DECLARATION DU FOCODE n° 034 /2017 du 21 Décembre 2017
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Jean d’Arc NDIZEYE, Israël HATUNGIMANA et Innocent NIYONZIMA, militants et proche du parti FNL introuvables depuis leur arrestation par des agents du Service National de Renseignement (SNR), le 26 août 2016 à Kanyosha ».
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Messieurs Jean d’Arc NDIZEYE, jeune étudiant âgé de 25 ans, Israël HATUNGIMANA, ancien combattant reconverti en homme d’affaires, et Innocent NIYONZIMA, enseignant et finaliste dans une université privée, introuvables depuis leur arrestation dans la zone urbaine de Kanyosha, par des agents du Service National de Renseignement (SNR). Les trois victimes ont en commun d’être des militants ou des sympathisants du parti FNL – aile Agathon RWASA. Une dizaine de personnes auraient été arrêtées à la même occasion, mais l’identité d’autres victimes n’a pas été révélée au FOCODE.
Cette triple disparition forcée s’inscrit dans le cadre de la répression engagée par le régime de Bujumbura contre les opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en général et contre des militants du FNL- aile Agathon RWASA en particulier. La Campagne NDONDEZA a déjà documenté une dizaine de cas de disparitions forcées des militants du FNL ; des cas qui ne font même pas objet d’une procédure judiciaire comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées liées à la répression en cours au Burundi. Les militants du FNL-aile Agathon RWASA restent des cibles de cette répression sanglante.
A. Identification des victimes
- Fils d’Aloys NDAYAHUNDWA et de Potamie NICAYENZI, Jean d’Arc NDIZEYE est né le 06 mai 1991 à Gikwazo, zone Condi de la commune Rutovu en province de Bururi. Au moment de son arrestation, le 26 août 2016, Jean d’Arc NDIZEYE était étudiant à l’Université des Grands-Lacs, en deuxième baccalauréat de la faculté des télécommunications. Il résidait à la 13ème avenue du quartier Kinanira, dans la zone urbaine de Musaga, au sud de la ville de Bujumbura. Il était encore célibataire au moment de sa disparition forcée.
- Israël HATUNGIMANA est originaire de la zone Magara, commune Bugarama de l’actuelle province de Rumonge. Il est le fils de Jacques NSABIYUMVA et de Judith NDABAZANIYE. Il était marié et père d’un enfant au moment de sa disparition forcée. Ancien combattant du Front National de Libération (FNL) dirigé alors par Agathon RWASA, Israël HATUNGIMANA a été démobilisé après la signature de l’accord de cessez-le-feu entre le FNL et le gouvernement de Pierre NKURUNZIZA en 2008. Israël HATUNGIMANA s’est rapidement reconverti en hommes d’affaires tout en restant actif au sein du FNL-aile Agathon RWASA.
- Innocent NIYONZIMA est né en 1980 sur la colline Nyarumpongo, zone Rushubi, commune Isale, dans la Province de Bujumbura. Marié depuis sept ans, sans enfants, Innocent NIYONZIMA résidait dans la zone urbaine de Kamenge au moment de sa disparition forcée. Il était à la fois étudiant finaliste à l’Université Ntare Rugamba (Faculté de Génie Civil) et enseignant à l’Ecole Fondamentale de Ruvobo en commune Isale.
- Sur le plan politique, Israël HATUNGIMANA et Innocent NIYONZIMA étaient des militants très actifs du parti FNL dirigé par Agathon Rwasa. Innocent NIYONZIMA était chargé de la mobilisation politique dans la province de Bujumbura (dit rural). Deux jours avant son arrestation, Innocent NIYONZIMA avait même représenté le FNL dans un atelier organisé à Ijenda dans la commune de Mugongo-Manga de la même province. Les deux hommes feraient également partie d’un groupe dénommé « ABISEZERANO » (« ceux de l’Alliance » ou « les héritiers de la promesse »), le groupe rassemblerait d’anciens combattants du FNL et se serait scindé en plusieurs factions rivales. Selon les informations obtenues auprès de ses proches, Jean d’Arc NDIZEYE n’était pas membre du parti FNL, il n’était que le petit-frère d’Emmanuel NDUWIMANA, ancien combattant du FNL et grand ami d’Israël HATUNGIMANA. Ainsi, il était considéré comme un sympathisant du FNL- aile Agathon RWASA. Les trois victimes avaient participé aux manifestations populaires contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.
