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Disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Ndihokubwayo

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, milicien Imbonerakure arrêté à Kagwema le 05 mai 2019 ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, milicien Imbonerakure et ancien informateur du Service national renseignement, introuvable depuis son arrestation sous forme d’enlèvement par des personnes non identifiées en collaboration de miliciens imbonerakure anciens collègues de la victime, le 05 mai 2019 à Kagwema en commune de Gihanga. Aucune enquête sérieuse n’a suivi cette disparition comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées. Le père de la victime, particulièrement dans la recherche de son fils q subi des menaces tandis que les miliciens impliqués dans la disparition forcée ont bénéficié d’une protection spéciale d’un officier de l’armée influent dans la localité.

A. Identité de la victime

  1. Fils d’Evariste NTIBARIZI et de Kesia HAKIZIMANA, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO est né en 1985 à Kagwema, zone et commune Gihanga en province Bubanza. Marié, il est père de trois enfants, deux fillettes et un garçon. Au moment de sa disparition forcée, Jean-Marie résidait à la 2ème transversale, tout près de la route Bujumbura-Rugombo.
  1. Située dans la région naturelle de l’Imbo et dans la plaine de la Rusizi, la commune de Gihanga est connue comme une zone rizicole par excellence. Ainsi, la profession de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO était de cultiver du riz et des aubergines. Il est décrit par ses voisins comme un homme sage, vivant en parfaite harmonie avec les autres. Sa disparition a produit une onde de choc dans le village de Kagwema, particulièrement pour la famille et tous ceux qui connaissaient Jean-Marie.
  1. Selon des témoignages recueillis par le FOCODE à Kagwema, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO fut membre de la milice Imbonerakure du CNDD-FDD et collaborateur du service national de renseignement à titre d’informateur. Il aurait constaté qu’il ne gagnait pratiquement rien de son appartenance à la milice Imbonerakure et de sa fonction d’informateur du SNR et aurait décidé de mettre de côté les deux casquettes afin de se consacrer à son métier de cultivateur. Sa disparition forcée serait intervenue cinq mois seulement après son départ du parti CNDD-FDD. Nos sources sont formelles : Jean-Marie NDIHOKUBWAYO n’avait adhéré à aucun autre parti politique après avoir quitté le CNDD-FDD.

B. Circonstances de l’enlèvement et de la disparition forcée de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO.

  1. Dans la matinée du 05 Mai 2019, Jean-Marie était chez-lui. Il reçut une visite impromptue de trois jeunes hommes, tous connus comme membres de la milice Imbonerakure, habitant le village de paix de Kagwema I. Le FOCODE a pu se procurer de leurs prénoms seulement : il s’agit d’Emmanuel, Eric et Issa. Jean-Marie NDIHOKUBWAYO les connaissait très bien pour deux raisons évidentes : premièrement ce sont des anciens collègues au sein de la milice Imbonerakure et ils seraient tous des informateurs du SNR ; deuxièmement, selon le témoignage recueilli sur place, les trois miliciens étaient souvent employés par Jean-Marie NDIHOKUBWAYO dans ses champs de riz comme travailleurs saisonniers au moment du sarclage et de la récolte. C’était donc des « amis » à lui, de telle sorte qu’il ne pouvait pas s’inquiéter de leur visite.
  1. Les trois visiteurs auraient demandé à Jean-Marie : « Ko utakiboneka ?» (Pourquoi n’es-tu plus visible ?) ; il leur aurait répondu qu’il n’était allé nulle part, qu’il était toujours là. C’est alors qu’ils auraient dévoilé l’objet de la visite : « Il y a une personne qui voudrait te rencontrer, voici un téléphone sur lequel on va t’appeler, fais tout pour rester joignable ». Sur ces mots, ils lui auraient laissé un appareil téléphonique avant de partir.
  1. Aux environs de midi, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO a reçu un appel téléphonique, c’était le moment d’aller au rendez-vous. Pour ne pas prendre du retard, ils lui ont demandé d’utiliser un taxi-vélo qu’ils allaient payer eux-mêmes. Ainsi, Jean-Marie est allé rencontrer cette « personne » à l’endroit appelé « Ku Mugirigiri », c’est dans le village de paix de Kagwema II. Arrivé là-bas, il aurait trouvé les trois miliciens Emmanuel, Eric et Issa qui l’attendaient, ils auraient payé le transporteur et ce dernier s’en est allé, laissant Jean-Marie avec ses hôtes. Ils seraient restés ensemble jusqu’à 15 heures, heure à laquelle serait venue une voiture TOYOTA de type TI ; ils se seraient tous dirigés vers la voiture et les trois miliciens auraient forcé Jean-Marie NDIHOKUBWAYO à entrer dans ladite voiture. Jean-Marie aurait essayé de résister mais sans succès. La voiture serait aussitôt partie et les trois miliciens seraient restés au village à intimider les gens qui venaient d’assister à l’enlèvement afin qu’ils ne disent rien.

