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Disparition forcée de Messieurs Charles Hamenyimana, Juvénal Ndereyimana et Thaddée Kantungeko.

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« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Charles HAMENYIMANA d’une part, de Monsieur Juvénal NDEREYIMANA et  Maître Thaddée KANTUNGEKO d’autre part, enlevés par le renseignement militaire, respectivement le 15 mai 2021 à Mabanda et le 10 juin 2021 à Matana ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Charles HAMENYIMANA, ancien militaire (ex-FAB) à la retraite, enlevé à Mabanda en province de Makamba le 15 mai 2021, ainsi que de Monsieur Juvénal NDEREYIMANA, ancien militaire à la retraite, et Maître Thaddée KANTUNGEKO, jeune avocat, enlevés à Matana en province de Bururi le 10 juin 2021. A près d’un mois d’intervalle, les deux opérations se sont déroulées de la même manière dans ces deux provinces au Sud du Burundi.  L’après-midi du 15 mai 2021, alors qu’il terminait la réparation de sa moto au chef-lieu de la commune Mabanda, Charles HAMENYIMANA a répondu au rendez-vous d’un militaire, sur la route Mabanda – Nyanza Lac. C’est ainsi que Charles HAMENYIMANA s’est retrouvé dans un piège tendu par des agents du renseignement militaire, à bord d’un pickup, qui l’ont vite saisi et jeté dans leur véhicule, avant de se diriger vers Rumonge. Son téléphone ayant a été immédiatement éteint, Charles HAMENYIMANA n’a plus été retrouvé. De même, dans l’après-midi du 10 juin 2021, alors qu’ils sortaient d’un bus de transport en commun venant de la commune Songa, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO se sont arrêtés au chef-lieu de la commune Matana. Ils ont répondu au rendez-vous d’un homme avec qui ils étaient en contact téléphonique, sur la route Matana-Bujumbura. Juvénal et Thaddée se sont retrouvés dans un piège des agents du renseignement militaire, à bord d’un pickup militaire, qui les ont vite saisis et jetés dans leur véhicule, avant de se diriger vers Bujumbura. Leurs téléphones ont été rapidement éteints, et les deux hommes n’ont jamais été retrouvés.

Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO sont dans la longue liste des victimes des enlèvements opérés par le renseignement militaire burundais (G2) en 2021. Néanmoins, leur disparition forcée revêt quelques traits particuliers par rapport aux autres cas des victimes du G2 déjà rendus publics par la Campagne NDONDEZA. Ici, le renseignement militaire a usé de la ruse, à l’instar des opérations du Service national de renseignement depuis 2018, en invitant les victimes à des rendez-vous avec un pseudo ami, dans des endroits plus ou moins discrets. Comme on le remarquera dans d’autres cas qui seront publiés ultérieurement, les enlèvements opérés par le renseignement militaire dans la première moitié de 2021 sont moins nombreux, un peu discrets et ont utilisé un moyen de transport différent des enlèvements de la deuxième moitié de 2021. L’autre particularité de ce dossier est dans le profil des victimes : deux anciens militaires à la retraite, issus de l’ancienne armée burundaise (communément appelée ex-FAB)[1] et un jeune avocat proche de l’un des deux anciens militaires.

En dépit d’importants efforts fournis par les familles dans la recherche des victimes, toutes les institutions du pays ont gardé le silence sur ces violations graves des droits humains. La Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, CNIDH, pourtant régulièrement saisie par les familles des victimes, n’a pas évoqué expressément ces cas de disparitions forcées. Elle a inséré, dans son rapport annuel portant sur l’année 2021, un paragraphe laconique de cinq lignes, indiquant qu’elle avait été saisie de 35 cas d’allégations de disparitions forcées, dont 11 se sont révélées fausses, et qu’elle continuait ses enquêtes sur les 24 cas restants. Dans son rapport annuel de 2022, la CNIDH n’a plus mentionné ces 24 cas et n’a jamais communiqué les noms des victimes.

