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La disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE

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DECLARATION DU FOCODE n°011/2016  DU 09 Juin 2016  

« Les autorités burundaises doivent donner la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE, Elu local de la colline Kiyonza, introuvable depuis le 2 octobre 2015 »

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a reçu des informations et plusieurs témoignages sur la disparition forcée d’un élu local : Monsieur Nestor NDAYIZEYE, Chef de la Colline Kiyonza, introuvable depuis son arrestation (ou enlèvement) par des personnes en tenue de police dans l’après-midi du 02 octobre 2015 au bureau du Secteur Kiyonza en Commune Bugabira de la Province de Kirundo, au Nord du Burundi.

Par rapport aux neuf autres cas déjà publiés dans le cadre de la Campagne NDONDEZA, celui-ci présente plus d’une particularité : d’abord il s’agit d’un élu du peuple qui disparait dans le silence total des autorités policières et administratives. Ensuite, c’est la toute première fois qu’on découvre la disparition d’un membre du CNDD-FDD de la même manière que les responsables et militants de l’opposition. Toutefois, le chef de colline avait été élu sans le « consentement » de son parti. Enfin, il s’agit d’un cas de disparition forcée qui n’a pas bénéficié de la couverture des réseaux sociaux et des media comme d’habitude. Peut-on expliquer cela par l’éloignement de la Colline Kiyonza ou par les hésitations des membres de la famille d’un membre du parti au pouvoir qui pouvaient espérer un sort différent de celui des membres de l’opposition?

A. Identité de la victime

  1. Fils de Valentin MINANI et Marie MANIZANA, Nestor NDAYIZEYE est né en 1976. Il est marié et père de cinq enfants. Il avait son domicile à la Colline KIYONZA en Commune de BUGABIRA de la Province KIRUNDO au moment de sa disparition forcée ;
  2. Elu collinaire, Nestor NDAYIZEYE était chef de la Colline KIYONZA ;

B. Un chef de colline très populaire mais qui n’avait plus le soutien de son parti

  1. Tous les témoignages reçus par le FOCODE décrivent Monsieur Nestor NDAYIZEYE comme un chef de colline très populaire à Kiyonza. Il venait de décrocher un troisième mandat à une majorité écrasante. Dans son précédent mandat, il était parvenu à construire son bureau de travail (ce qui est très rare). Homme de paix et de tolérance, toujours ouvert aux doléances de sa population selon les témoignages, il s’était toujours opposé aux mauvais traitements des membres des partis de l’opposition sur sa colline ;
  2. Nestor NDAYIZEYE est un membre du parti présidentiel le CNDD-FDD. Mais les chefs de colline sont en principe élus comme des candidats indépendants. Il s’était présenté aux dernières élections collinaires sans le consentement des responsables locaux du parti présidentiel ;
  3. Signe de son ouverture, lors de la construction de l’école primaire sur sa colline, Monsieur Nestor NDAYIZEYE avait sollicité et obtenu une contribution de briques auprès du Dr Jean MINANI alors député élu en Province de Kirundo et président du parti FRODEBU-NYAKURI, aujourd’hui leader en exil de la coalition de l’opposition CNARED-GIRITEKA[1]. Cela lui a valu d’être qualifié de proche à Jean MINANI et d’opposant au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ;
  4. Réélu Chef de la Colline KIYONZA contre la volonté du chef local du parti CNDD-FDD qui aspirait au même poste, Monsieur Nestor NDAYIZEYE se savait en danger. Les témoignages reçus par le FOCODE mentionnent que certains responsables du parti présidentiel avaient juré que Nestor NDAYIZEYE ne ferait pas plus de trois mois sur son siège ;

nestorndondeza

                                  Au milieu, Nestor Ndayizeye dirige une réunion de sa population.

