• English
  • Kirundi
Mega Menu

Disparition forcée de Monsieur Léopold Habarugira, un cadre de l’opposition burundaise

.

.

DECLARATION DU FOCODE n° 012/2018

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Léopold HABARUGIRA, cadre de l’opposition politique burundaise, enlevé et porté disparu depuis le 12 septembre 2017 ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Léopold HABARUGIRA, cadre de l’Union pour la Paix et la Démocratie, UPD-Zigamibanga (un parti de l’opposition) introuvable depuis son kidnapping le matin du 12 septembre 2017 alors qu’il faisait sa marche matinale en compagnie de son épouse à Mutanga-Nord. Selon le témoignage de l’épouse, quatre personnes dont une en tenue de la police, l’ont arrêté et emmené à bord d’une voiture noire aux vitres teintées. Alors que l’affaire faisait beaucoup de bruit dans les médias et sur les réseaux sociaux, la police nationale s’est contentée de déclarer qu’elle ne l’avait pas arrêté et attendait une plainte de la famille pour débuter l’enquête. Dix mois après son enlèvement, aucune enquête sérieuse n’a été menée par les autorités burundaises sur cette disparition. Des sources soutiennent que la victime aurait été exécutée par le renseignement burundais.

Le parti UPD-Zigamibanga a été gravement frappé par la répression en cours au Burundi depuis le déclenchement de la crise politique née de la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Le président du parti, Zedi FERUZI a été assassiné le 23 mai 2015 par des éléments de la garde présidentielle selon un rapport du FOCODE[1]. Moins de quatre mois plus tard, le porte-parole du parti, Patrice GAHUNGU, a été abattu tout près de sa résidence alors qu’il rentrait le soir du 7 septembre 2015. La disparition de Léopold HABARUGIRA, cadre du même parti, s’inscrit donc dans une longue série d’élimination d’opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Selon des sources, Léopold HABARUGIRA aura payé cher sa fidélité à Hussein RADJABU, l’ancien homme fort du parti au pouvoir, le CNDD-FDD.

A. Identité de la victime

  1. Fils de Léopold HABARUGIRA[2] et de Joséphine MUKANKUSI, Léopold HABARUGIRA est né en 1963 au quartier Twinyoni, zone urbaine de Kamenge, au nord de la ville de Bujumbura. Marié à Libérate NZITONDA (ancienne sénatrice 2005-2010), Léopold HABARUGIRA est père de cinq enfants. Il résidait à Mutanga Sud au centre-nord de la ville de Bujumbura.
  1. Léopold HABARUGIRA est un homme d’affaires connu. Il s’occupait particulièrement de l’importation des véhicules et se rendait souvent en Tanzanie pour la réception et le transport de nouveaux véhicules. Il a été enlevé trois jours seulement après son retour du dernier voyage en Tanzanie. Ses affaires s’étendaient à plusieurs autres domaines du commerce.

B. Appartenance politique : l’homme qui protégeait les enfants de Pierre NKURUNZIZA, l’homme d’Hussein RADJABU

  1. Sur le plan politique, Léopold HABARUGIRA n’était pas connu du public, il n’était jamais sur les media. Mais, dans l’ombre, il était politiquement très engagé. Au moment de sa disparition, il était un cadre du parti de l’opposition dénommé Union pour la Paix et la Démocratie, UPD-Zigamibanga. Comme preuve de son influence, les deux ailes de l’UPD-Zigamibanga ont toutes communiqué sur sa disparition et l’ont reconnu comme un membre de leur bureau exécutif.
  1. Avant l’UPD-Zigamibanga, Léopold HABARUGIRA était surtout un militant engagé du parti CNDD-FDD. Il avait fortement financé la rébellion et après la victoire du parti aux élections de 2005, il a offert sa parcelle pour la construction de la permanence nationale du parti. Jusqu’au moment de sa disparition, il n’y avait pas encore de transfert de propriété sur cette parcelle, théoriquement la permanence nationale du CNDD-FDD est érigée sur la propriété de Léopold HABARUGIRA. Cet engagement politique s’étend d’ailleurs à la famille puisque son épouse, Libérate NZITONDA a été sénatrice de 2005 à 2010, pour le compte du CNDD-FDD.
  1. Dans son engagement politique, Léopold HABARUGIRA a été très proche des deux leaders de la rébellion du CNDD-FDD : Pierre NKURUNZIZA et Hussein RADJABU. Selon ses proches, Léopold HABARUGIRA a été chargé de cacher les enfants de Pierre NKURUNZIZA, Kevin et Kelly, durant la rébellion. A certains moments, il aurait contribué à la survie de toute la famille du leader du CNDD-FDD.
  1. Léopold HABARUGIRA était davantage proche de l’ancien président du CNDD-FDD Hussein RADJABU. Jusqu’à sa disparition, il aurait été soupçonné d’une part de continuer à fructifier les affaires de RADJABU et, d’autre part, de servir d’agent de liaison entre RADJABU et ses militants restés au pays. Selon des sources, il aurait gardé chez lui l’aigle[3] d’Hussein RADJABU après son emprisonnement.