B. Circonstances de cette triple disparition forcée.
- Selon des témoignages reçus par le FOCODE, dans la matinée du 26 août 2016, un certain nombre de militants du FNL membres d’un groupe se nommant « Abisezerano » devraient se réunir à Kanyosha autour d’un certain Israël HATUNGIMANA, rentré d’exil de la Tanzanie deux jours plus tôt. Tous avaient en commun l’opposition au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA qu’ils jugent forcé en violation flagrante de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la réconciliation au Burundi, et de la Constitution de la République du Burundi qui en est issue.
- En principe, Jean d’Arc NDAYIZEYE ne devait pas participer à cette rencontre comme il n’était pas membre du FNL. Son grand-frère Emmanuel NDUWIMANA, ancien combattant du FNL et déjà en cachette à l’époque car il était recherché par le SNR, lui aurait laissé une somme de neuf cent cinquante mille francs burundais (BIF 950.000) à remettre à Israël HATUNGIMANA. Ce dernier aurait appelé Jean d’Arc NDIZEYE tôt dans la matinée du 26 août 2016 pour entrer en possession de cet argent avant la tenue de la réunion. Jean d’Arc NDIZEYE a quitté sa résidence à Kinanira entre 8 heures et 9 heures, selon ses proches, pour se rendre à Kanyosha où se trouvait déjà Israël HATUNGIMANA. Jean d’Arc NDIZEYE n’est jamais revenu, en dépit de plusieures alertes le concernant lancées sur des réseaux sociaux.
- Redouté et recherché par le Service National de Renseignement (SNR), Israël HATUNGIMANA ne savait pas qu’en rentrant au Burundi le 24 août 2016 il tombait dans un piège des services secrets burundais appuyés par des agents infiltrés dans le groupe « ABISEZERANO ». La réunion du 26 août 2016 à Kanyosha était connue d’avance par le SNR qui s’apprêtait à empoigner des éléments importants de ce groupe. Israël HATUNGIMANA et son groupe, y compris Jean d’Arc NDIZEYE, auraient été tous arrêtés par des éléments du SNR. Certains auraient été arrêtés sur le lieu de la rencontre, d’autres en cours de route. Au total, onze personnes auraient été arrêtées au cours du rafle selon les informations obtenues auprès des membres du groupe « ABISEZERANO ». Le FOCODE n’a obtenu que l’identification des trois victimes : Jean d’Arc NDIZEYE, Israël HATUNGIMANA et Innocent NIYONZIMA.
- Le 26 août 2016 vers midi, Jean d’Arc NDIZEYE aurait envoyé un texto à son grand-frère, via un numéro de la compagnie LUMITEL inconnu de la famille, et demandait de lui transférer des crédits de dix mille francs burundais (BIF 10.000). Le grand-frère n’aurait reçu le message que trois heures plus tard, vers 15 heures, et aurait tenté de joindre Jean d’Arc NDIZEYE sur son propre numéro mais le téléphone était éteint. Il aurait par la suite appelé le numéro LUMITEL utilisé dans la transmission du message et aurait été reçu par une personne qui se serait présenté comme un policier qui montait la garde au cachot secret situé dans les enceintes du Bar « Iwabo w’Abantu » de feu Général Adolphe NSHIMIRIMANA, ancien patron du SNR. La même personne aurait indiqué que Jean d’Arc NDIZEYE avait été arrêté à Kanyosha avec dix autres personnes et qu’ils étaient tous détenus au bar Iwabo w’Abantu.
- Les informations recueillies par le FOCODE indiquent que ces détenus auraient passé deux jours au cachot sis dans les enceintes du bar Iwabo w’Abantu avant d’être transférés nuitamment aux cachots du quartier général du SNR à Rohero. La nuit suivante, ils auraient été conduits à Gitega où ils auraient été détenus et torturés dans une maison privée au quartier Shatanya. Selon les mêmes informations, Israël HATUNGIMANA, considéré comme le chef du groupe, aurait été conduit au Palais présidentiel de Gitega où il aurait subi un interrogatoire musclé en présence d’une haute autorité du pays. Israël HATUNGIMANA aurait refusé de répondre aux questions en dépit de la torture cruelle qui lui aurait été infligée et l’ordre de son exécution aurait été donné dans les enceintes même du palais présidentiel de Gitega.
