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Déclaration du FOCODE à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées.

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BURUNDI : Les disparitions forcées continuent, dans l’impunité totale de leurs auteurs !

Bref aperçu du phénomène des disparitions forcées au Burundi

A travers la « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a documenté au moins trois centaines de cas de disparitions forcées au Burundi depuis avril 2016. L’arrivée au pouvoir du Président Evariste NDAYISHIMIYE, en juin 2020, avait suscité l’espoir d’une amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays, notamment dans les deux premiers mois du régime. Dès septembre 2020, le phénomène des disparitions forcées a repris de plus belle, et le FOCODE en a documenté une vingtaine dans les quatre derniers mois de l’année. En 2021, une soixantaine de cas ont été documentés par la Campagne NDONDEZA. Cette année-là, un acteur inattendu s’est imposé sur le terrain des enlèvements et des disparitions forcées des civils : le renseignement militaire, à l’origine de 78 % des cas de disparitions forcées recensés par la Campagne NDONDEZA. Les dénonciations très précises du FOCODE et d’autres acteurs ont permis de stopper cet élan du renseignement militaire, en novembre 2021. L’année 2022 a connu du répit, surtout après le remplacement du Colonel Alfred Innocent MUSEREMU à la tête du département du renseignement intérieur, à la fin de juillet 2022. En 2023, le phénomène des enlèvements et des disparitions forcées a repris timidement à partir de février et s’amplifie ces derniers mois.

Les disparitions forcées continuent en 2023

A titre illustratif, voici quelques cas d’enlèvements et de disparitions forcées documentés en 2023 :

  • Le 16 février 2023, Frodoir NDAYIKENGURUKIYE, militant du parti MSD et ancien manifestant de 2015 résidant à Mutakura (nord de Bujumbura), a été piégé par son cousin Magnus NDAYIZEYE, informateur du Service National de Renseignement (SNR). Invité à partager un verre avec son cousin à Kamenge, Frodoir aurait été enlevé par le Colonel Alexis NDAYIKENGURUKIYE alias NKOROKA, officier du SNR cité dans de nombreux autres cas de disparitions forcées depuis 2015. Frodoir n’a plus été retrouvé.
  • Très tôt le matin du 29 mars 2023, Viateur NZIGO, ancien combattant des FNL et militant du parti FNL, a été brutalement enlevé à sa résidence familiale à Gakwiye, dans la zone et commune Gasorwe, en province de Muyinga, par des éléments du SNR et de la jeunesse Imbonerakure du parti CNDD-FDD. Le responsable provincial du SNR, Colonel Félix HAVYARIMANA, et le responsable provincial des Imbonerakure, Shabani NIMUBONA, auraient personnellement pris part à cette opération, selon des témoins. Les deux responsables sont cités dans plusieurs autres cas de disparitions forcées depuis plusieurs années déjà. Viateur n’a plus été retrouvé.
  • Le 23 mai 2023, Phocas NIYUBUNTU, responsable adjoint du parti CNL dans la zone Munini, en commune de Bururi, a été enlevé, au chef-lieu de la province Bururi, par des hommes dont certains étaient en tenue de la Brigade anti-émeute (une unité spécialisée de la Police), à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Phocas n’a plus été retrouvé.
  • Le 23 mai 2023, Jean-Claude NDAYIKENGURUKIYE, percepteur des taxes en commune Bururi et adhérent très récent du CNDD-FDD, a répondu à un rendez-vous étonnant d’un responsable communal, Egide TUYISENGE, présenté par certains comme un informateur du SNR. Dès son arrivée au bureau communal, Jean-Claude a été enlevé par des personnes non identifiées à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine aux vitres teintées. Menacée par le même Egide TUYISENGE, l’épouse de la victime a dû déménager de sa résidence. Jean-Claude n’a plus été retrouvé.
  • Le 31 juillet 2023, Désiré MANIRAMBONA, agent du SNR cité dans plusieurs crimes de sang depuis plusieurs années, a été enlevé à Kayanza, par des personnes à bord d’une camionnette Toyota Hilux, de couleur blanche, aux vitres teintées. Il s’agirait d’une équipe d’agents du SNR qui enquêtaient sur l’assassinat de Rosine IRAKOZE, survenu le 15 juillet 2023 à Kamenge, tandis que Désiré MANIRAMBONA était soupçonné d’avoir fourni l’arme du crime. Tous les prévenus dans ce dossier ont été présentés au parquet, sauf Désiré MANIRAMBONA, qui serait également introuvable dans les cachots du SNR.
  • Il existe d’autres cas encore plus récents qu’il serait prématuré d’aborder dans la présente déclaration.   

