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Disparition forcée de l’enseignant Serge Ntakirutimana

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DECLARATION DU FOCODE n° 001/2018 du 29 janvier 2018

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Serge NTAKIRUTIMANA, enseignant enlevé aux alentours de l’Aéroport International de Bujumbura et introuvable depuis la journée du samedi 31 octobre 2015».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Serge NTAKIRUTIMANA, enseignant au Lycée Communal de Rukaramu en commune Mutimbuzi de la province Bujumbura, lauréat du Département de Géographie à l’Université du Burundi, introuvable depuis son arrestation survenue le 31 octobre 2015 dans les environs de l’Aéroport International de Bujumbura, par un responsable du Service National de Renseignement (SNR).

Ce 60ème dossier de la Campagne NDONDEZA souligne encore une fois le caractère aveugle et inhumain de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015. La journée du 31 octobre 2015 a été horriblement marquée par les tirs de la police sur un convoi funéraire, à Buringa, non loin de l’Aéroport International de Bujumbura et la traque des survivants qui aura fait un nombre inconnu de personnes tuées, enlevées et blessées. De retour de son travail d’enseignant au Lycée communal de Rukaramu, Serge NTAKIRUTIMANA a eu le malheur de passer à côté d’un jeune qui se faisait massacrer par un groupe de policiers. Son tort est d’avoir reconnu le jeune supplicié et d’avoir tenté d’appeler au secours. Selon des témoins de cette scène macabre, il aurait alors été saisi par un responsable du SNR dans la commune Buterere et conduit à une destination jusqu’ici inconnue. Comme dans la plupart d’autres cas de disparitions forcées documentées par la campagne NDONDEZA, la famille de Serge NTAKIRUTIMANA a été rançonnée par des agents du SNR sur fond de fausses promesses de libération de la victime.

Les souffrances de cette famille ont été en outre accentuées par le fait qu’elle n’a pas eu droit aux rentes de survivants normalement octroyées par l’Office Nationale de Pensions et Risques professionnels (ONPR) en faveur des fonctionnaires burundais. En effet, Serge NTAKIRUTIMANA aurait été taxé de déserteur de son poste selon le rapport dressé par le Directeur du Lycée communal Rukaramu qui était en même temps chef hiérarchique de la victime.

A. Identité de la victime

  1. Fils d’Athanase SINGIRANKABO et Madeleine NZABAMPEMA, Serge NTAKIRUTIMANA est né en 1970 dans la commune Matana de la province Bururi, au sud du Burundi. Lauréat de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université du Burundi, département de Géographie, Serge NTAKIRUTIMANA prestait au Lycée communal de Rukaramu[1] où il enseignait la géographie. Marié et père de deux enfants (5 ans et 3ans), la victime résidait à la 8eme avenue de la zone urbaine de Cibitoke en commune Ntahangwa, au nord de la ville de Bujumbura ;
  1. Des sources proches de sa famille indiquent que Serge NTAKIRUTIMANA ne militait dans aucun parti politique et n’avait même pas pris part aux manifestations populaires contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. Ses proches ont plutôt décrit un homme très calme et très paisible qui avait choisi de se tenir loin des « querelles politiciennes » ;

B. Contexte de la disparition forcée de Serge NTAKIRUTIMANA

  1. Dans la matinée du samedi 31 octobre 2015, Serge NTAKIRUTIMANA s’était rendu au Lycée communal Rukaramu, son lieu habituel de travail, pour y dispenser des cours de renforcement dans les classes terminales;
  1. En cette même journée du 31 octobre 2015, la police burundaise s’en était prise à un convoi funéraire en provenance du cimetière de Mpanda. Plusieurs jeunes manifestants des zones Cibitoke, Mutakura et Ngagara s’étaient rendus au cimetière de Mpanda pour enterrer un des leurs connu sous le nom de Djibril[2] tué par balles le 27 octobre 2015 lors d’une patrouille policière. Sur son chemin de retour, le convoi funéraire a été attaqué par la police à l’aide de balles réelles. Plusieurs jeunes manifestants ont été tués et/ou blessés lors de cette attaque qui s’est déroulée à Buringa sur la Route Nationale numéro 5 (RN5, route Bujumbura – Cibitoke), non loin de l’Aéroport International de Bujumbura. Plus de deux ans après, le bilan de cette attaque reste inconnu d’enquête indépendante. La campagne NDONDEZA avait déjà documenté un autre cas de disparition forcée lié à l’attaque du convoi funéraire du 31 octobre 2015[3];
  1. A la fin des cours, Serge NTAKIRUTIMANA devrait regagner son domicile en empruntant la même RN5. Lorsqu’il arriva aux environs de l’Aéroport International de Bujumbura, il aurait reconnu un voisin du quartier Cibitoke parmi les personnes qui étaient en train d’être tabassées par la police. Son voisin avait été dans le convoi funéraire de feu Djibril et venait d’être arrêté par la police lors de l’attaque dudit convoi.
  1. Voyant la situation dans laquelle se trouvait son voisin, Serge NTAKIRUTIMANA aurait alors tenté d’alerter la famille du voisin sur le calvaire que ce dernier était en train d’endurer. C’est à ce moment que Serge fut arrêté devant bon nombre de ses élèves. Selon les témoignages recueillies par le FOCODE, Serge NTAKIRUTIMANA aurait été arrêté par le Responsable d’alors du Service National de Renseignement en zone urbaine de Buterere connu sous le prénom de Thomas qui était à bord d’une voiture Toyota TI immatriculée 1903A ;
  1. Alors que l’arrestation de Serge NTAKIRUTIMANA est intervenue aux environs de 13 heures, les sources du FOCODE font savoir que la victime aurait été exécutée et enterrée deux heures après son arrestation au village de Maramvya. Les sources à Maramvya ont décrit une scène macabre de l’enterrement du corps de la victime : les ravisseurs de Serge NTAKIRUTIMANA auraient d’abord creusé un petit trou pour y enterrer le corps du professeur exécuté. Le petit trou ainsi creusé à la va-vite n’ayant pas pu contenir le corps sans vie, ses ravisseurs l’auraient découpé en plusieurs morceaux à l’aide des machettes avant de l’y enfouir ;

