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Disparition forcée de Monsieur Jean-Marie Harerimana

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DECLARATION DU FOCODE n° 024/2018

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie HARERIMANA, membre du FNL introuvable depuis son enlèvement dans la nuit du 21 au 22 février 2018 à Kamenge ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparition forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie HARERIMANA, ancien membre du parti FNL, aile d’Agathon RWASA avant d’intégrer en 2017 l’autre aile des FNL dirigée par Jacques BIGIRIMANA. Il résidait au quartier Kamenge, dans la commune urbaine de Ntahangwa, au nord de la Mairie de Bujumbura au moment de sa disparition forcée. Le dernier signe de vie de la victime à ses proches le situe dans un bar à l’endroit dit « Terminus » de Kamenge, au nord de la ville de Bujumbura, le 21 février 2018 aux environs de 21 heures. Selon des informations fournies par ses proches, il partageait alors un verre avec des agents qui auraient feint de vouloir lui acheter un de ses véhicules mais qui, en réalité, gagnaient du temps pour mieux opérer l’enlèvement à un moment plus discret de la nuit. La victime aurait été enlevée, selon plusieurs sources, par l’officier du Service national de renseignement (SNR), Joseph-Mathias NIYONZIMA connu sous le sobriquet de Kazungu. Les commanditaires de sa disparition forcée seraient des amis politiques qui l’auraient soupçonné de trahison au profit de leurs adversaires.

C’est la toute première fois que la Campagne NDONDEZA traite d’un cas de disparition forcée d’un membre du parti FNL de l’aile pro NKURUNZIZA dirigée par Jacques BIGIRIMANA. Tous les autres cas de disparitions forcées des membres du parti FNL ou des anciens combattants des FNL se retrouvaient dans l’aile dirigée par Agathon RWASA et étaient accusés de s’opposer au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Cette fois-ci la victime fait partie de la dissension du Secrétaire général Adolphe BANYIKWA qui s’est séparée de l’aile RWASA en janvier 2017 pour se rallier quelques mois plus tard à l’aile BIGIRIMANA. Quelques temps avant sa disparition forcée, la victime aurait tenté d’avertir Jacques BIGIRIMANA d’un complot interne au parti visant sa destitution par Adolphe BANYIKWA et aurait été rapidement suspecté de rouler pour des ennemis.

Comme d’habitude, les autorités burundaises sont restées silencieuses après la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA et aucune enquête sérieuse n’a été engagée sur cette disparition forcée.

A. Identification de la victime

  1. Fils de Gérard NDEGAMIYE et d’Agnès NSEKERABANDYA, Jean-Marie HARERIMANA est né en 1978 à Kabungere en commune Kanyosha de la province Bujumbura (dit rural). Marié et père de trois enfants, il résidait dans la zone urbaine de Kamenge, au nord de la ville de Bujumbura au moment de sa disparition forcée.
  1. Sur le plan professionnel, Jean-Marie HARERIMANA avait un diplôme en génie-civil et travaillait dans le domaine des constructions particulièrement en Mairie de Bujumbura.

