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Disparition forcée de Joseph Nsabimana

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DECLARATION DU FOCODE n° 028/2017  du 13 Novembre 2017

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Joseph NSABIMANA, militant du Parti MRC-RURENZANGEMERO, enlevé et porté disparu depuis le 13 décembre 2015».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Joseph NSABIMANA, militant du Mouvement pour la Réhabilitation du Citoyen MRC-RURENZANGEMERO – un Parti politique d’opposition fondé par feu Colonel Epitace BAYAGANAKANDI[1]introuvable depuis son arrestation survenue le 13 décembre 2015 à Ngagara au Nord de la Ville de Bujumbura.

Ce 48ème dossier de la « Campagne NDONDEZA » s’inscrit dans une série de nombreux cas de disparitions forcées visant les opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza qui se recrutent pour l’essentiel parmi des membres de l’opposition politique et des organisations de la société civile. Surnommé « Commissaire » par les jeunes de son quartier en raison de son rôle de logisticien dans les manifestations contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA en 2015, Joseph NSABIMANA avait joué un rôle de premier plan dans l’encadrement des manifestations dans la zone urbaine de Cibitoke. Son arrestation et sa disparition forcée ont suivi un schéma qui se confirme dans plusieurs autres dossiers : contacté par téléphone, il a répondu à un rendez-vous d’anciens manifestants convertis dans la milice Imbonerakure et il a trouvé sur le lieu convenu des policiers venus l’arrêter. L’opération aura été menée, selon les sources du FOCODE, par le Brigadier Jonas NDABIRINDE[2] de la garde présidentielle. Naturellement, comme dans les nombreux autres dossiers de disparitions forcées, la police et la justice burundaises n’ont rien fait pour retrouver la victime et, à notre connaissance, aucune procédure judiciaire n’est en cours sur ce dossier.

La Campagne NDONDEZA avait déjà enquêté sur la disparition forcée d’un autre membre du parti MRC-Rurenzangemero dans la même zone urbaine de Cibitoke et dans la même période : disparition forcée de Monsieur Augustin HATUNGIMANA (Tarpon) le 09 décembre 2015[3], soit quatre jours seulement avant la disparition forcée de Joseph NSABIMANA.

Le FOCODE profite de cette occasion pour saluer l’ouverture de l’enquête de la Cour Pénale Internationale (CPI) sur les crimes en cours au Burundi depuis le 26 avril 2015. Le dossier de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA est une preuve supplémentaire de la nécessité de cette enquête.

A. Identification de la victime

  1. Fils de Mathieu Gahungu[4] et d’Agnès KABUBUSI, Joseph NSABIMANA est né en 1980 sur la colline Rweza de la Commune GISOZI en Province Mwaro. Encore célibataire, Joseph NSABIMANA résidait, au moment de sa disparition forcée, au numéro 65 de la 14eme avenue de la zone Cibitoke, dans la commune urbaine de Ntahangwa au Nord de la ville de Bujumbura. Il vivait avec son père ainsi que certains de ses frères et sœurs.
  1. Technicien de niveau A2 en plomberie, Joseph NSABIMANA n’avait pas d’emploi fixe au moment de sa disparition forcée. Il gagnait sa vie par l’exécution des taches ponctuelles qu’il pouvait avoir par le biais de ses connaissances, selon ses proches.

B. Affiliation politique de Monsieur Joseph NSABIMANA

  1. Joseph NSABIMANA était membre du Mouvement pour la Réhabilitation du Citoyen, MRC Rurenzangemero, un parti de l’opposition politique créé par feu Colonel Epitace BAYAGANAKANDI. Le parti a soutenu les manifestations populaires contre la troisième candidature de Pierre Nkurunziza en violation de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et de la Constitution de la République du Burundi.
  1. A l’instar des autres partis de l’opposition politique burundaise, le Parti MRC-Rurenzangemero a connu beaucoup d’ennuis avec le Régime de Bujumbura. Son président feu Epitace Bayaganakandi, un ancien colonel de l’armée burundaise reconverti en homme politique et homme d’affaires, était en effet perçu par le régime NKURUNZIZA comme une menace potentielle du moins au regard de sa vision du développement en faveur des populations rurales. C’est ainsi que certains des projets phares de cet homme d’affaires- notamment le projet d’implantation d’une usine de thé en Commune Gisozi et celui de l’introduction de la culture Stevia au Burundi – ont été pendant longtemps paralysés par les autorités administratives burundaises à tous les niveaux alors que des services techniques avaient donné des avis favorables[5].
  1. Simple militant du parti MRC-Rurenzangemero, Joseph NSABIMANA s’est fortement impliqué dans les manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA, ce qui lui avait d’ailleurs valu le surnom de « Commissaire » dans les milieux des jeunes des quartiers Nord de la ville de Bujumbura comme Cibitoke et Ngagara. Il était chargé de coordonner la restauration des manifestants selon le témoignage reçu par le FOCODE.
  1. Au lendemain des manifestations de 2015, Joseph NSABIMANA a reçu des menaces et des intimidations de la part des policiers de la zone urbaine de Cibitoke, notamment par des visites domiciliaires intempestives. Ces policiers qui avaient eu échos du surnom de « Commissaire » attribué à ce militant du parti MRC-Rurenzangemero le considéraient comme un fauteur de trouble dans cette localité.