Le 30 août 2021, à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées, le FOCODE a adressé une correspondance au Président Evariste NDAYISHIMIYE et une liste de 80 victimes de disparitions forcées, dont Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO. Aucune suite n’a été réservée à cette correspondance. Le silence et l’inaction du Président NDAYISHIMIYE rappellent que, en dépit de bonnes promesses sur le respect des droits humains, trois ans après son arrivée au pouvoir, l’impunité des crimes de disparitions forcées et d’autres violations graves des droits humains reste la règle.

La présente déclaration du FOCODE présente l’identification des trois victimes, détaille les circonstances de leur disparition forcée, évoque des auteurs présumés et appelle tous les acteurs à un engagement véritable et des actions concrètes contre les disparitions forcées au Burundi.

A. Disparition forcée de Monsieur Charles HAMENYIMANA

A.1. Identification de la victime

Fils d’Antoine SEMBEYEKO et de Pascasie NTABANGANA, Charles HAMENYIMANA est né en 1968 sur la colline Kije (selon son dossier militaire), de la commune Mabanda, en province de Makamba. Retraité de l’armée burundaise, Charles HAMENYIMANA résidait avec sa famille sur la colline Musenyi, dans la zone Gitara, en commune Mabanda. Marié, Charles HAMENYIMANA est père de huit enfants. Dans sa retraite, Charles s’est reconverti dans la mission d’Evangéliste de l’Eglise Anglicane du Burundi, dans laquelle il était responsable de la succursale Muremure dans la Paroisse Mushara. Il tenait également une boutique commerciale à Musenyi.

Charles HAMENYIMANA avait été incorporé dans les Forces Armées Burundaises le 12 septembre 1988. Il est arrivé jusqu’au grade de Caporal-chef. Numéro Matricule 22698, Charles HAMENYIMANA a été mis à la retraite le 31 décembre 2014. Il aura donc passé 17 ans dans l’ancienne armée (FAB) et 9 ans dans la Force de Défense Nationale du Burundi (FDN).

En tant que responsable religieux, Charles HAMENYIMANA n’avait pas d’appartenance à un parti politique. Toutefois, il importe de noter que, dans plusieurs localités du pays, les anciens militaires ex-FAB sont considérés par les autorités locales comme proches de l’opposition et sont souvent soumis à une surveillance, comme c’est le cas pour de nombreux opposants politiques. Selon une source au renseignement militaire, le cas de Charles HAMENYIMANA était très compliqué, le G2 le soupçonnait de faciliter l’exil des militaires ou des familles des militaires vers la Tanzanie. Comme il résidait non loin de la frontière burundo-tanzanienne, Charles aurait aidé certains de ses anciens collègues militaires à traverser la frontière pour fuir les menaces du régime en place.

Un des mécaniciens qui réparaient la motocyclette de Charles HAMENYIMANA aurait été chargé d’espionner le téléphone de son client. Chaque fois  que Charles amenait sa moto pour réparation, dans un garage situé près Paroisse Catholique de Mabanda, il aurait eu l’habitude de mettre son téléphone sur charge dans ce garage. Selon une source au G2, un des mécaniciens du garage en profitait pour lire tous les messages dans le téléphone de Charles HAMENYIMANA et faisait son rapport aux services secrets. C’est ce mécanicien qui aurait révélé que Charles HAMENYIMANA avait aidé une famille d’un militaire recherché, dans sa traversée de la frontière tanzanienne. Cette information serait à la base de la disparition forcée de Charles HAMENYIMANA.

A.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Charles HAMENYIMANA

Charles HAMENYIMANA a consacré la journée du 15 mai 2021 à la réparation de sa motocyclette, dans un garage situé près de la Paroisse Catholique de Mabanda, au chef-lieu de la commune Mabanda. Selon des témoins, Charles HAMENYIMANA était encore au garage jusqu’aux environs de 14 heures.

