DECLARATION DU FOCODE n°014/2016 DU 21 Juillet 2016
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Jimmy NIMBONERA et mettre fin aux exécutions extrajudiciaires de personnes arrêtées par la police.»
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a reçu des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Jimmy NIMBONERA, un jeune homme de 24 ans récemment finaliste des humanités générales, introuvable depuis son arrestation à la suite d’une attaque armée par un groupe rebelle non identifié à Mpinga en commune et province de Bururi le 29 juin 2016.
Par rapport aux onze dossiers déjà traités dans la Campagne NDONDEZA, la disparition forcée de Jimmy NIMBONERA présente une double particularité. D’une part, il s’agit du traitement réservé à un jeune homme présenté comme ayant été capturé au cours d’un affrontement armé entre les forces de sécurité burundaises et un groupe rebelle non identifié. D’autre part ce cas, comme ses compléments, met à nu une nouvelle tendance vers l’exécution extrajudiciaire de présumés rebelles arrêtés par la police burundaise. Ces exécutions sont par ailleurs accompagnées de pratiques inhumaines et d’une cruauté inouïe comme la généralisation de cette forme de ligoter les prisonniers pouvant entrainer l’éclatement de la poitrine, la simulation d’attaques rebelles pour justifier des exécutions de prisonniers ou l’enterrement d’une personne vivante.
- Identité de la victime
- Fils de Marie-Géneviève NIKOBIRI et de père inconnu, Jimmy NIMBONERA est né en 1991 à Musaga, un quartier populaire au Sud de la vile de Bujumbura (la capitale du Burundi). Célibataire et chômeur, le jeune homme a terminé ses études secondaires l’année dernière au Lycée Municipal de Rohero, section scientifique B. Sa famille le décrit comme un garçon sérieux, travailleur, intelligent et très gentil. Jimmy a grandi chez sa grand-mère ;
- Selon sa famille, Jimmy NIMBONERA n’appartient à aucun parti politique. Comme citoyen, il a été très actif dans les manifestations contre le projet de troisième mandat du Président Pierre NKURUNZIZA. Pour cela, avant sa disparition forcée, Jimmy était très recherché par le Service National de Renseignement (SNR). Même après sa disparition, sa résidence a fait objet d’une fouille-perquisition par la police le 6 juillet 2016, à partir de 6 heures du matin.
- Contexte de la disparition forcée de Jimmy NIMBONERA
- Deux jours avant la célébration du 54ème anniversaire de l’Indépendance du Burundi, une attaque armée a été signalée à Mpinga sur la colline Mubuga de la zone Gasanda dans la commune et province de Bururi. Au terme des affrontements qui ont opposé dans la matinée un groupe rebelle non identifié et des éléments des forces de sécurité burundaises, un bilan d’un rebelle tué et de deux blessés (un policier et un responsable de la milice Imbonerakure[1]) a été reporté dans les média[2]. Des images de cinq « rebelles » arrêtés par la police, tous horriblement ligotés, et d’un corps sans vie ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux burundais. Parmi les cinq personnes arrêtées et ligotées se trouvait Jimmy NIMBONERA entouré de militaires et de policiers.
- Le 6 juillet 2016, dans une audience publique qui n’a duré que 45 minutes, « le tribunal de grande instance de Bururi (au sud du pays) a condamné à perpétuité 4 personnes accusées de participation à une bande armée et tentative d’assassinat…Ils avaient été arrêtés la semaine passée lors d’une attaque sur la colline de Mubuga, zone de Gasanda (commune et province de Bururi)[3]». Les quatre personnes poursuivies par le parquet de Bururi et condamnées à perpétuité sont : Léopold NIYONGABO, Adelin BIZIMANA, Dely NSHIMIRIMANA et Dieudonné BIGIRIMANA.
- Fort curieusement, le jeune Jimmy NIMBONERA n’a été ni poursuivi ni présenté au tribunal, encore moins condamné avec ses compagnons d’infortune. Bien plus grave, le nom de Jimmy NIMBONERA n’a jamais été évoqué au cours de cette procédure de flagrance à tel enseigne que même les media, au sortir de l’audience, ne parlaient plus que de quatre personnes arrêtées par la police et poursuivies par le parquet. Comme par miracle, un jeune homme de 24 ans s’était volatilisé et personne ne s’intéressait plus à son sort, à part sa famille. Cinq personnes ont été arrêtées à Gasanda, seules quatre ont été présentées au juge de Bururi. Où est Jimmy ?