B. Affiliation politique de Jean-Marie HARERIMANA

  1. Jean-Marie HARERIMANA a longtemps milité d’abord clandestinement au sein du Palipehutu-FNL[1], puis au FNL dirigé par Agathon RWASA. Pendant plusieurs années, Jean-Marie HARERIMANA a été considéré comme une des rares personnes en qui Agathon RWASA pouvait avoir confiance, l’un des rares à pouvoir entrer à la résidence du président du parti à n’importe quel moment. Il était également très lié à un certain Mussa celui qui était considéré comme « maître d’hôtel, chef d’intendance et chef du charroi » chez le président de cette aile des FNL, titres cités par de hauts cadres du FNL-aile RWASA pour souligner l’importance de la personne.
  1. Le parti FNL-aile RWASA a soutenu les manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Agathon RWASA n’a pas lui-même participé aux manifestations mais son entourage a joué un rôle très important dans l’encadrement et le déroulement de la manifestation. En mairie de Bujumbura, le parti FNL a fourni beaucoup de manifestants tandis que dans certaines communes de différentes provinces, le FNL a lui-même organisé des manifestations. C’est d’ailleurs ce rôle qui explique en partie la répression dont les militants ont continué à faire objet après les manifestations. Etant alors dans l’entourage immédiat d’Agathon RWASA, Jean-Marie HARERIMANA était opposé au troisième mandat de NKURUNZIZA et a pris part aux manifestations de 2015.
  1. En janvier 2017, un groupe très restreint des militants proches d’Agathon RWASA a participé à une nouvelle dissension dirigée par le secrétaire général du parti, le député Adolphe BANYIKWA. Il s’agissait de cinq personnes selon le président du groupe parlementaire de la Coalition Amizero y’Abarundi : Adolphe BANYIKWA, l’intendant et chef du charroi Bosco MUSSA, l’ancien responsable du parti FNL en mairie de Bujumbura Bahama HAKIZIMANA alias « Edo », un responsable de la jeunesse du FNL dans la région Imbo NSENGIYUMVA alias « Muhizi » ainsi que Jean-Marie HARERIMANA. Agathon RWASA a accusé les dissidents de rouler pour le parti au pouvoir, le CNDD-FDD. En mai 2017, le groupe des dissidents a officiellement intégré le parti FNL-aile dirigée par Jacques BIGIRIMANA. Les nouveaux venus ont été admis dans les organes dirigeants du parti, Jean-Marie HARERIMANA aurait été nommé mobilisateur politique du parti dans la province de Bujumbura (dit rural).

C. Contexte de la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA et démarches entreprises par la famille pour le retrouver.

