DECLARATION DU FOCODE n° 003 /2018 du 22 mars 2018
« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Jérémie NDUWIMANA, responsable provincial de la Jeunesse du Parti MSD à Ngozi, enlevé et porté disparu depuis la nuit du 07 novembre 2015 ».
Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Jérémie NDUWIMANA, coiffeur de profession résidant et exerçant au centre-ville de Ngozi, également responsable provincial de la jeunesse du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), introuvable depuis son enlèvement survenu dans la soirée du 07 novembre 2015 au chef-lieu de la Province Ngozi. L’opération aurait été menée par des éléments du Service National de Renseignement (SNR) et des miliciens Imbonerakure conduits par l’officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA plus connu sous le sobriquet de « Kazungu ». La victime aurait été emmenée, avec quatre autres personnes arrêtées la même nuit, vers Karusi. Le FOCODE a pu retrouver un seul survivant. Les autorités burundaises n’ont engagé aucune action pour retrouver ces personnes.
Ce dossier de la Campagne NDONDEZA s’ajoute à une série de cas similaires antérieurement documentés par le FOCODE et mettant un accent particulier sur la répression sanglante qui, depuis avril 2015, cible en général les opposants au troisième mandat de Pierre Nkurunziza (dont des militants de l’opposition politique et de la société civile) et en particulier des membres du parti MSD.
Au cours de son enquête, le FOCODE a pu retrouver et recueillir le témoignage d’un survivant de l’enlèvement ayant conduit à la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA. Embarqué avec ses compagnons d’infortune vers une destination inconnue, après avoir été frappé d’un coup de gourdin à la tête et poignardé au dos, ledit survivant est parvenu à sauter du véhicule de ses ravisseurs ; il a fui le pays juste après son rétablissement. La présente déclaration réserve une part substantielle aux témoignages de ce survivant miraculeux et témoin oculaire de la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA. Même à l’extérieur du pays, ce survivant miraculeux n’était pas au bout de ses peines. Il n’a cessé d’être tourmenté par des miliciens Imbonerakure et d’autres agents du Service National de Renseignement burundais envoyés dans les pays de la Communauté Est Africaine à la traque des opposants exilés. Pour des raisons de sécurité et à sa demande, l’identité du survivant n’est pas dévoilée dans ce rapport.
A. Identité de la victime
- Fils de Salvator NDUWIMANA et de Madeleine KAZITSA, Jérémie NDUWIMANA est né en 1979 sur la colline Rugeyo de la Commune Musigati en Province de Bubanza, à l’ouest du Burundi. Encore célibataire au moment de sa disparition forcée, Jérémie NDUWIMANA résidait au Quartier Muremera de la zone, commune et province Ngozi, au nord du Burundi ;
- Coiffeur de profession, Jérémie NDUWIMANA était très connu dans son quartier où il exerçait sa profession, tout près de l’endroit communément appelé « Kuri Ferme ». Il avait un salon de coiffure très populaire dénommé « Chez Jérémie » ;
B. Affiliation et activités politique de Jérémie NDUWIMANA
- Jérémie NDUWIMANA était membre du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie, MSD en sigle, un parti politique de l’opposition créé et dirigé par l’ancien journaliste Alexis SINDUHIJE, un des membres dirigeants de la plateforme de l’opposition politique principalement en exil, le CNARED-Giriteka. Le parti MSD a été l’un des principaux artisans des manifestations contre la troisième candidature du Président NKURUNZIZA, une candidature faite en violation de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi et de la Constitution de la République du Burundi ;
- Représentant de la jeunesse IMURIKIRAKURI du Parti MSD en province Ngozi, Jérémie NDUWIMANA était également membre du comité provincial dudit parti. Les sources du FOCODE indiquent que Jérémie NDUWIMANA a été victime de son appartenance au parti MSD. L’animosité du régime Nkurunziza envers le parti MSD et ses militants a été amplement mise en évidence à travers d’autres déclarations du FOCODE dans le cadre de la Campagne NDONDEZA ;
