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Disparition forcée de messieurs Georges Ndayizeye et Michel Harushimana.

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA, deux militants du parti MSD enlevés en commune Bukeye et introuvables depuis  le 02 septembre 2019. »

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA, deux militants du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie MSD, enlevés dans la soirée du 02 septembre 2019 à Nyamirambo en commune de Bukeye de la province Muramvya. Ce soir-là, Georges NDAYIZEYE, taximan œuvrant sur le trajet Muramvya-Bujumbura, devait récupérer un bagage à Nyamirambo, mais cette mission n’était en réalité qu’un piège des services secrets burundais. Georges et son ami Michel auraient été arrêtés dès leur arrivée à Nyamirambo. Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA n’ont jamais été retrouvés depuis ce soir-là, de même que leur véhicule, une voiture Toyota Probox immatriculée JA 5489. Les familles ont été informées de l’incarcération des victimes dans des cachots secrets du Service National de Renseignement mais n’ont jamais eu une preuve de vie même après payement d’une sorte de rançon. Comme dans d’autres cas similaires, les autorités burundaises n’ont rien fait pour retrouver les victimes.

A. Identité des victimes

A.1. Georges NDAYIZEYE

Fils de Léonidas NTAWE et de Marie-Béatrice DUSABE, Georges NDAYIZEYE plus connu sous le sobriquet de « Hassan » est né en 1986 sur la colline Masango de la commune Muramvya en province Muramvya, au centre du Burundi. Marié et père de cinq enfants, Georges NDAYIZEYE vivait de son métier de taximan et travaillait régulièrement sur le trajet Muramvya-Bujumbura-Muramvya. Georges résidait avec sa famille à Masango.

Sur le plan politique, Georges NDAYIZEYE est un militant du Mouvement pour la solidarité et la démocratie MSD, un parti politique de l’opposition dont les membres sont particulièrement ciblés par la répression en cours au Burundi. Georges a discrètement pris part à la contestation populaire du troisième mandat du Président NKURUNZIZA en 2015. Sous pression d’une partie de sa famille et afin de pouvoir continuer son business tranquillement, Georges NDAYIZEYE a fait semblant de se rapprocher du parti CNDD-FDD au pouvoir. Alors que certains anciens camarades au sein du MSD l’accusaient de trahison à son parti, nous avons reçu des témoignages de responsables du MSD au niveau provincial à Muramvya et au niveau national qui nous ont confié que Monsieur NDAYIZEYE n’a jamais quitté son parti mais qu’il avait plutôt sauvé pas mal d’autres membres recherchés par le Service national de renseignement (SNR).

A.2. Michel HARUSHIMANA

Fils de Joseph HARUSHIMANA et de Stéphanie NZOBONIMPA, Michel HARUSHIMANA connu sous le sobriquet de « Mika » est né en 1984 à Sororezo dans la zone Muyira de la commune Kanyosha, en province de Bujumbura (dit « rural »). Père d’un enfant, Michel HARUSHIMANA était encore célibataire au moment de sa disparition forcée le 02 septembre 2019. Il vivait de son métier de peintre.

Au niveau politique, Michel HARUSHIMANA est un militant très engagé du parti de l’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie MSD. Il est chargé de la mobilisation politique en commune de Kanyosha. En 2015 la zone Muyira a été très active dans la contestation du troisième mandat du Président NKURUNZIZA, au même niveau que les quartiers de la ville de Bujumbura. Michel comptait parmi les manifestants les plus engagés dans cette zone. Par la suite, les militants du MSD à Muyira ont payé cher cet engagement citoyen. Le 02 mars 2018, cinq militants très actifs du MSD à Muyira ont été arrêtés à Ruvumera en mairie de Bujumbura, tout près de leur atelier de forgerons : Egide HABONIMANA, Lionel HAFASHIMANA, Emmanuel NYABENDA, Bonaventure HAVYARIMANA et Benius MBANYENIMANGA. Depuis cette arrestation par le SNR et leur passage au cachot du SNR, les cinq opposants de Muyira n’ont jamais été retrouvés. Moins d’un an plus tôt, Rémy NDAGIJIMANA, un autre militant très actif du MSD à Muyira, avait été arrêté le 25 avril 2017 par le SNR à Mutanga-Sud (un quartier de la ville de Bujumbura) et n’a jamais été retrouvé. Michel HARUSHIMANA fait donc partie d’une longue liste de militants du MSD de Muyira portés disparus après leur arrestation par des agents des services secrets burundais.