  1. Jean-Marie HARERIMANA a été enlevé dans la soirée du 21 février 2018 à Kamenge dans des circonstances qui restent à élucider.
  1. Dans la soirée du 21 février 2018, Jean-Marie HARERIMANA aurait été appelé, selon ses proches, par des agents du SNR se faisant passer pour des acheteurs éventuels d’un véhicule qu’il avait l’intention de vendre. Ils ont passé un moment à partager un verre dans un bar situé au « Terminus » de Kamenge. Aux environs de 21 heures, Jean-Marie a appelé un de ses frères mais le vacarme qui régnait autour de lui n’a pas permis une conversation effective ; la seule impression que le frère a gardée est que la victime se trouvait encore au bar et qu’il y avait des gens autour de lui qui l’empêchaient de communiquer via son téléphone. Depuis cet instant, ce frère a tenté à plusieurs reprises de joindre la victime mais en vain, et plus tard Jean-Marie HARERIMANA est devenu injoignable car son téléphone était éteint. Jean-Marie n’a plus été retrouvé par les siens.
  1. Le lendemain de la disparition forcée de la victime, certains membres de sa famille ont reçu divers messages provenant du numéro de Jean-Marie HARERIMANA leur signifiaient en substance : « Ntimundondere nagiye ahantu Mutama yantumye kandi nta muriro mfise muri telephone», ce qui peut se traduire : « ne me cherchez pas, je suis allé exécuter une tâche me confiée par Mutama[2] et mon téléphone est déchargé »[3].
  1. Dès le 22 février 2018, les proches de la victime l’ont cherchée dans tous les cachots officiels de Bujumbura, mais Jean-Marie HARERIMANA est resté introuvable. La famille a saisie des instances policières dont la police judiciaire. Selon les proches de la victime, des OPJ[4] ont eu peur de poursuivre l’enquête dès qu’ils ont remarqué certains numéros figurant dans l’historique des appels et des messages de la victime. « à la police judiciaire, un OPJ a regardé certains numéros de l’historique, il a eu peur. Il a dit que pour sa sécurité, il ne pouvait pas appeler ces numéros. Nous pensons qu’il en connaissait les propriétaires » a confié un proche de la victime à la Campagne NDONDEZA. Avec ce refus d’enquêter de la part de la police, les proches de la victime ne savent plus à quel saint se vouer.
  1. Un autre fait troublant a été le comportement du parti FNL après la disparition forcée de son militant Jean-Marie HARERIMANA. Deux sources ont confié à la Campagne NDONDEZA qu’un proche de la victime a contacté Jacques BIGIRIMANA pour qu’il aide dans la recherche de Jean-Marie. La réponse du président de cette aile du FNL aurait été qu’il ne connaissait pas ce Jean-Marie HARERIMANA. Connaissant l’importance de Jean-Marie dans la dissidence et les responsabilités qui lui auraient été confiées par Jacques BIGIRIMANA dans la province de Bujumbura (dit rural) ainsi que la proximité de Jacques BIGIRIMANA avec le SNR, les proches de la victime ont perdu tout espoir de retrouver le leur après cette réponse.
  1. Les proches de la victime impliqués dans sa recherche ont reçu des menaces des agents du SNR. Des véhicules aux vitres teintées ont filé certains d’entre eux, ont rôdé à plusieurs reprises autour de leurs résidences et des agents du SNR se seraient présentés chez certains pour demander où était Jean-Marie HARERIMANA. Ces proches ont compris que le SNR les mettait ainsi en garde qu’il connaissait leurs démarches dans la recherche de Jean-Marie et qu’ils devaient arrêter. Craignant pour leur propre sécurité, les proches ont arrêté les recherches.
  1. Un député du FNL-aile RWASA s’est également impliqué dans la recherche sur demande des proches de la victime. Il se serait adressé à un responsable du SNR et aurait reçu une réponse cinglante : « ne perdez plus votre temps, Jean-Marie n’est plus en vie ; il a été exécuté sur ordre de BIGIRIMANA et BANYIKWA ». Le député a confié à la Campagne NDONDEZA qu’il n’a pas pu continuer son enquête après cette réponse.
  1. Les relevés des communications faites depuis le 21 février 2018 à travers le numéro de la victime, +257 75 989 462, montrent que jusqu’au 22 février 2018 à 14h51, le téléphone était utilisé dans la Zone Kanyosha tandis que jusqu’à 16h 54 du même jour le téléphone était utilisé dans la localité de Ngagara. Du 25 février à 03h 42 au 27 février à 11h06, les communications sortant comme celles entrant ont été faites au niveau de la localité de Cibitoke de la Mairie de Bujumbura.
  1. En outre, le même relevé des communications démontre que le téléphone de la victime a échangé avec plusieurs membres de la famille qui étaient inquiets de sa situation mais aussi avec d’autres personnes que la police judiciaire n’a pas voulu poursuivre, et ce cas d’impunité est monnaie courante pour tous les crimes commis par les membres ou les proches du parti au pouvoir, le CNDD-FDD.
  1. Comme dans la quasi-totalité des dossiers de disparitions forcées à connotation politique, la famille de la victime n’a reçu aucune assistance de l’Etat dans sa recherche de la victime et elle n’a jamais été informée sur le lieu probable de sa détention. En outre, en 2014, un frère de la victime a été assassiné dans des conditions qui n’ont jamais été clarifiées et les membres de la famille vivent un calvaire permanent et craignent que le pire continuera à s’abattre sur leur famille étant donné qu’ils n’ont jamais accédé ni à la vérité ni à la justice sur tous ces crimes.