C. Contexte de la disparition forcée de Léopold HABARUGIRA.

  1. Si elle a tant provoqué un choc, la disparition de Léopold HABARUGIRA n’a pas beaucoup surpris. Il avait déjà échappé à une tentative d’assassinat le 1er avril 2016. Selon ses proches, une personne armée d’un pistolet avait tenté de tirer sur lui alors que Léopold attendait devant sa résidence qu’on lui ouvre la porte d’entrée ; fort heureusement les balles n’étaient pas sorties du pistolet. Selon Hussein RADJABU, quelques semaines avant la disparition, le président du CNDD-FDD Evariste NDAYISHIMIYE se serait étonné que Léopold HABARUGIRA soit encore en vie au moment où ils se rencontraient dans une cérémonie de levée de deuil à Gitega[4]. Une source proche du SNR a confié à la Campagne NDONDEZA qu’elle avait elle-même averti Léopold HABARUGIRA qu’un plan de son assassinat était en cours et qu’il devait faire attention, ce à quoi Monsieur HABARUGIRA aurait répondu que seul Dieu était responsable de sa vie. Il s’était alors rendu en Tanzanie pour la réception de nouveaux véhicules importés. Sur son chemin retour, il aurait de nouveau reçu un appel l’informant qu’il serait en danger s’il revenait au Burundi. Il aurait alors appelé son ami le chef des Imbonerakure et cadre du SNR, Sylvestre NDAYIZEYE, qui lui aurait rassuré qu’il n’y avait aucun danger. Trois jours après son retour, Léopold a été enlevé.
  2. Le matin du 12 septembre 2017, Léopold HABARUGIRA et son épouse Libérate NZITONDA ont déposé un enfant à l’école « La Clairière » et y ont laissé leur voiture. Ils ont ensuite entrepris une marche matinale à pieds. Arrivés à Mutanga Nord, sur la route menant vers l’Université Lumière de Bujumbura, alors qu’ils venaient de dépasser le lieu d’un petit marché local « ku kansoko », aux alentours de l’Institut des Sciences de la Santé et Développement (ISSD), le couple a été stoppé par une voiture noire aux vitres teintées. A son bord se trouvaient quatre personnes dont une en tenue de police et armée d’un fusil. Les quatre personnes ont rapidement saisi Léopold HABARUGIRA et l’ont emmené dans leur véhicule. Les appels au secours de la victime, de son épouse et des passants n’ont pas empêché cet enlèvement. Les ravisseurs l’auraient allongé sur le siège arrière et seraient partis assis sur lui.
  1. Plusieurs media nationaux et internationaux ont rapporté la disparition de Léopold HABARUGIRA :

Léopold Habarugira a été enlevé en pleine journée, devant des dizaines de témoins, des étudiants qui se rendaient à leur premier cours à l’Université Lumière dans le quartier de Mutanga nord, alors qu’il faisait de la marche en compagnie de son épouse, Libérate Nzitonda. Celle-ci raconte la suite à RFI : « Une voiture de couleur noire, aux vitres teintées et sans plaque d’immatriculation s’est arrêtée devant nous. Trois costauds et un homme en tenue de policier, armé d’un fusil, en sont sortis. Ils se sont jetés sur mon mari et l’ont poussé de force dans leur voiture avant de l’amener. » Depuis le début de la crise au Burundi, des centaines d’opposants ou considérés comme tels, sont portés disparus, certains ont été enlevés suivant ce même modus operandi, de quoi faire craindre le pire à son épouse. « J’ai peur pour lui car nous sommes dans une période difficile : des gens sont enlevés, et ensuite on retrouve leurs cadavres. Ou ils disparaissent sans laisser de traces. J’ai d’autant plus peur que mon mari avait échappé par miracle à un attentat l’année passée. On avait essayé de le tuer devant notre maison. Donc, bien sûr que j’ai peur. » “J’ai appelé partout, même au SNR (service de renseignements burundais), j’ai alerté tout le monde mais je n’ai eu aucune réponse”, poursuit Mme Nzitonda. Elle affirme que son mari avait échappé à la mort en avril de l’an passé. “Un homme armé l’a trouvé devant le portail. Il a ouvert le feu sur lui mais la balle n’est pas sortie de la chambre de son fusil. Vous comprenez qu’il a des ennemis!” Conclut Mme Nzitonda.[5]

