« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA, responsable du parti CNL arrêté par l’armée burundaise le 22 juillet 2019 à Nyeshenza en commune Mugina ».
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA, mobilisateur du parti CNL en province de Cibitoke, introuvable depuis son arrestation par des éléments de l’armée burundaise dans la matinée du 22 juillet 2019 au marché de Nyeshenza en commune Mugina. Une bonne partie des auteurs de l’arrestation ont été identifiés comme faisant de l’entourage du Chef de la Force de défense nationale du Burundi (FDNB), le Lieutenant-Général Prime NIYONGABO. En dépit des assurances de l’Administrateur communal de Mugina aux membres de la famille de la victime, Isaïe BATUMUNWA n’a jamais été retrouvé depuis son arrestation et aucune personne n’a été poursuivie pour sa disparition.
A. Identité de la victime
- Fils de Mathias YAGA et d’Esther NDABATEZE, Isaïe BATUMUNWA, plus connu sous le sobriquet de « KIRANDARANDA » est né en 1972, sur la colline Bwayi de la zone Buseruko en commune Mugina, province Cibitoke (Nord-Ouest du pays). Il était résident de cette même colline jusqu’au jour de son enlèvement. Marié et père de huit (8) enfants, « KIRANDARANDA » faisait vivre sa famille par l’agriculture et le petit commerce.
- A entendre les témoignages de ses amis et proches, la vie d’Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA est synonyme de combat politique, un fidèle de première heure du mouvement Palipehutu-FNL qu’il intégra en 1990 comme combattant. En 1997, il fut arrêté au chef-lieu de la commune Mugina, subit plusieurs formes de tortures dont un coup de poignard au niveau de l’épaule avant d’être envoyé à la prison centrale de Mpimba dans la ville de Bujumbura où il séjournera plus de trois ans.
- Après sa libération en 2000, KIRANDARANDA est rentré dans sa famille et a réintégré la vie civile sans pour autant abandonner la lutte politique au sein de la rébellion du Palipehutu-FNL, il sera cette fois-ci chargé de la mobilisation politique pour le mouvement. KIRANDARANDA ne restera pas longtemps dans cette vie civile. Il rempila quelques temps après le treillis militaire de son mouvement jusqu’à la signature des accords de cessez-le-feu entre le gouvernement du CNDD-FDD et le Palipehutu-FNL en 2008. A la fin des hostilités, il opta pour la démobilisation avec le grade de sous-lieutenant et devint le représentant des démobilisés des FNL en province de Cibitoke. Après la démobilisation, KIRANDARANDA retrouva sa fonction de mobilisateur politique du parti FNL aile d’Agathon RWASA et occupait la même fonction au sein du nouveau parti CNL. Ses compagnons de lutte le décrivent comme un militant très influent au sein du CNL.
- Son passé de combattant, sa fidélité sans faille à sa famille politique et son talent de mobilisateur lui ont valu une haine viscérale de la part de certains ténors du parti CNDD-FDD en commune de Mugina et dans la province de Cibitoke. Il avait déjà échappé à plusieurs attentats qui visaient son élimination physique et à plusieurs tentatives d’arrestations.
B. Contexte de l’enlèvement et de la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA.
- Tout se passe dans la matinée du lundi 22 Juillet 2019. Isaïe BATUMUNWA a quitté le matin sa résidence sise à la colline Bwayi de la zone Buseruko pour se rendre à Nyeshenza, chef-lieu de la commune Mugina (sa commune) qui se trouve dans la zone de Rugajo. Avant de se rendre au marché de Nyeshenza, il est passé déposer sa moto de type DT chez un mécanicien pour des réparations mineures.
- Arrivé près du marché, devant une agence de la Coopérative Solidarité avec les Paysans pour l’Epargne et le Crédit (COSPEC), il a été approché par un véhicule de type Jeep Prado noir aux vitres teintées, muni d’un porte-bagages au-dessus, sans plaque d’immatriculation à l’arrière tandis que sur celle de devant, seuls trois chiffres, « 262 », étaient visibles. Trois hommes armés dont deux en tenue militaire de l’armée burundaise et un autre en tenue de sport communément appelée « training » sont sortis du véhicule et ont embarqué Isaïe BATUMUNWA. Il était peu après sept heures du matin (GMT+2), devant une foule de passants.