Selon une source familiale, Charles HAMENYIMANA a reçu plusieurs appels d’un militaire qui voulait le rencontrer urgemment. Selon la même source, le militaire l’avait contacté dans les semaines précédant le 15 Mai 2021, prétendait qu’il était détenu par la Police Militaire et demandait une aide de Charles HAMENYIMANA pour traverser la frontière tanzanienne. Une autre source a fourni, à la Campagne NDONDEZA, l’identité de ce militaire. Selon l’édition du journal de la radio Inzamba du 25 mai 2022, l’auteur des appels était un militaire détenu à la police militaire.

Aussitôt que Charles HAMENYIMANA a terminé la réparation de sa motocyclette, dans l’intervalle entre 14 heures et 15 heures, il s’est rendu au rendez-vous de son interlocuteur, sur la route Mabanda – Nyanza Lac. Arrivé vers Mushishi, une camionnette double cabine aux vitres teintées, de couleur verte militaire, venant en sens inverse de celui de Charles HAMENYIMANA, l’a brusquement bloqué, l’obligeant du coup à s’arrêter. Des hommes en tenue militaire sont sortis de la camionnette, ont violemment saisi Charles HAMENYIMANA et l’ont jeté brutalement dans la camionnette. Selon des témoins de la scène, Charles HAMENYIMANA a tenté de résister et a crié très fort « pfuma munyicira ngaha » (tuez-moi ici même), mais le rapport des forces était en son défaveur. Sa moto a également été embarquée dans la camionnette. Le véhicule militaire a fait demi-tour et s’est dirigé vers Nyanza Lac.

Le téléphone de Charles HAMENYIMANA a été éteint aux environs de 15 heures selon ses proches. Il est possible que dès l’enlèvement, le téléphone lui a été ravi et éteint pour éviter sa localisation.

Selon les informations reçues par la famille, Charles HAMENYIMANA aurait été remis au chef provincial du SNR à Rumonge, à l’époque Michel NDIKURIYO. Comme beaucoup d’autres familles des victimes de disparitions forcées en 2021, la famille de Charles HAMENYIMANA pensait qu’il avait été enlevé par le Service National de Renseignement.

Cette version familiale a été relayée dans un article du journal SOS Media Burundi un an après l’enlèvement de Charles HAMENYIMANA :

« Plus d’une année après la disparition de Charles Hamenyimana, un retraité ex-FAB (Forces Armées Burundaises, l’armée burundaise avant l’intégration de mouvements rebelles Hutus), sa famille dit désespérer. Il a été enlevé le 15 mai par des hommes en tenue militaire au chef-lieu de la commune de Mabanda (province de Makamba, sud du Burundi).

Le retraité de l’ancienne armée burundaise a été enlevé le 15 mai 2021 au chef-lieu de la commune de Mabanda par des hommes en tenue de la FDNB (Force de défense nationale du Burundi), selon des témoins. Sa famille dit avoir cherché Charles Hamenyimana partout dans les cachots officiels, sans succès. Le concerné prestait comme catéchiste de l’église anglicane à la succursale de Muterama, en zone de Gitara (même commune).

Le jour de son enlèvement, il a été appelé au téléphone par un militaire. Ce dernier est actuellement détenu à la police militaire (capitale économique Bujumbura). Il est infirmier à l’hôpital militaire de Kamenge (nord de Bujumbura). Les membres de la famille de l’homme disparu disent avoir contacté la Commission nationale indépendante des droits de l’homme CNIDH, sans trouver de réponse. « Nous voulions que la commission nous aide à le retrouver. Malheureusement il n’y a eu aucune action concrète », indique la famille. Une source au sein de l’armée explique que Charles Hamenyimana aurait été transféré dans un cachot du service national de renseignements, en province voisine de Rumonge (sud-ouest), et qu’il aurait été assassiné. « Il serait passé par le cachot du commissariat provincial de la police à Rumonge sans être enregistré. Trois jours après, un corps sans vie d’un homme a été découvert non loin du chef-lieu de la province de Rumonge mais les autorités administrative et policière ont ordonné son inhumation sans aucune enquête », regrette une source proche du dossier qui dit « craindre le pire ».

