« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, arrêtés par le renseignement militaire, respectivement le 1er et le 2 septembre 2021, à Bujumbura ».
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA, jeune burundais étudiant au Kenya, et de son ami, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, militaire travaillant à l’hôtel de l’armée burundaise à Bujumbura. Le 1er septembre 2021, aux environs de 23 heures, alors qu’il rentrait d’une fête familiale au Mess des Officiers de la Garnison de Bujumbura (MOGB), Isaac NDUWIMANA a été arrêté par un sous-officier chargé de l’administration au bureau du renseignement militaire. Au moment de l’arrestation, Isaac NDUWIMANA était avec des amis, dont le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE qui a reconnu l’auteur de l’arrestation. Le lendemain matin, 02 septembre 2021, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE a été arrêté, à son tour, dans le bureau de son responsable hiérarchique et remis à un officier du renseignement militaire. Depuis leur arrestation, Isaac NDUWIMANA et Melance NDAYISHIMIYE n’ont jamais été retrouvés, en dépit d’une longue recherche menée par leurs familles. Officieusement, des officiers du renseignement militaire auraient reconnu la détention des deux hommes, avant de la réfuter quelques jours plus tard devant le parquet de Mukaza. L’armée burundaise ne s’est jamais prononcée officiellement sur l’arrestation et la disparition forcée des deux victimes.
Pourtant saisie par les familles des victimes, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, CNIDH, n’a jamais évoqué la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE. Dans son rapport annuel de 2021, la CNIDH a annoncé qu’elle avait été saisie de 35 cas d’allégations de disparitions forcées, dont 11 se sont révélées fausses, et qu’elle continuait ses enquêtes sur les 24 cas restants. Dans son rapport annuel de 2022, la CNIDH n’a plus évoqué ces 24 cas et n’a jamais communiqué les noms des victimes.
Le 30 août 2021, à l’occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées, le FOCODE a adressé une correspondance au Président Evariste NDAYISHIMIYE et une liste de 80 victimes de disparitions forcées, dont Isaac NDUWIMANA et Melance NDAYISHIMIYE. Aucune suite n’a été réservée à cette correspondance. Le silence et l’inaction du Président NDAYISHIMIYE, en contradiction des engagements pris en décembre 2021 et en juillet 2022, confirment une triste réalité : trois ans après l’arrivée d’Evariste NDAYISHIMIYE au pouvoir, l’impunité des crimes de disparitions forcées et d’autres violations graves des droits humains reste la règle.
Cette déclaration du FOCODE présente l’identification des deux victimes, détaille les circonstances de leur disparitions forcée, évoque ses auteurs présumés et appelle tous les acteurs à un engagement véritable et des actions concrètes contre les disparitions forcées au Burundi.
A. Identification des victimes
Fils d’Edouard MUDURUGU et de Christine GAKOBWA, Isaac NDUWIMANA est né en 1993 sur la colline Ngoma (sous-colline Kanyonga) de la commune Itaba, dans la province de Gitega. En septembre 2021, la résidence familiale d’Isaac NDUWIMANA se trouvait dans la ville de Gitega. Célibataire, étudiant en médecine au Kenya, Isaac NDUWIMANA était en vacances au Burundi au moment de sa disparition forcée.
Sur le plan politique, plusieurs sources ont confié à la Campagne NDONDEZA qu’Isaac NDUWIMANA était proche du CNDD-FDD et des services secrets burundais, certains ont ajouté qu’Isaac avec des liens avec de hautes autorités du pays. Une confidente d’Isaac NDUWIMANA est restée discrète et vague sur cet aspect : « je ne peux ni affirmer ni infirmer l’appartenance d’Isaac NDUWIMANA au CNDD-FDD et sa proximité avec les services secrets. Mais c’est possible. »
En plus de ses études au Kenya, Isaac NDUWIMANA pratiquait du commerce. Chaque fois qu’il se rendait au Burundi, il apportait des marchandises qu’il fournissait à des commerçants locaux. Cette information a été confirmée par des proches de la victime. Certaines sources ont indiqué que ce commerce était facilité par les contacts d’Isaac NDUWIMANA dans les services secrets, de même que ses liens avec des personnes influentes.
