour retirer son argent à la poste de Gitega et qu’il se trouvait dans une maison de passage « Le PARASSO » surveillé par un policier et le « Capita Général »[1] des prisonniers. Selon les mêmes informations, Rénovât NIMUBONA avait tiré sur le policier APC Déo MANARIYO avant de s’enfuir et la police était à sa recherche. Un tweet du porte-parole de la police a annoncé le 14 décembre : « L’assassin du Lt-Gén A. Nshimirimana qui s’était évadé hier en tuant un policier a succombé aux tirs d’un codétenu ».
Elément de la garde présidentielle (API) et chauffeur à la Présidence de la République, le policier Rénovât NIMUBONA avait été arrêté le 16 août 2015 dans le cadre du dossier sur l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA, ancien patron du Service National de Renseignement (SNR). Détenu à la prison « de haute sécurité » de Gitega, Rénovât NIMUBONA continuait à clamer son innocence et le procureur n’était jamais arrivé à prouver son implication dans l’assassinat du Général NSHIMIRIMANA. D’emblée, le scénario de l’exécution de Rénovât NIMUBONA, tel que présenté par la police, semble curieux : le détenu sort d’une prison de haute sécurité avec une garde très minimale (un policier et un codétenu), tire sur le policier avant de s’enfuir ; le codétenu tire par hasard dans la direction qu’a prise le fugitif et l’atteint, la police passe tout l’après-midi à le chercher mais en vain ; le matin le cadavre se trouve juste au bord de la route avec des mains ligotées dans le dos !
Le 15 décembre 2016, trois personnes ont été condamnées par le Tribunal de Grande Instance de Gitega pour avoir facilité l’évasion de Rénovât NIMUBONA. Personne n’a été poursuivi pour le meurtre du prisonnier. Six mois après l’exécution de Rénovât NIMUBONA, aucune enquête n’est en cours.
De par sa position privilégiée de membre de la garde présidentielle et de chauffeur dans le cortège présidentiel, Rénovât NIMUBONA a eu accès à des informations précieuses sur le fonctionnement des services de sécurité du palais présidentiel. Rénovât a fourni au FOCODE, dans une longue correspondance de sept mois, certaines de ces informations dont des extraits sont partagés dans cette déclaration.
A. Identification de la victime.
- Rénovât NIMUBONA est né en 1984 à Jomati, en Commune et Province de Rutana, au sud du Burundi. La carte de la Mutuelle de Rénovât NIMUBONA, publiée par le journal pro-NKURUNZIZA « Ikiriho »[2], indique que le policier avait pour matricule 60.164, qu’il était marié et père de trois filles âgées actuellement de sept, cinq et deux ans. Depuis son exécution, sa famille se cacherait : le FOCODE n’a pas pu trouver les traces de l’épouse et des enfants de la victime.
- Agent de la Police Nationale avec le grade d’APC (équivalent de caporal-chef de l’armée), Rénovât NIMUBONA était affecté comme chauffeur à l’unité police de la garde présidentielle, communément API (Appui à la Protection des Institutions). Dans un premier temps il était affecté au cortège présidentiel avant d’être muté au protocole d’Etat.
- Rénovât NIMUBONA était considéré, par ses supérieurs, comme un opposant au troisième mandat du Président Nkurunziza. Il a envoyé des messages Whatsapp aux responsables du FOCODE, du 16 mai 2016 au 09 décembre 2016. Dans ses messages, il réclamait invariablement des avocats pour son procès, alertait sur des intrusions suspectes dans la prison de Gitega, dénonçait un système de renseignement et de criminalité installé au palais présidentiel. Rénovât NIMUBONA n’a jamais admis qu’il avait joué un rôle dans l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA le 02 août 2015.
