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La disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO

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DECLARATION DU FOCODE n°009/2016  DU 26 Mai 2016 

« Les autorités burundaises doivent donner la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO, Président du parti  MSD en Commune Buhiga, introuvable depuis le 31 octobre 2015 »

eric-niyungeko-flyerDans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE continue à recevoir un nombre important de messages évoquant des cas de personnes disparues après leur arrestation ou plutôt leur enlèvement par des agents des services de l’Etat burundais (Police, Armée, Service National de Renseignement). Les autorités burundaises restent muettes face aux déclarations du FOCODE et en dépit du nombre impressionnant des alertes lancées chaque jour sur les réseaux sociaux. Les mêmes agents, les mêmes corps de l’Etat, les mêmes pratiques de lieux secrets de détentions sont cités dans les cas de disparitions forcées mais aucune mesure de correction n’a été prise par les autorités burundaises. Bien plus grave, le système répressif burundais reste inactif dans les cas de disparitions forcées.

Le cas présent concerne l’enlèvement suivi de la disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO, Président du Parti MSD en Commune Buhiga, le matin du 31 octobre 2015 sur le barrage policier sis à Kamenge près du Bar Iwabo w’Abantu (en Mairie de Bumbura) alors qu’il se rendait à son service en province de Karuzi.

A. Identité de la victime 

  1. Fils de BIGIRIMANA Pascal et de SINDUHUKA Cécile, Monsieur Eric NIYUNGEKO est né en 1983 sur la  Colline Buhinyuza de la Commune Buhiga en Province de Karuzi. Au moment de sa disparition forcée, Monsieur Eric NIYUNGEKO résidait au quartier Carama de la zone urbaine de Kinama au nord de la ville de Bujumbura ;
  2. Marié, Eric NIYUNGEKO a laissé un enfant de quatre ans et une épouse enceinte de trois mois au moment de sa disparition forcée ;
  3. Fonctionnaire de l’Etat du Burundi, Eric NIYUNGEKO est employé de l’Institut des Sciences Agronomiques du Burundi, ISABU en sigle ;

B. Affiliation et activités politiques de Monsieur Eric NIYUNGEKO 

  1. Monsieur Eric NIYUNGEKO est membre du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD). Au moment de sa disparition forcée, il était président dudit parti dans sa Commune natale de BUHIGA ;
  2. Le Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD) est l’un des partis politiques qui se sont activement opposés contre le troisième mandat du Président Pierre Nkurunziza ;
  3. Depuis la contestation du troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA, les responsables des partis politiques de l’opposition tout comme les autres citoyens qui ont osé manifester leur protestation font constamment objet d’assassinats, d’enlèvements, de tortures et autres violations graves de droits humains;

C. Disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO 

  1. Monsieur Eric NIYUNGEKO a été enlevé dans la matinée du 31 octobre 2015 au barrage de police situé sur la RN1 en zone urbaine de Kamenge, à la sortie nord de la ville de Bujumbura, tout près du Bar Iwabo w’Abantu appartenant à feu Général Adolphe Nshimirimana. Cet endroit est constamment cité dans plusieurs cas d’enlèvements suivis de tortures et/ou d’exécutions extrajudiciaires des personnes soupçonnées d’avoir participé dans les manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZA  ;
  2. Au moment de son enlèvement, Monsieur Eric NIYUNGEKO se trouvait à bord d’un véhicule de la compagnie de transport MEMENTO qui empruntait le trajet Bujumbura-Karuzi. Selon les informations recueillies par la famille de la victime auprès des agents de la compagnie Memento, seul Eric NIYUNGEKO a été sorti du véhicule à ce moment. Monsieur NIYUNGEKO se rendait en effet à Karuzi pour procéder à la paie des travailleurs journaliers de l’ISABU ;
  3. Les témoins indiquent qu’aucun mandat d’arrêt ne lui a été présenté et il n’a pas été autorisé à communiquer ne fut-ce qu’avec les membres de sa famille ;
  4. Les mêmes témoins indiquent également qu’après avoir été sorti du bus de la compagnie MEMENTO, la victime aurait été conduite au cabaret situé derrière la station Kobil se trouvant non loin du Bar Iwabo w’Abantu avant d’être embarqué vers une destination inconnue ;
  5. A la page 58 de son rapport annuel, édition 2015, la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme évoque sommairement la disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO : « Le  1er novembre 2015, Eric Niyungeko, né à Karusi en 1981, représentant du parti MSD à Karusi, employé de l’ISABU à Karusi, a été arrêté au niveau du barrage de la police sis à Kamenge sur la RN1 à la sortie de la ville de Bujumbura. Des témoins ont indiqué à la CNIDH que Niyungeko aurait été arrêté par des agents du SNR qui l’auraient sorti d’un bus de transport de la compagnie Memento et l’auraient conduit dans un cabaret situé derrière la station Kobil du même endroit avant d’être embarqué vers une destination inconnue. Malgré toutes les recherches, il est toujours porté disparu. »[1]
  1. Désespérée, n’ayant pas eu de ses nouvelles pendant cinq mois depuis sa disparition forcée, la famille d’Eric NIYUNGEKO a finalement procédé à la levée de deuil partielle le 10 avril 2016, un mois seulement avant la naissance du deuxième enfant de la victime ; 

