DECLARATION DU FOCODE n° 19/2017 du 17 juillet 2017
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur l’enlèvement et la disparition forcée de Monsieur Pacifique BIRIKUMANA, chauffeur à l’Economat Général du Diocèse Catholique de Ngozi, introuvable depuis le 08 avril 2017 ».
Burundi : Les disparitions forcées se poursuivent en 2017 !
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur l’enlèvement suivi de disparition forcée de Monsieur Pacifique BIRIKUMANA, un jeune garçon d’une trentaine d’années travaillant comme chauffeur à l’Economat Général du Diocèse Catholique de Ngozi (Nord du Burundi), introuvable depuis samedi 08 avril 2017.
Ce dossier de la campagne NDONDEZA rappelle que le phénomène des disparitions forcées reste d’actualité au Burundi, aucun mois ne passant sans que des cas d’enlèvements suivis de disparitions forcées ne soient signalés. Bien plus, ce cas témoigne encore une fois de la violence et du caractère aveugle de la répression du régime à l’endroit de toute personne suspectée à tort ou à raison d’être un opposant au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Ayant un trouble mental selon ses proches, Monsieur Pacifique BIRIKUMANA n’avait jamais participé aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA mais il lui arrivait, dès qu’il avait pris un verre d’alcool, de raconter en ramenant sur lui tout ce qu’il avait entendu des manifestations. Quoi que son trouble fût bien connu de son entourage professionnel, cela aurait suffi pour le qualifier d’opposant au troisième mandat et d’ennemi à abattre. Ce dossier révèle enfin le nom d’un autre acteur dans les disparitions forcées, spécialement dans les provinces du Nord du pays : Monsieur Venant MIBURO, chef du Service National de Renseignement (SNR) dans la province de NGOZI. Naturellement, comme dans la quasi-totalité d’autres cas de disparitions forcées, les organes de l’Etat n’ont rien fait pour retrouver la victime.
A. Identité de la victime
- Pacifique BIRIKUMANA est né en 1985 dans la commune Vyanda de la province Bururi, au sud du Burundi. Célibataire, Pacifique BIRIKUMANA n’a pas laissé d’enfant au moment de sa disparition forcée.
- Connu aussi sous le nom de BUKURU[1] (parce qu’il était jumeau), Pacifique BIRIKUMANA travaillait comme chauffeur à l’Economat Général du Diocèse Catholique de Ngozi et habitait le quartier Kinyami I dans la ville de Ngozi. Les informations qui sont parvenues au FOCODE précisent qu’il avait une santé mentale fragile et aurait même été hospitalisé quelques années plus tôt au Centre Neuropsychiatrique de Kamenge[2]. Notre source affirme que son employeur était au courant de ce problème de santé.
- Pacifique BIRIKUMANA ne militait au sein d’aucun parti politique et n’a jamais participé aux manifestions pacifiques de 2015 contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. En dépit de son état de santé, il s’acquittait parfaitement de ses obligations professionnelles. Toutefois, il a été signalé que, dès qu’il avait pris un verre d’alcool, il se montrait très critique des violences et de la mauvaise gouvernance caractérisant le pouvoir du parti CNDD-FDD et il lui arrivait de raconter les manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA comme s’il l’y avait participé. A ce propos il avait déjà reçu des conseils de ses employeurs qui en avaient même averti des proches de Pacifique BIRIKUMANA.
C. Contexte de l’enlèvement et de la disparition forcée de Pacifique BIRIKUMANA.
- Le samedi 08 avril 2017, Pacifique BIRIKUMANA s’est présenté à son travail comme à l’accoutumée. Ce jour-là, comme chauffeur de l’Economat Général du Diocèse Catholique de Ngozi, il avait une mission aller-retour en province de Gitega (au centre du Burundi). En effet, des militaires burundais du Camp Ngozi avaient loué un bus de type «Coaster» de l’Economat Général pour se rendre à Gitega. Pacifique BIRIKUMANA et un aide-chauffeur ont été assignés à cette mission par leur responsable.