- Le lendemain, deux camionnettes de la police escortées d’un Jeep de type Toyota PRADO, auraient ramené les détenus à Bujumbura, auraient passé récupérer quatre autres personnes détenues dans les cachots du SNR situés au quartier 10 de la zone urbaine de Ngagara. Les malheureux auraient été conduits sur le lieu d’exécution à Gatumba dans la commune Mutimbuzi de la province Bujumbura ; leurs corps auraient été jetés dans la rivière Rusizi selon des sources qui se sont confiées au FOCODE.
- Le 06 septembre 2016, les habitants de Gatumba auraient signalé quatre cadavres aux mains ligotées derrière le dos qui flottaient sur la Rusizi et un cinquième cadavre fortement endommagé qui gisait sur le sable à la jonction de la rivière Rusizi et du Lac Tanganyika. Les images des cadavres auraient été partagées sur des réseaux sociaux, mais le FOCODE n’a pas obtenu les copies de ces images. Des proches de l’une des victimes auraient reconnu les vêtements que portait l’un des cadavres et auraient tenté d’aller faire une vérification. Malheureusement, à l’arrivée des proches de la victime, des miliciens Imbonerakure et des agents du SNR avaient déjà déplacé et rapidement enterré les cadavres selon les informations obtenues par le FOCODE.
C. Présumés auteurs de cette triple disparition forcée.
- Les témoignages des proches des victimes et des membres du groupe « ABISEZERANO » concordent sur le nom de la taupe qui aurait trahi ses compagnons : un certain Achille SABURONKA, ancien officier des ex-Forces Armées Burundaises issu de la 35ème promotion de l’Institut des Cadres Militaires, ISCAM. Pour piéger Israël HATUNGIMANA, l’ancien officier aurait collaboré avec un quarteron d’anciens membres du groupe « ABISEZERANO » qui seraient détenus à la prison de Gitega et qui, en réalité, seraient des agents du SNR dans la prison. Plusieurs sources ont confirmé que les membres de ce quarteron passeraient du temps à contacter plusieurs personnes réputées opposantes au régime de Pierre NKURUNZIZA pour les convaincre d’adhérer à une pseudo rébellion dont ils seraient des responsables, ceux qui tombent dans le panneau sont rapidement livrés au SNR. C’est dans ce sens qu’ils auraient convaincu le redouté Israël HATUNGIMANA à rentrer au pays et auraient reçu ses confidences sur des réunions de mobilisation qu’il était en train d’organiser. Le quarteron comprendrait des détenus prénommés Ibrahim, Eslon, Jonathan et Augustin. Achille SABURONKA servirait de canal de transmission d’informations entre le quarteron de détenus et les patrons du SNR. Bien plus, il travaillerait étroitement avec le renseignement privé de Pierre NKURUNZIZA et serait pour le moment détaché auprès des services de renseignements du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo dans la traque de groupes rebelles burundais à l’Est du Congo.
- Selon des informations recueillies au sein du SNR, une querelle aurait éclaté au sein des services secrets burundais sur le sort à réserver aux membres du groupe « ABISEZERANO » après leur arrestation. La querelle aurait été suscitée par les liens de parenté entre Israël HATUNGIMANA et un cadre au sein du SNR qui tenait à sauver la vie d’Israël par un simple emprisonnement. Par contre les personnes utilisées pour piéger et espionner Israël HATUNGIMANA auraient craint que sa survie permette de dévoiler l’identité des membres du Groupe « ABISEZERANO » reconvertis en agents du SNR. C’est pour cette raison que l’ordre d’exécution des victimes serait venu des hautes instances du SNR et de l’Etat.