« Léopold Habarugira, membre du parti de l’opposition UPD – Zigamibanga a été arrêté ce matin. Il a été appréhendé au quartier de Mutanga Nord en zone de Gihosha), commune de Ntahangwa, au nord de la ville de Bujumbura). Libérate Nzitonda indique que son mari a été emmené par trois hommes dont un en tenue policière, était armé. “On faisait du jogging, d’un coup, nous avons vu un véhicule. Ces 3 personnes l’ont tout de suite pris de force et lui forcé d’entrer dans le véhicule en l’immobilisant sauvagement”, raconte sa femme. Son épouse dit avoir crié au secours en vain et les passants assistaient impuissamment. La famille n’a pas de nouvelles de M. Habarugira jusqu’à présent. »[6]

  1. Contrairement à ses habitudes en cas d’enlèvement des citoyens, la police burundaise a réagi rapidement juste pour annoncer qu’elle n’avait pas arrêté Léopold HABARUGIRA et qu’elle attendait une plainte de la famille pour débuter l’enquête.

Selon le porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye, “la police n’est pas au courant d’un éventuel enlèvement d’un certain Léopold Habarugira hier à Mutanga (au nord de la capitale) parce que la police n’a pas reçu de plainte allant dans ce sens”. Il ajoute que les forces de l’ordre ne sont pas impliquées dans cette arrestation. “Il n’y a pas eu d’arrestation de cet homme qui aurait été opérée par les forces de sécurité à cet endroit hier,” répond M. Nkurikiye.[7]

  1. Cette déclaration de la police était d’autant plus inquiétante que les rares fois où la police burundaise a fait une telle déclaration après un enlèvement, la personne n’a jamais été retrouvée. C’était notamment le cas après l’arrestation de Hugo HARAMATEGEKO, président du parti NADDEBU en mars 2016[8]. C’était aussi le cas après l’enlèvement du journaliste Jean BIGIRIMANA en juillet 2016. Dix mois après la déclaration de la police, Léopold HABARUGIRA n’est toujours pas retrouvé et aucune enquête n’est en cours.
  1. Des sources proches du renseignement burundais ont fourni des informations à la Campagne NDONDEZA sur le sort de Léopold HABARUGIRA depuis son arrestation. La Campagne ne peut pas garantir la fiabilité de ces informations et demande qu’une enquête indépendante soit rapidement diligentée sur ce crime odieux.
  1. Selon les informations obtenues par la Campagne NDONDEZA, l’enlèvement de Léopold HABARUGIRA aurait été opéré par une équipe d’éléments du SNR dont les plus connus seraient Mélance NIYIBIGIRA, Wellars et Mathias NDUWIMANA alias ATIA . Le véhicule utilisé serait de marque Toyota AE100 et aurait pour plaque d’immatriculation A4853A.
  1. Après son enlèvement, Léopold HABARUGIRA aurait été conduit dans une maison secrète au quartier Carama où il serait resté détenu jusqu’à minuit. Après il aurait été conduit nuitamment au SNR où il aurait subi un interrogatoire violent et des actes de torture. Il aurait été interrogé sur la situation du titre de la parcelle sur laquelle est érigée la permanence nationale du CNDD-FDD et sur ses liens avec Hussein RADJABU. Plusieurs cadres du Département du renseignement intérieur au SNR auraient participé à l’interrogatoire. Après un certain moment d’interrogatoire, Léopold HABARUGIRA aurait été ramené dans la maison secrète de Carama où il aurait subi de nouveaux des séances de torture pour lui soutirer des aveux. Complètement affaibli, il aurait été conduit au bord du lac Tanganyika où il aurait été étranglé, son corps aurait été jeté au fond du lac, emballé dans un sac et attaché à de grosses pierres.