C. Efforts de la famille et des proches pour retrouver la victime.

  1. Quand il a appris l’enlèvement de son fils, le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO est allé porter plainte contre Emmanuel, Eric et Issa auprès de l’Officier de la Police Judiciaire (OPJ) de la commune Gihanga travaillant au bureau No 7 du bâtiment abritant les services de l’administration communale. D’après une source proche de la famille, l’OPJ a appréhendé les présumés auteurs et a convoqué le père de la victime à se présenter à son bureau à 16 heures le même jour pour instruction de l’affaire.
  1. Evariste NTIBARIZI y serait allé avec des témoins. Après l’audience, il est rentré avec ses témoins et, en cours de route, grande a été leur surprise quand ils ont vu derrière eux les trois miliciens, présumés auteurs de la disparition de son fils. Ils venaient d’être libérés par l’OPJ à son insu et sans aucune explication. Le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO et ses témoins auraient alors décidé de prendre un bus afin d’échapper à ces miliciens imbonerakure qui les poursuivaient, étant donné qu’ils marchaient le long de la plantation de canne à sucre, un endroit réputé dangereux.
  1. Malgré les menaces et les intimidations à son encontre, le père de la victime n’a pas cédé. Selon toujours notre source proche de la famille, Evariste NTIBARIZI est allé porter plainte au parquet de Bubanza. Le procureur a délivré un mandat d’arrêt contre Emmanuel, Eric et Issa. Quand elle a reçu ce mandat d’arrêt du procureur, la police de Gihanga a pu arrêter un des trois miliciens tandis que les deux autres auraient fui à Muzinda, dans la commune voisine de Rugazi. Déterminé à connaitre la vérité sur la disparition de son fils et à obtenir justice, Evariste NTIBARIZI, malgré son âge avancé, est allé lui-même poursuivre les fugitifs à Muzinda. Là-bas, il a pu obtenir l’arrestation d’Eric qui fut remis à la police de Musenyi en commune Mpanda. Malheureusement il n’a pas passé une seule nuit dans le cachot de la police à Musenyi parce que vers 20 heures du soir, un officier supérieur de l’armée burundaise qui, selon des proches de la victime, serait le commandant du Camp militaire de Muzinda, serait venu le libérer. Ledit officier supérieur aurait alors envoyé un message au père de la victime que s’il voulait accuser les présumés auteurs de la disparition de son fils, qu’il devait aller les trouver à Muzinda. Dans la foulée, même celui qui était emprisonné à Gihanga était libéré. La succession de ces événements vint à bout de la détermination d’Evariste NTIBARIZI qui décida d’abandonner l’affaire afin de ne pas risquer sa propre vie. Sûrement qu’il y avait une main puissante derrière. Il est en effet incompréhensible qu’un officier de l’armée défie le procureur de la République en bloquant la mise en exécution d’un mandat d’arrêt dûment délivré par le parquet.
  1. Le comble de l’absurdité a été atteint lorsque les personnes qui avaient soutenu le père de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO dans les démarches visant à obtenir justice ont été arrêtées et détenues à Gihanga sur plainte des trois miliciens imbonerakure présumés auteurs de la disparition de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO. Ils ont été libérés après l’intervention du père de la victime qui est allé dénoncer ce harcèlement car il était clair qu’il s’agissait d’une opération d’intimidation afin d’étouffer l’affaire.

D. Les présumés auteurs de la disparition de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO.

  1. D’après les enquêtes du FOCODE, Jean-Marie NDIHOKUBWAYO a été enlevé alors qu’il était en compagnie de trois miliciens imbonerakure, connus aussi comme des informateurs du SNR, à savoir : les prénommés Emmanuel, Eric et Issa. Des témoins qui ont assisté impuissamment à l’enlèvement ont raconté comment Jean-Marie a été embarqué violemment dans la voiture de TOYOTA TI et comment les trois miliciens leurs ont proféré des menaces afin qu’ils ne racontent à personne ce qu’ils ont vu. Les trois miliciens ont joué le rôle de piéger et de livrer Jean-Marie NDIHOKUBWAYO à des personnes qui l’ont conduit vers une destination jusqu’ici inconnue.
  1. L’OPJ prénommé Dismas qui avait la charge d’instruire le dossier mais qui a préféré relâcher les présumés auteurs sans donner aucune explication à la famille et sans prendre aucune mesure visant à assurer la protection de la famille de la victime.
  1. Il y a aussi cet officier supérieur de l’armée burundaise qui, selon les proches de la victime, serait le commandant du camp Muzinda, qui se serait permis de libérer du cachot le milicien Eric tout en invitant le père de la victime à se rendre à Muzinda pour qu’ils puissent discuter de l’affaire. Le FOCODE n’a pas pu connaitre le nom de cet officier de l’armée pour confirmer si c’est bien le commandant du camp militaire de Muzinda.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

E. Recommandations et prise de position du FOCODE.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie NDIHOKUBWAYO, milicien Imbonerakure et ancien informateur du SNR, introuvable depuis son arrestation à Kagwema par d’anciens collègues et d’autres personnes non identifiées le 05 mai 2019;
  1. Le FOCODE condamne le silence persistant des autorités burundaises et l’indifférence totale de la police et de la justice burundaises sur des cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves, même quand les auteurs sont clairement identifiés comme des agents de l’Etat ou des miliciens au service du régime ;
  1. Le FOCODE condamne l’emprise de plus en plus importante des miliciens Imbonerakure sur des communautés locales et leur utilisation dans des opérations relevant de l’action des corps de sécurité ;
  1. Le FOCODE condamne la persistance des lieux secrets de détention, notamment dans des maisons privées, une pratique illégale qui facilite les disparitions forcées ;
  1. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Jean-Marie NDIHOKUBWAYO et sur les rôles joués par des agents de l’Etat et les différentes personnes citées dans cette disparition forcée ;
  1. Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.