Fils de BANYEGERANIJE et de HARIMENSHI, Melance NDAYISHIMIYE est né en 1980 sur la colline KINYONZO de la commune RYANSORO, en province de Gitega. Marié, Melance est père de trois enfants.
Militaire de l’armée burundaise depuis les ex-Forcées Armées Burundaises, Numéro Matricule 53229 / HR 11205, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE était employé comme réceptionniste à l’Hôtel Militaire, tout près du Mess des Officiers de la Garnison de Bujumbura. Son dossier indique qu’il était affecté au Bataillon de la Police Militaire et avait une spécialité d’électronicien.
Melance NDAYISHIMIYE et Isaac NDUWIMANA étaient des amis. Non seulement, ils étaient tous originaires de Gitega, mais aussi Isaac NDUWIMANA avait l’habitude de séjourner à l’Hôtel Militaire où travaillait Melance NDAYISHIMIYE.
B. Circonstances de la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE.
Le 31 août 2021, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE s’est rendu à Gitega pour un enterrement d’un membre de sa famille, selon un de ses proches. Le lendemain, 1er septembre 2021, avant son retour à Bujumbura, Melance NDAYISHIMIYE est passé prendre son ami Isaac NDUWIMANA qui devait descendre à Bujumbura pour une fête familiale. Une parentée d’Isaac NDUWIMANA avait prévu une petite fête, dans une salle du Mess des Officiers de la Garnison de Bujumbura, pour des adieux à ses amis et à sa famille, avant son départ aux Etats-Unis d’Amérique. Isaac NDUWIMANA était chargé des aspects logistiques de la fête, avec l’appui de son ami, Melance NDAYISHIMIYE.
Isaac NDUWIMANA a loué une chambre, plus précisément la chambre n°28, à l’Hôtel Militaire. Il était un habitué de cet hôtel, il y séjournait chaque fois qu’il descendait à Bujumbura. C’est d’ailleurs au cours de ses séjours à l’hôtel qu’il avait noué une amitié avec le Major Salvator NDORIMANA, responsable de l’hôtel, et le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, réceptionniste. Selon une source très proche d’Isaac NDUWIMANA, la relation professionnelle entre le Major Salvator NDORIMANA et le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE était souvent très tendue. Comme un ami commun, Isaac NDUWIMANA a souvent servi de médiateur entre les deux hommes.
Selon une source proche d’Isaac NDUWIMANA, celui-ci avait prévu de partager sa chambre avec deux de ses amis, venus pour la même fête.
Avant le début de la fête, il a fallu gérer, avec beaucoup de tact, un grand imprévu dans la logistique, comme le raconte une source très confidentielle :
« En principe, quand on a loué une salle de réception au Mess des Officiers de la Garnison de Bujumbura (MOGB), c’est ce dernier qui se charge de la fourniture des boissons. Mais, à cette date du 1er septembre 2021, il y avait une rupture de stock au MOGB. Des responsables ont annoncé que le Mess n’allait pas fournir des boissons comme d’habitude. Isaac a proposé une alternative : il a demandé l’autorisation de s’approvisionner en boissons depuis l’extérieur du Mess. Sa proposition a été difficilement acceptée, le Mess n’acceptant pas normalement des boissons venant de l’extérieur. Il a fallu une autorisation spéciale du responsable du MOGB, le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU. La fête a débuté avec retard, mais avec des boissons. Cela a été possible grâce à la ténacité et aux qualités de négociateur d’Isaac NDUWIMANA. »
La fête a été pris fin à 22 heures. Isaac NDUWIMANA et cinq de ses amis sont restés pour les derniers arrangements, notamment pour le rassemblement du matériel. Il fallait bien ranger et remettre les bouteilles vides. Comme il était tard, les militaires ont proposé de garder les bouteilles au Mess, et de les remettre aux propriétaires le lendemain. La proposition a été acceptée.