Les proches de M. Hamenyimana demandent aux autorités d’ouvrir une enquête indépendante. Selon eux, il est très facile de faire « une reconstitution des faits à partir du numéro de téléphone du militaire aujourd’hui en détention »[2].

Une source confidentielle au renseignement militaire a réfuté partiellement l’information reçue par la famille. La source a reconnu que Charles HAMENYIMANA a certes passé la nuit à Rumonge, mais non au bureau provincial du SNR. Plutôt, il aurait été brièvement détenu au Camp militaire de Rumonge. Selon la même source, Charles HAMENYIMANA a été enlevé par des éléments du renseignement militaire, sous le commandement du Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, alors chef adjoint du G2, secondé par l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE alias BRADDOCK, deux noms déjà cités dans plusieurs autres enlèvements opérés par le G2 en 2021. La source n’a pas expliqué pourquoi Charles HAMENYIMANA avait été laissé au Camp Rumonge et n’a pas fourni d’autres informations sur le sort réservé à la victime après sa brève détention à Rumonge. Par contre, selon la même source, la motocyclette de Charles HAMENYIMANA a été emmenée au bureau du G2 à Bujumbura.

La même source a ainsi décrit la camionnette utilisée dans cet enlèvement :

« J’ai des informations relatives à l’enlèvement d’un certain Charles HAMENYIMANA à Makamba.  Le véhicule utilisé dans son enlèvement est une camionnette militaire double cabine, immatriculée EMG 485 FDNB. Cette immatriculation sur les côtés (gauche et droit) du véhicule.

  • Elle était de quelle couleur ?
  • La couleur verte militaire, mais pas foncée, comme les anciens pickups de l’armée.

La camionnette a pris la direction de Rumonge. Même la motocyclette a été embarquée, mais je ne sais pas si elle est restée à Rumonge. »

Depuis cet enlèvement, Charles HAMENYIMANA n’a jamais été retrouvé, comme la quasi-totalité des personnes enlevées par le renseignement militaire en 2021.

A.3. Recherches menées par la famille de Monsieur Charles HAMENYIMANA

La famille de Charles HAMENYIMANA a mené des recherches dans les cachots de Makamba et de Rumonge, sans succès. Elle a cherché des émissaires pour s’informer au Service National de Renseignement, là aussi il n’y avait pas de trace de Charles HAMENYIMANA.

La famille de Charles HAMENYIMANA s’est enfin adressée à la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH). Cette dernière a reçu la plainte et a promis de recontacter la famille. Plus de deux ans après, la famille de la victime n’a jamais reçu un appel de la CNIDH. La Commission n’a jamais évoqué la disparition forcée de Charles HAMENYIMANA, tout comme elle ne l’a pas fait pour toutes les autres victimes des enlèvements de 2021, à part une formule très laconique de son rapport annuel de 2021 promettant la poursuite des enquêtes sur 24 cas d’allégations de disparitions forcées. La promesse n’a pas été tenue puisque le rapport de 2022 est resté muet sur ces cas.

Le 19 mai 2021, quatre jours après l’enlèvement, le journal en ligne Net Press a évoqué la recherche menée par la famille de Charles HAMENYIMANA et ses inquiétudes :

« Makamba, le 19 mai 2021 (Net Press). Il s’appelle Charles Hamenyimana, un ancien retraité de l’armée burundaise qui reste introuvable depuis le 15 mai dernier. Il a été aperçu pour la dernière fois au chef-lieu de la commune de Mabanda (province de Makamba, au Sud du pays).

Sa famille l’a cherché dans tous les cachots de la province de Makamba sans succès et craint qu’il ait été tué. Ce catéchiste de l’église anglicane à la succursale Mutaremara, de la paroisse anglicane de Mabanda, a été enlevé samedi dernier et une source qui a requis l’anonymat indique l’avoir vu tout près de la paroisse catholique de Mabanda. Sa famille l’a cherché dans tous les cachots sans succès et craint qu’il aurait kidnappé et tué »[3].