C. Contexte de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA

  1. Selon des sources proches de la victime, l’enlèvement suivi de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA a eu lieu le dimanche 13 décembre 2015 aux environs de 14h00 au Quartier III de la zone urbaine de Ngagara. Il aurait été piégé par deux anciens manifestants qu’il considérait encore comme des frères de lutte alors qu’ils s’étaient reconvertis dans la milice Imbonerakure du parti CNDD-FDD.
  2. Selon les informations recueillies par le FOCODE, Joseph NSABIMANA se trouvait à sa résidence dans la zone urbaine de Cibitoke lorsqu’il a reçu un appel téléphonique de deux jeunes de son quartier dont un certain Bruce TUYISABE qui l’invitaient à partager un verre au bar « Maison Blanche » sis au Quartier III de la zone urbaine de Ngagara.
  1. Joseph NSABIMANA n’avait connu ces deux jeunes qu’à travers le mouvement des manifestations de 2015 dont il était l’un des principaux organisateurs à Cibitoke. Dans l’entre temps, ces jeunes manifestants s’étaient reconvertis au sein de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, qualifiée de milice par différents rapports des Nations unies. Par la suite, les deux jeunes auraient activement participé, aux côtés de la police et des agents du Service National de Renseignement, dans l’identification et l’arrestation des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.
  1. Selon les mêmes informations, Joseph NSABIMANA a alors pris une moto-taxi pour répondre au rendez-vous. A son arrivée à l’endroit convenu, les personnes qui l’avaient appelé n’étaient pas sur les lieux. Par contre, une armada de policiers patrouillaient sur les lieux sous le commandement du brigadier Jonas NDABIRINDE, un sous-officier de l’unité de police API cité dans plusieurs cas d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées.
  1. En voyant ces hommes en uniforme qui semblaient l’attendre, la victime aurait vainement tenté de prendre le large. Il aurait été rapidement rattrapé et jeté à l’arrière de l’une des camionnettes de la police qui, après un tour au quartier, est repartie vers une destination inconnue. Depuis lors, la victime n’a plus été revue.

D. Calvaire de la famille et démarches entreprises pour retrouver la victime

  1. La famille de Joseph NSABIMANA assure l’avoir cherché dans tous les cachots officiels de Bujumbura, mais en vain. Espérant au moins retrouver son corps, des membres de sa famille ont également parcouru toutes les morgues des hôpitaux de Bujumbura, mais là aussi ils n’y ont rien trouvé. Dans les jours qui ont suivi la disparition, chaque fois qu’une information sur la découverte d’un cadavre a été relayée, les membres de la famille de Joseph NSABIMANA s’y rendaient pour vérifier si ce n’était pas le leur. Deux ans après, la famille n’a trouvé aucune trace de la victime depuis son enlèvement par la police burundaise.
  1. Au cours de ces actions de recherche, certaines sources auraient fait savoir à la famille de la victime que cette dernière était détenue au bar sis à Buringa appartenant à certain NDOMBORO du Service National de Renseignement. Ces informations n’ont pas pu être vérifiées.
  1. La famille dit également s’être adressée à la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) pour solliciter le concours de cette institution dans la recherche du disparu. Cette dernière aurait fait savoir à la famille que les recherches effectuées sont restées infructueuses. Curieusement, le nom de Joseph NSABIMANA ne figure même pas dans la liste des personnes disparues en 2015 du rapport annuel produit par la CNIDH en mars 2016[6].
  1. Comme dans plusieurs autres cas de disparitions forcées, la famille de Joseph NSABIMANA a été victime d’un rançonnage par des personnes qui promettaient d’aider dans la libération de la victime. La famille de la victime dit avoir été en contact avec trois hommes dont un milicien Imbonerakure résidant à Kamenge qui se faisaient passer pour des émissaires du brigadier Jonas NDABIRINDE présenté comme le principal artisan de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA. Les trois hommes auraient promis la libération de Joseph NSABIMANA en échange d’une somme de cinq cent mille francs burundais (BIF 500.000) auquel s’ajoutait un montant de 50.000 Fbu qui allait servir de frais de déplacement. Apres avoir collecté le montant de 550.000 Fbu, les ravisseurs auraient demandé à leurs interlocuteurs de rester sur les lieux de la rencontre tout en rassurant qu’ils allaient ramener Joseph NSABIMANA. Mais après des heures de vaine attente, les proches de la victime ont conclu qu’il fallait vider les lieux sous peine de risquer leur vie à leur tour.
  1. Après la disparition de Joseph NSABIMANA, des menaces se sont intensifiées sur des membres de sa famille en général et plus particulièrement sur son petit frère Tharcisse NKUNZIMANA. Recherché par des Imbonerakure, des policiers et des administratifs à la base dont le chef de zone de Cibitoke, ce jeune de 26 ans a vécu en cachette pendant près de deux ans. Tharcisse NKUNZIMANA assure avoir reçu des menaces de mort via des appels téléphoniques dont celui du milicien Imbonerakure nommé Bruce. Il a finalement eu la vie sauve en quittant le Burundi le 06 août 2017.