D. Calvaire de la famille après la disparition forcée de Léopold HABARUGIRA.

  1. L’épouse de la victime a assisté impuissante à l’enlèvement de son mari. Elle a appelé au secours mais personne ne pouvait agir contre des personnes armées dont certaines en tenue de police. Elle a interpellé les autorités burundaises dans des media du Burundi et ceux internationaux. La police s’est contentée de dire qu’elle attendait la plainte de la famille éprouvée. Aucune enquête sérieuse n’a été menée après, la famille a continué à recevoir des informations contradictoires. En décembre 2017, elle a perdu tout espoir de retrouver le père de famille et s’est résolue à organiser une cérémonie de levée de deuil dans plusieurs villes, en dehors du Burundi.
  1. Comme dans de nombreux autres cas de disparition forcée, des proches de la victime ont été placés sous la surveillance du SNR, dans l’intention de leur faire taire sur le cas. L’évacuation de certains des proches de la victime en dehors du Burundi a été un parcours de combattant. Nombre de proches ont confié à la Campagne NDONDEZA qu’ils continuent à vivre dans la peur et qu’ils espèrent, en dépit de la levée de deuil, qu’ils reverront un jour Léopold HABARUGIRA. C’est là le drame d’une disparition forcée : les familles ne savent jamais s’il faut complètement abandonner ou s’il faut continuer à espérer le retour de la victime.
  1. Comme dans la quasi-totalité des dossiers de disparitions forcées, les autorités burundaises et les institutions du pays sont restées inactives et muettes.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

E. Recommandations et prise de position.

  1. Le FOCODE condamne l’enlèvement suivi de la disparition forcée de Léopold HABARUGIRA et demande une enquête indépendante et impartiale sur les mobiles et les circonstances de ce crime odieux ;
  2. Le FOCODE condamne le silence persistant des autorités burundaises sur les crimes graves de disparitions forcées ainsi que l’inaction des autorités policières et judiciaires burundaises dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires des membres de l’opposition politique ou des personnes perçues comme tel par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  3. Le FOCODE condamne les arrestations aux allures d’enlèvements opérées par des éléments de la police et du SNR ainsi que les détentions des personnes ainsi arrêtées dans des lieux secrets ;
  4. Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes d’atteintes graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents du SNR, la persistance du phénomène des disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires ainsi que la totale impunité garantie aux éléments des corps de défense et de sécurité impliqués dans des actes de disparition forcée ;
  5. Le FOCODE encourage la population burundaise en général, les proches parents et amis des victimes de disparition forcée ou d’autres crimes graves en particulier à lui communiquer les informations à leur disposition aux fins d’enquêtes visant l’identification des auteurs ; 
  6. Le FOCODE demande à la communauté internationale de rester mobilisée sur la situation préoccupante des droits de l’homme au Burundi et encourage spécialement l’Union Européenne à élargir la gamme des sanctions à l’endroit du régime de Bujumbura ;
  7. Le FOCODE encourage et demande à la Cour Pénale Internationale d’accorder une attention particulière sur le phénomène des disparitions forcées qui continue à prendre de l’ampleur au Burundi.

[1] Assassinat de Zedi Feruzi : Rapport du FOCODE, http://ndondeza.org/zedi-feruzi/

[2] Cas rare au Burundi, Léopold HABARUGIRA avait les mêmes nom et prénom que son père

[3] L’aigle est le symbole du parti CNDD-FDD, certaines hautes personnalités ont domestiqué chez eux un aigle vivant comme symbole de leur attachement au parti.

[4] https://www.youtube.com/watch?v=YKl-0Q7wpFE

[5] Burundi : enlèvement de Léopold HABARUGIRA, un cadre d’un parti d’opposition, http://www.rfi.fr/afrique/20170912-burundi-enlevement-leopold-habarugira-cadre-parti-opposition

[6] Bujumbura : un membre du parti UPD-Zigamibanga interpellé, https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1580668055328561&id=912887052106668&refid=52&__tn__=%2As-R

[7] https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=1581048725290494&id=912887052106668

[8] Disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, http://ndondeza.org/la-disparition-forcee-de-monsieur-hugo-haramategeko/