B. Disparition forcée de Monsieur Juvénal NDEREYIMANA et Maître Thaddée KANTUNGEKO.

B.1. identification des victimes

Fils de Daniel NTAKAYE et Generose NDAYISABA, Juvénal NDEREYIMANA est né en 1950 sur la colline Musenyi, zone Muheka de la commune Songa, en province de Bururi, au Sud du Burundi. Enlevé à 71 ans, Juvénal NDEREYIMANA est la plus âgée de toutes les victimes des cas de disparitions forcées documentés par la Campagne NDONDEZA depuis avril 2016. Retraité des Forces Armées Burundaises (ex-FAB) depuis 1984, marié et père de six enfants, Juvénal NDEREYIMANA résidait à sa colline natale, à Musenyi.

Selon ses proches, Juvénal NDEREYIMANA n’était pas très engagé dans un parti politique, il était considéré comme un sage de sa colline et de sa localité. Toutefois, il était réputé pour ses positions contre des injustices et son franc-parler. Juvénal n’hésitait pas à dénoncer la mauvaise gouvernance et les injustices du régime du CNDD-FDD. Les autorités locales le classaient dans l’opposition politique. A cela s’ajoutait son statut d’ancien militaire ex-FAB à la retraite. Il appartenait ainsi à une catégorie de personnes constamment surveillées par le régime.   

Fils d’Hercule BITONDE et de Claire NIBIGIRA, Thaddée KANTUNGEKO est né en 1979, sur la colline Musenyi, zone Muheka de la commune Songa, en province de Bururi. Il a terminé ses études en 2012, à la Faculté de Droit de l’Université du Lac Tanganyika. En mai 2021, soit un mois avant sa disparition forcée, Thaddée KANTUNGEKO, avait prêté son serment d’avocat. Il est le tout premier avocat enregistré parmi les victimes de disparitions forcées depuis les débuts de la Campagne NDONDEZA. Encore célibataire, Maître Thaddée KANTUNGEKO résidait avec son frère au quartier Kinanira II, au Sud de la ville de Bujumbura. 

A la différence de Juvénal NDEREYIMANA, Maître Thaddée KANTUNGEKO est un militant politique très engagé. Il est membre du parti de l’opposition Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), dirigé par l’ancien journaliste Alexis SINDUHIJE. En juin 2012, Thaddée KANTUNGEKO a été arrêté, accusé d’être un relais de la rébellion burundaise du mouvement FRONABU-TABARA qui opérait depuis l’Est de la République Démocratique du Congo. Libéré en 2017, Thaddée KANTUNGEKO est resté en contact avec les responsables en exil du parti MSD.

B.2. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Juvénal NDEREYIMANA et Maître Thaddée KANTUNGEKO.

Le matin du 10 juin 2021, Maître Thaddée KANTUNGEKO a quitté Bujumbura à destination de Songa, sa commune natale. A ses proches, il a dit qu’il avait rendez-vous avec le septuagénaire Juvénal NDEREYIMANA pour discuter d’un dossier judicaire que le « vieux »[4] comptait lui confier. A bord d’un bus de transport en commun, Thaddée KANTUNGEKO est arrivé à Songa dans l’avant midi. Il est resté chez un ami à Manyoni.

Vers 10 heures, Juvénal NDEREYIMANA a un reçu un appel téléphonique. Quelque temps après, il a quitté sa résidence en disant qu’il avait un rendez-vous très important à Matana. A ses proches, il n’a pas précisé l’objet de son rendez-vous.