E. Les présumés auteurs de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA

  1. Selon les informations et témoignages recueillies par le FOCODE au sujet de la disparition forcée de Joseph NSABIMANA, les principales personnes citées comme auteurs de la disparition sont :
  • BPP1 Jonas NDABIRINDE (Matricule BPN1503) affecté à l’unité police de la garde présidentielle API. Le nom de Jonas NDABIRINDE a déjà été cité dans les rapports du FOCODE, notamment dans l’enlèvement et l’exécution forcée de Charlotte UMUGWANEZA, l’enlèvement et la disparition forcée de l’élève Albert KUBWIMANA et l’assassinat de Zedi FERUZI, Président du parti UPD-ZIGAMIBANGA, le 22 mai 2015 ;
  • Bruce TUYISABE, un ancien manifestant reconverti en milicien Imbonerakure et indic du SNR qui aurait été utilisé à piéger Joseph NSABIMANA le jour de son arrestation. Le nom de Bruce (appelé alors TUYIKEZE) avait déjà été cité dans un rapport de la Campagne Ndondeza sur la disparition forcée de Monsieur Hugo HARAMATEGEKO.

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Joseph NSABIMANA, le silence des autorités burundaises sur ce crime et l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées de membres de l’opposition politique ou perçus comme tels par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  1. Le FOCODE condamne pour la nième fois les intimidations et le rançonnage qui persistent sur les familles des victimes de disparitions forcées sans aucune protection des pouvoirs publics ;
  1. Le FOCODE condamne le silence total de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) sur la disparition forcée de Joseph NSABIMANA alors qu’elle aurait été sollicitée par la famille de la victime ;
  1. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Joseph NSABIMANA ainsi que la traduction en justice du BPP1 Jonas NDABIRINDE et de toute autre personne citée dans la disparition forcée de la victime ;
  1. Le FOCODE salue l’ouverture de l’enquête de la Cour Pénale Internationale sur les crimes en cours au Burundi depuis le 26 avril 2015 et lui demande de mettre rapidement en place des mécanismes de protection des victimes et des témoins.

                                                                                                        Pour le FOCODE

                                                                                             Sé Pacifique NININAHAZWE

                                                                                                                  Président

[1] Colonel burundais à la retraite né en 1956, Epitace BAYAGANAKANDI s’est vite reconverti en homme politique et en homme d’affaires. Il a créé et dirigé le parti politique MRC- RURENZANGEMERO depuis 2002 jusqu’à son décès le 14 juillet 2015.

[2] Le Brigadier Jonas NDABIRINDE relève de l’Unité d’appui à la protection des institutions (API) et ferait partie d’une équipe du renseignement privé de Pierre Nkurunziza au palais présidentiel. Il est réputé pour sa cruauté et est cité dans de nombreux dossiers de disparitions forcées, d’assassinats et d’exécutions extra-judiciaires.

[3] Disparition forcée de M. Augustin Hatungimana, http://ndondeza.org/disparition-forcee-de-m-augustin-hatungimana-tarpon/

[4] Un retraité ayant presté dans les Forces Armées Burundaises (FAB) puis à la Police de l’Air, des Frontières et des Etrangers (PAFE)

[5] Lire des articles à ce sujet : http://www.iwacu-burundi.org/rumonge-plus-de-430-000-plants-de-stevia-detruits/ , http://www.iwacu-burundi.org/la-stevia-indesirable-aussi-a-gitega/ , http://www.iwacu-burundi.org/bujumbura-ruralcommune-muhuta-quand-des-policiers-detruisent-des-pepinieres/

[6] CNIDH-Rapport annuel édition 2015, http://cnidh.bi/sites/default/files/CNIDH_Rapport%20annuel%202015%20.pdf