B. Une arrestation irrégulière, un procès inique.
- Selon des informations fournies au FOCODE par feu Rénovât NIMUBONA et ses proches, il avait à peine échappé à un enlèvement le jour de son arrestation. Il était convaincu que n’eût-été l’intervention de ses collègues de la garde présidentielle il allait être tué la nuit de ladite arrestation.Alors qu’il était affecté au protocole d’Etat, Rénovât NIMUBONA a été appelé au service dans la soirée du 16 août 2015 : il devait recevoir à l’aéroport de Bujumbura un hôte de marque à 22 heures. Arrivé à la présidence de la république, à sa plus grande surprise il n’y avait personne pour lui donner les clés du véhicule. Il aurait alors appelé le chef du protocole d’Etat Zephyrin MANIRATANGA qui lui aurait répondu : « je ne connais pas ce programme, renseigne-toi auprès de celui qui t’a appelé ». Il aurait ensuite appelé le chef du charroi de la présidence, celui-ci lui aurait répondu : « attends un petit moment ». Une heure après, une équipe composée de quatre policiers dont les brigadiers Jonas NDABIRINDE[3] et Jean NIMENYA alias « John RUHINDIGETERO » est venue dans une voiture Toyota Probox laissée à l’entrée de la présidence. Les quatre policiers auraient tenté de maitriser et d’emporter par la force l’APC Rénovât NIMUBONA. Celui-ci se serait alors débattu et aurait crié très fort pour appeler le secours. Quoi qu’il ait fini par être maitrisé et conduit à la voiture, il a également été sauvé par le fait que les éléments de garde de la présidence ont été témoins de la scène ; il a été conduit par la suite au service national de renseignement où il aurait été détenu dans un cachot secret, dans les toilettes au siège du SNR à Rohero. Sur une question de savoir s’il connaissait un certain Jonas NDABIRINDE, Rénovât NIMUBONA avait répondu au FOCODE le 17 mai 2016 : « Je le connais très bien. J’étais chauffeur du Protocole d’Etat, c’est lui- même [Jonas] qui m’a arrêté alors qu’on m’avait appelé la nuit au service. C’était un piège pour mon enlèvement, ils avaient prévu de me tuer. J’ai crié très fort et j’ai été sauvé par la garde de la présidence. Je connais presque toute son équipe… »
- Après trois jours de détention secrète au SNR et privé de nourriture, l’APC Rénovât NIMUBONA aurait été interrogé sous torture par le duo « NKOROKA-KAZUNGU »[4]. Tabassé presque chaque jour selon des témoins, il aurait passé 21 jours en détention secrète dans une toilette. Comme plus tard au Tribunal, Rénovât NIMUBONA aurait prouvé qu’il n’était pas à Bujumbura le jour de l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA et que son arrestation n’était qu’une action de vengeance d’un officier de la garde présidentielle connu sous le sobriquet de « NDUNDI »[5] : il aurait dénoncé une relation adultérine entre NDUNDI et un autre officier chargé de la sécurité de la première dame. Le plan d’élimination de Rénovât NIMUBONA visait donc, en partie et selon le concerné, l’étouffement de cette affaire d’adultère.
- Après ces séances d’un interrogatoire musclé au SNR, l’APC Rénovât NIMUBONA a comparu trois fois au Parquet de Ntahangwa qui décida finalement son transfert à la Prison de Gitega le 30 septembre 2015. Rénovât NIMUBONA et ses sept Co-prévenus dans le dossier de l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA n’ont comparu pour la première fois devant le juge du fond que le 1er août 2016 (soit la veille du premier anniversaire de l’assassinat), puis le 10 octobre 2016. Alors que les prévenus ont prouvé soit qu’ils n’étaient pas à Bujumbura soit qu’ils n’étaient pas à la Gare du Nord[6] le jour de l’assassinat, le ministère a de son côté été dans l’impossibilité de fournir la preuve de cette présence, arguant qu’il ne pouvait pas amener des témoins pour des « raisons de sécurité ». A la grande surprise des prévenus et de leurs avocats, le juge du Tribunal de Grande Instance de Ntahangwa (en Mairie de Bujumbura) a décidé le 04 novembre 2016 la remise du dossier au ministère public pour complément d’enquête. Les avocats de la défense ont estimé qu’il y avait violation de la loi du fait que « quand un procès qui est déjà au tribunal est renvoyé pour motif d’enquêtes supplémentaires, c’est le tribunal qui mène ces enquêtes et non le parquet »[7].
- Dans sa défense, Rénovât a prouvé qu’il était en congé chez lui à Rutana le jour de l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA et de nouveau dénoncé l’acharnement dont il était victime de la part de l’OPC1 Jean-Marie NIYONZIMA alias NDUNDI qui voulait écarter définitivement le témoin d’un scandale au palais présidentiel. Malheureusement, Rénovât NIMUBONA ne connaîtra jamais la suite de son procès. Le 18 novembre 2016, il a envoyé son avant-dernier message au FOCODE en y attachant sa signification du jugement. Il était très amer en constatant autant d’injustice. Moins d’un mois plus tard, il était exécuté dans la nuit du 13 au 14 décembre 2016. Treize jours après sa mort, ses co-prévenus ont comparu de nouveau devant le juge et ont réclamé le témoignage de certaines autorités témoins de leur présence en dehors de Bujumbura ou en dehors de la gare du Nord au moment de l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA. Le Ministère Public a promis, à son tour, d’amener la prochaine fois, des témoins qui ont vu les prévenus à la gare du nord ce jour-là[8]. Depuis six mois, les prévenus attendent toujours un prochain rendez-vous… Entretemps aucune enquête n’a été menée sur l’exécution de Rénovât NIMUBONA.