- Hypothèse de l’exécution extra-judiciaire de Jimmy NIMBONERA
- Plusieurs témoignages recueillis par le FOCODE indiquent que le jeune Jimmy NIMBONERA a été rapidement séparé de ses quatre compagnons d’infortune, qu’il a été soumis immédiatement à un violent interrogatoire et qu’il aurait été exécuté pour avoir refusé de répondre aux questions sur l’identification et l’organisation du groupe rebelle auquel il appartenait. Tous les témoignages concordent sur le fait que l’ordre d’exécution serait venu du Gouverneur de Bururi M. Christian NKURUNZIZA, présent sur les lieux, et aurait été mis en œuvre par le commissaire provincial adjoint de la police Jean-Gentil NIZIGIYIMANA. Ces témoignages proviennent d’officiers de l’armée et de la police, de défenseurs de droits humains et de journalistes;
- Dans son émission Humura du 09 juillet 2016, la Radio Publique Africaine (RPA) a confirmé l’exécution extra-judiciaire de Jimmy NIMBONERA quelque temps après son arrestation. La RPA a du coup révélé deux raisons qui auraient fondé la différence du traitement infligé à Jimmy : son appartenance ethnique hutu qui ferait de lui « un traître aux yeux des hommes de NKURUNZIZA » et le fait qu’il soit un ancien membre du Front National de Libération FNL. La RPA a enfin indiqué que Jimmy NIMBONERA aurait été « torturé et enterré vivant »[4];
- Comme d’habitude, la police nationale n’a jamais précisé le sort réservé à Jimmy NIMBONERA en dépit de plusieurs demandes pressantes d’internautes sur Twitter et même après la diffusion de l’émission Humura du 09 juillet 2016. En revanche, un tweet du porte-parole de la police Pierre NKURIYE tend à confirmer l’exécution extra-judiciaire de Jimmy. En effet, malgré les images qui ont montré un seul cadavre et cinq personnes arrêtées par la police, M. NKURIKIYE a annoncé « 2 tués, 4 arrêtés» à Mpinga le 29 juin 2016 sans aucune précision. Toute la question est donc de savoir qui est cet autre « tué » à part le cadavre partagé sur les réseaux sociaux et la personne capturée qui serait manquante sur les cinq qui avaient été mêmement partagées. Tout semble indiquer qu’il s’agit de Jimmy NIMBONERA.
- A ce jour, la famille de Jimmy NIMBONERA n’est pas encore à bout de son calvaire. Si le journal de Humura du 09 juillet lui a permis d’entamer partiellement le deuil, la famille continue à recevoir des agents du SNR qui affirment que Jimmy est en vie et se trouve dans un cachot du SNR à Bujumbura. Mais aucun de ces agents n’a pu fournir jusqu’ici une moindre preuve de vie du jeune homme de 24 ans. Ainsi, le SNR renforce à sa manière un tourment qui ne quitte jamais les familles des victimes de disparitions forcées.
- Les cas d’exécutions extrajudiciaires de prisonniers politiques se multiplient…
- Au cas où l’exécution extrajudiciaire de Jimmy NIMBONERA serait confirmée, elle serait loin d’être un cas isolé dans les dernières arrestations de personnes présumées d’être des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. A titre illustratif, il y a lieu de mentionner deux autres cas récents : celui d’Emmanuel NAHIMANA et celui de Prosper HAKIZIMANA alias KARAGWE.
D.1. Exécution extrajudiciaire d’Emmanuel NAHIMANA le 14 juin 2016
- Selon des informations recueillies auprès de ses proches, de ses amis et de certains éléments de la police, Monsieur Emmanuel NAHIMANA a été arrêté très tôt dans la matinée du 14 juin 2016, chez lui à Gikoto dans la zone urbaine de Musaga en Mairie de Bujumbura, par des policiers qui l’ont ligoté avant de l’amener chez le chef de cellule (Nyumbakumi), un certain Donat alias Bagaza. Avant cette arrestation, des militaires du Camp Muha avaient encerclé sa maison depuis 1 heure du matin et l’avait fait sortir de la maison aux environs de cinq heures du matin sans lui donner l’occasion de porter des vêtements convenables. Arrivé chez le chef de cellule, il lui aurait été demandé de montrer où il cachait des armes, chose qu’il a nié catégoriquement. Un groupe d’Imbonerakure conduit par un certain Cédric aurait creusé dans trois endroits de la propriété de la victime, sans rien y trouver.
