DECLARATION DU FOCODE n°007/2016 DU 12 Mai 2016
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, Président du parti NADEBU et haut fonctionnaire de l’Etat enlevé chez lui le matin du 09 mars 2016.»
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les Disparitions Forcées au Burundi », le FOCODE a été informé de la disparition de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, Président du Parti NADEBU et Conseiller au Cabinet du Ministre de la Santé Publique.
Le FOCODE a été saisi par les proches de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO et a également recueilli les informations diffusées sur ce cas par divers médias, y compris des déclarations du porte-parole de la Police Nationale du Burundi et de certaines personnalités politiques de l’opposition burundaise.
Face au phénomène des disparitions forcées qui prend une allure de plus en plus inquiétante au Burundi, le but du FOCODE est d’aider les familles des victimes à retrouver les leurs ou tout au moins à être informées du sort qui leur a été réservé, de souligner leur calvaire et d’attirer l’attention des institutions publiques (administration, police, justice) et des mécanismes tant nationaux qu’internationaux de protection des droits humains sur la gravité du phénomène des disparitions forcées.
- Identité de la victime
- Fils de Joseph KANYAMYABA et Joséphine BWIDABIRE, Hugo HARAMATEGEKO est né en 1969 à MIVO, Commune et Province de NGOZI. Il est marié et père de six (6) enfants. Il résidait au numéro 60, 4ème avenue du Quartier MUTAKURA en Mairie de Bujumbura au moment de sa disparition forcée.
- Haut fonctionnaire de l’Etat, Hugo HARAMATEGEKO est Conseiller au Cabinet du Ministre de la Santé Publique.
- Appartenance et Activités politiques de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO
- Hugo HARAMATEGEKO est Président d’un parti politique de l’opposition dénommé Nouvelle Alliance pour le Développement du Burundi, NADEBU en sigle.
- En vue de la préparation des élections générales de 2015 auxquelles il n’a pas participé, le parti NADEBU a rejoint la Coalition « Les Indépendants de l’Espoir », AMIZERO Y’ABARUNDI, présidée par Monsieur Agathon RWASA et le Professeur Charles NDITIJE;
- Depuis la contestation du troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA, les responsables des partis politiques de l’opposition tout comme les autres citoyens qui ont osé manifester leur protestation font constamment objet d’assassinats, d’enlèvements, de tortures et autres violations graves de droits humains. Notons en passant qu’un président d’un autre parti politique de l’opposition (UPD-ZIGAMIBANGA), Monsieur Zed FERUZI, ainsi que le porte-parole de ce même parti, Monsieur Patrice GAHUNGU, ont été assassinés en mai et septembre 2015 et qu’aucune lumière n’a été faite jusqu’à l’instant sur ces crimes odieux. Une grande majorité des responsables des partis politiques de l’opposition ont déjà fui le pays.
- Disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO
- Monsieur Hugo HARAMATEGEKO a été enlevé chez lui au Quartier MUTAKURA le matin du 09 mars 2016, par six personnes lourdement armées en tenue de police, alors qu’il s’apprêtait à prendre sa douche afin de se rendre au travail. Aucun mandat n’a été présenté et la victime n’a pas été autorisée à se rhabiller correctement avant d’être embarqué dans une camionnette reconnue par des témoins comme le véhicule de service du Général Gervais NDIRAKOBUCA alias NDAKUGARIKA, actuel Chef de Cabinet en charge des questions de la police à la Présidence de la République.
- Après cette arrestation arbitraire, des témoins indiquent que Monsieur Hugo HARAMATEGEKO a été conduit manu militari, à bord de la même camionnette, vers le cachot de la zone CIBITOKE même s’il s’est révélé introuvable dans ce cahot après quelques minutes qui ont suivi son arrestation. Les témoins affirment que les six « policiers » étaient guidés par un membre de la jeunesse Imbonerakure connu sous le nom de Bruce TUYIKEZE.