Aux environs de 23 heures, Isaac NDUWIMANA, ses deux amis ainsi que le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE ont accompagné à l’Avenue de la JRR, à près de 100 mètres du MOGB, leurs deux autres amis qui avaient besoin d’un taxi pour rentrer. C’est alors qu’ils attendaient l’arrivée d’un taxi qu’Isaac NDUWIMANA a été arrêté, comme le raconte un témoin oculaire :
« Nous étions sur l’Avenue de la JRR, nous attendions un taxi. Vers 23 heures, il est venu une voiture Toyota Wish de couleur Kaki, immatriculée D9383A. Un homme en tenue militaire, portant un long manteau noir, est sorti de la voiture. Il portait un pistolet et il a passé un moment à nous dévisager, avant d’arrêter Isaac NDUWIMANA. Il a pris son temps pour se rassurer qu’il s’agissait de la vraie personne qu’il cherchait. Le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE connaissait cet homme : il s’agissait de l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE, à l’époque sous-officier d’administration au bureau du renseignement militaire. Le Caporal-chef NDAYISHIMIYE lui a adressé des mots de salutation, l’Adjudant SIMBANDUMWE n’a pas répondu. Mélance NDAYISHIMIYE s’est étonné : pourquoi refuses-tu ma salutation alors que nous sommes des amis ? Innocent SIMBANDUMWE a pointé son pistolet sur Melance NDAYISHIMIYE et lui a dit : tiens-toi à l’écart de cette affaire ! En le voyant arrêter Isaac NDUWIMANA, Melance a pu ajouter : mon adjudant, ne lui faites pas du mal, c’est un ami (ntimumugirire nabi, ni umugenzi). Isaac NDUWIMANA était costaud, un autre militaire est sorti de la voiture pour aider l’adjudant SIMBANDUMWE à bien maîtriser leur captif. Ils ont fait monter Isaac NDUWIMANA dans la voiture et celle-ci est partie à toute allure. Les deux amis ont finalement abandonné l’idée de prendre un taxi, tous les cinq ont passé la nuit à l’Hôtel Militaire. »
Le lendemain matin, 02 septembre 2021, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE et deux amis d’Isaac NDUWIMANA sont allés informer le Major Salvator NDORIMANA de ce qui s’était passé la nuit. A leur grande surprise, le Major NDORIMANA se serait plutôt étonné qu’Isaac NDUWIMANA ait été arrêté seul. Un témoin raconte :
« Le matin, Mélance NDAYISHIMIYE et les deux amis qui devaient partager la chambre n°28 avec Isaac NDUWIMANA sont allés informer le Major NDORIMANA de l’arrestation d’Isaac NDUWIMANA. Sa réaction a été très étonnante : mais, pourquoi vous ont-ils laissé vous aussi ? Les trois hommes ont été abasourdis par cette réponse et ont quitté rapidement le bureau du Major NDORIMANA. Aussitôt arrivés dans leur chambre, les deux amis d’Isaac NDUWIMANA ont précipitamment emballé leurs affaires et ont vite quitté cet environnement ».