- Après l’exécution de Rénovât NIMUBONA, sept prévenus restent poursuivis dans ce dossier, dont cinq militaires et deux policiers : Premier sergent-major Patrick NSENGIYUMVA, Premier sergent-major Cadeau BIGIRUMUGISHA, Caporal-chef Jean-Claude MUHIMPUNDU, Caporal-chef Ernest NYABENDA, Caporal Alexis SABAHENE, APC Mathias MIBURO et APC Philibert NIYONKURU. Ils ne savent jamais à quel moment ils pourront comparaitre et vivent dans la peur permanente d’être attaqués ou assassinés à leur tour.
- De façon habituelle et surprenante, le ministère public et le juge ne se sont jamais intéressés au processus d’arrestation des prévenus qui a souvent pris des allures d’enlèvement, à leur détention secrète dans des toilettes du SNR ou aux actes de torture qu’ils ont subis dans les cachots du SNR.
C. Evasion et exécution de Rénovât NIMUBONA
- Les codétenus de feu Rénovât NIMUBONA sont convaincus que leur collègue a été piégé et éliminé par le SNR qui se trouvait dans l’incapacité de prouver son implication dans l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA. L’APC NIMUBONA avait une très bonne connaissance de l’organisation et de la sécurité du Palais Présidentiel, il était par conséquent considéré comme un élément très dangereux. Il y a donc lieu de s’interroger ici sur le mobile de l’élimination physique de Rénovât NIMUBONA. Est-ce par vengeance d’un officier de la garde présidentielle comme le déclarait le défunt ? Est-ce parce que le pouvoir estimait qu’il ne pourra jamais obtenir une sanction lourde par une justice incapable de prouver la culpabilité de Rénovât NIMUBONA ? Ou bien est-ce pour empêcher que l’ancien policier ne dévoile les secrets du palais présidentiel dont il avait beaucoup de connaissance ?
- Selon les codétenus de Rénovât NIMUBONA, leur groupe a été très sollicité par le Capita Général Audace NYANDWI, dans les jours qui ont précédé l’exécution du prisonnier NIMUBONA. Audace NYANDWI promettait qu’il pouvait obtenir facilement des sorties autorisées pour tous ceux qui avaient des urgences à régler. Si la majorité des détenus avaient rejeté cette offre qui leur paraissait suspecte, deux détenus l’avaient acceptée : Rénovât NIMUBONA pour mardi le 13 décembre 2016 et un autre détenu pour jeudi le 15 décembre. Comme convenu, le Capita Général a bel et bien obtenu l’autorisation de sortie de Rénovât NIMUBONA signée par le Directeur Adjoint de la Prison de Gitega, M. Paul HAKIZIMANA. De son côté, Rénovât NIMUBONA a appelé ses contacts pour informer qu’il allait profiter de la sortie pour s’évader. Au moins deux sources différentes ont confirmé que Monsieur NIMUBONA les avait informées de son plan d’évasion.
- En compagnie d’un policier, APC Déo MANARIYO alias NDINGA, et du Capita Général Audace NYANDWI, le détenu Rénovât NIMUBONA s’est d’abord rendu au bureau de la poste de Gitega pour retirer son argent. Puis le trio s’est rendu dans une maison de passage « Le PARASSO » pour partager un verre. Et c’est là qu’une dame portant une sorte de panier (ikapo) les aurait rejoints. Elle se serait isolée un moment dans une chambre avec Audace NYANDWI et Rénovât NIMUBONA. Une source proche des lieux indique que la dame avait déjà rencontré Audace NYANDWI trois fois dans cette maison de passage. La suite des événements telle que présentée par la police et le journal « Ikiriho » : “Une fois sorties, les trois personnes se rendent dans « PARADO », une maison de passage du quartier Shatanya. Les deux prisonniers entrent dans une chambre avec une femme. Le capita général et la femme sortiront de cette chambre laissant seul le prisonnier Rénovât Nimubona. L’on se souviendra que ce dernier était agent caporal-chef à la PNB au moment de l’assassinat du général Adolphe. Le prisonnier Nimubona sort à son tour. Il tient un pistolet, « probablement amené par la femme », selon Pierre Nkurikiye. Il tire sur le policier. La balle ne part pas. Par force, le prisonnier arrache la kalachnikov au policier et tire sur ce dernier qui succombe sur le champ. L’assassin dépose le pistolet et le fusil du crime près du corps de la victime et se volatilise dans la nature. Alerté par le bruit, le capita général revient à la maison de passage. Il se saisit de la kalachnikov et se lance à la poursuite de l’assassin Nimubona. « Le capita général réussira à abattre son codétenu assassin », indique Pierre Nkurikiye.” [9]
- Difficile de savoir ce qui s’est réellement passé à la maison « le PARASSO » dans la mi-journée du 13 décembre 2016. On y trouvait le corps sans vie de l’APC Déo MANARIYO alias « NDINGA », criblé de cinq balles dans le ventre et dans la hanche ; des traces bizarres dans la gorge résultant probablement d’un combat. Des coups de feu ont été entendus. Le prisonnier Rénovât NIMUBONA restait introuvable, la police et l’administration se déclaraient à sa recherche tout l’après-midi du mardi 13 décembre[10]. Quelques temps plus tard, le Capita Général Audace NYANDWI s’est présenté à la Prison de Gitega avec le pistolet, le fusil Kalachnikov du policier assassiné et des habits civils qu’aurait dû porter Rénovât NIMUBONA avant de s’enfuir.