- Des sources sur place ont rapporté à la Campagne Ndondeza que ledit véhicule avait été vu à Nyeshenza la veille mais que personne n’avait cherché à savoir qui étaient les occupants et quel était le motif de leur présence. Selon ces sources, l’enlèvement aurait été facilité par un ancien combattant démobilisé du CNDD-FDD, natif et résident de Mugina, un certain Boniface YARANYUMVIYE qui, par sa filature, aurait guidé ces kidnappeurs jusqu’à l’endroit où la victime a été enlevée. Cette information a été confirmée par le journal en ligne SOS-MEDIA/BURUNDI :
« Nous avons vu un responsable des Imbonerakure (jeunes affiliés au parti CNDD-FDD) au niveau de la commune du nom de Boniface qui pointait le doigt vers Batumunwa », rapportent des habitants de Nyeshenza[1].
- Le véhicule a d’abord pris la direction nord vers la commune frontalière de Mabayi puis a fait demi-tour pour se diriger vers Bujumbura. Les témoins qui assistaient impuissants à l’enlèvement se rendront compte par après qu’en prenant la direction de Mabayi, les bourreaux allaient tout simplement chercher la moto que KIRANDARANDA avait laissée chez un mécanicien.
- Aussitôt après l’enlèvement, l’alerte a été lancée via les réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook et Twitter) par des proches de la victime, des défenseurs des droits de l’homme notamment le président du FOCODE[2] et des media[3]. Le véhicule qui emmenait Isaïe BATUMUNWA est passé par le centre communal de Rugombo pour emprunter la route Rugombo-Bujumbura. Des témoins à Buganda affirment l’avoir vu jusqu’à Kagwema où il aurait bifurqué vers Gihungwe en commune Gihanga de la province Bubanza. Ce fut la dernière trace du véhicule selon les témoins.
C. Efforts consentis par la famille de la victime et les amis en vue de retrouver Isaïe BATUMUNWA.
- Le modus operandi utilisé pour enlever Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA témoigne de la haine que les commanditaires et exécutants de ce crime avaient pour ce mobilisateur politique très influent du CNL. En effet, depuis 2018, le kidnapping des citoyens burundais opposants au régime du président NKURUNZIZA ou soupçonnés de l’être se fait d’une manière subtilement pensée quitte à ne pas laisser des traces pouvant renseigner sur le sort de la victime. Il est de plus en plus rare qu’en 2019 des hommes en uniforme de l’armée et à visage découvert embarquent un citoyen au vu des passants et amis, signe que la mission d’enlèvement de KIRANDARANDA devait être accompli quel qu’en soit le prix.
- Quoique la victime n’ait pas encore été retrouvée, l’alerte lancée a encore une fois démontré l’importance des réseaux sociaux et l’obstination des citoyens à se secourir mutuellement, malgré leur impuissance devant la machine répressive de l’Etat. Ils ont pu en effet poursuivre le véhicule sur un trajet de plus de 100 km en relayant l’information de commune en commune jusqu’à Bubanza. D’autres ont attendu en vain le véhicule à l’entrée de la ville de Bujumbura dans l’intention d’être témoins de la destination finale du véhicule.
- Si des témoins affirment que le véhicule ne serait pas arrivé dans la ville de Bujumbura ce jour-là, des sources du FOCODE rapportent deux versions différentes sur le probable lieu de détention de KIRANDARANDA. Pour la première version, il aurait été vu au quartier général du SNR à Rohero (non loin de la Cathédrale de Bujumbura) dans un état quasi comateux suite à des traitements inhumains qu’il aurait subis dont des coups de couteaux. La deuxième source dit qu’il aurait été secrètement détenu dans une maison se trouvant au quartier Carama (nord de la ville de Bujumbura) qui appartiendrait à un militaire connu sous le sobriquet d’ECONET et qui travaillerait à l’écolage militaire. Le FOCODE n’est pas en mesure de confirmer ces informations.
- La famille a demandé à Madame Jovith BAYAVUGE, administrateur de la commune Mugina, d’user de son influence pour aider à retrouver Isaïe BATUMUNWA ; cette dernière leur aurait rassuré la famille à deux reprises, les 3 et 9 juillet, que KIRANDARANDA était emprisonné dans les cachots du SNR à Bujumbura sans en dire plus.
- Le procureur de la République à Cibitoke a également été saisi par des membres du parti CNL et un des membres de la famille de la victime. Selon le journal SOS Médias Burundi, le procureur a confié qu’il allait se renseigner auprès des services secrets burundais à Bujumbura.