Le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE n’a pas désarmé pour autant. Il a poursuivi sa recherche, notamment sur l’identification complète et la fonction précise de l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE. Mélance NDAYISHIMIYE a pu partager toutes les informations obtenues à un ami, avant de se faire arrêter à son tour. Son ami raconte :
« En dépit de la gravité de la situation, Mélance NDAYISHIMIYE n’a pas baissé les bras. Il est allé recueillir toutes sortes d’informations sur l’Adjudant SIMBANDUMWE dont il ne connaissait qu’un seul nom, même s’il le présentait comme un ami. Il m’a informé que l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE était le MUSITANTERI (c’est-à-dire l’administrateur) au G2. Melance m’a également informé qu’il venait d’être convoqué au bureau de son chef, le Major NDORIMANA, que nous allions continuer nos recherches à son retour. Entretemps, j’ai appris ce qui s’était passé à l’Hôtel Militaire pendant que Melance NDAYISHIMIYE était à la recherche des informations sur SIMBANDUMWE. Un officier du renseignement militaire s’est présenté à la réception de l’hôtel et a demandé où se trouvait le bureau du Major NDORIMANA. Cinq minutes après leur rencontre, le Major est venu chercher le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE à la réception de l’hôtel :
- Où est NDAYISHIMIYE ?
- Il n’est pas dans les parages, répond un collègue de Melance NDAYISHIMIYE
- Trouve-le vite.
- Chef, il n’est pas dans les alentours.
Le Major NDORIMANA a appelé le téléphone de Melance NDAYISHIMIYE, celui-ci a sonné dans la chambre de Melance.
- Je vois qu’il est parti sans son téléphone. Arrangez-vous de le trouver dans les plus brefs délais et dites-lui de venir dans mon bureau sans l’uniforme militaire !
Ses collègues ont finalement pu trouver trouver Melance. Celui-ci s’est présenté au bureau du Major NDORIMANA, ce fut le dernier contact avec les collègues. Melance NDAYISHIMIYE a été conduit dans une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche du renseignement militaire, la camionnette avait été cachée au Mess des Officiers. De mon côté, j’ai continué à envoyer des textos au téléphone de Melance, sans savoir qu’il était déjà arrêté. J’ai appelé à plusieurs reprises, il ne répondait pas. Après un certain temps, il m’a écrit : NDABANGAMIWE (je suis en danger). J’ai demandé à son collègue ce qui venait de se passer, c’est alors que j’ai appris que Melance NDAYISHIMIYE venait d’être arrêté. Depuis ce jour, on n’a aucune nouvelle de lui ».
Les informations contenues dans ce témoignage ont été confirmées par deux autres sources, dont une proche du renseignement militaire. Selon ces sources, le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE a été arrêté dans le bureau du Major Salvator NDORIMANA et remis au Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO, avant d’être conduit au bureau du renseignement militaire à l’Etat-major général de l’armée.
Dans un premier temps, les deux officiers de l’armée, le Major NDORIMANA et le Lieutenant-Colonel NTAMARERERO, auraient confirmé la détention d’Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE dans les cachots du G2. Mais, dans un second temps, notamment lorsque le gouverneur de Gitega et le parquet de Mukaza se sont intéressés au dossier, les deux officiers se seraient rétractés, le Major Salvator NDORIMANA allant jusqu’à déclarer que le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE était en état de désertion, et qu’Isaac NDUWIMANA n’avait jamais séjourné à l’Hôtel Militaire.
C. Recherches menées par les familles de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE.
Les familles des deux victimes ont fait preuve d’un courage rare dans ce genre de situations. Loin de lancer une alerte sur les réseaux sociaux, les familles ont préféré mener des contacts envers des autorités. Une source confidentielle a livré ce témoignage à la Campagne NDONDEZA :
« La famille a envoyé des émissaires demander au Major NDORIMANA, chef de Melance NDAYISHIMIYE, et au Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO, officier du renseignement militaire, s’ils savaient où se trouvaient les nôtres. Quand ces deux officiers étaient contactés par d’autres officiers des services de sécurité, ils répondaient positivement. Le Major NDORIMANA a reconnu qu’il connaissait Melance NDAYISHIMIYE en tant que son subordonné et que ce dernier était détenu au renseignement militaire. Le Lieutenant-Colonel NTAMARERERO a admis qu’il connaissait Isaac NDUWIMANA et que c’est lui qui était en traiter son dossier ».
