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La disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA

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DECLARATION DU FOCODE n°016/2016  DU 04 Août 2016  

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA introuvable depuis son arrestation le 21 janvier 2016 à Cibitoke.»

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Alexis MANIRAKIZA alias « Kabila », un agent de la police nationale du Burundi de 40 ans, introuvable depuis son arrestation (ou enlèvement) par des éléments de la police et de l’armée,  dans la soirée du 21 janvier 2016 à Cibitoke, un quartier au nord de la ville de Bujumbura.

Ce quinzième dossier de la Campagne NDONDEZA s’inscrit dans une série de cas de disparitions forcées  de membres des corps de défense et de sécurité, en particulier des éléments de l’ancienne armée nationale appelée « ex-FAB. Pour la première fois, la campagne évoque la disparition forcée d’un policier en fonction. Alors que dans la quasi-totalité des cas précédents les victimes avaient été arrêtées par des éléments de la police et/ou du Service National de Renseignement (SNR), cette fois-ci il s’agit d’un policier introuvable après son arrestation par des éléments de l’armée en collaboration avec des policiers et des Imbonerakure[1]. Contrairement aux autres cas où les responsables des services dont dépendaient les disparus n’avaient rien fait pour les retrouver, dans le présent cas le commissaire général de la Police Judiciaire dans les recherches. Une convocation aurait même été émise contre un des suspects auteurs de la disparition, mais ce dernier aurait été envoyé rapidement en mission en Somalie pour le soustraire de poursuites éventuelles. A la fin, le résultat est le même : un policier a disparu après son arrestation par des servies de l’Etat et les auteurs bénéficient d’une totale impunité tandis que le gouvernement ne s’en émeut outre mesure.

  1. Identité de la victime 
  1. Fils d’Isidore d’André NTIRAMPEBA et  de Patricie NDAYISABA, Alexis MANIRAKIZA est né en 1976 à Cinyonza en commune de Rutovu en province Bururi, au Sud du Burundi. Marié et père de deux enfants en très bas âge (2 ans et 5 mois), Alexis NDAYISABA, plus connu sous le sobriquet de « Kabila », résidait  à Cibitoke 13ème avenue n° 51 jusqu’en janvier 2016. Brigadier de la Police Nationale du Burundi (Matricule30097), il était employé à la Police Judiciaire (PJ) au moment de sa disparition forcée le 21 janvier 2016.
  2. Ex-FAB 
  1. Contexte de la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA 
  1. La disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA alias Kabila s’inscrit dans le cadre de la répression organisée par le pouvoir de Pierre NKURUNZIZA contre les quartiers qui ont été plus actifs dans la contestation de son troisième mandat. Depuis la fin de juin 2015, un début d’insurrection armée a été observé dans certains quartiers de Bujumbura. Des personnes non identifié ont commencé à faire crépiter des armes pendant la nuit. La ville de Bujumbura a été divisée en trois zones d’opérations dont la zone des quartiers confiée aux soins du commandant du Bataillon Génie de Combat du Camp Muzinda, le Lieutenant-Colonel Darius IKURAKURE. Avec une brutalité inouïe, cet officier et ses hommes triés sur le volet se sont mis à arrêter tous les jeunes hommes soupçonnés d’avoir participé aux manifestations contre le troisième mandat de NKURUNZIZA. Les militaires, les policiers et les démobilisés ex-FAB[2] résidant dans ces quartiers dits « contestataires » n’étaient pas bien vus par Monsieur IKURAKURE qui les soupçonnait de participer à l’entrainement des jeunes des quartiers et de soutenir ce début d’insurrection. Un nombre important de ces trois catégories a été arrêté, souvent torturé, avant d’être victime de disparition forcée ou d’exécutions extrajudiciaires.  Alexis MANIRAKIZA appartient  à la famille des ex-FAB.
  2. Selon les informations recueillies, la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA a été consécutives à deux arrestations illégales et arbitraires : le 26 décembre 2015 et le 21 janvier 2016.

Ière arrestation le 26 décembre 2015.

