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Disparition forcée de trois ressortissants rwandais: Emile KWIZIGIRA, Emmanuel BIZIMANA et Faustin GASHEMA

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DECLARATION DU FOCODE n° 033 /2017  du 15 Décembre 2017

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de MM. Emile KWIZIGIRA, Emmanuel BIZIMANA et Faustin GASHEMA, trois ressortissants rwandais introuvables depuis leurs arrestations par la police burundaise ».

Burundi : Stop à la persécution des ressortissants rwandais !

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de trois ressortissants rwandais, introuvables après des arrestations par la police burundaise :

  • Monsieur Emile KWIZIGIRA, employé d’un hôtel au Rwanda alors en congé au Burundi, a été arrêté le 21 janvier 2016 aux environs de 16h30, à sa résidence à Mutakura au sud de la ville de Bujumbura, par un groupe de policiers conduits par le commandant du 3ème Groupement Mobile d’Intervention Rapide (GMIR), Felix NIYORUGIRA. Après cette arrestation, il aurait été conduit au cachot de la police à la zone urbaine de Cibitoke ; il n’a jamais été retrouvé. Sa faute : il était rwandais ;
  • Monsieur Emmanuel BIZIMANA, évangéliste pentecôtiste, a été arrêté le 20 avril 2016 par la police en commune Kibago où il venait rendre visite à une famille burundaise. Le lendemain de son arrestation, il aurait été remis à celui qui était à l’époque responsable provincial du Service National de Renseignement (SNR) à Makamba, Samuel Destino BAPFUMUKEKO qui l’aurait illégalement détenu à sa résidence pendant plusieurs jours avant de l’emmener à une destination jusqu’ici inconnue. Au moment de son arrestation, le chef de poste de la police à Kibago aurait déclaré : « je ne veux pas de rwandais dans ma commune » ;
  • Monsieur Faustin GASHEMA, étudiant à l’Université de Ngozi, aurait été arrêté deux fois dans la journée du 03 août 2017 : d’abord au quartier Gatare dans la ville de Ngozi puis à Mparamirundi dans la commune Busiga alors qu’il retournait de force au Rwanda. Après sa deuxième arrestation, il aurait été remis au brigadier Jonas NDABIRINDE de l’Unité d’appui à la protection des institutions (API) et aurait été conduit au siège du SNR à Bujumbura. Depuis, il n’a jamais été retrouvé. Sa faute : avoir participé à la formation civique des jeunes au Rwanda.

Ces trois nouveaux dossiers de la Campagne NDONDEZA mettent en exergue une autre cible privilégiée de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015 : les ressortissants rwandais résidants au Burundi ou juste en visite dans le pays. A quelques mois des manifestations populaires contre la troisième candidature du Président Pierre NKURUNZIZA, plusieurs ressortissants rwandais avaient déjà fait objet d’arrestations et de refoulement. Depuis l’échec de la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015, les autorités burundaises ont développé un discours rwandophobe et ont restreint drastiquement les mouvements des biens et des personnes sur les frontières rwando-burundaises. La réalité souvent moins abordée est celle de nombreux crimes contre des ressortissants rwandais soupçonnés de jouer l’espionnage au profit du Rwanda. Le FOCODE a reçu des informations sur des cas d’arrestations arbitraires, de torture, d’assassinats, de disparitions forcées et de viols de femmes ayant ciblé des ressortissants rwandais au Burundi. Ces crimes n’ont fait objet d’aucune enquête des organes de l’Etat burundais, à l’instar de la quasi-totalité des crimes de la répression. Dans le cadre de la Campagne NDONDEZA, le FOCODE a enquêté sur les trois cas de disparition forcée faisant objet de la présente déclaration.

Encore une fois, le FOCODE salue l’ouverture de l’enquête de la Cour Pénale Internationale (CPI) sur les crimes en cours au Burundi depuis le 26 avril 2015. Le FOCODE attire l’attention de la CPI sur les crimes ayant ciblé les ressortissants rwandais dans le cadre de la répression en cours au Burundi. Le FOCODE réitère sa demande de la mise en place rapide des mécanismes de protection des témoins et des victimes.