- Dans son article intitulé « L’énigme – Hugo HARAMATEGEKO (NADEBU) : Enlèvement ou arrestation ? » paru le 12 mars 2016, SOS Média Burundi écrit en substance : « Tous ont cru dans un premier temps qu’il avait été acheminé dans un cachot de la zone urbaine de Cibitoke. En s’y rendant pour lui amener des habits (il allait prendre sa douche au moment de son arrestation), ils ne l’ont pas trouvé. Un peu plus tard dans la journée, des habitants du quartier Kinama disent avoir vu Monsieur HARAMATEGEKO dans une camionnette empruntant la RN 9 en direction de Bubanza (ouest du Burundi). Les proches ont continué à chercher dans des lieux de détention connus, en vain. Ils pensent désormais qu’il se trouve dans un endroit tenu secret. “Nous considérons que c’est un enlèvement pur et simple, il appartient aux forces de l’ordre de nous aider à le retrouver. Il a été arrêté par des policiers en uniforme. S’ils ont quelque chose à lui reprocher, qu’ils le détiennent dans un lieu identifié, qu’ils respectent ses droits”, s’indigne un membre de la famille»[1].
- L’Honorable Charles NDITIJE, Président de l’aile du Parti UPRONA non reconnu par le pouvoir de Bujumbura a, à son tour, déclaré à SOS Média Burundi que : « C’est la machine à tuer de Nkurunziza qui continue. Il est inadmissible qu’un président de parti politique soit arrêté comme s’il était un criminel. Il doit y avoir un mandat d’arrêt d’abord et on doit lui accorder le temps de dire au revoir à sa famille. Je suis indigné, quand j’entends les experts des Nations Unies dire qu’il y a une certaine accalmie. Le pouvoir de Nkurunziza a changé de mode opératoire. Il ne tue plus en masse mais un à un. Et dans quelques mois, ce sera des milliers. Le génocide politico-ethnique dont nous parlons est en cours”, s’insurge M. Nditije qui exige par ailleurs le déploiement de troupes étrangères comme solution à la crise »[2]
- Dans son article du 09 mars 2016, l’Agence France-Presse (AFP) indique qu’un des derniers leaders de l’opposition à ne pas avoir fui le Burundi, en proie à une crise profonde depuis plus de dix mois, a été arrêté mercredi 09 mars 2016 par la police dans un quartier contestataire de Bujumbura. « La police l’a arrêté peu après 06h00 du matin alors qu’il allait prendre sa douche, et elle ne lui a même pas laissé le temps de se rhabiller correctement », a précisé à l’AFP Charles NDITIJE. Cette personnalité politique de l’opposition a précisé également qu’elle avait appris qu’Hugo HARAMATEGEKO était amené vers une destination inconnue après avoir transité par les cachots de la zone voisine de CIBITOKE. Il a profité de cette occasion pour dénoncer une arrestation arbitraire d’un président de parti dont le seul tort est d’avoir manifesté contre le troisième mandat du président Pierre NKURUNZIZA[3].
- A tort, la police nie toute implication dans la disparition forcée de la victime
- Au cinquième jour de la disparition de Monsieur Hugo HARAMATEGO, soit le 13 mars 2016, la police est sortie de son silence et s’est exprimée sur ce cas pourtant très médiatisé : elle a nié toute implication dans l’enlèvement de la victime mais, fort curieusement, a déclaré qu’elle attendait la plainte de la famille pour enquêter. Dans un article publié le même jour, SOS Media Burundi écrit :
« Selon le porte-parole de la police, M. Haramategeko a été enlevé. “Nous ne procédons pas de cette manière tôt le matin d’autant qu’il s’agit d’une personne qui travaille dans un ministère. Nous l’aurions appréhendé à son bureau avec un mandat”, argumente-t-il.