  1. D’après les témoignages reçus, en date du 26 décembre 2015 autour de 20 heures, dix-sept (17) personnes en tenue de l’armée burundaise ont fait irruption dans l’enceinte des habitations sises au n° 51 de la 13ème avenue à Cibitoke en Mairie de Bujumbura. Les dix-sept personnes étaient constituées d’éléments du Bataillon Génie de Combat du Camp Muzinda dirigé alors par feu Lieutenant-Colonel Darius Ikurakure, des policiers et des Imbonerakure[3], tous armées et en tenue militaire.
  2. Selon les mêmes témoignages, un policier connu sous le nom de JUMA a été particulièrement reconnu dans ce groupe. Il avait en effet été très actif dans la répression des manifestations contre le troisième du Président NKURUNZIZA dans le quartier de Cibitoke. Les manifestants du quartier l’interpellaient souvent : « JUMA, pourquoi veux-tu nous maltraiter alors que tu es des nôtres dans le quartier. Polygame, JUMA aurait par ailleurs deux épouses, l’une à la 10ème avenue et l’autre à la 14ème avenue dans le même quartier. Le soir du 26 décembre 2015, JUMA portait une tenue militaire comme ses seize compagnons.
  3. Ces témoignages indiquent que les dix-sept personnes se sont divisés en groupes pour entrer dans les huit habitations (deux maisons et six chambrettes indépendantes) que comprend cette enceinte. « Tous les hommes ont été sortis de leurs maisons et rassemblés à l’entrée de la parcelle où ils ont subi de violentes interrogatoires et des bastonnades », a confié un témoin de la scène.
  4. Un groupe de deux personnes a investi la maison du policier Alexis MANIRAKIZA alias « Kabila » et l’ont trouvé au salon avec sa femme, sa fille de deux ans qu’il venait de laver et leur bébé de cinq mois. Sorti à l’extérieur comme tous les hommes de cette enceinte, le policier a été rudement fouillé, assis par terre et bastonné. Une des dix-sept personnes l’a reconnu comme un policier et lui a demandé s’il avait l’autorisation de résider dans sa famille[4] ; Alexis a fourni les explications et la preuve de cette autorisation.
  5. Au moment où les hommes étaient rassemblés et tabassés à l’extérieur, des femmes ont été agressées dans leurs maisons. Des groupes de personnes armées se sont relayées pour fouiller dans les chambres. Le FOCODE dispose de témoignages de vols d’argent et de téléphones ainsi que des agressions sexuelles commises sur les femmes restées dans les maisons. Le policier JUMA a été cité parmi les agresseurs.
  6. A la fin des fouilles, tous les hommes ont été arrêtés nuitamment et conduits à une position militaire qui serait située à la 10ème avenue de la zone Kamenge, non loin de Cibitoke. Alexis MANIRAKIZA alias Kabila a été libéré le lendemain 27 décembre 2015 par le commandant du Bataillon Génie de Combat du Camp Muzinda, le Lieutenant-Colonel Darius IKURAKURE en personne, après lecture de son autorisation de résider en famille. Ses téléphones lui ont été dûment remis, mais il n’a pas pu recouvrer son argent puisque JUMA aurait nié en avoir pris durant la fouille.