I. Disparition forcée de Monsieur Emile KWIZIGIRA

I.1. Identification de la victime

  1. Fils d’Emma MUTONI, Emile KWIZIGIRA est né en 1971 dans la zone urbaine de Kinama. Il avait perdu son père rwandais en très bas âge. Marié et père de deux enfants âgés de 19 ans et de 7 ans au moment de sa disparition forcée, Emile KWIZIGIRA avait installé sa famille à Mutakura, 13ème avenue n°36, dans la zone urbaine de Cibitoke, au nord de la ville de Bujumbura. C’est à cette même adresse qu’il a été arrêté par des policiers burundais le 21 janvier 2016 alors qu’il était en congé depuis quatre jours. Selon ses proches, il était maître d’hôtel au Rwanda, le FOCODE n’a pas reçu de précisions sur l’hôtel qui l’employait.
  1. Contrairement aux autres cas traités par la Campagne NDONDEZA, Emile KWIZIGIRA ne militait dans aucun parti politique burundais et n’avait pas manifesté contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Son arrestation ne serait liée qu’à sa nationalité rwandaise et qu’au fait de son récent retour du Rwanda.

I.2. Circonstances de la disparition forcée d’Emile KWIZIGIRA

  1. Selon les proches de la victime, Emile KWIZIGIRA a été arrêté le 21 janvier 2016, autour de 16 heures 30 à la résidence de sa famille à Mutakura, 13ème avenue n°36, alors qu’il était venu en congé depuis quatre jours. Employé dans un hôtel au Rwanda, il était venu notamment dans l’intention de payer les frais de scolarité de sa fille aînée.
  1. L’arrestation d’Emile KWIZIGIRA aurait été menée par un groupe de policiers conduit par le commandant du 3ème GMIR, OPP1 Félix NIYORUGIRA (matricule OPN 0808). L’arrestation aurait été précédée par la vérification de l’identité de la victime et la perquisition de sa maison.
  1. Selon des témoins de cette arrestation, une somme importante d’argent (notamment de la monnaie rwandaise) aurait été saisie au moment de la perquisition de la résidence de la famille de la victime. Le montant de cette somme n’a pas été communiqué au FOCODE. Par contre aucune arme à feu n’a été trouvée dans cette résidence.
  1. Selon les informations reçues par les proches de la victime, Emile KWIZIGIRA aurait été conduit au cachot de la zone urbaine de Cibitoke, mais lorsqu’ils sont passés lui rendre visite le lendemain ils ne l’ont pas trouvé. La recherche dans plusieurs autres cachots officiels, y compris ceux du SNR, est restée vaine. 23 mois après son arrestation par la police burundaise, Emile KWIZIGIRA reste introuvable et la police reste muette, même après l’évocation de cette disparition sur Twitter[1].

II. Disparition forcée de Monsieur Emmanuel BIZIMANA

II.1. Identification de la victime

  1. Emmanuel BIZIMANA est né en 1981 à Ruganda, dans le District de Rusizi (dans l’ex-préfecture de Cangugu) situé dans l’actuelle Province de l’Ouest, et c’est là que se trouve toujours sa résidence. Marié à Asèle MUKANIYONSENGA, Emmanuel BIZIMANA est père de deux garçons âgés respectivement de 12 ans et 10 ans.
  1. Emmanuel BIZIMANA ne s’intéressait pas à la politique, encore moins à la politique burundaise. Simple cultivateur, il participait par moments à des activités d’évangélisation pour le compte de son église. Il était chrétien pentecôtiste et fidèle de la paroisse de Muhehwe. Depuis plusieurs années, il avait l’habitude de se rendre au Burundi, participait à des croisades d’évangélisation et visitait à chaque fois une famille amie en commune de Kibago de la province Makamba.