D. Traque interminable des membres du FNL et calvaire des familles des victimes.
- Depuis l’accession au pouvoir de Pierre NKURUNZIZA et de son parti, CNDD-FDD, il a été observé plusieurs vagues de répression des membres du FNL dirigé par Agathon RWASA. En 2006, l’ONG locale APRODH a dénoncé des massacres de plusieurs dizaines de militants du FNL à Muyinga au nord du Burundi. L’année suivante un officier de la police nationale, Désiré UWAMAHORO, a été condamné pour des actes de torture sur plusieurs membres du FNL à Rutegama[1] en province de Muramvya mais sa peine n’a jamais été exécutée tandis que le nom de cet officier continue à être cité dans de nombreux autres crimes graves. Au lendemain des élections générales de 2010 boycottées par le FNL d’Agathon RWASA, plusieurs dizaines de militants du FNL ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires dans tous les coins du pays. L’ONG APRODH a dénoncé un plan dénommé « SAFISHA » (nettoyage) destiné à démanteler les structures du FNL et un rapport de l’ONG Human Rights Watch a documenté de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires des membres du FNL après les élections de 2010[2]. Les membres du FNL ont fortement participé aux manifestations populaires contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA et sont devenues depuis des cibles favorites de la répression en cours dans le pays depuis avril 2015. Outre les trois cas présentés dans cette déclaration, la « Campagne NDONDEZA » a déjà documenté au moins six autres cas de disparitions forcées des membres ou d’anciens membres du FNL tandis qu’une dizaine d’autres dossiers sont en cours d’analyse.
- L’enquête menée par le FOCODE sur ces trois cas de disparition forcée montre que les membres des familles des victimes membres du FNL- aile Agathon RWASA sont les plus traumatisés : ils vivent sous la hantise des représailles du régime et acceptent rarement de livrer des informations sur la disparition forcée des leurs. La réponse qui revient souvent est : « nous considérons que le nôtre est déjà mort, nous ne pouvons rien faire pour le ramener et nous craignons de subir le même sort ». Dans des cas extrêmement rares, les proches des victimes contactent les organes de l’Etat (police, SNR, justice, CNIDH) pour demander où se trouvent les leurs, très peu vont jusqu’à les chercher dans les différents cachots officiels.
- Dans le triple dossier sous analyse, seuls des proches de Jean d’Arc NDIZEYE ont eu le courage de le chercher dans les différents cachots officiels du pays à Bujumbura et à Gitega, mais aussi dans certains cachots non officiels du SNR. Ce courage a valu de graves menaces aux proches de la victime de telle sorte que tous ses frères et sœurs ont pris le chemin de l’exil. Le père de la famille a déjà séjourné dans un cachot pour expliquer où se trouvent ses enfants qui auraient parlé à des organisations de droits de l’homme. Curieusement, en dépit de sa présence au parlement et au gouvernement de Pierre NKURUNZIZA, le FNL reste généralement muet sur les cas de disparition forcée de ses membres.
- La justice burundaise, la police nationale et la commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) sont restées silencieuses et inactives sur la disparition forcée de Jean d’Arc NDIZEYE, d’Israël HATUNGIMANA et d’Innocent NIYONZIMA.
N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.
E. Prise de position et recommandations
- Le FOCODE condamne pour la Nième fois les enlèvements, arrestations illégales et arbitraires des citoyens du Burundi opérés par des forces de sécurité et qui sont suivis par des détentions dans des lieux secrets non communiqués ni par des déclarations publiques ni aux membres des familles des détenus ;
- Le FOCODE condamne encore une fois l’érection des cachots secrets dans certains bars appartenant à de hautes personnalités des corps de sécurité, dans des maisons privées de hautes personnalités ou dans d’autres lieux non officiels ;
- Le FOCODE condamne la disparition forcée de MM. Jean d’Arc NDIZEYE, Israël HATUNGIMANA et Innocent NIYONZIMA, et demande une enquête indépendante sur cette triple disparition forcée ainsi que sur de nombreux autres cas similaires ;
- Le FOCODE demande une enquête judiciaire et la traduction en justice de M. Achille SABURONKA et du quarteron de détenus anciens membres du Groupe ABISEZERANO ainsi que des plus hautes autorités du SNR et de l’Etat qui auraient joué un rôle dans cette triple disparition forcée ;
- Le FOCODE salue la récente décision de la Cour Pénale Internationale d’ouvrir une enquête sur les crimes graves en cours au Burundi depuis avril 2015 et attire son attention sur les crimes commis contre les militants du FNL d’Agathon RWASA et d’autres militants de groupes ciblés de l’opposition.
[1] https://www.hrw.org/fr/report/2008/04/30/ils-me-tabassaient-tous-les-matins/exactions-de-la-police-au-burundi
[2] « Tu n’auras pas la paix tant que tu vivras », https://www.hrw.org/fr/report/2012/05/02/tu-nauras-pas-la-paix-tant-que-tu-vivras/lescalade-de-la-violence-politique-au