Vers 13 heures, Maître Thaddée KANTUNGEKO est monté dans un bus à destination de Matana. Toutefois, il a demandé au chauffeur du bus d’attendre l’arrivée d’un ami qui se rendait avec lui à Matana. Selon des témoins, Juvénal NDEREYIMANA est venu en courant, et monté dans le même bus. Selon des témoins, il avait un petit sac à la main. Pourtant, ses proches disent qu’il n’avait pas de sac en quittant la maison. Arrivés à Matana peu avant 14 heures, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO ont quitté le bus et sont restés tout près de la station-service MATANA, sur la route Matana-Bujumbura. Ils semblaient attendre quelqu’un.

Aux environs de 14 heures, il est venu un pickup aux couleurs de l’armée, à bord duquel se trouvaient des hommes en tenue militaire. De manière brusque, les militaires ont sauté du véhicule, ont saisi Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO, les ont tabassés et ligotés avant de les jeter à l’arrière du pickup comme des bagages, selon des témoins oculaires de la scène. Quelques conducteurs de motos-taxis étaient dans les environs, les militaires les ont appelés pour leur raconter qu’ils venaient de trouver un fusil dans le sac de Juvénal NDEREYIMANA. Les conducteurs de motos-taxis ont indiqué, toutefois, que ce fusil ne leur a pas été montré.

Selon des témoins, le pickup a pris la direction de Bujumbura.  Le téléphone de Maître Thaddée KANTUNGEKO a été éteint à 14 heures. Comme dans le cas de l’enlèvement de Charles HAMENYIMANA, il semble que dès le kidnapping de Juvénal et Thaddée, leurs téléphones leur ont été ravis et éteints pour éviter leur localisation.  Les relevés téléphoniques ont montré que le téléphone de Maître KANTUNGEKO a été rallumé aux environs de 22 heures et qu’il utilisait l’antenne située tout près de la Cathédrale Regina Mundi, à Bujumbura.

Cette dernière localisation du téléphone de Thaddée KANTUNGEKO a laissé penser aux proches des victimes que les leurs étaient détenus au siège du Service National de Renseignement à Rohero, tout près de la Cathédrale Regina Mundi. C’était ignorer que la même antenne pouvait être captée par un téléphone situé au camp du Bataillon Police Militaire ou à l’Etat-major général de l’armée burundaise.

Le journal Net Press a évoqué cette disparition forcée, dans son article du 10 juillet 2021 :

Bururi, le 10 juillet 2021 (Net Press). Des informations en provenance de la province de Bururi, au Sud du pays, rapportent que deux personnes, l’une âgée de 71 ans et l’autre de 42 ans, respectivement Juvénal Ndereyimana et Thaddée Kantungeko, viennent de passer près d’un mois dans un cachot tenu secret jusqu’à présent.

Les sources dignes de foi indiquent qu’ils ont été arrêtés le 10 juin dernier alors qu’ils arrivaient dans la commune de Matana, en provenance de celle de Songa, toujours dans la même entité provinciale. A leur descente du bus qui les transportait, ils ont été embarqués dans une camionnette militaire pickup vers une destination inconnue.

Apparemment, leur venue était connue d’avance par le service des renseignements militaire car quelques minutes avant, des véhicules de la police et du Snr faisaient des navettes à cet endroit, selon les témoignages. Cette information est confirmée par des autorités locales qui n’ont jamais indiqué le lieu de leur incarcération.

Leurs familles respectives demandent à savoir où se trouvent ces deux personnes. L’on saura que l’homme du troisième âge fut un militaire qui a pris sa retraite en 1984. Le deuxième, un avocat, avait été emprisonné entre 2012 et 2017 pour ses idées politiques, selon toujours sa famille, qui précise qu’il était membre du parti d’opposition Msd, dirigé par Alexis Sinduhije.

Ces deux familles demandent à toute personne qui aurait une information relative à leur endroit d’incarcération de leur en faire part car elles s’inquiètent de leur sécurité, surtout que leurs téléphones mobiles ont été éteints depuis leur arrestation. J.M.[5] 

B.3. Recherches menées par les familles de Messieurs Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO.