II.2. Circonstances de la disparition forcée d’Emmanuel BIZIMANA

  1. Selon les informations reçues par le FOCODE, Emmanuel BIZIMANA est entré régulièrement au Burundi le 16 avril 2016 via le poste frontalier de Kanyaru dans la commune de Rugombo, province de Cibitoke au nord-ouest du Burundi. Il s’est par la suite rendu à Gatumba dans la commune Mutimbuzi de la province de Bujumbura (dit Rural) où il a participé à une croisade d’évangélisation. Comme il le faisait depuis plusieurs années, après la croisade, il a rendu visite à une famille amie sur la colline Jimbi de la commune Kibago en province de Makamba, au sud du Burundi où il est arrivé le 20 avril 2016. C’est là que son calvaire a commencé.
  1. Comme c’est désormais exigé, le soir du 20 avril 2016 le chef de la famille hôte est allé faire enregistrer son visiteur, Emmanuel BIZIMANA, à l’autorité locale, en l’occurrence chez le 2ème responsable de la colline Jimbi, Monsieur Jean Bosco BUSAGO. Constatant que le visiteur était un ressortissant rwandais, en dépit de la régularité de son titre de voyage, Monsieur BUSAGO a tenu à présenter le nouveau venu au chef de poste de la police à Kibago qui était à l’époque Dismas NZEYIMANA (plus tard promu commissaire provincial de la police de la sécurité intérieure, PSI à Makamba). Dismas NZEYIMANA a décidé sur le champ l’arrestation et la détention d’Emmanuel BIZIMANA dans le cachot de Kibago avec l’argument qu’il n’avait pas besoin de rwandais dans sa commune.
  1. Selon des témoins, au cours de sa brève détention à Kibago, Emmanuel BIZIMANA a été soumis à une séance d’humiliation. Le lendemain de son arrestation, en effet, il aurait été convoqué dans le bureau du chef de poste Dismas BIZIMANA qui lui aurait ordonné d’enlever tous ses vêtements, qui aurait passé un moment à analyser minutieusement son corps avant d’ordonner son retour au cachot. L’après-midi, aux environs de 15 heures, Emmanuel BIZIMANA a été embarqué à bord de la camionnette du sous-commissaire régional de la PSI, immatriculée A014APN. Ce fut la dernière fois qu’Emmanuel BIZIMANA a été vu par ses hôtes.
  1. Après le départ d’Emmanuel BIZIMANA à bord de la camionnette de la police, son hôte a été également arrêté sous l’accusation d’avoir osé héberger un ressortissant rwandais. L’hôte a lui-même passé sept jours en détention au cachot de Kibago.
  1. Emmanuel BIZIMANA n’a pas été détenu dans un cachot officiel connu. La famille hôte l’a recherché dans les cachots du parquet et du SNR à Makamba ainsi qu’à Bujumbura, mais en vain. Plus tard, des informations ont fait état de la détention d’Emmanuel BIZIMANA dans une toilette à la résidence du chef provincial du SNR à Makamba, à l’époque Samuel Destino BAPFUMUKEKO. Le bureau régional de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) a été contacté pour mener une vérification à la résidence de Samuel BAPFUMUKEKO. Ce dernier aurait eu écho du projet de visite de la CNIDH et aurait décidé le transfert d’Emmanuel BIZIMANA vers un autre lieu de détention. Selon des sources à Makamba, Samuel Destino BAPFUMUKEKO aurait embarqué le détenu Emmanuel BIZIMANA à bord de son véhicule de service le 13 mai 2016, après 23 jours de détention secrète à sa résidence, et aurait pris la direction de la province Rutana. Depuis ce jour-là, le ressortissant rwandais Emmanuel BIZIMANA est introuvable, sa famille au Rwanda n’a aucune nouvelle, la police burundaise reste muette.
  2. La disparition forcée d’Emmanuel BIZIMANA a été évoquée dans l’important rapport de la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme FIDH intitulée « Burundi : une répression aux dynamiques génocidaires » :