Une autre source a témoigné des efforts fournis par la famille d’Isaac NDUWIMANA :
« La famille a été reçue par le gouverneur provincial de Gitega, Vénant MANIRAMBONA. A ce moment, la famille croyait qu’Isaac avait été arrêté à cause de l’incident qui avait eu lieu au Mess des Officiers avant le début de la petite fête du 1er septembre 2021. Le gouverneur a contacté le responsable de la Mess des Officiers de la Garnison de Bujumbura, le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU. Ce dernier a reconnu qu’Isaac NDUWIMANA était détenu et que ses parents pouvaient venir lui rendre visite. Soulagés par cette bonne nouvelle, les parents d’Isaac NDUWIMANA sont descendus à Bujumbura. Le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU a d’abord nié avoir parlé au gouverneur de Gitega. Après des heures d’attente, il a ensuite appelé le Major Salvator NDORIMANA, le seul qui, selon Roger NIYONKURU, savait où se trouvait son subordonné, Melance NDAYISHIMIYE. Roger NIYONKURU et Salvator NDORIMANA se sont enfermés dans le bureau pendant un certain temps. A la fin de l’entretien, les deux officiers n’ont rien dit aux parents d’Isaac NDUWIMANA, Salvator NDORIMANA est retourné dans son bureau. Après d’autres longues heures d’attente, le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU a envoyé un émissaire dire aux parents d’Isaac NDUWIMANA qu’ils devaient retourner à Gitega et demander au bureau provincial du Service National de Renseignement (SNR) pourquoi leur fils avait été arrêté. Ils ont appelé le gouverneur de Gitega pour l’informer de leur mésaventure. Désolé et désemparé, le gouverneur leur a conseillé de rentrer ».
La famille a porté plainte au parquet de Mukaza, contre le Major Salvator NDORIMANA et le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU. En principe, l’affaire devait être instruite par le Parquet Général puisqu’elle impliquait des officiers supérieurs de l’armée burundaise. Selon une source judiciaire très confidentielle, le Procureur Général de la République, Sylvestre NYANDWI, voulait que l’affaire soit rapidement classée sans suite. C’est lui qui aurait décidé que l’affaire soit envoyée à un parquet non compétent. Un dossier d’information, portant le numéro D15 794/Jcl a été ouvert au Parquet de la république de Mukaza. Les deux officiers ont répondu à la convocation du parquet. Selon la même source judiciaire, le Major NDORIMANA a déclaré qu’il ne connaissait pas Isaac NDUWIMANA, que ce dernier n’avait jamais séjourné à l’Hôtel Militaire et que le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE était en situation de désertion. Le Lieutenant-Colonel Roger NIYONKURU, quant à lui, a nié avoir parlé au Gouverneur de Gitega. Le parquet de Mukaza n’a pas poussé son enquête et l’affaire a été classée.
Désespérés, les proches des deux victimes ont saisi la Commission nationale indépendante des droits de l’homme, CNIDH. Leur plainte a été reçue par la Commission, cette dernière a promis d’y faire suite. Mais la CNIDH n’a plus communiqué avec les familles des victimes et n’a jamais mentionné les noms des deux victimes dans ses rapports. Dans le rapport portant sur l’année 2021, la CNIDH a rapporté qu’elle continuait des enquêtes sur 24 cas d’allégations de disparitions forcées, mais, dans le rapport de l’année suivante, elle n’a plus évoqué ces cas.
Les proches se sont adressés à la présidence de la république via les numéros Whatsapp fournis par la présidence elle-même. A ce propos, voici le témoignage d’un proche d’Isaac NDUWIMANA :
« Quand la porte-parole du Président de la République, Madame Evelyne BUTOYI, a rendu public un numéro sur lequel nous pouvions la contacter, nous lui avons envoyé les informations sur la disparition forcée d’Isaac NDUWIMANA et de Melance NDAYISHIMIYE, mais il n’y a jamais eu de réponse. Nous avons également écrit au numéro Whatsapp du Président NDAYISHIMIYE, mais, là aussi nous n’avons pas reçu de réponse. »
En janvier 2022, les proches des victimes ont contacté la Campagne NDONDEZA, une alerte a été lancée sur Facebook. C’est à partir de ce moment que la disparition forcée d’Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE est devenue publique. Le 30 août 2022, le FOCODE a adressé au Président NDAYISHIMIYE une correspondance assortie de la liste de 80 victimes de disparitions forcées, dont Isaac NDUWIMANA et Melance NDAYISHIMIYE. Le Président NDAYISHIMIYE n’a réservé aucune suite à la correspondance.
