DECLARATION DU FOCODE n° 016/2017 du 29 juin 2017
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO, militaire du Camp Muzinda enlevé le 04 avril 2016 à Kamenge ».
Paradoxe burundais : quand la disparition des militaires ne préoccupe pas la hiérarchie !
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENYAYO, un militaire burundais âgé de 34 ans, enlevé le 04 avril 2016 à Kamenge, un quartier au nord de la Ville de Bujumbura.
Ce dossier de la Campagne NDONDEZA s’inscrit dans une série de cas de disparitions forcées des membres des corps de défense et de sécurité. Elément de l’ancienne armée à majorité Tutsi (ex-FAB), le Caporal Placide MPAWENAYO a disparu alors qu’il répondait à un rendez-vous d’un autre militaire du Camp Muzinda, le Premier Sergent Major (1SM) NDAYISHIMIYE issu des anciens mouvements rebelles à majorité Hutu (ex-PMPA). Ancien chef de l’équipage de feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE et cité dans un certain nombre de dossiers criminels, le 1SM NDAYISHIMIYE a été envoyé dans la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) dans les semaines qui ont suivi la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO. Comme dans les cas d’autres militaires disparus, les autorités de l’armée burundaise sont restées insensibles à la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO, la justice burundaise est restée muette et inactive.
Ce dossier souligne enfin l’impuissance et l’humiliation des officiers ex-FAB, même quand ils occupent des postes importants de commandement, face aux militaires ex-PMPA (même les moins gradés) cités dans des crimes graves. Le Caporal Placide MPAWENAYO était en effet chargé de la sécurité (Agent de Transmission, AT) du Commandant de la Brigade Génie de Muzinda, le Lieutenant-Colonel Epimaque NDAYIZEYE. Mais ce dernier (officier ex-FAB) a été complètement incapable de faire poursuivre un sous-officier ex-PMPA cité comme l’auteur de la disparition forcée de son agent de sécurité.
A. Identité de la victime
- Fils de Dominique NIYONKURU et de Consolate NDABISEMBA, Placide MPAWENAYO est né en 1982 sur la Colline Mwaro-Ngundu en Commune de Makebuko de la Province de Gitega, au centre du pays. A peine âgé de 11 ans, Placide MPAWENAYO a survécu miraculeusement aux massacres de 1993 qui ont emporté beaucoup de membres de sa famille, y compris ses deux parents. Après une vie misérable d’errance et de petits boulots, il a trouvé une famille d’accueil en 2000 avant d’entrer dans l’armée burundaise. Placide MPAWENAYO est marié et père de deux enfants âgés de 10 et 5 ans.
- Matricule 56420, le Caporal Placide MPAWENAYO est un élément de l’ancienne armée burundaise, ex-FAB (Forces Armées Burundaises), avant l’intégration des éléments des anciens mouvements rebelles, ex-PMPA (Partis et Mouvements Politiques Armés), les deux branches ayant formé les actuelles Forces de Défense Nationale du Burundi (FDNB). Jusqu’au moment de sa disparition forcée, il était affecté au Camp Muzinda en tant qu’Agent de Transmission (ou chargé de la sécurité) du Commandant de la Brigade Génie de Muzinda, le Lieutenant-Colonel Epimaque NDAYIZEYE.
- Beaucoup de militaires ex-FAB ont été victimes de disparitions forcées, d’exécutions extra-judiciaires ou d’emprisonnements arbitraires depuis le déclenchement de la contestation populaire du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA, plus particulièrement après l’échec de la tentative de putsch du 13 mai 2015 pourtant dirigée par un Général ex-PMPA. Des militaires ex-PMPA perçus comme des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ont également, dans une moindre mesure, fait objet de disparitions forcées.
- Le Camp Muzinda, particulièrement le Bataillon Génie de Combat dirigé alors par feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE, a joué un rôle de premier plan dans la répression contre la contestation du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Le Lieutenant-colonel IKURAKURE a été chargé de coordonner la répression dans les quartiers Nord de la Ville de Bujumbura. A cet effet, il a installé des positions militaires dans les quartiers, parfois dans des propriétés des privés, et même des cachots secrets (parfois dans des containers). Cet officier et sa garde particulièrement armée ont été cités dans de nombreux cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves.