- Jérémie NDUWIMANA n’a pas participé aux manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA, une attitude qui tranche singulièrement avec l’engagement qu’avait pris le parti MSD et qui pourrait se justifier par le fait que les manifestations n’ont pas suscité beaucoup d’engouement dans la province de Ngozi jusque-là réputée fief de Pierre NKURUNZIZA et de son parti le CNDD-FDD ;
C. Contexte de la disparition forcée de Monsieur Jérémie NDUWIMANA
- Au regard des éléments factuels de son contexte, la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA s’inscrivait dans un plan intentionnellement bien conçu d’élimination des membres ou des personnes suspectées d’appartenir au parti MSD à Ngozi. En cette soirée du 07 novembre 2015, au moins deux responsables du MSD à Ngozi étaient dans le viseur de l’officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU et ses acolytes. Etaient particulièrement ciblés Jérémie NDUWIMANA, responsable provincial de la jeunesse du MSD à Ngozi et un autre cadre du parti[1] ;
- Suites aux informations que les deux responsables avaient reçues le même soir de la part d’un agent du SNR à Ngozi, l’autre cadre du parti a pu se cacher et échapper à l’enlèvement. Malheureusement, son collègue et ami Jérémie NDUWIMANA n’a pas eu la même chance puis qu’il fut arrêté le même soir aux environs de 22heures. Selon un témoignage[2] obtenu par le FOCODE à Ngozi, l’enlèvement de Jérémie NDUWIMANA s’est déroulé de la manière ci-après ;
- Le 07 novembre 2015 vers 18 heures 15 min, Jérémie NDUWIMANA et un autre cadre du parti MSD à Ngozi auraient été informés par un agent du SNR à Ngozi de l’existence d’un plan visant leur élimination physique dans la même soirée. Après avoir reçu cette information, ils auraient pris le large, chacun de son côté et sans en aviser aucune autre personne;
- A la tête du gang qui voulait ôter la vie à ces militants du MSD figurait le tristement célèbre officier du SNR à Bujumbura, Joseph Mathias NIYONZIMA alias « KAZUNGU » ;
- Quelques heures plus tard, des agents du SNR et les membres de la milice Imbonerakure à Ngozi auraient fait tout leur possible pour rattraper les fugitifs. Ils auraient notamment passé par des connaissances qui pouvaient facilement induire en erreur ces personnes à abattre. Pierre BURATO, un milicien Imbonerakure de la localité aurait alors été mis à contribution pour piéger Jérémie NDUWIMANA ;
- Pierre BURATO aurait appelé Jérémie NDUWIMANA sur son portable, en le rassurant que KAZUNGU était déjà parti et qu’il pouvait donc revenir. Jérémie aurait hésité un moment mais son interlocuteur, toujours en contact avec KAZUNGU, aurait insisté tout en se montrant compatissant. « Jérémie, je suis ton client et tu sais que je ne pourrais pas te faire du mal », aurait-il martelé avant de poursuivre : « Tu peux venir prendre ton argent, ranger tes affaires, fermer ton salon et retourner là où tu es »;
- Aux environs de 22 heures, Jérémie aurait accepté de revenir comme cela lui était suggéré par son faux ami Pierre BURATO. Ce dernier aurait du coup informé les ravisseurs constitués de KAZUNGU, de certains agents du SNR à Ngozi et de certains membres de la milice Imbonerakure. C’est juste au moment où Jérémie NDUWIMANA sortait de son domicile avec certains de ses effets personnels qu’il aurait été arrêté par Joseph Mathias NIYONZIMA dit KAZUNGU et ses hommes. Il aurait été arrêté sur la routé pavée à l’endroit communément appelé « Nyabusorongo» ;
- L’autre cadre du MSD aurait été sauvé par le fait qu’il avait éteint son téléphone avant de prendre le large. Toute la soirée, il est resté injoignable selon la source du FOCODE à Ngozi ;