- Mercredi 14 décembre 2016, coup de théâtre ! Alors que la police déclarait la veille qu’elle cherchait ardemment le prisonnier fugitif, le corps inanimé de Rénovât NIMUBONA a été trouvé par des passants, au bord d’un sentier menant dans la vallée entre les quartiers de Shatanya et de Mushasha au chef-lieu de Gitega. Les premiers passants indiquent que le corps avait les bras ligoté par un morceau de moustiquaire derrière le dos ; mais le morceau de moustiquaire n’était plus présent sur la photo publiée par la police. La tête était ensanglantée et semblait avoir été frappée, en partie fracassée par un métal. Le corps avait un torse nu et portait uniquement le pantalon vert de l’uniforme des prisonniers et un chapelet catholique. Très rapidement, le porte-parole de la police a fait une annonce à la presse qu’il a d’ailleurs résumée dans un tweet : Rénovât NIMUBONA avait succombé aux tirs d’un codétenu ![11]
- Plusieurs questions se posent ici :
- comment se fait-il qu’un détenu placé dans une « prison de haute sécurité » et poursuivi dans un dossier aussi grave que celui de l’assassinat du Général Adolphe NSHIMIRIMANA soit autorisé avec une garde aussi minimale : accompagné d’un seul policier ?
- Comment se fait-il qu’un policier accepte de partager un verre avec le prisonnier « dangereux » dont il a la garde ?
- Comment se fait-il que le détenu soit revenu de la chambre avec un pistolet sans avoir pris le soin de changer ses vêtements ?
- Comment se fait-il que, quand la balle n’est pas sortie du pistolet, le policier n’ait pas usé rapidement de son fusil Kalachnikov pour se protéger ?
- Comment se fait-il que le codétenu ait tiré juste dans la direction de fuite de Rénovât NIMUBONA, l’ait mortellement atteint sans que le corps soit trouvé tout l’après-midi alors qu’il gisait juste au bord d’un sentier très usité ?
- Comment se fait-il que le corps trouvé le lendemain matin semblait avoir été ligoté selon la photo publiée tandis que les premiers passants disent clairement qu’il était ligoté ? Qui l’a ligoté ?
- Pourquoi ces interrogations n’ont jamais intéressé ni la police ni la justice qui a jugé l’affaire dès lendemain ?
- Le FOCODE a reçu deux enregistrements audio (whatsapp) de 22 et de 26 secondes qui auraient été envoyés par Rénovât NIMUBONA à un de ses amis intimes dans l’après-midi du 13 décembre 2016. Les enregistrements ont été envoyés par le FOCODE à des amis de Rénovât NIMUBONA qui ont bel et bien reconnu sa voix. Le FOCODE n’est pas en mesure de les authentifier et se tient prêt à les remettre à une commission d’enquête crédible qui les solliciterait. S’il s’avère que ces enregistrements sont bel et bien de feu Rénovât NIMUBONA, ce serait une preuve irréfutable que le détenu était vivant dans l’après-midi du 13 décembre 2016 et qu’aucune balle ne l’aurait atteint durant sa fuite.