« Ainsi, nos organisations ont reçu des informations crédibles indiquant que l’évangéliste pentecôtiste rwandais Emmanuel Bizimana a disparu à la suite de son arrestation arbitraire par la police et de sa détention par des agents du Service national de renseignement. Emmanuel Bizimana aurait été arrêté à Kibago le 20 avril 2016 sur la colline de Jimbi, dans la commune Kibago, dans la province de Makamba, lors d’une opération administrative d’enregistrement auprès du chef de colline local. Il se rendait à Makamaba pour rendre visite à l’un de ses amis, avait déjà séjourné à plusieurs reprises sur cette colline et aurait présenté tous ses papiers en règle. Emmanuel Bizimana aurait passé une nuit au cachot de Kibago avant d’être transféré dans la province de Makamba à bord d’une camionnette appartenant au responsable régional de la police de sécurité intérieure. Il aurait par la suite été détenu pendant un mois à la résidence de Samuel Destino Bapfumukeko, le chef du SNR à Makamba. Il est depuis porté disparu et aucune information n’a pu être obtenue sur sa situation. Des proches de la victime ont indiqué à des informateurs de la FIDH que la seule raison qui semblait expliquer son arrestation et sa disparition était le fait qu’il était Rwandais. Nos organisations n’ont cependant pas pu vérifier cette information. »[2]

 

III. Disparition forcée de Monsieur Faustin GASHEMA

III.1. identification de la victime

  1. Fils de Cyprien GAFIRI et d’Anne-Marie MUKAGASHEMA (alors réfugiés rwandais au Burundi), Faustin GASHEMA est né le 22 août 1988 à Kirundo[3], une province burundaise frontalière du Rwanda. En 1994, sa famille a regagné le Rwanda après la prise du pouvoir par le Front Patriotique Rwandais (FPR) et elle réside dans le District du Bugesera, Secteur (Umurenge) de Kamabuye et Cellule (Akagali) de Nyabyondo, dans la Province de l’Est du Rwanda.
  1. Célibataire, Faustin GASHEMA était étudiant finaliste de la faculté d’agronomie à l’Université privée de Ngozi et avait commencé la rédaction de son travail de fin d’études universitaires (Mémoire) pour décrocher le grade d’ingénieur agronome. Etudiant à cette université depuis près de six (6) ans, Faustin GASHEMA était bien connu dans la ville de Ngozi et avait tissé un grand réseau d’amis dans tous les milieux.
  1. Ressortissant rwandais, Faustin GASHEMA n’avait pas de rapport avec la politique burundaise : il ne militait dans aucun parti politique burundais et n’avait pas manifesté contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Cela est corroboré par les témoignages de ses camarades de classe et d’autres sources au Burundi et au Rwanda. Cette neutralité totale vis-à-vis des tumultes politiques burundais lui avait permis de continuer ses études à Ngozi et d’avoir des amis même parmi des miliciens Imbonerakure du parti au pouvoir CNDD-FDD.
  1. Toutefois, bien avant sa disparition forcée, son origine rwandaise lui avait déjà causé des ennuis. Bon vivant et bon connaisseur de la ville de Ngozi, Faustin GASHEMA ne se privait pas le plaisir de sortir avec des amis pour prendre un verre ou pour se trémousser dans les dancings clubs de la place. Entre 2015 et 2016, il aurait été arrêté et emprisonné deux fois pendant qu’il rentrait tard la nuit. Sa libération n’aurait eu lieu que sur l’intervention des autorités de l’université de Ngozi. Faustin GASHEMA aurait également été arrêté à Kirundo en 2016 alors qu’il rentrait chez lui au Rwanda. Il fut incarcéré pendant un bon nombre de jours par le parquet de Kirundo. Il n’aurait été libéré que grâce à l’intervention de ses camarades de classe originaires de Kirundo qui auraient plaidé sa cause auprès du procureur de la République à Kirundo.