- Selon les mêmes sources, Emmanuel NAHIMANA aurait subi des bastonnades avant d’être conduit au cachot de la zone municipale de Musaga. Vers 16 heures, sa famille lui a apporté de la nourriture et affirme qu’il l’a réceptionnée lui-même. Il a par ailleurs demandé qu’on lui apporte sa Bible et son livre de cantiques chrétiens « au cas où il serait encore en vie le lendemain». Tous ceux qui ont passé à ce cachot se sont étonnés de la présence sur les lieux des mêmes Imbonerakure jusque tard dans la soirée. Des voisins du cachot de Musaga affirment avoir entendu des cris atroces d’un homme qu’on frappait autour de 21 heures – 22 heures du soir et qui continuait à répéter « je vous jure je n’en sais rien ». Les voisins indiquent que les cris se sont brusquement estompés, certains affirment qu’ils ont entendu des gens dire : « mbega yemwe ibi ni ibiki : uyu muntu aciye aturika umutima !» [Mais qu’est-ce qui se passe : sa poitrine vient d’éclater !] Ces voisins du cachot de Musaga pensent que la poitrine d’Emmanuel NAHIMANA aurait éclaté du fait de la fatigue et de la manière atroce dont les prisonniers sont ligotés au Burundi : les bras et les jambes liés derrière le dos. Quelque temps après cet incident, des explosions de grenades et des coups de fusils ont été longuement entendus à Musaga et Kinanira.
- Le lendemain matin, un corps déchiqueté, complètement méconnaissable dans sa partie supérieure, a été trouvé à la 5ème avenue de Kinanira II en face du Bar « La Variété ». Dans la même matinée, la police a organisé une fouille-perquisition des ménages de Kinanira II à la recherche « des hommes armés qui avaient attaqué la nuit». De nombreuses arrestations ont été enregistrées et ont particulièrement ciblé les grooms. Le journal IKIRIHO du Service Communication de la Présidence de la République a finalement donné le bilan de l’attaque et de la fouille des ménages : « 1 mort et 5 arrestations, 2 fusils saisis »[5]. Le journal a ajouté que « Selon le porte-parole de la PNB, ces tirs ont éclaté au cours d’une embuscade tendue aux forces de sécurité qui allaient vérifier une cache d’armes dénoncée ». Le journal n’a pas expliqué comment la police était arrivée à organiser la vérification d’une cache d’arme à minuit.
- Plus tard dans la matinée, la famille a apporté le petit-déjeuner ainsi que sa Bible à Emmanuel NAHIMANA mais ne l’a pas trouvé au cachot. Sans aucune autre explication, elle apprendra de la bouche du chef de poste, OPP2 Désiré MANIRAMBONA, qu’il fallait plutôt chercher le prisonnier à l’Hôpital Prince Régent Charles de Buyenzi ou au Roi Khaled de Kamenge. Espérant que le leur était brusquement tombé malade, c’est plutôt à la morgue de l’Hôpital Prince Régent Charles que l’épouse d’Emmanuel NAHIMANA accompagnée de certains membres de sa famille reconnaitra les pieds de son mari et le pantalon qu’elle avait pu lui passer la veille dans la matinée. Aucune explication n’a jamais été fournie à la famille sur la manière dont le prisonnier enfermé au cachot de Musaga avait été tué seul à la 5ème avenue de Kinanira II ni sur l’absence d’une seule goutte de sang autour du cadavre. La veuve et ses trois enfants restent cloitrés dans la peur, surtout après les célébrations des Imbonerakure de Gikoto dans la soirée du 15 juin 2016 juste à côté de la résidence du défunt.
- Au regard de ce qui précède, il y a lieu de s’interroger si les coups de feu de la nuit du 14 au 15 juin 2016 n’étaient qu’un simulacre d’attaque pour justifier la mort d’Emmanuel NAHIMANA et si une grenade n’a pas été placée sur la partie supérieure de son corps pour dissimuler, par les effets de l’explosion de l’engin, l’éclatement de la poitrine du défunt prisonnier. En effet, pourquoi et comment est-on arrivé à sortir de cachot un homme ligoté et à l’amener à minuit à la recherche des armes cachées ? Comment se fait-il qu’il soit le seul à avoir été atteint par par les éclats de grenades qui l’ont déchiqueté et qu’aucune goutte de sang n’ait été trouvé à ses alentours ?
- Emmanuel NAHIMANA est mort à 30 ans, laissant une veuve et trois enfants en bas âge. Démobilisé reconverti en maçonnerie, il avait été un combattant du FNL tout comme l’actuel chef de poste de la police de Musaga Désiré MANIRAMBONA.
D.2. Hypothèse d’exécution extrajudiciaire de Prosper HAKIZIMANA alias Karagwe après son arrestation le 23 juin 2016
- Selon ses proches et des sources policières, Prosper HAKIZIMANA a été arrêté par des policiers le 23 juin 2016 à la 3ème avenue de la zone urbaine de Musaga et acheminé directement au cachot de la même zone où il n’aurait passé qu’une trentaine de minutes. Selon les mêmes sources, le prisonnier a été vite récupéré par un policier et un certain Eddy UWIMANA, un des fameux « rebelles repentis » présentés par la police nationale le 16 février dernier[6]. Depuis ce transfert, aucune trace de Prosper HAKIZIMANA n’a encore été trouvée.