C. Arrêté devant sa population alors qu’il dirigeait une réunion des chefs de cellules…

  1. Selon les témoignages reçus par le FOCODE, dans l’après-midi du 02 octobre 2015 Monsieur Nestor NDAYIZEYE a dirigé une réunion des chefs de cellules à son bureau du Secteur Kiyonza. Pendant la réunion, le chef des Imbonerakure de Kiyonza, en même temps percepteur de taxes sur la Colline Kiyonza, M. NYANDWI plus connu sous le sobriquet de SHOMEREYE, s’est pointé à l’extérieur du bureau où se tenait la réunion et est resté accroché à son téléphone à plusieurs reprises selon des témoins ;
  2. A 16 heures, une camionnette double cabine aux vitres fumées et sans plaque d’immatriculation est arrivée au bureau du Secteur Kiyonza avec des personnes en tenue de police à son bord. Selon les témoignages reçus, un policier en est sorti, a échangé avec le chef des Imbonerakure Nyandwi avant d’entrer dans le bureau du chef de colline Nestor NDAYIZEYE. Il s’est nommé Franck NDUWIMANA et a annoncé au chef de colline : « abashefu barakuntumye» qui signifie littéralement « les chefs me chargent de te ramener ». Aucun mandat d’arrêt n’a été présenté à Monsieur Nestor NDAYIZEYE ;
  3. Certains témoignages ont présenté ce policier comme un membre de l’équipe de Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU du Service National de Renseignement ;
  4. A 16h10, selon les témoignages reçus par le FOCODE, Monsieur Nestor NDAYIZEYE a été embarqué dans la camionnette immatriculée pour une destination inconnue jusqu’à ce jour ;

D. Calvaire de la famille après la disparition forcée de Nestor NDAYIZEYE : rançons, menaces, exil. 

  1. Dès l’arrestation de Nestor NDAYIZEYE le 02 octobre 2015, sa famille a tout essayé pour retrouver ses traces mais en vain. Elle l’a cherché dans tous les cachots connus dans la province avant de se rendre jusqu’au SNR à Bujumbura mais, à part quelques promesses vaines pour lui soutirer des rançons, elle n’a reçu aucun écho de Nestor NDAYIZEYE depuis huit mois ;
  2. Dans sa quête du lieu de détention du Chef de la Colline Kiyonza, un membre de sa famille a confié au FOCODE qu’il avait été contraint de payer :
  • Deux cents mille francs burundais (200.000 BIF) au chef des Imbonerakure en Commune Bugabira M. Emmanuel NSAGUYE,
  • Cent mille francs burundais (100.000 BIF) au responsable du SNR en province de Kirundo muté à Bujumbura au lendemain de la disparition de Nestor NDAYIZEYE,
  • Cinq cents mille francs burundais (500.000 BIF) à des agents du SNR à Bujumbura (près de la Cathédrale Regina Mundi),
  • Cent cinquante mille francs à une personne qui serait chargée du renseignement à la permanence nationale du parti CNDD-FDD,

En tout neuf cents cinquante mille francs burundais (950.000 BIF) payés à différentes personnes qui n’ont pas honoré la promesse de montrer le lieu de détention de Nestor NDAYIZEYE ;

  1. Après les séries de rançonnage sur la famille de Monsieur Nestor NDAYIZEYE, cette dernière a été objet de plusieurs sortes de menaces à tel point que certains de ses membres ont dû fuir le pays. Même la prière qui se faisait habituellement à la résidence de la victime a été interdite sous prétexte qu’elle donnait lieu à des réunions clandestines ;

E. Auteurs présumés de la disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE 

  1. Selon les informations concordantes recueillies par le FOCODE, le complot contre Nestor NDAYIZEYE a été organisé depuis les élections collinaires d’août 2015, le chef collinaire du parti CNDD-FDD l’ayant accusé à tort d’appartenir désormais au parti Frodebu-Nyakuri de l’opposant Dr Jean Minani ;
  2. Les témoignages reçus par le FOCODE reviennent particulièrement sur les noms ci-après comme principaux auteurs de la disparition forcée de Nestor NDAYIZEYE :
  • Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU, officier du SNR déjà cité dans plusieurs autres cas de disparitions forcées, qui serait le supérieur hiérarchique du policier qui s’est présenté comme Franck NDUWIMANA,
  • NYANDWI alias SHOMEREYE, responsable des Imbonerakure sur la Colline Kiyonza, qui aurait assuré la surveillance de Nestor NDAYIZEYE avant son enlèvement et communiquait avec son kidnappeur,
  • Le chef du parti CNDD-FDD sur la colline Kiyonza qui aurait juré que Nestor NDAYIZEYE n’allait pas passer plus de trois mois sur son siège après sa réélection à la tête de la Colline,
  • Le chef des Imbonerakure en Commune BUGABIRA M. Emmanuel NSAGUYE et l’ancien chef du SNR en Province de KIRUNDO qui auraient perçu des rançons en assurant qu’ils connaissaient le lieu de détention de Nestor NDAYIZEYE ;
  1. Certains témoignages recueillis par le FOCODE citent également l’Administrateur de la Commune BUGABIRA, le Gouverneur de la Province Kirundo ainsi que le Député Jean-Baptiste NZIGAMASABO alias GIHAHE. Le FOCODE constate que le silence de ces autorités devant une disparition d’un élu local de leur ressort ne peut qu’être complice ;