III.2. Contexte de la disparition forcée de Faustin GASHEMA

  1. La disparition de Faustin GASHEMA conserve beaucoup de zones d’ombres que seule une enquête indépendante et crédible pourra éclairer. Le jeune rwandais était en effet au stade de finalisation de ses études universitaires à Ngozi. Pour des questions d’ordre pratique liées aux conditions de vie difficiles à l’étranger, Faustin GASHEMA avait préféré faire son stage académique ainsi que les travaux de laboratoire relatifs à son travail de mémoire dans son pays.
  1. Pendant qu’il était chez lui au Rwanda, Faustin GASHEMA a posté sur son profile WhatsApp une photo où il était vêtu d’un treillis militaire. Selon les témoignages reçus par le FOCODE, cette photo a été vue par la plupart de ses amis sur WhatsApp y compris des miliciens Imbonerakure qui avaient son numéro WhatsApp. Des menaces très sérieuses auraient alors été proférées à Faustin GASHEMA par des miliciens Imbonerakure.
  1. Certains étudiants de l’université de Ngozi qui ont vu la photo et qui ont eu connaissance de ces menaces auraient demandé avec insistance à Faustin GASHEMA d’enlever la photo et de ne plus revenir au Burundi parce qu’il risquait d’avoir des ennuis. Faustin aurait minimisé ces avertissements en répondant qu’il n’avait jamais été militaire étant donné que tout son cursus académique s’était déroulé au Burundi au vu et au su de ceux qui proféraient des menaces contre sa personne.
  1. Effectivement Faustin GASHEMA n’a jamais été militaire. La photo qui lui a valu le kidnapping et la disparition forcée avait été prise lors de la séance dite « INGANDO Z’URUBYIRUKO ». C’est un programme du gouvernement rwandais où les jeunes de toutes les couches sociales, toutes les professions, scolarisés et non scolarisés subissent une formation civique et patriotique pendant quelques semaines. Cela est confirmé par la famille de Faustin GASHEMA.
  1. En date du 2 août 2017, Faustin GASHEMA est revenu à Ngozi pour passer un examen de complément qu’il n’avait pas réussi l’année antérieure. C’était le cours de « Résistance des matériaux ». Le lendemain de son arrivée à Ngozi, la victime aurait été appelée au téléphone par un Imbonerakure connu sous le surnom de « MAJEWUSI ». Ce surnom revient pour la 2ème fois dans un dossier de disparition forcée à Ngozi, il avait déjà été cité dans l’arrestation et la disparition forcée de Pacifique BIRIKUMANA[4], un chauffeur de l’économat général du diocèse catholique de Ngozi. Ne se doutant de rien, Faustin GASHEMA se serait rendu au rendez-vous funeste où il aurait été accueilli par MAJEWUSI et un policier non encore identifié. Ses hôtes lui auraient molesté, intimidé puis confisqué tout l’argent (40,000 Francs rwandais selon les témoignages) qu’il avait ainsi que son téléphone portable. Ils lui auraient alors intimé l’ordre de retourner illico au Rwanda à défaut de quoi il allait être tué. Ils lui auraient remis une somme de 10.000 Frw qui devait servir de ticket retour.
  1. Faustin aurait obtempéré et aurait pris la route Ngozi-Kayanza-Kanyaru. Arrivé dans la localité de Mparamirundi (commune Busiga dans la province de Ngozi) aux environs de 17 heures locales (GMT-2), nos sources indiquent que la voiture de type Toyota Probox qui le transportait vers la frontière rwando-burundaise aurait été interceptée par des éléments de la milice Imbonerakure. L’ordre de descendre de la voiture aurait été donné à trois passagers, tous de nationalité rwandaise, dont Faustin GASHEMA. Les 3 compagnons d’infortune auraient alors été tabassés par un policier connu sous le sobriquet de « GAFUNI » avant d’être remis au brigadier Jonas NDABIRINDE, sous-officier de la garde présidentielle au sein de l’Unité d’appui à la protection des institutions API, souvent cité dans de nombreux crimes de la répression en cours depuis avril 2015. Jonas NDABIRINDE auraient d’abord emmenés les captifs au bureau du SNR à Kayanza, puis dans la soirée à Bujumbura. Depuis ce soir-là, aucune trace de Faustin GASHEMA n’a été trouvée.