L’un des membres de la famille et les responsables du CNL ont vite alerté Jean Marie Bizindavyi, procureur de la République à Cibitoke pour l’informer de cet enlèvement. «Je ne suis pas au courant de cet enlèvement », leur a-t-il répondu, avant de préciser qu’il va essayer de s’enquérir de ce cas auprès du responsable du SNR de Bujumbura[4].
D. Les présumés auteurs de l’enlèvement et de la disparition forcée de Isaïe BATUMUNWA alias KIRANDARANDA.
- Le nom de Boniface YARANYUMVIYE est particulièrement cité par les témoins comme instigateur de l’enlèvement de KIRANDARANDA. C’est lui en effet qui aurait été chargé de suivre les déplacements d’Isaïe BATUMUNWA afin de renseigner ceux qui l’ont enlevé. C’est un démobilisé du CNDD-FDD très connu à Nyeshenza. Dans son rapport No189 du 27 Juillet 2019, SOS-TORTURE/BURUNDI évoque aussi le nom de ce démobilisé du CNDD-FDD :
Sos-Torture/Burundi note un enlèvement commis par des agents du SNR devant plusieurs témoins. Des témoins rapportent que M. Batumunwa a été désigné du doigt par un membre de la milice imbonerakure nommé Boniface Baranyumviye (surnommé Muhumure) qui orientait les agents du SNR. Il y a crainte pour la sécurité de M. Batumunwa depuis cet enlèvement[5]
- Des sources internes à l’armée burundaise ont révélé au FOCODE les identités des trois militaires qui auraient enlevé KIRANDARANDA ainsi que le véhicule utilisé. Selon ces sources, les trois hommes seraient tous des militaires travaillant à l’Etat-major général de la Forces de Défense Nationale du Burundi (FDNB). Il s’agirait du Caporal-chef Venant NTAHORUTABA qui serait le chauffeur du chef de la FDNB, le Lieutenant-Général Prime NIYONGABO et qui aurait conduit le véhicule utilisé dans l’enlèvement ; d’un militaire du nom de SIBOMANA qui serait l’agent de transmission (AT) du chef de la FDN et d’un sous-officier du nom de NDIKURIYO. Le véhicule utilisé appartiendrait à un certain Docteur Jonas qui fut directeur de l’hôpital de Kirundo au nord du Burundi. Toutefois, le FOCODE n’est pas à mesure de confirmer ces informations.
N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.
E. Recommandations et prise de position du FOCODE.
- Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA, mobilisateur du parti CNL, introuvable depuis son arrestation à Nyeshenza par des éléments de l’armée burundaise le 22 juillet 2019 ;
- Le FOCODE condamne le silence persistant des autorités burundaises et l’indifférence totale de la police et de la justice burundaises sur des cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves, même quand les auteurs sont clairement identifiés comme des agents de l’Etat ou des miliciens au service du régime ;
- Le FOCODE demande au Lieutenant-Général Prime NIYONGABO, Chef de la FDNB dont des militaires de sa garde ont pris part à l’arrestation, et à Madame l’Administrateur communal de Mugina qui a rassuré la famille de la victime dans un premier temps de sortir de leur silence et d’indiquer le lieu de détention de Monsieur Isaie BATUMUBWA ;
- Le FOCODE condamne l’emprise de plus en plus importante des miliciens Imbonerakure sur des communautés locales et leur utilisation dans des questions relevant de l’action des corps de sécurité ;
- Le FOCODE condamne la persistance des lieux secrets de détention, notamment dans des maisons privées, une pratique illégale qui facilite les disparitions forcées ;
- Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Monsieur Isaïe BATUMUNWA et sur les rôles joués par les agents de l’Etat et les différentes personnes citées dans cette disparition forcée ;
- Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.
[1] https://www.sosmediasburundi.org/2019/07/22/burundi-mugina-cibitoke-un-mobilisateur-du-parti-cnl-enleve-par-le-snr/
[2]https://m.facebook.com/PacifiqueNininahazwe/photos/a.589657174445265/2296746593736306/?type=3&source=57&refid=52&__tn__=EH-R
[3] https://pt-br.facebook.com/sosmediasburundi/posts/2474140719314619
[4] https://www.sosmediasburundi.org/2019/07/22/burundi-mugina-cibitoke-un-mobilisateur-du-parti-cnl-enleve-par-le-snr/
[5] http://sostortureburundi.over-blog.com/2019/07/rapport-n-189-de-sos-torture/burundi-publie-le-27-juillet-2019.html