B. Contexte de la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO.
- Selon plusieurs sources qui ont été en contact avec le FOCODE, des proches comme des militaires du Camp Muzinda, le Caporal Placide MPAWENAYO a disparu le 04 avril 2016 alors qu’il répondait à un rendez-vous du 1er Sergent-Major NDAYISHIMIYE, sous-officier logistique du Bataillon Génie de Combat et ancien chef de l’équipage (de la garde) du commandant du Bataillon (d’abord Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE assassiné le 22 mars 2016, puis Lieutenant-colonel Dismas SINDAYE alias « Gafuni »). En effet, selon les mêmes sources, le 1SM NDAYISHIMIYE devait au Caporal Placide MPAWENAYO une somme de 150.000 francs burundais (environ 100 dollars américains) et l’avait invité à le rejoindre à Kamenge (une zone au nord de la ville de Bujumbura) pour récupérer son argent. Le Caporal aurait d’abord hésité à se rendre dans cette zone pour y rencontrer un homme très redouté de par sa proximité avec feu Darius IKURAKURE ; mais après en avoir informé ses collègues au Camp il serait parti. Le Caporal n’est jamais revenu après ce rendez-vous. Cette disparition forcée a été en outre rapportée par la Radio Publique Africaine et le projet SOS-Torture Burundi.
- Selon une source, le Caporal Placide MPAWENAYO aurait été enlevé par un véhicule du Service National de Renseignement dès son arrivée sur le lieu du rendez-vous, puis conduit au siège du SNR où il aurait été torturé et exécuté. Des agents du SNR auraient reconnu dans un premier temps la détention du Caporal MPAWENAYO dans les enceintes du SNR avant de se raviser plus tard.
- Des sources dans le commandement militaire ont confirmé au FOCODE que le 1SM NDAYISHIMIYE aurait changé son numéro de téléphone dans les jours qui ont suivi la disparition forcée du Caporal MPAWENAYO et qu’aucune enquête n’a porté sur ce numéro. Le 07 avril 2016, le 1SM NDAYISHIMIYE aurait été convoqué par une autorité du camp, il se serait présenté avec une arme lourde comme pour faire peur et il est rentré libre après cet interrogatoire. Trois semaines plus tard, son nom a été cité par les survivants de l’attentat contre le Général de Brigade ex-FAB Athanase KARARUZA le 25 avril 2016. Dans les jours qui ont suivi, le 1SM NDAYISHIMIYE a été envoyé en mission de paix en Somalie au sein du Contingent burundais de l’AMISOM.
C. 1SM NDAYISHIMIYE, un sous-officier aux pouvoirs « peu ordinaires ».
- Suspect principal dans la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO, le 1SM NDAYISHIMIYE avait été responsable de l’équipage (chef de la garde) de feu Lieutenant-colonel Darius IKURAKURE, un officier particulièrement impliqué dans la répression de la contestation du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA et cité dans de nombreux crimes, dont des cas de disparition forcée, de torture, d’exécutions extra-judiciaires, dans de nombreux enlèvements et l’injection des produits inconnus dans les corps des opposants arrêtés. Selon plusieurs sources militaires, le 1SM NDAYISHIMIYE était présent dans la plupart des situations de commission de ces crimes. Cela faisait de lui un homme extrêmement redouté par ses collègues.
- Convoqué à s’expliquer sur la disparition du Caporal Placide MPAWENAYO devant une autorité du Camp Muzinda le 07 avril 2016, le 1SM NDAYISHIMIYE s’est présenté avec une arme lourde à la surprise de ses frères d’armes. En principe les sous-officiers ne portent pas ce genre d’armement, surtout quand ils sont seuls, selon des sources militaires. L’interrogatoire du sous-officier n’est pas allé au-delà de cette explication devant l’autorité administrative de son camp. Aucune enquête policière ou judiciaire n’a été menée par la suite sur la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO. Une autorité militaire a confié au FOCODE : « c’est incompréhensible que rien n’ait été fait dans l’immédiat. Toutes les preuves de l’implication du 1SM NDAYISHIMIYE étaient encore disponibles et il aurait été possible de retrouver le Caporal. C’est dommage que l’armée cautionne un tel niveau d’impunité ».
- La puissance du 1SM NDAYISHIMIYE a été particulièrement confirmée à sa comparution le 07 avril 2016 devant l’autorité du Camp Muzinda. Il était suspecté d’avoir dirigé la disparition forcée d’un agent de la sécurité du Commandant de la Brigade Génie de Muzinda le Lieutenant-Colonel Epimaque NDAYIZEYE, théoriquement la plus haute autorité du Camp, mais ce dernier (ex-FAB) s’est retrouvé impuissant devant un sous-officier (ex-PMPA). Des officiers auraient proposé l’arrestation du 1SM NDAYISHIMIYE mais le Commandant de la Brigade aurait répondu que la décision de sa liberté venait des hautes autorités de l’armée.