La police recommande à la famille de porter plainte pour disparition afin qu’une enquête soit lancée. Les voisins et la famille de M. Haramategeko ont décrit la scène de l’interpellation. Il en ressort que les hommes qui sont intervenus au domicile de l’opposant politique avaient tout de policiers.»[4]
- Ces propos du porte-parole de la police contrastent avec ceux du journal en ligne très proche de Monsieur Pierre NKURUNZIZA, Burundi-24, qui confirmait dès le deuxième jour, l’arrestation d’ « un serviteur des néo-colonialistes» et demandait aux autorités burundaises de publier rapidement les accusations contre Hugo HARAMATEGEKO. Burundi-24 estimait que le Président du NADEBU aurait été dénoncé par des insurgés repentis.[5]
- Les propos du porte-parole de la police se heurtent également aux remarques intéressantes des témoins de l’arrestation de Monsieur HARAMATEGEKO. Ce dernier résidait en effet au fond de la quatrième avenue du quartier MUTAKURA et les policiers qui l’ont arrêté autour de six heures du matin ont passé par la troisième avenue du même quartier qui est gardée par une position militaire. Une camionnette transportant des personnes en tenues de police lourdement armées ne pouvait pas passer par cette position militaire sans susciter des curiosités ni être poursuivie. D’où il semble évident que la camionnette et les personnes à son bord étaient connues de cette position.
- Actions menées par la famille en vue de retrouver la victime
- Quelques minutes après l’arrestation de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, les membres de sa famille lui ont apporté des habits en pensant qu’il était détenu au cachot de la Zone CIBITOKE mais ils n’ont pas pu le voir ;
- Des proches de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO ont sollicité les Observateurs des Droits de l’Homme de l’Union Africaine, reconnaissent certaines actions de recherche menées par la Mission d’Observation mais disent attendre son rapport ;
- Des membres de la famille de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO ont également approché la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) dans les deux heures qui ont suivi l’arrestation, mais ils estiment que rien de concret n’a été fait pour soulager la souffrance que ne cesse d’endurer cette famille.
- Après la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, des menaces se sont intensifiées sur les membres de sa famille
- Depuis la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, les membres de sa famille ont été harcelés, menacés dans leur sécurité par des éléments de la police nationale, du service national de renseignement et de la jeunesse Imbonerakure de sorte que la plupart d’entre eux ont été obligés de vivre totalement en clandestinité ou de fuir le pays ;
- A titre d’illustration, au moment de l’arrestation de Monsieur HARAMATEGEKO, des éléments de la police nationale quadrillaient l’habitation de son petit frère Christian NTIRENGANYA, membre très actif au sein du parti politique de l’opposition MSD. Monsieur NTIRENGANYA été sauvé par le fait qu’il avait déjà quitté son domicile (sis au Quartier Cibitoke, 16ème avenue). Par la suite, la famille a été informée qu’un officier du Service National de Renseignement Mathias NIYONZIMA, connu sous le sobriquet de KAZUNGU, est allé le chercher à sa colline natale à MIVO en province de NGOZI et qu’il avait ordonné aux Imboneraklure de la localité de le tuer aussitôt qu’ils le verraient ;
- Emmanuel Nkurunziza, un ancien militaire de l’armée burundaise et grand frère à Monsieur Hugo HARAMATEGEKO, a été obligé de fuir le pays suite aux menaces de toutes sortes (avertissements, surveillance de son domicile, fouilles intempestives, harcèlements) qui étaient dirigées contre lui par des miliciens Imbonerakure ;
- Un autre frère de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO a appris que son téléphone était sous écoute et a reçu plusieurs avertissements sur le danger qu’il courrait à cause du suivi qu’il faisait du dossier de la disparition forcée de son frère ;
- L’épouse de la victime a été soumise à une surveillance sans précédent et des documents de voyage ont été refusés à des membres de la famille restreinte de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO.