Les alertes rapides peuvent sauver des victimes

En plus des personnes qui n’ont plus été retrouvées après leur enlèvement, il existe d’autres cas de personnes enlevées en 2023 qui ont pu être retrouvées, après une alerte, souvent très rapide, de la Campagne NDONDEZA. Chaque fois, qu’une personne enlevée a été retrouvée, elle était dans un cachot du SNR. A titre d’exemples, on peut citer le cas de :

  • Janvier NGENDAKURIYO, ancien employé de l’Assemblée Nationale, enlevé le 11 avril 2023 à 18 heures 30, par des hommes armés de pistolets qui se sont introduits dans sa résidence à Gatunguru, avant de l’emmener dans une voiture Toyota Probox. Un jour après, suite à une alerte très rapide et une forte mobilisation sur les réseaux sociaux, le SNR a reconnu qu’il le détenait.
  • Pacifique MAHORO, employé de la BRARUDI et responsable d’une organisation de la société civile, enlevé en cours de route, à Ruziba, le 10 avril 2023. Deux jours plus tard, à la suite d’une alerte du FOCODE, le SNR a reconnu qu’il le détenait.
  • Adrien NDAYIZEYE, employé de l’Office Burundais des Recettes, dont l’arrestation avait pris la forme d’un enlèvement le 05 janvier 2023 à Gitega, a été libéré le 20 avril 2023, à la suite d’une alerte du FOCODE, après trois mois de détention secrète au cachot du SNR.
  • Haruna Mustafa, membre de la Ligue Imbonerakure, enlevé le 10 mai 2023 dans un hôtel à Gitega, a été sauvé par une alerte très rapide et très précise du FOCODE. Il sera libéré, après 10 jours de détention secrète au cachot du SNR à Gitega.

Inaction des Institutions publiques en charge de la protection des citoyens et impunité notoire des auteurs des disparitions forcées

En 2023, le SNR et la Ligue des Jeunes Imbonerakure restent les principaux acteurs des enlèvements et des disparitions forcées. Les victimes sont en premier lieu des opposants politiques (membres du CNL et du MSD), mais aussi des militants du CNDD-FDD ayant été témoins des crimes graves ou en situation de conflits d’intérêts avec des personnalités influentes du régime.

Comme les années précédentes, les auteurs des disparitions forcées continuent à bénéficier d’une impunité totale. En dépit des promesses du Président NDAYISHIMIYE en décembre 2021 et en juillet 2022, aucun membre des organes de défense et de sécurité n’a été poursuivi pour des actes d’enlèvements et de disparitions forcées. Les agents du renseignement militaire impliqués dans les disparitions forcées de 2021 ont reçu soit des promotions, soit des missions plus lucratives à l’extérieur du pays. Le Procureur Général de la République sortant, Sylvestre NYANDWI, a ignoré pendant sept ans les crimes de disparitions forcées et protégé leurs auteurs. De même, la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH), sous la présidence de Sixte Vigny NIMURABA depuis 2019, a continué à ignorer les cas de disparitions forcées, en dépit de tous les rapports qui lui ont été envoyés. Dans ses quatre rapports annuels, portant sur les années 2019, 2020, 2021 et 2022, la CNIDH n’a rapporté aucun cas de disparition forcée. Dans son rapport sur la terrible année de la terreur du renseignement militaire en 2021, la CNIDH a évoqué 35 cas d’allégations de disparitions forcées dont 11 se seraient révélés faux et a promis de poursuivre son enquête sur les 24 cas restants. Dans son rapport de 2022, la CNIDH n’a plus évoqué ces cas. De même, elle n’a pas honoré sa promesse de recontacter plusieurs dizaines de familles des victimes qui l’ont saisie en 2021.     

Prise de position et recommandations du FOCODE

Face à la gravité de cette situation, le FOCODE déclare ce qui suit :

  1. Le FOCODE condamne les pratiques d’enlèvements et de détentions secrètes qui restent de mise dans les services secrets burundais et conduisent pas mal de fois à la disparition forcée des détenus ;
  2. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction de toutes les institutions burundaises, y compris la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH), sur le phénomène des disparitions forcées ;
  3. Le FOCODE salue le récent remplacement du Procureur Général de la République, Monsieur Sylvestre NYANDWI, et encourage son successeur, Monsieur Léonard MANIRAKIZA, à marquer sa différence en poursuivant les crimes de disparitions forcées en cours au Burundi depuis la contestation populaire du troisième mandat du Président NKURUNZIZA en 2015 ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur le phénomène des disparitions forcées au Burundi et la traduction en justice de leurs auteurs ;
  5. Le FOCODE réitère son appel au Chef de la Force de Défense Nationale du Burundi (FDNB), le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer, au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier, le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  6. Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de concrétiser sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
  7. Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  8. Le FOCODE réitère son soutien au travail de la Cour Pénale Internationale et salue son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015, dont des cas de disparitions forcées au Burundi.
  9. Le FOCODE soutient le travail de Monsieur Fortuné ZONGO, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi, et appelle au renouvellement de son mandat, à la prochaine session du Conseil des Droits de l’Homme.   
  10. Le FOCODE encourage la population à alerter le plus rapidement possible chaque fois qu’un citoyen est enlevé. C’est une pratique qui a fait ses preuves depuis 2015.