D. Une opération du renseignement militaire.
Les personnes impliquées dans les arrestations d’Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE sont tous connues comme des agents du renseignement militaire, le véhicule utilisé est également connu dans les activités du renseignement militaire.
- La Campagne NDONDEZA a pu identifier l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE, cité par des témoins oculaires comme celui qui a procédé à l’arrestation d’Isaac NDUWIMANA dans la soirée du 1er septembre 2021. Né en 1983 sur la colline Katumbura de la commune Giteranyi en province de Muyinga, Numéro matricule 68495 / SC4473, ancien combattant du CNDD-FDD, l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE est un agent du renseignement militaire (G2). Au moment de l’arrestation d’Isaac NDUWIMANA, Innocent SIMBANDUMWE était appelé « MUSITANTERI » (qui signifie ADMINISTRATEUR) par ses collègues. Il s’agissait du sous-officier d’administration au bureau du renseignement militaire (G2) à l’Etat-major général de l’armée burundaise. Le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE connaissait l’Adjudant SIMBANDUMWE et le traitait d’ami. Les propos qu’aurait tenus Melance NDAYISHIMIYE, « ne lui faites pas du mal, c’est mon ami », signifient que Melance NDAYISHIMIYE était au courant de la violence des agents du G2 sur les personnes arrêtées. Au moment de la rédaction de cette déclaration, l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE est affecté à l’Ecole Militaire du Renseignement (EMR).
- Le Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO est cité comme celui à qui le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE a été remis le matin du 02 septembre 2021. Né en 1975 sur la colline Kayange de la commune Gihanga en province de Bubanza, Numéro matricule SS1115, ancien combattant du CNDD-FDD, le Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO était, en 2021, un officier du renseignement militaire chargé de la lutte contre le terrorisme. Placé sous l’autorité directe du Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU[1], Frédéric NTAMARERERO avait également la responsabilité des interrogatoires et des cachots au bureau du renseignement militaire. C’est donc un personnage clé des cas de disparitions forcées en 2021 puisque un bon nombre de personnes enlevées par le renseignement militaire en 2021 ont dû passer par les cachots dont il avait la responsabilité. Dans le cas de la disparition forcée d’Isaac NDUWIMANA et de Melance NDAYISHIMIYE, Frédéric NTAMARERERO aurait reconnu dans un premier temps qu’il détenait les deux hommes, avant de se rétracter plus tard. En novembre 2021, alors que son chef était détenu au Service national de renseignement (SNR), le Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO a été dépêché dans la mission en Somalie, pour le soustraire de l’attention du SNR, selon des sources au G2.
- Le Major Salvator NDORIMANA, responsable directe du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE a joué un rôle non moins important dans l’arrestation de Melance NDAYISHIMIYE. C’est lui qui l’aurait remis au Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO. Né sur la colline Rwingiri de la commune Bugendana en province de Gitega, Numéro matricule SS1023, ancien combattant du CNDD-FDD, le Major Salvator NDORIMANA est le chef de l’Unité des Infrastructures d’Hôtellerie Militaire. Selon plusieurs sources, Salvator NDORIMANA serait un collaborateur du renseignement militaire et l’Hôtel dont il a la responsabilité serait souvent utilisé par le G2. Il reste la personne clé dans l’enquête sur la disparition forcée du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, celle qui doit expliquer comment et pour quelle raison il a livré son subordonné.