D. Les actions menées en vue de retrouver la victime 

  1. Après avoir été informée de la disparition d’Eric NIYUNGEKO, sa famille assure l’avoir cherché dans plusieurs cachots de la police à Bujumbura mais en vain ;
  2. L’employeur de la victime qu’est l’Institut des Sciences Agronomiques, ISABU en sigle, a déposé une plainte à la police judiciaire mais aucune suite n’y a été jusqu’ici réservée ;
  3. La famille du disparu s’est également confiée à la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme pour qu’elle puisse aider dans la recherche de la victime. C’est ainsi que le cas d’Eric NIYUNGEKO apparait dans le rapport annuel, édition 2015, de la commission ;
  4. En dépit de cette levée de deuil partielle, la famille d’Eric NIYUNGEKO est perturbée chaque fois qu’on évoque des cas d’emprisonnements au Bar Iwabo w’Abantu : il lui arrive de penser qu’il est encore vivant et qu’il y serait détenu secrètement. La famille demande que toute la lumière soit faite sur cette disparition forcée et réclame le droit d’inhumer dignement le sien au cas où il aurait été exécuté ; 

E. Auteurs présumés de la disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO 

  1. Selon les informations recueillies auprès des témoins qui empruntaient le même trajet que la victime, les auteurs présumé de la disparition forcée de Monsieur Eric NIYUNGEKO seraient des agents du Service National de Renseignement conduits par le Commissaire dudit service connu sous le nom de Gérard NDAYISENGA;
  2. Le Commissaire Gérard NDAYISENGA a travaillé comme chargé des questions économiques à la section Karuzi du Service National de Renseignement avant d’être muté vers Bujumbura et c’est à l’occasion de son service à Karuzi qu’il a connu sa future victime, Monsieur Eric NIYUNGEKO ;
  3. Le rapport annuel susvisé de la CNIDH porte également les soupçons sur les agents du SNR dans la mesure où on peut y lire ceci « (…) Des témoins ont indiqué à la CNIDH que NIYUNGEKO aurait été arrêté par les agents du SNR qui l’auraient sorti du bus de la compagnie Memento et l’auraient conduit dans un cabaret situé derrière la station Kobil du même endroit avant d’être embarqué vers une destination inconnue (…) » ;

F. Indifférence des institutions étatiques face à la disparition de Monsieur Eric NIYUNGEKO 

  1. Dans les jours qui ont suivi la disparition d’Eric NIYUNGEKO, son employeur, l’ISABU, a porté plainte à la police judiciaire pour que des enquêtes soient diligentées en vue de retrouver la victime et que les auteurs de son enlèvement soient identifiés et punis conformément à la loi. Jusqu’à ce jour, aucune suite n’a été réservée à cette plainte ;
  2. Trois jours après la disparition d’Eric Niyungeko, plusieurs comptes Twitter ont commencé à rapporter sa disparition, aucune autorité publique n’a réagi à ces messages ;
  3. A travers le rapport susvisé de la CNIDH, édition 2015, il a été recommandé à la justice burundaise d’ « Effectuer des enquêtes efficaces en vue de faire la lumière sur les événements violents de 2015, surtout les cas d’enlèvement et de disparition constatés et initier les poursuites contre les responsables de ces infractions » ;
  4. Malgré ces différentes actions et recommandations, force est cependant de constater que rien n’a encore été fait, dans le sens de rendre justice à la famille de la victime, par la justice burundaise sur ce cas et bien d’autres ; 

G. Prise de position et recommandations

D’emblée, il importe de souligner l’implication des agents et des organes de l’Etat dans l’arrestation et la disparition de Monsieur Eric NIYUNGEKO : il a été arrêté sur un barrage connu de la police nationale et un cadre du Service National de Renseignement est cité dans cette disparition forcée.

Face à cette situation, le FOCODE :

  1. Condamne pour la Nième fois les enlèvements, arrestations illégales et arbitraires des citoyens du Burundi opérés par des forces de l’ordre et qui sont suivis par des détentions dans des lieux secrets non communiqués ni par des déclarations publiques ni aux membres des familles des détenus ;
  2. Condamne l’inaction complice de la police judiciaire après avoir reçu la plainte de l’employeur de Monsieur Eric NIYUNGEKO ;
  3. Exige des explications de la police nationale et du service national de renseignement sur la destination et le sort réservé à Monsieur Eric NIYUNGEKO après son arrestation illégale et arbitraire le 31 octobre 2015 sur le barrage policier de Kamenge ;
  4. Recommande le déploiement permanent des observateurs de l’Union Africaine et des Nations-Unies sur des lieux souvent cités dans la disparition des citoyens burundais, notamment les barrages policiers tout près du Bar Iwabo w’Abantu, de Bugarama et à quelques lieux des postes des frontières burundaises.
  5. Demande :
  • Aux autorités du Burundi de fermer tous les cachots non officiels et de communiquer régulièrement aux familles les lieux d’incarcération des personnes arrêtées ;
  • Aux mécanismes des Nations Unies travaillant sur les disparitions forcées de se saisir sans délais du dossier du Burundi vue la dimension catastrophique du phénomène ;
  • Aux Nations-Unies, à l’Union Africaine et à l’EAC d’envoyer rapidement au Burundi une commission internationale d’enquête sur les violations graves de droits de l’homme (y compris les disparitions forcées, les cas de viol et de torture ainsi que les exécutions extra-judiciaires) et une force de protection des citoyens ;
  1. Invite tous les résidents du Burundi et particulièrement les familles à lui communiquer les cas de disparitions des personnes arrêtées par des agents de l’Etat ou des groupes ayant des liens avec l’Etat ou encore des groupes armés. Ces informations seront envoyées à l’adresse email : [email protected] et au numéro WhatsApp : +257 79 910 446 utilisé par le Président du FOCODE.

Les cas de disparitions forcées déjà documentés sont publiés hebdomadairement par des déclarations et d’autres canaux de communication.

Fait à Bujumbura, le 26 Mai 2016

                 Pour le FOCODE ;

     Sé Pacifique NININAHAZWE 

                       Président

[1] http://www.cnidh.bi/sites/default/files/CNIDH_Rapport%20annuel%202015%20.pdf