- Les investigations menées par le FOCODE indiquent que Rénovât NIMUBONA aurait été capturé dans la soirée du 13 décembre 2016 tout près d’une maison de prière « Chez Lucienne » sis au quartier Mushasha, par des policiers conduits par un officier du SNR résidant à Gitega, M. Gérard NDAYISENGA (actuel responsable du SNR en province de Muyinga). Selon les mêmes sources, Rénovât NIMUBONA aurait été frappé à la tête avec une clé de roux après un interrogatoire musclé par Gérard NDAYISENGA dans sa ferme située non loin de là. Le corps de Rénovât NIMUBONA aurait été jeté au bord du sentier menant dans la vallée entre les quartiers Mushasha et Shatanya dans les premières heures de la matinée du 14 décembre 2016. Gérard NDAYISENGA, plus connu à Gitega comme un grand éleveur de plusieurs bétails, est également cité dans beaucoup de dossiers de torture, de disparitions forcées et d’exécution extrajudiciaire. Le FOCODE l’a déjà cité dans la disparition forcée d’un responsable du parti MSD en Province de Karusi, Monsieur Eric NIYUNGEKO[12].
- Le FOCODE s’est intéressé enfin au profil du policier assassiné, l’APC Déo MANARIYO alias NDINGA (Matricule 217.307). Fils de Anatole NDARUSANGIYABANDI et de Générose NZEYIMANA, Déo MANARIYO était né le 17 avril 1975 à Rusuguti en Commune et Province de Ngozi au Nord du Burundi. Il était presque nouveau dans la garde de la prison de Ngozi puisque précédemment il assurait la sécurité du Procureur de la République en province de Gitega. A ce titre, il aurait eu beaucoup d’informations sur le Procureur. Sans être marié, l’APC Déo MANARIYO était père de deux enfants selon des proches. Aucun effet personnel du policier n’aurait été remis aux siens selon une source dans la police burundaise qui craint que le policier aurait été volontairement éliminé.
D. Une justice de complaisance
- Aucune enquête, policière ou judiciaire, n’a été menée sur l’exécution du prévenu Rénovât NIMUBONA. La police s’est contentée de déclarer que le codétenu Audace NYANDWI avait tiré dans la direction de fuite du prévenu et que ce dernier avait succombé aux tirs. Face aux interrogations du Président du FOCODE qui faisait un parallèle entre l’exécution du détenu Rénovât NIMUBONA en décembre 2016 et celle de l’Adjudant Eddy-Claude NYONGERA en septembre 2016[13], le porte-parole de la police, Pierre NKURIKIYE s’est irrité et a immédiatement bloqué l’accès de Pacifique NININAHAZWE à son compte Twitter[14]. Ainsi, les contradictions et les interrogations sur cette mort n’ont pas intéressé la police et la justice burundaise. En temps normal, la justice burundaise aurait dû comprendre que la mort d’une personne dans ses mains devait l’interpeller et engager sa responsabilité.
- Par contre, la police et la justice ont été sévères dans la condamnation du processus d’évasion de Rénovât NIMUBONA et de la complicité du meurtre du policier Déo MANARIYO alias NDINGA. Une procédure de flagrance a été engagée dès le 14 décembre 2016 contre quatre personnes. Le 15 décembre, le Tribunal de Grande Instance de Gitega a prononcé ces peines[15]: Audace NYANDWI, Capita Général des prisonniers, a été condamné à 21 ans de prison pour avoir facilité l’évasion de Rénovât NIMUBONA ; Paul HAKIZIMANA, directeur adjoint de la prison de Gitega, condamné à 20 ans de prison pour avoir facilité l’évasion ; Godeberthe KANKINDI, gérante de la maison de passage « Le PARASSO », condamnée à 10 ans de prison, son établissement fermé. Emmanuel KABURA, chef du poste de police à la prison de Gitega, a été acquitté.
- Dans son bulletin « Iteka n’Ijambo » n°37, la Ligue Burundaise des Droits de l’Homme ITEKA a évoqué ces arrestations et a estimé qu’il pouvait s’agir d’une couverture des crimes commis par le SNR : “quatre personnes Kankindi Godeberthe (responsable d’une maison de passage), Hakizimana J. Paul (Directeur Adjoint de la prison de Gitega), Audace Nyandwi, Kabura Emmanuel (chef de l’unité de police affecté à la prison de Gitega) ont été arrêtées en date du 14 décembre 2016 en province de Giteg a à la suite d’un double assassinat qui avait visé un policier et un détenu, la veille. Selon des sources bien informées au sein de la police, les arrestations de faux coupables servent de couverture pour cacher les véritables commanditaires des deux crimes qui ont en réalité été organisés par le SNR”.[16]
- Le 15 décembre 2015, le SNR a en outre arrêté à Kinindo l’ancien colonel de la police nationale Tite SERUDUGO, à ce moment en retraite. Le pistolet retrouvé près du corps sans vie du policier Déo MANARIYO était dans la dotation du colonel retraité quand il était encore en fonction. Il a eu beau expliquer qu’au moment de son entrée en retraite il avait bel et bien remis le pistolet avec tout le reste du matériel de la police dans sa dotation, cela n’a pas suffi. Le 21 décembre 2016, Tite SERUDUGO a été transféré à la Prison de Gitega.