- De retour à Ngozi dans la soirée du même jour, Pacifique BIRIKUMANA a déposé son aide-chauffeur (convoyeur) à la route menant vers la Zone Mivo (« Ku rya Mivo ») avant de ramener le bus au parking de l’Economat Général. Puis, il a pris la direction de chez lui au quartier Kinyami I de la ville de Ngozi. Il aurait passé un petit moment à un kiosque non loin de chez lui et aurait raconté à des connaissances son voyage sur Gitega.
- Pacifique BIRIKUMANA ne serait pas rentré directement chez-lui car il aurait fait escale dans un bistrot se trouvant tout près de sa résidence sur la route menant à la prison centrale de Ngozi. Anciennement appelé « Chez Maman Dorine », ledit bistrot se trouve également en face du couvant des Frères de la Charité et il est connu aujourd’hui sous l’appellation «KU KABASORE». Autour de 21 heures, Pacifique BIRIKUMANA a pris congé de « ses amis » au bistrot en arguant qu’il venait de recevoir par téléphone une nouvelle mission de déplacement des fidèles le lendemain matin. Selon des informations crédibles à la disposition du FOCODE, c’est au sortir de ce bistrot que Pacifique BIRIKUMANA a été enlevé.
- Des témoins ont rapporté au FOCODE que Pacifique BIRIKUMANA a été enlevé vers 21 heures 37’ (GMT+2) par quatre (4) miliciens Imbonerakure dont trois (3) ont pu être identifiés. Selon ces sources, il s’agirait du milicien BUTOYI résidant à Gatare (il a été présenté comme le chef de ce groupe de bourreaux), du milicien Régis NDIZEYE alias MAJEWUSI, agent de la Mutuelle de la Fonction Publique à Ngozi et d’un troisième milicien nommé MANWANGARI. Dès son enlèvement, Pacifique BIRIKUMANA aurait été embarqué immédiatement dans la voiture TOYOTA de type TI appartenant au responsable provincial du SNR[3] à Ngozi, Monsieur Venant MIBURO. Les mêmes sources indiquent que Monsieur Venant MIBURO n’était pas présent au moment de l’enlèvement. Le téléphone de la victime a été rapidement éteint après cet enlèvement.
- Après son enlèvement, la victime aurait été conduite directement par ses ravisseurs à la permanence provinciale du parti CNDD-FDD[4] située au quartier Muremera de la ville de Ngozi. Au cours d’un interrogatoire très violent, Pacifique BIRIKUMANA aurait été ligoté par le milicien BUTOYI et quatre policiers de l’API[5] qui n’ont pas été identifiés parce qu’ils se camouflaient les visages avec des casques de motards. A l’aide d’une corde, des objets lourds auraient été suspendus aux testicules de la victime. Il lui aurait été reproché d’avoir transporté à Gitega des militaires « exclusivement » Tutsi. Selon des informations non encore vérifiées, le même jour de l’enlèvement de Pacifique BIRIKUMANA, trois (3) militaires d’un des camps militaires de la ville de Gitega et deux (2) autres militaires du camp Kayanza auraient déserté et un d’entre eux aurait été arrêté en commune Murwi de la province de Cibitoke (au Nord-Ouest du pays). L’interrogatoire et la torture de Pacifique BIRIKUMANA auraient été effectués dans la recherche d’un lien entre le déplacement des militaires de Ngozi vers Gitega et la désertion des cinq militaires de Gitega et Kayanza. Les investigations du FOCODE n’ont pas pu établir un quelconque lien entre les deux événements.
- Après le passage dans les locaux de la permanence provinciale du parti CNDD-FDD où il aurait subi un interrogatoire très musclé sous une torture cruellement atroce, Pacifique BIRIKUMANA aurait été déplacé à 23 heures 46 vers un bar sis à Vyerwa appartenant au Colonel Dominique NYAMUGARUKA, patron de la sécurité présidentielle[6]. Là aussi la victime aurait subi des séances de passage à tabac. Plus tard dans la nuit, aux environs de 3 heures 30 du 09 avril 2017, la victime aurait été emmenée à Butara en commune Bukinanyana de la province Cibitoke (au Nord-Ouest du pays) où elle devait être confrontée au militaire déserteur arrêté. Le FOCODE n’a reçu aucune autre information sur le sort de Pacifique BIRIKUMANA après ce transfert en Province de Cibitoke.