 

IV. Bourreaux récidivistes et silence des institutions

  1. La police nationale, la justice burundaise et la commission nationale indépendante des droits de l’homme restent inactives et silencieuses sur ces trois cas de disparitions forcées de ressortissants rwandais tout comme sur la quasi-totalité d’autres cas de disparitions ou de crimes graves liés à la répression en cours au Burundi depuis avril 2015. En réalité, les institutions publiques n’ont ni la volonté ni la capacité d’enquêter sur des crimes commis par des personnes redoutables, d’emblée trop puissantes, des services de sécurité. Cet état des choses justifie par ailleurs l’ouverture de l’enquête de la Cour Pénale Internationale sur le Burundi.
  1. Ce triple dossier de la Campagne NDONDEZA rappelle un certain nombre de noms plusieurs fois cités dans des crimes de la répression et qui n’ont jamais été convoqués en justice.
  1. OPP1 Felix NIYORUGIRA, commandant du 3ème GMIR

Cet officier a déjà été cité dans plusieurs dossiers d’arrestations arbitraires, de torture et de disparition forcée dans les quartiers nord de la ville de Bujumbura. Dans cette déclaration, les témoins ont indiqué qu’il était à la tête des policiers ayant procédé à l’arrestation d’Emile KWIZIGIRA avant sa disparition forcée. A ce jour, Felix NIYORUGIRA ne fait objet d’aucune procédure d’enquête officielle et n’a jamais comparu devant une juridiction pour s’expliquer sur la disparition du ressortissant rwandais ou sur d’autres crimes auxquels il aurait été mêlé.

  1. ORC Samuel Destino BAPFUMUKEKO, ancien chef du SNR à Makamba

Matricule O/00059, l’Officier du renseignement chef Samuel Destino BAPFUMUKEKO est un ancien combattant du CNDD-FDD qui a intégré les services secrets burundais en 2005. Ancien responsable du SNR dans les provinces de Cibitoke, Makamba et Karusi, il est pour le moment affecté à Kirundo. Il est cité comme le principal auteur de la disparition forcée du ressortissant rwandais Emmanuel BIZIMANA qu’il aurait d’abord détenu dans une toilette de sa résidence du 21 avril au 13 mai 2016. L’officier a souvent été dénoncé par la presse, surtout durant son séjour à Makamba :

Les substituts locaux s’insurgent contre l’ingérence du patron du SNR (service du renseignement) de la province de Makamba. Après délibération, la chambre de conseil du parquet a décidé jeudi dernier la libération d’un homme, Godefroy Ndayizeye.Curieusement, le substitut qui était allé signifier la décision n’a pas trouvé l’intéressé dans son lieu de détention. Selon plusieurs sources locales, c’est le patron du SNR, Samuel Bapfumukeko (alias Destino) qui s’est chargé de sortir Ndayizeye.Bapfumukeko est régulièrement cité dans des faits d’enlèvement de détenus en préventive. Certains d’entre eux ont été retrouvés morts quelques temps après.Godefroy Ndayizeye avait été arrêté le 22 décembre dernier par le chef de la colline de Mugu (commune Vugizo), Gabriel Kagoma. Il était accusé de détenir dans son téléphone portable des chansons contre le pouvoir.[5]

Dans le rapport de l’ONG APRODH sur la composition et le fonctionnement du SNR, Samuel Destino BAPFUMUKEKO a également été cité en août 2016 dans de nombreux crimes graves :