Le véhicule utilisé dans l’arrestation d’Isaac NDUWIMANA, une voiture Toyota Wish de couleur Kaki immatriculée D9383A, a été reconnue par une source au bureau du renseignement militaire comme un des véhicules utilisés par le G2. Selon cette source, la voiture était conservée au Groupement des Machines Automobiles et Engins Mécaniques (GMAEM) et était souvent conduite par le Caporal-chef Youssouf HAVYARIMANA, déjà cité dans plusieurs dossiers d’enlèvements opérés par le G2 en 2021. Une source militaire a indiqué que le Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE a été emmené à bord d’une camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, du G2. Cette camionnette a déjà été citée dans plusieurs autres cas de disparitions forcées en 2021.
Les éléments développés ci-dessus mènent à la conclusion de l’implication du renseignement militaire dans la disparition forcée d’Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE. Plusieurs traits de l’opération rappellent, par ailleurs, les autres cas de disparitions forcées imputables au renseignement militaire en 2021 : arrestation ou enlèvements des victimes devant des témoins, l’absence de crainte des poursuites judiciaires, la camionnette Toyota Hilux double cabine blanche aux vitres teintées, le silence des institutions.
En revanche, certains personnages cités dans cette double disparition forcée sont différents de ceux qui sont souvent cités dans les autres opérations du G2. C’est la preuve que plusieurs services du renseignement militaire ont été impliqués dans les disparitions forcées de 2021.
N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie des informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres instances qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.
E. Prise de position du FOCODE et recommandations.
- Le FOCODE condamne la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, après leur arrestation par le renseignement militaire, respectivement le 1er et le 2 septembre 2021, à Bujumbura ;
- Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises, de l’armée burundaise et de la CNIDH après la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, ainsi que le classement du dossier par le parquet sans une enquête approfondie ;
- Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Monsieur Isaac NDUWIMANA et du Caporal-chef Melance NDAYISHIMIYE, ainsi que la traduction en justice du Lieutenant-Colonel Frédéric NTAMARERERO, du Lieutenant-Colonel Salvator NDORIMANA (major à l’époque des faits), de l’Adjudant Innocent SIMBANDUMWE et de toute autre personne qui aurait joué un rôle dans cette disparition forcée ;
- Le FOCODE réitère sa demande d’une enquête globale sur les nombreux cas de disparitions forcées des personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
- Le FOCODE réitère son appel au Chef de la FDNB, le Général Prime NIYONGABO, à sortir de son silence pour communiquer, au peuple burundais en général et aux nombreuses familles des victimes en particulier, le sort réservé aux dizaines de personnes arrêtées ou enlevées par le renseignement militaire en 2021 ;
- Le FOCODE réitère sa demande au Président Evariste NDAYISHIMIYE de concrétiser sa promesse de mettre fin à l’impunité des agents de l’Etat impliqués dans des violations graves des droits humains et, notamment, de lancer sans délai une enquête sérieuse sur la disparition forcée des 80 victimes dont la liste lui a été transmise par le FOCODE le 30 août 2022 ;
- Le FOCODE demande aux partenaires du Burundi, notamment aux Etats-Unis d’Amérique et à l’Union Européenne engagés dans un processus de normalisation de leurs relations avec le Burundi, de continuer à exiger la lumière sur les crimes graves, en l’occurrence les cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes ;
- Le FOCODE réitère son soutien au travail de la Cour Pénale Internationale et salue son engagement à lancer des mandats d’arrêts contre les auteurs des crimes graves depuis 2015, dont des cas de disparitions forcées au Burundi.
- Le FOCODE soutient et salue le travail de Monsieur Fortuné ZONGO, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Burundi.
[1] Responsable Adjoint du Renseignement Militaire en 2021, le Lieutenant-Colonel Libère NIYONKURU a été cité comme le coordinateur de plusieurs dizaines d’enlèvements opérés par le renseignement militaire en 2021