- Les proches de Prosper HAKIZIMANA l’ont particulièrement recherché dans les cachots du Service National de Renseignements à Rohero et à Ngagara Quartier10, mais en vain. Au deuxième jour de la recherche, des sources au SNR ont révélé à sa famille que Prosper avait été exécuté, sans aucune autre précision. Le corps de la victime n’a pas été remis à la famille.
- A ce jour, la famille de Prosper HAKIZIMANA se perd dans un dilemme exténuant : entre le fol espoir de retrouvailles un jour et la profonde détresse de la perte d’un père de famille sans le moindre adieu. Si l’exécution se confirme, Prosper HAKIZIMANA est mort à 32 ans, laissant une veuve et deux enfants dans un camp de déplacés en commune de Makebuko dans la province de Gitega, au centre du pays.
- Prise de position et recommandations
Au-delà du phénomène des disparitions forcées dénoncées par la Campagne NDONDEZA, les trois cas évoqués dans cette déclaration révèlent une nouvelle tendance vers l’exécution extrajudiciaire, presque assumée, de personnes arrêtées préalablement par la police au vu et au su de tout le monde. Le FOCODE a reçu ces derniers jours d’autres cas similaires qui feront objet de prochaines déclarations. Ces cas témoignent enfin du développement d’une répression de plus en plus cruelle.
Face à cette situation, le FOCODE :
- Condamne les crimes innommables commis par des éléments de la police nationale du Burundi, avec l’appui de la milice Imbonerakure du parti CNDD-FDD, dans les disparitions forcées de Jimmy NIMBONERA et Prosper HAKIZIMANA les 29 juin 2016 à Bururi et 23 juin 2016 à Musaga ainsi que l’exécution extrajudiciaire d’Emmanuel NAHIMANA à Kinanira II le 14 juin 2015 ;
- Condamne le silence coupable de la police burundaise face aux interrogations des familles sur le sort des leurs après arrestation et le silence complice du parquet de Bururi dans la disparition forcée de Jimmy NIMBONERA en ne poursuivant que quatre des cinq personnes arrêtées le 29 juin 2016 à Mpinga ;
- Demande aux autorités burundaises de stopper immédiatement cette nouvelle tendance d’exécution extrajudiciaires de présumés opposants arrêtés par la police au vu et au su de tous et de bannir la pratique cruelle de ligoter les prisonniers communément appelé « KUBOHA AKADEGE » qui consiste à lier les coudes et les pieds derrière le dos (ce qui peut faire éclater la poitrine comme dans l’hypothèse de la mort d’Emmanuel NAHIMANA ou causer d’autres fractures) ;
- Demande la traduction en justice de certaines autorités publiques en l’occurrence :
- MM Christian NKURUNZIZA et Jean-Gentil NIZIGIYIMANA, respectivement Gouverneur de la province de Bururi et commissaire provincial adjoint de la police à Bururi pour leur rôle présumé dans la disparition forcée de Jimmy NIMBONERA le 29 juin 2016,
- OPP2 Désiré MANIRAMBONA et Donat alias BAGAZA, respectivement chef de poste de la police à Musaga et chef de cellule à Gikoto, pour leur rôle présumé dans la torture et l’exécution extrajudiciaire d’Emmanuel NAHIMANA le 14 juin 2016 à Musaga,
- OPP2 Désiré MANIRAMBONA, chef de poste de la police à Musaga, pour son rôle présumé dans la disparition forcée de Prosper HAKIZIMANA le 23 juin 2016 à Musaga ;
- Réitère sa demande de la mise en place d’une commission d’enquête internationale sur les violations graves de droits de l’homme au Burundi d’une part, et de la prise de mesures de protection du peuple burundais en danger d’autre part.
Fait à Bujumbura, le 21 Juillet 2016
Pour le FOCODE ;
Sé Pacifique NININAHAZWE
Président
[1] Imbonerakure : la jeunesse du parti CNDD-FDD
[2] http://www.bonesha.bi/Bururi-securite-Affrontement-entre.html
[3] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1147341668661204
[4] http://rpa.bi/images/audios/HUMURAFRDU09072016.mp3 et https://www.ipadio.com/broadcasts/Radio-BUJUMBURA-Inter/2016/7/9/%C3%89mission-HUMURA-Burundi-du-9-juillet-2016
[5] http://www.ikiriho.org/2016/06/15/tirs-a-musaga-cette-nuit-un-mort-et-5-arrestations-2-fusils-saisis/
[6] http://fr.igihe.com/tourisme/5-jeunes-qui-se-disent-rebelles-jettent-l-eponge.html