2ème arrestation le 21 janvier 2016

  1. Jeudi le 21 janvier 2016, un peu avant 14 heures, des militaires et policiers « de Darius »[5] ont été chez Alexis MANIRAKIZA pour vérifier si le policier résidait toujours dans le quartier. Après cette vérification, un des policiers est resté en arrière pour signaler à la famille MANIRAKIZA que ce n’était bon pour un policier de résider dans ce quartier. Alexis MANIRAKIZA en a été informé mais n’a pas donné de l’importance à cette remarque ni à cette visite des éléments « de Darius ».
  2. Le soir, de retour du service, le policier Alexis MANIRAKIZA a passé un moment dans une boutique sise entre la 12ème et la 13ème avenue du quartier Cibitoke, non loin de sa résidence. C’est dans cette même boutique qu’il a été arrêté par un groupe de quatre militaires et d’un policier. Selon les témoignages reçus, le groupe était composé de l’adjudant Alexis NDAYIRAGIJE chef de position à la 10ème avenue de Kamenge, du premier sergent Gilbert NDIKUBWIMANA, du caporal-chef NDAYIRAGIJE alias Kanyomvya, du caporal Cyprien BIRIKUNZIRA et du policier JUMA.
  3. Selon les témoignages reçus, le groupe a été devancé à la position militaire de la 10ème avenue à Kamenge par le policier JUMA qui devait y garer sa moto. Alexis MANIRAKIZA a été conduit à la même position militaire où il aurait été remis, la même soirée, à un groupe de policiers conduits par JUMA. C’est dans ce même quartier de Kamenge qu’aurait disparu Alexis MANIRAKIZA selon des confidences qu’aurait faites ultérieurement le policier JUMA.
  4. Selon les mêmes témoignages, deux raisons auraient motivé la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA. D’une part les policiers et les militaires résidant dans les quartiers dits « contestataires » étaient soupçonnés d’entrainer les jeunes de ces quartiers dans le maniement des armes. Il existe d’autres cas de disparitions forcées de militaires et policiers qui habitaient ces quartiers. D’autre part, Alexis MANIRAKIZA avait reconnu des policiers et des Imbonerakure en tenue militaire le 26 décembre 2015, dont le policier JUMA. Il existait des craintes qu’il pourrait les dénoncer un jour. 
  1. Calvaire de la famille et démarches entreprises pour retrouver la victime 
  1. Après la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA, sa famille l’a recherché dès le lendemain, dans tous les cachots connus de Bujumbura, y compris ceux du SNR, mais en vain. Dans cette quête, la famille a même bénéficié de l’appui du Commissaire Général de la Police Judiciaire, mais tout cela n’a rien donné.
  2. Sur plainte de la famille de la victime, l’adjudant Alexis NDAYIRAGIJE qui dirigeait l’équipe ayant arrêté le policier MANIRAKIZA aurait été convoqué par la police judiciaire pour expliquer la disparition du policier arrêté. Fort curieusement, avant sa comparution, aurait été rapidement envoyé dans une mission de paix en Somalie. Ce stratagème a été également utilisé dans d’autres situations pour cacher ou « remercier » des éléments des forces de sécurité cités dans des crimes graves. C’est par ailleurs dans ce sens que dans son mémorandum du 23 mai 2016, le Mouvement Halte au Troisième a dénoncé l’utilisation des missions l’AMISOM comme refuge et récompense des criminels[6].
  3. Le policier JUMA n’aurait pas été inquiété après la disparition forcée d’Alexis MANIRAKIZA. Après départ de l’adjudant NDAYIRAGIJE en Somalie, JUMA a à son tour obtenu l’affectation à une nouvelle position. Pour le moment il serait affecté au Centre Jeunes Kamenge. Il n’a toujours pas comparu devant la justice pour expliquer cette disparition forcée d’un autre policier.
  4. A part cette assistance infructueuse que le Commissaire Générale de la Police Judiciaire aurait apporté à la famille dans sa recherche de la victime ainsi que les convocations sans effet des deux personnes soupçonnées d’être impliquées dans la disparition, aucun organe de l’Etat ne s’est exprimé sur la disparition du policier Alexis MANIRAKIZA. Le 19 février 2016, le ministre de la Sécurité Publique Alain Guillaume BUNYONI a déclaré devant l’Assemblée Nationale qu’aucune personne n’a jamais disparu après avoir été arrêté par des organes de sécurité du Burundi. Le même jour, l’édition Humura de la Radio Publique Africaine (RPA) a déroulé une longue liste de personnes disparues après leur arrestation par des éléments de l’armée, de la police ou du SNR. Parmi les personnes citées par la RPA se trouve le policier Alexis MANIRAKIZA[7].
  5. Le FOCODE a enfin pris connaissance des menaces proférées à des membres de la famille de la victime par des personnes qui auraient pris à la disparition forcée d’Alexis MANIRAKIZA. Certains ont dû déménager et vivent dans la peur d’être attaqués à tout moment.

 Un cachot secret à la 10ème avenue de Kamenge

  1. Durant l’enquête sur la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA, le FOCODE a pris l’existence d’un cachot secret du SNR dans une maison sise à la 10ème avenue de Kamenge, presque à la limite entre Kamenge et Cibitoke. De l’extérieur, la maison se présenterait avant tout comme une boutique qui vend en même temps de la bière locale. Mais lorsque certaines portes s’ouvrent, on se retrouverait dans un local sombre où des gens se font torturer et assassiner dans l’obscurité.
  2. Des cas de disparitions forcées ont été signalés à plusieurs reprises dans Kamenge. Dans la plupart de ces disparitions, les personnes ont été vues pour la dernières fois sur la 10ème avenue de Kamenge. Le 04 avril 2016, le caporal Placide Mpawenayo du Camp Muzinda a disparu après un appel de 1er Sergent NDAYISHIMIYE du même camp qui l’invitait à récupérer une somme de 150.000 francs burundais qu’il lui devait. Sa dernière trace serait Kamenge, 10ème De même, deux frères Ferdinand HAVYARIMANA et …ont disparu à Kamenge le soir du mercredi 06 juillet 2016 alors que Ferdinand s’apprêtait à faire son mariage trois jours plus tard. Leur dernière trace serait également la 10ème avenue de Kamenge.
  3. Le FOCODE a notamment pris connaissance d’un cas d’un officier des services de sécurité qui aurait été enlevé et introduit dans cette maison alors qu’il s’abritait contre la pluie devant cette boutique. Son salut est venu d’un texto qu’il aurait pu envoyer dès son introduction forcée dans la maison. L’ordre de sa libération serait venu de certains hauts placés dans les services secrets alors que sa torture avait déjà commencé.
  4. Le FOCODE craint que la disparition forcée du policier Alexis MANIRAKIZA aurait eu lieu dans ce cachot secret à la 10ème avenue à Kamenge.
  1. Prise de position et recommandations