B. Circonstances de la disparition forcées de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA.

La Campagne NDONDEZA a contacté plusieurs sources dans le cadre de l’enquête sur la disparition des deux militants du MSD. Des proches ont fourni des informations sur la dernière journée de Georges et Michel ainsi que sur les efforts de recherche des leurs après la disparition, des responsables du parti MSD nous ont partagé les informations à leur disposition, des sources au sein du SNR nous ont également été d’un appui précieux dans cette enquête quoique personne n’ait pu déterminer avec certitude le sort final des deux captifs.

Un proche de Michel HARUSHIMANA a confié au FOCODE qu’il avait rencontré Michel dans la ville de Bujumbura le matin du 02 septembre 2019 vers 08 heures du matin. Michel lui avait annoncé qu’il allait se rendre à Muramvya dans la journée. Même s’il ne l’a pas revu, ce proche pense que Michel était revenu à Bujumbura en fin d’après-midi ; un avis que nous ne partageons pas dans cette enquête. En effet, autour de 19 heures, le numéro lui écrit pour la dernière fois et l’informait qu’il était en train d’arriver à la gare du nord de Bujumbura. Il est possible que c’est Michel lui-même qui ait envoyé ce message, il est également possible que ce sont ses ravisseurs qui l’aient envoyé. Selon cette source, le téléphone de Michel HARUSHIMANA a été éteint vers 21 heures.

Un proche de Georges NDAYIZEYE a confié au FOCODE qu’il était resté en contact avec Georges la journée du 02 septembre 2019. La journée, il avait travaillé normalement avec son taxi qui faisait régulièrement le trajet Muramvya-Bujumbura. Mais ce soir-là, il avait une mission spéciale : prendre un bagage à Nyamirambo en commune de Bukeye vers 19 heures. Plusieurs autres sources ont confirmé cette information, avec de légères divergences sur l’heure.

Georges et Michel, sont-ils partis ensemble pour récupérer le bagage de Nyamirambo ? Les familles des deux victimes n’ont pas collaboré dans la recherche des leurs, comme c’est souvent le cas. Ainsi chacune des deux familles évoque la disparition de manière isolée. Toutefois, une source politique a reconnu que Georges et Michel étaient sur une même mission de récupération du bagage. De même, le fait que Michel avait confié à un proche qu’il devait se rendre dans la journée à Muramvya conforte l’hypothèse qu’ils sont partis ensemble.

En quoi consistait ce bagage spécial à récupérer la nuit[1] ? Selon un proche de Georges, il s’était déjà rendu à Nyamirambo une semaine plus tôt mais n’avait pas récupéré le bagage parce que l’argent payé était insuffisant. Une source pense que Georges devait aider un habitant de Nyamirambo à déménager. Deux proches de Georges ont évoqué la possibilité que le bagage contenait des armes. Interrogée sur la question des armes, la source politique n’a ni confirmé ni infirmé cette possibilité. Notre source au sein du SNR clairement dit que Georges est tombé dans un piège d’un groupe d’agents des services secrets collaborateurs du Major Noel BANYIYEZAKO, officier chargé du renseignement au palais présidentiel. Selon cette source, le piège consiste à tromper des responsables de mouvements armés en exil qu’il y a des armes à vendre cachés au Burundi. Le contact avec les mouvements armés est mené par des intermédiaires qui sont généralement d’anciens militaires ex-FAB dont certains en exil et d’autres au Burundi.  Les responsables des mouvements armés choisissent à leur tour des intermédiaires pour le payement et la récupération du colis. Ces derniers intermédiaires ne sont pas nécessairement au courant du contenu du colis à récupérer. Selon cette source, le jour du payement, le piège se ferme sur les intermédiaires chargés de récupérer le colis tombent : ils se retrouvent arrêtés par des agents du SNR, leur argent et leur véhicule sont saisis par les mêmes agents. Et les personnes arrêtées et leur véhicule disparaissent après l’arrestation. Selon cette source au sein du SNR, les personnes arrêtées sont généralement tuées pour éviter leur témoignage ultérieur.