C. Tentatives de recherche déployées par les amis et les proches de la victime.
- L’alerte sur la disparition de Pacifique BIRIKUMANA a été lancée par son employeur qui l’a attendu en vain tout l’avant-midi du dimanche 09 avril 2017 alors que d’habitude le chauffeur était réputé pour sa ponctualité. Dès le lendemain, les amis et les proches de la victime ainsi que des activistes de droits humains n’ont pas croisé les bras. Dans leurs efforts de recherche, ils ont tenté d’appeler le numéro de téléphone[7] de la victime. Eteint depuis la minute de l’enlèvement, ledit téléphone a enfin sonné trois jours plus tard. Au bout du fil se trouvait une voix masculine d’une personne inconnue qui se présentera par après sous le prénom de «Elie». Le contenu de la conversation en Kirundi (langue nationale) est traduit en français dans les lignes qui suivent, tel que rapporté au FOCODE. L’interlocuteur du prénommé « Elie » est désigné par la lettre grecque alpha Ω:
Elie: Allo!
Ω: Allo! Est-ce que ce téléphone est le tien?
Elie: Non, ce téléphone n’est pas le mien, je viens de le trouver dans les vêtements appartenant à mon patron. Il me les a laissés pour que je les lave.
Ω: Est-ce que ton patron serait par hasard Pacifique le chauffeur à l’Economat Général?
Elie: Non, mon patron n’est pas chauffeur à l’économat, son bureau se trouve “Kurya Gitega” tout près du Rond-Point[8].
Ω: Comment s’appelle votre patron?
Elie: ça fait juste quelques jours que je suis son travailleur domestique, je ne connais pas encore son nom.
Ω: Et toi comment t’appelles-tu?
Elie: Je m’appelle Elie
Ω: Est-ce que tu possèdes ton propre téléphone?
Elie: Non je ne l’ai pas encore acheté.
Ω: Où êtes-vous en ce moment?
Elie: Ici au quartier Kinyami, tout près de la REGIDESO au numéro 75.
Par après “Elie” a répondu à au moins trois autres appels sur ce téléphone de Pacifique BIRIKUMANA, puis le téléphone a été éteint jusqu’à ce jour.
- La conversation téléphonique avec “Elie” a fourni une piste très sérieuse qui pourrait conduire à l’arrestation des vrais auteurs de l’enlèvement de Pacifique BIRIKUMANA si la justice voulait enquêter sur ce crime. En effet, la parcelle No 75 se trouvant au quartier Kinyami près des locaux de la REGIDESO[9] appartient à un certain Alexis et dans l’une des maisons annexes habite Monsieur Venant MIBURO, responsable du SNR en province Ngozi. Ceci nous mène à conclure que le milicien Imbonerakure BUTOYI, cité comme ayant été à la tête du groupe des ravisseurs de Pacifique BIRIKUMANA, aurait remis le téléphone de ce dernier au patron du SNR à Ngozi, Monsieur venant De surcroit, la voiture de Venant MIBURO a été citée comme ayant été utilisée pour le transport de la victime après son enlèvement.
- Le bureau provincial du SNR à NGOZI est de plus en plus cité dans des cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves. A titre illustratif, des cas de disparition d’étudiants rwandais ont été signalés en août 2016, le bureau aurait joué un rôle dans la disparition forcée de l’homme d’affaires Evariste NYANDWI enlevé à Rutana le 30 décembre 2016 de même que l’enlèvement suivi de l’exécution de Lambert BITANGIMANA, agent du renseignement privé de Pierre NKURUNZIZA utilisé dans l’enlèvement de l’Honorable Oscar NTASANO en avril 2017. A ce jour, le patron du SNR en province de NGOZI n’a fait objet d’aucune enquête judiciaire.
D. Silence des institutions après la disparition forcée de Pacifique BIRIKUMANA
- Les autorités policières et judiciaires en Province de Ngozi n’ont mené aucune enquête sur la disparition forcée du chauffeur Pacifique BIRIKUMANA ; elles ont gardé le silence comme dans la plupart des crimes similaires.