La nouvelle de l’enlèvement de Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO à Matana à circulé très rapidement. Les familles ont contacté les autorités administratives et policières de la commune MATANA dans les plus brefs délais. Les autorités ont confirmé l’arrestation des deux hommes dont l’identité leur était inconnue, mais elles ont indiqué qu’il fallait plutôt se renseigner au chef-lieu de la province à Bururi. Certains proches des victimes se sont déplacés à Bururi. Selon leur témoignage, les autorités administratives, policières et du SNR leur ont confié que les deux hommes avaient été arrêtés par des militaires et qu’ils avaient été conduits à Bujumbura. Les autorités n’étaient pas informées davantage.

Les proches des victimes ont mené des recherches dans plusieurs cachots de Bujumbura, mais sans succès. Ils ont pu trouver un homme de confiance au Service National de Renseignement, mais il n’a pas trouvé les deux noms dans les registres du SNR. Désespérés, les proches des victimes se sont adressés à la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, CNIDH. Celle-ci a enregistré la plainte et a promis de recontacter les familles après le traitement du dossier. plus de deux après, la CNIDH est muette sur le cas, comme sur tous les autres cas de disparitions forcées de 2021.

Les proches des victimes ont enfin fait recours aux réseaux sociaux et à la Campagne NDONDEZA.    Une alerte a été lancée. Les medias en exil ont également évoqué ces disparitions forcées. Cela n’a pas permis de retrouver les victimes.

C. Des opérations du renseignement militaire.

Selon une source confidentielle au sein du G2, les deux opérations de Mabanda et de Matana ont été menées par la même équipe du renseignement militaire, sous le commandement du Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU, secondé de l’Adjudant-Major Onesphore NDAYISHIMIYE.

Les détails fournis par les témoins oculaires tendent à corroborer cette information. Dans les deux cas, les ravisseurs étaient en tenue militaire et étaient à bord d’un pickup de l’armée. Par ailleurs, les autorités de la province Bururi ont révélé aux familles de Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO que les leurs avaient été arrêtés par des militaires à Matana et conduits à Bujumbura. Il n’y a aucun autre organe qui aurait pu agir ainsi, dans les différentes localités du pays, si ce n’est le renseignement militaire.

Néanmoins, il existe une différence notoire entre ces enlèvements et les opérations menées par le renseignement militaire entre juillet et novembre 2021. La première différence est dans la discrétion mise dans les deux enlèvements de Mabanda et Matana. Comme on le verra dans d’autres déclarations ultérieures de la Campagne NDONDEZA, autant les opérations du renseignement militaire de la première moitié de 2021 étaient discrète autant celles de la deuxième moitié ont été menées de manière ostentatoire. La deuxième différence est dans le mode opératoire. Pour piéger Charles HAMENYIMANA en mai 2021, puis Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO en juin 2021, le renseignement militaire a usé de la tromperie, à l’instar des opérations du SNR depuis 2018. Les victimes, qui croyaient aller à la rencontre d’un ami, ont été attirées dans des endroits où elles étaient moins connues, ce qui compliquait l’identification des victimes et des auteurs des enlèvements. La troisième différence se trouve dans les moyens de transport utilisé. Un pickup militaire aurait été utilisé dans les enlèvements de Mabanda et de Matana, à la différence de la camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, présente dans la quasi-totalité des opérations de kidnappings menées par le renseignement militaire entre juillet et novembre 2021. Il existe une dernière différence qui n’a pas de lien direct avec les deux enlèvements de Mabanda et Matana, c’est celle de la fréquence des opérations d’enlèvements. Dans la première moitié de 2021, la Campagne NDONDEZA a reçu des informations sur moins d’une dizaine de kidnappings qui auraient été menés par le renseignement militaire, tandis que dans la période entre juillet et novembre 2021, le nombre dépasse trois dizaines.

Ces différences ne sont pas de nature à disculper le renseignement militaire dans la disparition forcée de Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO. Elles indiquent plutôt que le renseignement militaire était encore dans une phase d’essai des pratiques qui allaient être développées dans la deuxième moitié de 2021.