Au moins deux sources ont confirmé au FOCODE que Georges et Michel ont été arrêtés dès leur arrivée à Nyamirambo. Un proche de Georges s’est rendu sur le lieu de l’arrestation, la population confirmait l’arrestation mais avait peur d’évoquer les détails. Selon nos sources, les captifs ont été transportés dans une camionnette du SNR et leur véhicule, laissé sur place dans un premier temps, aurait été déplacé aux heures plus avancées de la nuit. Le nom de l’officier du SNR Athia NDUWIMANA (déjà évoqué dans de nombreux cas de disparitions forcées) a été cité comme le chef de l’opération de cette arrestation, le FOCODE ne peut pas confirmer cette information.

Taxi de Georges Ndayizeye

Depuis cette arrestation à Nyamirambo, Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA n’ont jamais été retrouvés en dépit des recherches menées par les proches. Les autorités burundaises n’ont jamais répondu aux demandes des familles ou aux alertes des défenseurs de droits de l’homme.

C. Démarches entreprises par les familles des victimes pour les retrouver.

Chacune des deux familles a agi isolément pour retrouver l’un ou l’autre des deux captifs. Les deux familles ont chacune reçu des informations sur la présence de Georges et Michel au cachot du SNR, une des deux familles a même payé une somme de cinq cents mille francs burundais (500.000 FBU) à un OPJ du SNR qui promettait d’envoyer le dossier au parquet le plus rapidement possible.

 Une des familles a confié au FOCODE qu’elle avait envoyé au SNR un proche des services secrets burundais. Cette mission n’a pas abouti, plutôt la personne envoyée a lui-même reçu des menaces de mort : « ce dossier est extrêmement délicat, si tu continues à fouiner dans ce qui ne te concerne pas, cela va te coûter cher ». Une des deux familles a contacté la Croix Rouge et attend toujours les suites de l’enquête de l’organisation. Enfin, une des deux familles a appris de la part d’un agent du SNR que les captifs avaient été sortis des cachots du SNR, conduits à Ngozi pour être exécutés et enterrés à Rukeco. Cette information n’a pas été confirmée par notre source au SNR, pour elle l’exécution ne serait pas surprenante mais elle pense qu’elle aurait eu lieu ailleurs, sans plus de précision.

Dix mois après la disparition de Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA, les proches sont désespérés et ont arrêté les recherches. Une des deux familles doit payer la dette contractée pour payer la rançon de cinq cents mille francs burundais. Les familles se demandent si elles pourront au moins connaître un jour le lieu d’enterrement des leurs.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

D. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA introuvables depuis leur arrestation sous forme d’enlèvement le 02 septembre 2019 à Nyamirambo en commune de Bukeye de la province Muramvya ;
  2. Le FOCODE condamne le silence du Service national de renseignement SNR depuis l’arrestation de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA ainsi que l’inaction de tous les autres corps de l’Etat (police, justice et administration) depuis cette disparition laissant les familles des victimes dans le chagrin et l’impuissance ;
  3. Le FOCODE rappelle à l’Etat du Burundi que quelle que soit la gravité des crimes allégués, il a l’obligation de présenter les présumés auteurs devant une juridiction compétente et de leur garantir une procédure légale respectueuse de leur dignité humaine ;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Georges NDAYIZEYE et Michel HARUSHIMANA ainsi que la traduction en justice de toute personne qui aura pris part ;
  5. Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter  profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.              

[1] Généralement à 19 heures, il fait déjà nuit au Burundi