- Les proches de la victime ont saisi la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, CNIDH sur la disparition de Pacifique BIRIKUMANA. En dépit des pouvoirs très larges reconnus légalement à cette institution, elle n’a pas organisé l’audition du patron du SNR en province de Ngozi ni d’autres personnes citées dans cette disparition forcée. La CNIDH est restée silencieuse dans les jours qui ont suivi sa saisine.
- Le Diocèse Catholique de Ngozi est resté étrangement silencieux après la disparition forcée de son employé Pacifique BIRIKUMANA. Certains prêtres auraient même reçu des aveux de l’un des ravisseurs du chauffeur de l’Economat Général, mais l’Eglise a gardé le silence. Une attitude qui s’expliquerait probablement par les relations très mauvaises entre l’Eglise Catholique et le régime NKURUNZIZA depuis le déclenchement de la contestation du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Certains prêtres ont dû fuir le pays, en raison de menaces de mort très précises, mais l’institution ecclésiale a gardé le silence sur ce genre de menaces.
- La disparition forcée de Monsieur Pacifique BIRIKUMANA traduit un niveau révoltant de banalisation des crimes extrêmement graves, comme celui des disparitions forcées, par les dirigeants actuels du Burundi.
E. Prise de position du FOCODE et recommandations.
- Le FOCODE condamne l’enlèvement suivi de la disparition forcée du chauffeur du Diocèse Catholique de Ngozi, Monsieur Pacifique BIRIKUMANA, le soir du 08 avril 2017 au chef-lieu de la Province Ngozi ;
- Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises ainsi que de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, CNIDH, après la disparition forcée de Monsieur Pacifique BIRIKUMANA ;
- Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Monsieur Pacifique BIRIKUMANA ainsi que la traduction en justice de Monsieur Venant MIBURO, responsable provincial du Service National de Renseignement à Ngozi cité dans ce crime et de toutes les autres personnes citées ;
- Le FOCODE condamne la persistance des cachots secrets et des lieux de torture dans les permanences du parti CNDD-FDD et dans des maisons appartenant aux dignitaires du régime NKURUNZIZA et demande une enquête indépendante sur ces zones de non-droit ;
- Le FOCODE condamne les pratiques criminelles, en toute impunité, des miliciens IMBONERAKURE et demande la dissolution de cette milice ;
- LE FOCODE réitère son soutien au travail de la Commission d’Enquête sur le Burundi mise en place par le Conseil des Droits de l’Homme et espère une attention particulière à la question des cachots secrets dans son rapport final de septembre prochain ;
- Le FOCODE réitère enfin sa demande à la Cour Pénale Internationale de l’ouverture sans délais de l’enquête sur tous les crimes sous sa compétence en cours au Burundi et de l’engagement des poursuites contre leurs auteurs.
Pour le FOCODE
Sé Pacifique NININAHAZWE
Président
[1] Dans la tradition burundaise les enfants jumeaux portent les noms de BUKURU (pour le premier à naître) et de BUTOYI (pour celui qui naît en seconde position).
[2] C’est un hôpital spécialisé dans la prise en charge des personnes ayant des problèmes de santé mentale.
[3] Service National de Renseignement. C’est une police présidentielle qui dispose des agents partout dans le pays et parmi lesquels beaucoup de jeunes Imbonerakure.
[4] CNDD-FDD: Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie. C’est le parti au pouvoir au Burundi depuis les élections générales de 2005.
[5] API: Appui à la Protection des Institutions. C’est une unité spécialisée de la police nationale affectée à la sécurité des autorités du pays.
[6] Le Colonel Dominique NYAMUGARUKA est le Commandant de la Brigade Spéciale de Protection des Institutions (BSPI) qui assure notamment la sécurité des palais et des cortèges présidentiels. Son bar est régulièrement cité comme abritant des cachots secrets où transitent parfois des personnes enlevées avant leur exécution.
[7] Les numéros de Pacifique Birikumana sont : +257 79 71733870 / 75 689211
[8] En effet le bureau provincial du SNR à Ngozi se trouve près du Rond-point d’où part la route menant vers Gitega.
[9] REGIDESO c’est la société publique de distribution d’eau et d’électricité au Burundi.