- Tout compte fait, il semble que la justice burundaise n’est pas intéressée par l’exécution d’un prisonnier qui en savait trop sur le palais présidentiel de Pierre NKURUNZIZA.
E. Rénovât NIMUBONA, un policier qui en savait trop sur le palais présidentiel
- Dans sa longue correspondance avec le FOCODE, de mai 2016 à décembre 2016, feu Rénovât NIMUBONA a fourni beaucoup d’informations sur la composition, la logistique et certains crimes d’une équipe servant à la fois de système de renseignement privé du Président NKURUNZIZA et d’escadron de la mort. Les informations précieuses fournies par Rénovât NIMUBONA ont permis au FOCODE d’avoir un certain éclairage sur un réseau criminel très secret, d’entamer des enquêtes sur des dossiers qui n’étaient pas largement connus du public et de comprendre la dynamique de certains crimes. Certains dossiers criminels révélés par feu Rénovât NIMUBONA sont encore en cours d’investigation au sein du FOCODE, ils seront publiés progressivement. Rénovât NIMUBONA n’était pas un saint- d’ailleurs personne ne l’est- mais ses informations sont très importantes. En lui rendant hommage, et sans affirmer la véracité de ce qui a été révélé, le FOCODE tient à rendre publiques des informations contenues dans certains extraits des messages du défunt prisonnier de Gitega.
- Le 17 mai 2016, le FOCODE a posé cette question à Rénovât NIMUBONA : « connais-tu un certain Jonas de l’API (garde présidentielle) ? ». La réponse a été longue et riche.
« Je le connais très bien. J’étais chauffeur du Protocole d’Etat, c’est lui-même qui m’a arrêté. Pour me piéger, ils m’ont appelé à un travail de nuit dans l’objectif de m’enlever pour me tuer. J’ai crié très fort et j’ai été sauvé par la garde de la présidence. Je connais presque toute son équipe. Nkurunziza leur a donné même des véhicules, des camionnettes double-cabines neuves (couleur noir-gris et blanche), et des motos pour leur faciliter la tâche de tuer. Je connais beaucoup de choses sur ces gens. »
« Le plus souvent, cette équipe reçoit les ordres du Colonel Dominique NYAMUGARUKA, commandant de la BSPI[17]. Ils reçoivent aussi des ordres d’un Colonel de la police, Jean-Marie NIYONZIMA alias NDUNDI, chef de la première compagnie de l’API, celle qui est chargée de la sécurité du Palais et de la sécurité rapprochée du Président. Jonas NDABIRINDE est un brigadier de la police, il collabore étroitement avec un autre brigadier John alias RUHINDIGITERO[18] et d’un agent de la police Claude NIJIMBERE alias MATWI. Ils sont également avec un certain Côme et un certain Fiston. Je n’ai pas tous les noms, mais je vous aiderai à les trouver. »
« Jonas est particulièrement chargé du renseignement de Pierre NKURUNZIZA, il fait le « maneko » (NDLR maneko : c’est celui qui est chargé de tout écouter, de tout espionner et de rapporter au chef). C’est lui qui a d’ailleurs dirigé l’opération d’assassinat de Zedi Feruzi. Il se déplace dans une camionnette double-cabine semblable à celle qu’utilisait Adophe NSHIMIRIMANA, et c’est Pierre NKURUNZIZA en personne qui la lui a donnée. Le groupe dispose aussi d’une voiture Toyota TI, d’une Toyota Carina blanche et des motos. Jonas NDABIRINDE est un ancien de la rébellion. La présidence a loué une belle villa pour cette équipe de tueurs au quartier Kigobe à Bujumbura, non loin du bar du Général Jérémie. Son équipe a commis des crimes innommables et innombrables.»