D. Les présumés auteurs et le probable mobile de la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA

  1. Les enquêtes menées par la Campagne NDONDEZA sur les présumés auteurs ainsi que le mobile de la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA ont amené sur plus d’une piste mais des informations concordantes revérifiées ont permis d’aboutir aux résultats ci-après.
  1. Peu avant sa disparition forcée, Jean-Marie HARERIMANA aurait rapporté une confidence au président de son parti, Jacques BIGIRIMANA, selon laquelle Adolphe BANYIKWA préparait la destitution de Jacques BIGIRIMANA de la présidence du parti FNL. Ayant pris à sa juste valeur une telle information, Jacques BIGIRIMANA aurait alors convoqué l’équipe d’Adolphe BANYIKWA pour se rassurer de la véracité de l’information reçue de Jean-Marie HARERIMANA.
  1. Lors de la séance de confrontation, les choses auraient tourné au vinaigre pour Jean-Marie HARERIMANA puisque BANYIKWA et consorts auraient plutôt rejeté en bloc une telle accusation et auraient amené Jacques BIGIRIMANA à suspecter Jean-Marie HARERIMANA comme un agent d’Agathon RWASA dans la déstabilisation de Jacques BIGIRIMANA.
  1. Depuis lors, selon une source de la Campagne NDONDEZA, « la mort de Jean-Marie HARERIMANA aurait été convenue par Jacques BIGIRIMANA et Adolphe BANYIKWA » l’accusant de traître et comploteur à la solde des ennemis du parti. Cela expliquerait alors le silence et l’inaction du parti après cette disparition forcée ainsi que la réponse surprenante de Jacques BIGIRIMANA à un proche de la victime qui lui aurait demandé d’aider dans la recherche. Selon la même source, la mission d’enlèvement de Jean-Marie HARERIMANA aurait été confiée à l’officier du SNR, Joseph-Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU, lui-même très proche de Jacques BIGIRIMANA selon plusieurs sources.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

E. Recommandations et prise de position.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Jean-Marie HARERIMANA depuis son enlèvement par des personnes citées comme des agents du Service national de renseignement, dans la nuit du 21 au 22 février 2017 à Kamenge ;
  1. Le FOCODE condamne le silence de la police ainsi que l’inaction de tous les pouvoirs publics après la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA ;
  1. Le FOCODE demande une enquête sérieuse et indépendante sur l’enlèvement suivi de disparition forcée de Monsieur Jean-Marie HARERIMANA et la traduction en justice de toutes les personnes qui seraient impliquées dans ce crime odieux ;
  1. Le FOCODE demande une enquête globale sur les nombreux crimes commis sous le commandement de Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU, officier du SNR cité dans plusieurs crimes graves contre des opposants au régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  1. Le FOCODE demande une enquête indépendante et crédible sur le rôle qu’auraient joué Jacques BIGIRIMANA et Adolphe BANYIKWA dans la disparition forcée de Jean-Marie HARERIMANA ;
  1. Le FOCODE demande à la Cour Pénale Internationale (CPI) d’accorder une attention particulière au phénomène des disparitions forcées comme des crimes contre l’humanité systématiquement commis depuis avril 2015.

[1] Palipehutu-FNL : parti pour la libération du peuple hutu-forces nationales de libération. Le mouvement rebelle dirigé par Agathon Rwasa s’appelait ainsi avant la signature de l’Acoord de cessez-le-feu avec le gouvernement du Burundi en décembre 2008. En vue de se conformer à la loi burundaise qui ne reconnaît pas des partis à connotation ethnique, le Palipehutu-FNL est devenu le parti FNL : Forces Nationales de Libération, toujours dirigé par Agathon Rwasa. Après les élections de 2010 contestées par le FNL de Rwasa et l’opposition en général, le parti a connu une dissension et garde deux ailes, celle d’Agathon Rwasa et celle de Jacques Bigirimana. Le parti FNL-Aile Rwasa a participé aux élections de 2015 à travers la Colaition des indépendants « Amizero y’Abarundi » qui rassemblait les FNL-Aile Rwasa et l’Uprona-aile Nditije. En janvier 2017, le parti FNL-aile Rwasa a connu une nouvelle dissension dirigée par le secrétaire général Adolphe BANYIKWA qui a rapidement rejoint le part FNL-aile Bigirimana.

[2] « Mutama » (le vieux ou le sage) est une forme polie de plus en plus utilisé pour désigner sans le nommer le chef, le boss d’un groupe donné. Même si « mutama » signifie le vieux, dans ce contexte il ne se réfère pas à l’âge. Il peut s’agir d’un chef très jeune, du moment qu’il est respecté par le groupe il peut être nommé Mutama.

[3] Cette façon d’écrire des messages aux membres de la famille via le téléphone de la victime avait déjà été observée dans deux cas documentés par la Campagne NDONDEZA : dans la disparition forcée forcée d’Oscar NTASANO et dans celle du policier Gaston CISHAHAYO.

[4] OPJ : Officier de la police judiciaire