C. Démarches entreprises pour retrouver la victime et le calvaire enduré par sa famille

  1. A peine informée de l’arrestation de Serge NTAKIRUTIMANA, sa famille s’est rapidement mise à sa recherche. Les recherches notamment dans les différentes prisons de Bujumbura, y compris au Service National de Renseignement, ont duré toute une semaine mais elles n’ont rien donné ;
  1. A travers ces recherches, la famille aurait été rançonnée par plusieurs officiers de la police judiciaire et des agents du SNR sur fond de fausses promesses de libération de Serge NTAKIRUTIMANA. Au total, une somme d’un million quatre cent mille francs burundais (1.400.000Fbu) de rançons aurait été donnée aux différents agents du SNR qui promettaient, les uns après les autres, de faire libérer la victime ; jusque très récemment, la famille de la victime a reçu des appels des personnes qui se font passer pour des agents du SNR et réclamant une rançon de quatre millions (4.000.000Fbu) en échange de la libération de Serge NTAKIRUTIMANA ;
  1. Le dernier agent en date avait même promis que Serge NTAKIRUTIMANA devrait comparaitre au parquet à une date indiquée et avait conseillé à la famille de s’y rendre munie de tout ce que la victime pouvait avoir besoin, notamment des vêtements. Au jour et au lieu indiqués, la famille s’y serait rendue mais elle sera fortement bouleversée de ne pas y trouver Serge ;
  1. L’épouse et les enfants de Serge NTAKIRUTIMANA n’ont pas eu droit aux rentes de survivants normalement octroyées par l’Office National des Pensions et Risques Professionnels des fonctionnaires et agents de l’ordre judiciaire (ONPR) aux ayant droits du bénéficiaire. Et pour cause, Serge NTAKIRUTIMANA a été déclaré déserteur sur base du rapport établi par le Directeur du Lycée Rukaramu, son supérieur hiérarchique ;
  1. Les proches de Serge NTAKIRUTIMANA restent jusqu’ici hantés par une peur panique vis à vis des agents du SNR à qui elle aurait donné des rançons. Ses deux enfants respectivement âgés de 5 et 3 ans continueraient, quant à eux, à réclamer où est leur père ;
  1. Comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées, les organes de l’Etat sont restés muets et inactifs après la disparition de Serge NTAKIRUTIMANA. Le ministère de l’Education Nationale n’a rien fait pour retrouver l’enseignant disparu. La direction de l’école qu’il servait a conclu à une désertion du service pour empêcher le payement de la rente de survie.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

D. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée de Serge NTAKIRUTIMANA, le silence des autorités burundaises sur ce crime grave et l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée de membres de l’opposition politique ou perçus comme tels par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
  1. Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes de violations graves des droits fondamentaux perpétrés par des agents du SNR, la persistance du phénomène des disparitions forcées ainsi que la totale impunité garantie aux éléments des services de sécurité impliqués dans des actes de disparition forcée;
  1. Le FOCODE condamne la tendance de plus en plus généralisée de rançonnage et d’intimidation des familles des victimes de disparitions forcées jusqu’au point de les empêcher parfois systématiquement de réclamer que justice leur soit rendue ;
  1. Le FOCODE demande la traduction en justice des responsables de la police ayant commandé l’attaque d’un convoi funéraire le 31 octobre 2015, du responsable du SNR dans la commune Buterere à l’époque des faits et de toute autre personne qui serait impliquée dans la disparition forcée de Serge NTAKIRUTIMANA;
  2. Le FOCODE salue la récente décision de la Cour Pénale Internationale d’ouvrir une enquête sur les crimes graves en cours au Burundi depuis avril 2015 et attire son attention sur les crimes de disparitions forcées commis au Burundi.

[1] Le Lycée  Rukaramu se trouve en commune Mutimbuzi de la province de Bujumbura (dit rural).

[2] Djibril était un jeune manifestant de Ngagara connu pour ses chansons et slogans anti-troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

[3] La disparition forcée de Monsieur Ernest Nimbona, http://ndondeza.org/la-disparition-forcee-de-monsieur-ernest-nimbona/