- Deux survivants de l’attentat contre le Général de Brigade Athanase KARARUZA le 25 avril 2016, soit trois semaines après la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENANYO, ont confié au FOCODE qu’ils avaient reconnu le 1SM NDAYISHIMIYE dans le commando qui avait tiré sur le véhicule du Général. Les survivants ont par ailleurs mentionné que la camionnette pick-up du Commandant du bataillon Génie de Combat du Camp Muzinda était également présente sur le lieu de l’attaque. Le rapport de l’enquête du FOCODE sur cet assassinat sortira prochainement. Mais dans ce dossier aussi, le 1SM NDAYISHIMIYE n’a jamais été convoqué pour s’expliquer dans le cadre d’une enquête policière ou judiciaire.
- Dans les semaines qui ont suivi ces événements, le 1SM NDAYISHIMIYE a été déployé dans la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM). Des sources militaires en Somalie indiquent que le 1SM NDAYISHIMIYE continue à bénéficier d’un traitement particulier, notamment obtenant des congés anormalement longs. Dans son édition HUMURA du 09 juin 2017[1], la Radio Publique Africaine a fait savoir que ce sous-officier venait de retourner en Somalie après un congé au Burundi qui avait duré du 28 mars au 06 juin 2017 alors que les congés des militaires ne dépassent pas 15 jours. La RPA a également révélé que les congés du 1SM NDAYISHIMIYE et deux autres sous-officiers sont sollicités à partir de l’Etat-major général de l’armée à Bujumbura. Les collègues du 1SM NDAYISHIMIYE craignent qu’il participe à des missions secrètes et criminelles au cours de ses congés.
D. Le calvaire de la famille du Caporal Placide MPAWENANYO après sa disparition forcée.
- La famille du Caporal Placide MPAWENANYO n’a jamais été informée officiellement de la disparition forcée du chef de famille. Démunie, éloignée de la Capitale Bujumbura et logeant dans un centre de déplacés internes à Makebuko, la famille a appris cette disparition par la voie des amis. Elle n’a rien pu faire pour retrouver le Caporal Placide MPAWENANYO. Aucune rançon ne lui aurait été demandée contrairement à la plupart des autres cas de disparition forcée.
- Comme déjà souligné dans d’autres cas de militaires victimes de disparition forcée, la solde du Caporal Placide MPAWENAYO aurait été coupée immédiatement après sa disparition. Sa famille n’aurait reçu aucun soutien de l’armée depuis cette disparition forcée. Ce comportement des autorités militaires pose encore une question lancinante sans réponse : les autorités militaires sont-elles informées à l’avance des projets de disparition forcée ?
- La famille du Caporal Placide MPAWENAYO vit dans la peur depuis cette disparition forcée ; une peur renforcée par le silence de l’armée et l’inaction de la justice après cette disparition forcée.
E. Prise de position et recommandations du FOCODE
- Le FOCODE condamne la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO et tous les crimes graves commis contre d’autres militaires considérés comme des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ;
- Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités militaires après la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO, tout comme dans d’autres cas de disparitions forcées des militaires considérés comme des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ;
- Le FOCODE demande la traduction en justice du 1SM NDAYISHIMIYE et sa suspension avec effet immédiat de la Force de Défense Nationale du Burundi suite à la disparition forcée du Caporal Placide MPAWENAYO et aux nombreux autres crimes dont il serait responsable ;
- Le FOCODE condamne pour la nième fois la persistance des lieux de détention secrète coordonnés par le Service du renseignement intérieur au sein du Service National de Renseignement (SNR) ;
- Le FOCODE réitère son appel aux autorités de l’armée burundaise à envisager des mesures spécifiques de soutien aux familles des militaires victimes de disparition forcée qui, après la disparition des leurs, se retrouvent dans une situation non prévue par la loi, ne pouvant prouver ni la vie ni la mort du chef de famille notamment ;
- Le FOCODE demande que des mesures spécifiques de Vetting soient instaurées pour tous les militaires participant dans des missions de maintien de la paix de l’Union Africaine, afin que ces ne servent pas à récompenser ou extirper de toute poursuite judiciaire des militaires coupables de violations graves des droits humains ;
- Le FOCODE réitère son soutien à la Commission d’Enquête sur le Burundi mise en place par le Conseil des Droits de l’Homme et lui demande d’accorder une attention aux crimes contre les militaires considérés comme opposants dans son rapport final attendu en septembre prochain ;
- Le FOCODE réitère enfin sa demande à la Cour Pénale Internationale de l’ouverture sans délais de l’enquête sur tous les crimes sous sa compétence en cours au Burundi et de l’engagement des poursuites contre leurs auteurs.
Pour le FOCODE ;
Sé Pacifique NININAHAZWE
Président
[1] http://rpa.bi/index.php/nos-journaux-parles/francais/item/3789-humura-du-09-06-2017