- Le FOCODE a reçu un deuxième témoignage d’un ami de Jérémie NDUWIMANA qui était au salon de coiffure « Chez Jérémie » le soir de son enlèvement. Ce deuxième témoin a confirmé que Jérémie a quitté le salon peu après 18 heures et qu’il était revenu après 21 heures. Il a signalé qu’il avait remarqué deux véhicules qui étaient à la recherche de Jérémie après son départ : une voiture Toyota Probox suivie d’une camionnette dont il ne connaissait pas les occupants. Il a indiqué que le milicien Imbonerakure Pierre BURATO, qui était par ailleurs leur ami en commun, était venu chercher Jérémie au salon et l’avait appelé sur ses téléphones aussi pour le rassurer que KAZUNGU était parti. Il a confirmé également que Jérémie NDUWIMANA avait quitté sa résidence autour de 22 heures pour rencontrer Pierre BURATO et qu’il n’était pas revenu de ce rendez-vous. Il a enfin signalé que Pierre BURATO avait ardemment recherché ce deuxième témoin dans les jours qui ont suivi l’enlèvement de Jérémie NDUWIMANA et qu’il avait dû fuir le Burundi pour sauver sa peau.
D. Témoignage d’un survivant de l’opération ayant conduit à la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA
- Le FOCODE a pu joindre un survivant miraculeux de cette opération du SNR ayant conduit à la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA. Le survivant se trouve en exil, loin du Burundi.
- Le survivant est un autre membre du parti MSD. Depuis 2012, il était sous la pression de plusieurs miliciens Imbonerakure qui lui demandaient d’adhérer à la milice, ce qu’il avait toujours refusé. Par la suite, il aurait été forcé d’abandonner son emploi quotidien et aurait échappé de justesse à une attaque des miliciens Imbonerakure en juin 2015. En dépit de plusieurs avertissements de la part d’amis membres de la milice, il avait continué à négliger le risque qu’il courait, jusqu’à la date fatidique du 07 novembre 2015.
- Dans la nuit du 07 au 08 novembre 2015, il a été attaqué à son domicile par les miliciens Imbonerakure à la tête desquels se serait trouvé un certain Saïdii NYANDWI, chef de la Ligue des jeunes Imbonerakure en commune Ngozi. Auraient également fait partie de cette équipe certains agents du SNR à Ngozi ainsi que le fameux Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU ;
- Selon le survivant, l’attaque de son domicile a eu lieu vers 1h30 du matin. Il aurait été réveillé par un vacarme assourdissant des personnes venues pour l’arrêter. Les bourreaux auraient violemment toqué à sa porte et l’enjoignaient d’ouvrir rapidement la porte. Dans un premier temps, il aurait refusé d’ouvrir. A l’extérieur, il aurait entendu ses bourreaux se consulter sur l’attitude à prendre. C’est alors qu’une résolution aurait été vite prise : les assaillants allaient lancer une roquette sur la maison. Craignant de périr avec sa femme et ses enfants, le père de famille se serait résolu à ouvrir la porte. « Je suis sorti de ma maison avec la conviction que c’était la dernière fois que je voyais les miens », a souligné le survivant. A peine sorti de la maison, il aurait été accueilli par un coup de gourdin à la tête et un coup de poignard au dos, il se serait évanoui aussitôt ;
Cicatrice du coup de gourdin Cicatrice du coup de poignard au dos
- Ce témoin survivant aurait été ensuite embarqué à l’arrière d’une camionnette de la police dont il n’a pas pu identifier le numéro d’immatriculation mais qui appartiendrait fort vraisemblablement à Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU. D’après les dires de la victime, le véhicule contenait quatre autres personnes arrêtées en cette même soirée et qui étaient toutes ligotées. Parmi ces personnes, le témoin a pu reconnaitre Monsieur Jérémie NDUWIMANA ;
- Le véhicule contenant les cinq personnes aurait alors pris la direction de la province Karuzi. Ayant été assommé durant son arrestation, le survivant aurait été le seul à ne pas être ligoté selon son témoignage. Les ravisseurs ne s’en seraient pas souciés outre mesure surtout qu’ils le croyaient mort suite au coup de gourdin reçu à sa tête et un coup de poignard au dos lui infligés au sortir de sa maison ;