“ORPC2 BAPFUMUKEKO Samuel Destino (officier de renseignement principal chef de 2ème classe) : Natif de la province de Cibitoke, c’est un démobilisé des ex-FDD qui a été intégré au SNR en 2005. Il est responsable provincial de renseignement dans la province de Makamba. Il s’est distingué dans les violations infligées aux jeunes tutsi des communes de Kibago et Mabanda, accusés d’être opposés au 3ème mandat de Nkurunziza. Il a torturé et rançonné certains commerçants de Makamba. En complicité avec le commissaire provincial de police à Makamba, ils ont arrêté deux brigadiers de police retrouvés plus tard tués au nord du pays. Il est responsable de la disparition d’un rwandais, retiré par lui-même dans les cachots de la police.”[6]

  1. BPP1 Jonas NDABIRINDE, sous-officier de la garde présidentielle

Il est impossible de compter le nombre de fois dont le nom de ce sous-officier, chargé du renseignement au palais présidentiel de Pierre NKURUNZIZA, a été cité dans des crimes horribles d’assassinat, d’enlèvement suivi de disparition forcée, d’exécutions extra-judiciaires et de torture des opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Le sous-officier relève de l’Unité d’appui à la protection des institutions API. Ses pouvoirs semblent illimités et couvrent tout le territoire national. Quoi que sous-officier, il dispose de moyens logistiques et financiers très importants. Le nom de Jonas NDABIRINDE a déjà été cité dans les rapports du FOCODE, notamment dans l’enlèvement et l’exécution forcée de Charlotte UMUGWANEZA, l’enlèvement et la disparition forcée de l’élève Albert KUBWIMANA, l’assassinat de Zedi FERUZI, Président du parti UPD-ZIGAMIBANGA, le 22 mai 2015, l’enlèvement et la disparition forcée des miliciens Imbonerakure Aimé-Aloys MANIRAKIZA et Eddy UWIMANA en mai 2017, dans la disparition forcée du militant du parti MSD Bernard BARANJOREJE le 19 janvier 2016 et dans celle du militant du parti MRC-Rurenzangemero Joseph NSABIMANA le 13 décembre 2015.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

 

V. Prise de position et Recommandations

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée d’Emile KWIZIGIRA, d’Emmanuel BIZIMANA et de Faustin GASHEMA ainsi que de nombreux autres crimes contre les ressortissants rwandais commis dans le cadre de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015 ;
  2. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises sur les crimes commis contre les ressortissants rwandais au Burundi et demande une enquête indépendante sur tous ces crimes odieux ;
  3. Le FOCODE demande à la police burundaise de préciser les lieux de détention des ressortissants rwandais Emile KWIZIGIRA arrêté à Mutakura le 21 janvier 2016, Emmanuel BIZIMANA arrêté à Kibago le 20 avril 2016 et Faustin GASHEMA le 03 août 2017 ;
  4. Le FOCODE demande la traduction en justice de l’OPP1 Felix NIYORUGIRA, de l’ORC Samuel Destino BAPFUMUKEKO, du BPP1 Jonas NDABIRINDE ainsi que de toutes les personnes qui auraient joué un rôle dans la disparition forcée des trois ressortissants rwandais Emile KWIZIGIRA, Emmanuel BIZIMANA et Faustin GASHEMA ;
  5. Le FOCODE salue la récente décision de la Cour Pénale Internationale d’ouvrir une enquête sur les crimes graves en cours au Burundi depuis avril 2015 et attire son attention sur les crimes commis contre les ressortissants rwandais au Burundi dans le cadre de la répression en cours depuis avril 2015.

[1] https://twitter.com/pnininahazwe/status/861591991695683584

[2] Burundi : Une répression aux dynamiques génocidaires, https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_burundi_une_repression_aux_dynamiques_genocidaires.pdf P.113

[3] Les parents de Faustin GASHEMA avaient fui les massacres au Rwanda en 1973 et avaient trouvé refuge à Kirundo au nord du Burundi

[4] http://ndondeza.org/pacifique-birikumana/

[5] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1040643079331064

[6] https://www.focode.org/574/