F. Demande de la famille Nestor NDAYIZEYE 

  1. Huit mois après la disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE, sa famille demande :
  • d’être informée sur le lieu de détention de Nestor NDAYIZEYE ou sur le sort qui lui a été réservé depuis son arrestation,
  • de recevoir le corps du père de la famille au cas où il ne serait plus en vie, pour une inhumation digne d’un être humain cher à sa famille et d’avoir le droit au deuil comme le veut la culture burundaise ;

G. Prise de position et recommandations

La disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE, un élu collinaire très apprécié par la population et en pleine réunion avec d’autres responsables, suivie d’un silence absolu de tous les organes de l’Etat, est une nouvelle indication de la gravité du phénomène des disparitions forcées en cours au Burundi.

Face à cette situation, le FOCODE :

  1. Réitère sa condamnation des enlèvements ainsi que des arrestations illégales et arbitraires des citoyens du Burundi opérés par des forces de l’ordre et qui sont suivis par des détentions dans des lieux secrets non communiqués ni par des déclarations publiques ni aux membres des familles des détenus ;
  2. Condamne l’inaction complice de la police judiciaire et du parquet de Kirundo qui n’ont rien fait pour découvrir la vérité sur la disparition forcée de Monsieur Nestor NDAYIZEYE ;
  3. Exige des explications du Ministre Pascal BARANDAGIYE, ayant l’Administration du Territoire dans ses attributions, sur la disparition de l’élu local, Chef de la Colline Kiyonza, Monsieur Nestor NDAYIZEYE depuis son arrestation illégale et arbitraire le 02 octobre 2015 dans le bureau du Secteur Kiyonza ;
  4. Condamne encore une fois la pratique de la rançon par des agents de l’Etat ;
  5. Réitère sa demande :
  • Aux autorités du Burundi de fermer tous les cachots non officiels et de communiquer régulièrement aux familles les lieux d’incarcération des personnes arrêtées ;
  • Aux mécanismes des Nations Unies travaillant sur les disparitions forcées de se saisir sans délais du dossier du Burundi vue la dimension catastrophique du phénomène ;
  • Aux Nations-Unies, à l’Union Africaine et à l’EAC d’envoyer rapidement au Burundi une commission internationale d’enquête sur les violations graves de droits de l’homme (y compris les disparitions forcées, les cas de viol et de torture ainsi que les exécutions extra-judiciaires) et une force de protection des citoyens ;
  1. Invite tous les résidents du Burundi et particulièrement les familles à lui communiquer les cas de disparitions des personnes arrêtées par des agents de l’Etat ou des groupes ayant des liens avec l’Etat ou encore des groupes armés. Ces informations seront envoyées à l’adresse email : [email protected] et au numéro WhatsApp : +257 79 910 446 utilisé par le Président du FOCODE.

Les cas de disparitions forcées déjà documentés sont publiés hebdomadairement par des déclarations et d’autres canaux de communication.

Fait à Bujumbura, le 09 Juin 2016

                 Pour le FOCODE ;

     Sé Pacifique NININAHAZWE 

                       Président

[1] CNARED : Conseil National pour le Rétablissement de l’Accord d’Arusha et de l’Etat de Droit, plateforme des partis de l’opposition opposés au troisième mandat du Président Nkurunziza.