- En cours de route, précisément aux environs de Ruhororo, le survivant aurait recouvré ses facultés et serait parvenu à sauter du véhicule en marche et à échapper de la sorte à ses ravisseurs. Vers 5 heures du matin, il aurait été retrouvé aux abords de la route par un passant, bon samaritain, qui l’aurait interrogé sur ses mésaventures ainsi que ses origines. Le passant bon samaritain aurait facilement reconnu la famille du survivant dans les environs et l’y aurait amené. C’est à partir de là que le survivant a planifié l’opération de sa fuite du pays ;
- Même en exil, le survivant aurait continué à subir la traque des miliciens Imbonerakure et d’autres agents des services secrets burundais. A Nairobi au Kenya, il aurait déjà échappé à une tentative d’enlèvement par des Imbonerakure selon son témoignage. Il reste traumatisé et vit dans la peur d’être tué à tout moment, loin des siens ;
E. Les présumés auteurs de la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA
- D’après les informations concordantes recueillies par le FOCODE dans le cadre de la présente enquête, les personnes impliquées dans la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA seraient :
- L’officier du Service National de Renseignement Joseph Mathias NIYONZIMA alias « KAZUNGU ». Il est cité par les sources du FOCODE comme le principal artisan de l’arrestation et la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA. Cet officier du SNR est également cité dans la plupart des dossiers traités par la Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi;
- MUTABAZI Nestor qui, au moment des faits, était agent du Service National de Renseignement à Ngozi;
- NYANDWI Saïdi qui était, au moment des faits, Chef de Section de la Ligue des jeunes Imbonerakure en commune NGOZI ;
- Pierre BURATO[3] également membre de la Ligue des Jeunes Imbonerakure en commune Ngozi. Pierre BURATO a largement contribué par ruse à la capture de Jérémie NDUWIMANA par l’Officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU ;
N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.
F. Prise de position du FOCODE et recommandations.
- Le FOCODE condamne la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA, le silence des autorités burundaises sur ce crime grave ainsi que l’inaction de la justice burundaise dans la quasi-totalité des cas de disparition forcée et d’exécutions extrajudiciaires des membres de l’opposition politique ou des personnes perçues comme tel par le régime de Pierre NKURUNZIZA ;
- Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes d’atteinte graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents du SNR, la persistance du phénomène des disparitions forcées et exécution extrajudiciaire ainsi que la totale impunité garantie aux éléments égarés des corps de défenses et de sécurité impliqués dans des actes de disparition forcées;
- Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA ainsi que la traduction en justice de l’Officier du Service National de Renseignement, Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU, de l’agent du SNR Nestor MUTABAZI et des miliciens Pierre BURATO et Saïdi NYANDWI cités dans le processus de la disparition forcée de Jérémie NDUWIMANA ;
- Le FOCODE demande à la Communauté est-africaine (EAC) de prendre des mesures drastiques sur la circulation des miliciens Imbonerakure dans son espace tant qu’ils continueront à menacer la sécurité des citoyens burundais en exil ;
- Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.
[1] L’identité de ce cadre du parti MSD n’est pas dévoilée ici pour des raisons de sa sécurité.
[2] L’identité du témoin n’est pas révélée dans ce rapport
[3] Selon un témoignage reçu par le FOCODE, Pierre BURATO serait, en plus d’être membre de Ligue Imbonerakure, très lié au SNR. Au moment des faits ci-haut cités, il était chauffeur de la Mutuelle de la Fonction Publique. Mais, précédemment, il aurait été un chauffeur du SNR à Ngozi.