- Auteurs présumés de la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO
- Selon les informations recueillies à travers les diverses sources, l’auteur principal de la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO est le Général Gervais NDIRAKOBUCA alias NDAKUGARIKA. Les mêmes sources évoquent l’implication des agents du Service National de Renseignement (SNR), de la Police Nationale et de la milice relevant de la jeunesse Imbonerakure du parti au pouvoir, le CNDD-FDD ;
- Un autre élément important cité dans cette disparition, par ailleurs cité dans plusieurs autres dossiers d’assassinats ou de disparitions forcées, est le nommé Mathias NIYONZIMA, un officier du SNR plus connu sous le sobriquet de KAZUNGU.
- Prise de position et Recommandations
Le FOCODE est vivement préoccupé par l’ampleur du phénomène des disparitions forcées au Burundi. Depuis le lancement de la campagne NDONDEZA, il reçoit plusieurs appels au secours, sur des cas datant d’avril 2015 à mai 2016. Cette situation montre que les disparitions forcées ont été érigées en outil de répression et d’intimidation contre tous ceux qui ont osé protester contre le troisième mandat de Monsieur Pierre NKURUNZIZA. Le caractère systématique et planifié de ces crimes contre l’humanité commis sur le peuple burundais mérite une attention soutenue des acteurs nationaux et internationaux afin d’agir le plus urgemment possible dans l’esprit de la « Responsabilité à Protéger ».
Face à cette situation, le FOCODE :
- Condamne pour la nième fois les arrestations illégales et arbitraires des citoyens du Burundi opérées par des forces de l’ordre et qui sont suivies par des détentions dans des lieux secrets non communiqués ni par des déclarations publiques ni aux membres des familles des détenus ;
- Condamne l’inaction complice de la police, de l’administration territoriale, du ministère public et même de la CNIDH après avoir pris connaissance de la disparition de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO et rappelle que la police et le parquet n’ont pas besoin de plaintes des familles des victimes pour enquêter sur des crimes commis dans leurs ressorts ;
- Exige des explications des autorités burundaises, en l’occurrence du Président Nkurunziza autorité de tutelle du Général NDIRAKOBUCA Gervais, son Chef de Cabinet en charge des questions de la police, sur la disparition de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO ;
- Demande :
- Aux autorités du Burundi de fermer tous les cachots secrets, d’assurer la publicité de tous les cas d’arrestation et d’arrêter le plus immédiatement possible le phénomène des disparitions forcées, en libérant toutes les personnes secrètement détenues encore en vie et en permettant aux familles des personnes assassinées de les inhumer avec dignité ;
- Aux Nations-Unies, à l’Union Africaine et à l’EAC d’envoyer rapidement au Burundi une commission internationale d’enquête sur les violations graves de droits de l’homme (y compris les disparitions forcées, les cas de viol et de torture ainsi que les exécutions extra-judiciaires) et une force de protection des citoyens.
- Invite tous les résidents du Burundi et particulièrement les familles à lui communiquer les cas de disparitions des personnes arrêtées par des agents de l’Etat ou des groupes ayant des liens avec l’Etat ou encore des groupes armés.
Ces informations seront envoyées à l’adresse email : [email protected] et au numéro WhatsApp : +257 79 910 446 utilisé par le Président du FOCODE.
Les cas de disparitions forcées déjà documentés seront publiés hebdomadairement par des déclarations et d’autres canaux de communication.
Fait à Bujumbura, le 12 Mai 2016
Pour le FOCODE ;
Sé Pacifique NININAHAZWE
Président
[1] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1068101589918546 consulté en date du 07 mai 2016.
[2] Déclaration de l’Honorable Charles NDITIJE à SOS Média en date du 12 mars 2016.
[3] Interview de l’Honorable Charles NDITIJE par l’AFP.
[4] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1068879863174052
[5] http://burundi-24.com/burundi/arrestation-de-hugo-haramategeko-plaidoyer-au-nom-de-la-pr%C3%A9somption-dinnocence