D. Le silence des institutions.

Plusieurs institutions burundaises ont été informées de la disparition forcée de Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO. Les familles des victimes ont fait preuve de courage et se sont adressées à différentes autorités du pays. Comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées au Burundi, les autorités sont restées silencieuses et inactives.

Les autorités administratives et policières de la commune Matana et de la province Bururi ont été clairement informées des recherches que menaient les familles des victimes. Certaines les ont informées, de manière très confidentielle, que les victimes avaient été arrêtées par des militaires et conduites à Bujumbura. Aucune autorité n’a voulu faire le suivi du sort réservé aux victimes.

En dépit des éditions des radios en ligne, des articles de presse et de plusieurs publications sur Twitter et Facebook via des comptes très suivis au Burundi, comme celui du Président du FOCODE, la police et la justice burundaise n’ont mené aucune enquête sur ces cas de disparitions forcées.

L’armée burundaise, citée dans plusieurs communications comme l’auteure de ces disparitions forcées, est restée silencieuse. Elle garde cette attitude, à quelques exceptions près, sur tous les cas de disparitions forcées impliquant le renseignement militaire. Les auteurs présumés de ces violations graves des droits humains ont reçu des promotions ou ont été envoyées dans des missions plus lucratives à l’extérieur du pays.

Le 30 août 2022, le FOCODE a adressé au Président Evariste NDAYISHIMIYE, une correspondance et une liste de 80 victimes de cas de disparitions forcées documentés dans les premiers deux ans de son gouvernement. Les noms de Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO figuraient sur cette liste. Le Président n’a fait aucune suite à la correspondance.

Les trois familles de Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO ont saisi la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH). La Commission a promis une enquête, mais elle n’a jamais évoqué ces cas et n’a plus contacté les familles des victimes.   

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie des informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres instances qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de :
    • Monsieur Charles HAMENYIMANA, ancien militaire (ex-FAB) à la retraite et évangéliste anglican, enlevé par le renseignement militaire, le 15 mai 2021 en commune Mabanda,
    • Monsieur Juvénal NDEREYIMANA, septuagénaire, ancien militaire (ex-FAB) à la retraite,  et Maître Thaddée KANTUNGEKO, jeune avocat et militant du parti MSD, enlevés par le renseignement militaire, le 10 juin 2021, au chef-lieu de la commune Matana ;
  2. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises, de l’armée burundaise, de la justice burundaise et de la CNIDH après la disparition forcée de Messieurs Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO ;
  3. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Messieurs Charles HAMENYIMANA, Juvénal NDEREYIMANA et Thaddée KANTUNGEKO ;
  4. Le FOCODE réitère sa demande d’une enquête globale sur les nombreux cas de disparitions forcées des personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  5. Le FOCODE réitère son appel au Chef de la FDNB, le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer, au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier, le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
  6. Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de concrétiser sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
  7.  Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
  8. Le FOCODE réitère son soutien au travail de la Cour Pénale Internationale et salue son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015, dont des cas de disparitions forcées au Burundi.
  9. Le FOCODE soutient et salue le travail de Monsieur Fortuné ZONGO, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi.                             

[1] L’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000 a créé une nouvelle armée composée des membres issus de l’ancienne armée majoritairement Tutsi (Forcées Armées du Burundi, d’où l’appellation ex-FAB) et des membres des anciens mouvements rebelles majoritairement Hutu (Partis et Mouvements Politiques Armés, d’où l’appellation ex-PMPA).

[2] https://www.sosmediasburundi.org/2022/05/26/makamba-la-famille-dun-militaire-a-la-retraite-porte-disparu-depuis-un-an-desespere/

[3] http://www.netpress.bi/spip.php?article9446

[4] En Kirundi, le terme « Mutama » (équivalent de vieux) est une marque de respect pour les personnes âgées.

[5] https://www.netpress.bi/spip.php?article9513