« Voici enfin la composition de cette équipe de renseignement de Nkurunziza telle que je la connais :
- Leur chef c’est le Colonel Dominique NYAMUGARUKA, commandant de la BSPI,
- Son adjoint, c’est l’OPC1 Jean-marie NIYONZIMA alias NDUNDI,
- OPP1 Alex surnommé Tianshi ou Mufyati (OPP1 est l’équivalent de major de l’armée)
- Brigadier Jonas NDABIRINDE,
- Brigadier John alias RUHINDIGITERI
- Brigadier Cyrille NAHIMANA (il a fini par être arrêté dans la deuxième moitié de 2016 et s’est converti en pasteur à la prison de Muramvya)
- Brigadier MBAVU,
- APC Claude NIJIMBERE alias MATWI,
- APC Siapona,
- APC Fiston,
- APC Côme qui a même été envoyé ici à la prison de Gitega pour nous espionner,
- APC Jean-Marie GATUYUMUGAMBA. Je me souviens juste de ceux-là, mais il y a d’autres. »
- Rénovât NIMUBONA a fourni une liste non exhaustive des crimes qui auraient été commis par cette équipe de renseignement du palais présidentiel. FOCODE enquête encore sur ces crimes :
- Assassinat de Zedi Feruzi : toute la journée avant son assassinat, l’équipe de Jonas était en contact téléphonique avec une personne dans la sécurité de Zedi Feruzi. Après le forfait, ils ont filé à toute vitesse vers la permanence nationale du CNDD-FDD, ils y ont laissé leur voiture Toyota TI, puis ils sont venus à pieds au camp de l’API à Ngagara. Ils étaient quatre : Jonas NDABIRINDE, John alias RUHINDIGITERO, APC Fiston et un autre dont je ne me souviens plus.
- En septembre-octobre 2015, ils ont enlevé des jeunes dans différents coins à Bujumbura, huit au total. Ils sont allés les remettre au commandant du camp Kayanza qui a refusé de les recevoir. Puis ils sont allés les achever eux-mêmes tout près de la forêt naturelle de la Kibira ;
- En décembre 2015, ils ont enlevé l’OPC2 Cyprien NIHORIMBERE, un officier de la PAFE-NGOZI dont le cadavre a été retrouvé plus tard à Bugarama,
- Ils ont également enlevé un autre officier de la PAFE à Muyinga (NDLR probablement Simon MASUMBUKO),
- En décembre 2015, ils ont enlevé un policier à Gitega, Adelin BIZIMANA chargé de la logistique dans la région centre de la police ainsi que cinq autre personnes qui auraient été enterrées dans une fosse commune au palais présidentielle de Gitega. Le véhicule du policier Adelin BIZIMANA a été trouvé le lendemain de l’enlèvement, incendié sur la Ruvubu dans la commune Shombo de Karusi,
- A Karusi, ils ont enlevé un élève au retour de l’école, frère d’un policier démobilisé, et le cadavre a été trouvé à Muyinga près d’un Lycée à Rusengo,
- Ils ont enlevé beaucoup de jeunes dans les quartiers de Bujumbura,
- Le 17 juin 2016, ils ont enlevé à Ngozi Dieudonné GAHUNGU, un employé de l’ONATEL (message du 18 juin 2016)
- Rénovât NIMUBONA a envoyé des centaines d’autres messages au FOCODE dont les plus importants portaient sur les menaces à la sécurité des prisonniers politiques à Gitega, alertaient sur des sorties suspectes de certains prisonniers qui seraient employés dans la commission des crimes ou sur l’envoi à Arusha des éléments du renseignement privé de NKURUNZIZA chaque fois qu’il y avait des sessions du dialogue interburundais. La doléance qui est revenue souvent dans les messages du détenu Rénovât NIMUBONA, c’était de l’aider à trouver un avocat chaque fois à la veille de sa comparution en justice.
F. Recommandations et Prise de position du FOCODE
- Le FOCODE condamne l’exécution du détenu Rénovât NIMUBONA après sa capture dans la nuit du 13 au 14 décembre 2016 ainsi que l’inaction de la police et de la justice pour retrouver les auteurs de cette exécution ;
- Le FOCODE demande la traduction en justice de l’officier du renseignement Gérard NDAYISENGA, responsable provincial du SNR à Muyinga, cité dans l’exécution du détenu Rénovât NIMUBONA et dans plusieurs autres dossiers d’exécutions extra-judiciaires, de disparitions forcées et de torture ;
- Le FOCODE demande une enquête sérieuse et indépendante sur l’assassinat du policier Déo MANARIYO alias NDINGA et du détenu Rénovât NIMUBONA ;
- Le FOCODE condamne la pratique de détention secrète et de torture qui a été notamment usitée sur les prévenus poursuivis dans le dossier de l’assassinat du Lieutenant-Général Adolphe NSHIMIRIMANA et dans plusieurs dossiers sensibles;
- Le FOCODE demande à la justice burundaise d’accélérer le procès sur l’assassinat du Lieutenant-Général Adolphe NSHIMIRIMANA qui traîne depuis environ deux ans et mettre fin aux pratiques de harcèlement des militaires ex-FAB ou d’autres réputés opposants au troisième mandat du Président NKURUNZIZA ;
- Le FOCODE réaffirme son soutien à la Commission d’Enquête sur le Burundi qui présente aujourd’hui son deuxième exposé oral devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève et demande au Conseil de lui apporter tout son soutien et de prendre la mesure de la gravité de la situation au Burundi en suspendant le pays dans le Conseil ;
- Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale de l’ouverture sans délais de l’enquête sur tous les crimes sous sans compétence en cours au Burundi et de l’engagement des poursuites contre leurs auteurs ;
- Le FOCODE tient à porter haut le cri de feu Rénovât NIMUBONA, cri partagé par beaucoup de détenus des dossiers politiques burundais : le besoin d’une assistance par un avocat ! Le FOCODE appelle les partenaires du Burundi à soutenir tous les prisonniers politiques en finançant l’assistance judiciaire via la société civile indépendante.