Le FOCODE reste vivement préoccupé par l’ampleur du phénomène des disparitions forcées au Burundi. Le cas sous analyse parait unique en son genre dans la mesure où les présumés commanditaires et auteurs de l’attaque d’un cortège funéraire constitué de civils non armés et ayant emporté plusieurs vies humaines sont des hauts gradés de la police en l’occurrence le commissaire Désiré UWAMAHORO commandant de la Brigade Anti-Emeute et Rémégie NZEYIMANA alors commissaire provincial de la police à Bubanza.

Face à cette situation, le FOCODE :

  1. Condamne les crimes innommables commis par la police nationale du Burundi, avec l’appui de la milice Imbonerakure du parti CNDD-FDD, en date du 31 octobre 2015 dans les localités de Buringa et Maramvya en provinces de Bubanza et Bujumbura. Ces crimes sont constitués notamment :
  • d’une attaque délibérée et aveugle d’un convoi funéraire,
  • des arrestations arbitraires, des cas de tortures, des disparitions forcées et des exécutions extra-judiciaires,
  • d’enlèvements de personnes blessées se faisant soigner dans un centre de santé,
  • des enterrements de victimes de l’attaque dans une fosse commune ;
  1. Condamne la règle d’une totale impunité dont continuent à bénéficier les éléments des services de sécurité burundais sous le prétexte d’une lutte contre l’insurrection et demande la traduction en justice des commissaires Désiré UWAMAHORO et Rémégie NZEYIMANA ;
  2. Réitère sa condamnation de la pratique des cachots secrets et du silence des autorités burundaises face aux demandes insistantes des familles burundaises sur le sort des leurs ;
  3. Condamne les rapports complices de la CNIDH et demande l’annulation de son statut A puisqu’elle n’est plus conforme aux principes de Paris sur les institutions nationales de droits de l’homme ;
  4. Demande la mise en place rapide d’une commission d’enquête internationale sur les violations graves de droits de l’homme au Burundi, y compris l’attaque par la police du convoi funéraire en date du 31 octobre 2015 à Buringa ;
  5. Recommande à la Mission d’Experts Indépendants sur le Burundi (UNIIB) d’accorder une attention particulière à l’attaque du convoi funéraire du 31 octobre 2015 et au Conseil des Droits de l’Homme de décider, dans sa prochaine session, la nomination d’un Expert Indépendant sur le Burundi qui continuera à suivre la situation des droits de l’homme au Burundi après la présentation du rapport des experts.

Fait à Bujumbura, le 07 Juillet 2016

             Pour le FOCODE ;

    Sé Pacifique NININAHAZWE 

                   Président

[1] Imbonerakure : le nom signifie « ceux qui voient loin » et c’est l’appellation de la jeunesse (ou de la milice) du CNDD-FDD, le parti au pouvoir

[2] FAB : Forces Armées Burundaises, ancienne appellation de l’armée du Burundi avant l’intégration des anciens rebelles  communément appelés « ex-PMPA » (partis et mouvement politiques armés).

[3] Imbonerakure (« ceux qui voient loin ») : nom Kirundi de la jeunesse (ou de la milice) du parti CNDD-FDD

[4] En principe, les brigadiers et les agents de police résident dans des camps de la police. Mais en Mairie de Bujumbura, la police privilégie le « décasernement » des policiers surtout quand ils ont des familles.

[5] Cette expression « militaires et policiers de Darius » est utilisée par les habitants de Cibitoke pour désigner l’ensemble des personnes que feu Lieutenant-Colonel Darius IKURAKURE utilisait dans la répression des opposants au troisième mandat du Président NKURUNZIZA dans les quartiers Nord de la ville de Bujumbura. Quoi qu’il était commandant d’un bataillon militaire bien précis, Darius IKURAKURE coordonnait toutes les forces de la répression (militaires, policiers, agents du SNR et  Imbonerakure) dans ces quartiers.

[6] http://htmburundi.org/wp-content/uploads/2016/05/MEMORANDUM-RAPATRIATION-TROUPES-BURUNDAISES-AMISOM.pdf

[7] https://www.youtube.com/watch?v=RdTWcRzbwdA&feature=youtu.be