Pour le FOCODE,
Pacifique NININAHAZWE
Président.-
[1] Le Capita Général c’est le délégué Général des prisonniers d’un même établissement pénitentiaire
[2] http://www.ikiriho.org/2016/12/14/prison-de-gitega-une-tentative-devasion-qui-tourne-a-un-double-meurtre/
[3] BPP1 Jonas Ndabirinde (Matricule BPN 1503) et BPP1 Jean Nimenya alias « John Ruhindigiteri » (Matricule BPN 2072) feraient partie d’un service de renseignement du palais présidentiel et seraient très proches de Pierre Nkurunziza. Jonas Ndabirinde a déjà été cité dans plusieurs rapports du FOCODE sur les disparitions forcées. Jonas Ndabirinde et Jean Nimenya sont notamment cités dans le rapport du FOCODE sur l’assassinat du Président de l’UPD-Zigimabanga Zedi Feruzi le 23 mai 2015, http://ndondeza.org/zedi-feruzi/
[4] « NKOROKA » est le sobriquet de l’OPC2 Alexis Ndayikengurukiye, chef du Service du renseignement Intérieur au sein du SNR. Il coordonnerait les bureaux provinciaux du SNR, donnerait l’accord pour des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires dans les provinces, coordonnerait tous les cachots secrets.
« KAZUNGU » est le sobriquet de l’officier du renseignement Joseph-Mathias Niyonzima : son nom est cité dans de nombreux cas de disparitions forcées, d’exécutions extra-judiciaires et d’assassinats ; c’est encore lui qui coordonnerait les formations et les activités des miliciens Imbonerakure à l’Est de la RDC.
[5] « NDUNDI » est le sobriquet de l’OPC1 Jean-Marie Niyonzima, chef de la première compagnie API chargée de la garde rapprochée de Pierre Nkurunziza. Un des hommes puissants dans le renseignement parallèle du président, très proche de Nkurunziza.
[6] Le Général Adolphe NSHIMIRIMANA a été assassiné dans l’espace communément appelé Gare du Burundi, à Kamenge au Nord de la Ville de Bujumbura
[7] Retour à la case parquet du dossier des présumés assassins du Général Nshimirimana, http://www.rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/justice/item/3130-retour-a-la-case-parquet-du-dossier-des-presumes-assassins-du-general-nshimirimana
[8] Gitega : Les prévenus dans le dossier de l’assassinat du Général Nshimirimana obtiennent la comparution de leurs témoins à décharge, http://rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/justice/item/3224-gitega-les-prevenus-dans-le-dossier-de-l-assassinat-du-general-nshimirimana-obtiennent-la-comparution-de-leurs-temoins-a-decharge
[9] Prison de Gitega : une tentative d’évasion qui tourne à un double meurtre, http://www.ikiriho.org/2016/12/14/prison-de-gitega-une-tentative-devasion-qui-tourne-a-un-double-meurtre/
[10] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1296390897089613
[11] https://twitter.com/PierreNkurikiye/status/808907694321135616
[12] Disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO, http://ndondeza.org/eric-niyungeko/
[13] Exécution de l’Adjudant Eddy-Claude NYONGERA : rapport du FOCODE, http://ndondeza.org/eddy-nyongera/
[14] https://twitter.com/pnininahazwe/status/811427074980380672
[15] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1298566313538738
[16] https://www.ligue-iteka.bi/images/Bulletin/Itekanijambo37.pdf
[17] BSPI : Brigade Spéciale de Protection des Institutions
[18] John RUHINDIGITERO est le sobriquet du BPP1 Jean NIMENYA (Matricule BPN 2072)