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Disparition forcée de cinq militants du parti MSD arrêtés à Buyenzi (Ruvumera) le 02 mars 2018

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DECLARATION DU FOCODE n° 013 /2018 

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Messieurs Egide HABONIMANA, Lionel HAFASHIMANA, Emmanuel NYABENDA, Bonaventure HAVYARIMANA et Benius MBANYENIMANGA, cinq opposants introuvables depuis leur arrestation par le SNR le 02 mars 2018 à Buyenzi ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages très préoccupants sur la disparition forcée de cinq militants du parti de l’opposition MSD[1], tous originaires de Muyira dans la commune Kanyosha (Bujumbura rural), introuvables depuis leur arrestation le 02 mars 2018 par des éléments du Service National de Renseignement (SNR) non loin de leur lieu de travail au marché de Ruvumera de la zone urbaine de Buyenzi. Les cinq militants étaient des forgerons et de petits commerçants qui vendaient les produits de leurs ateliers. Ils auraient été détenus dans les cachots du SNR à Rohero avant d’être transférés dans un lieu jusqu’ici inconnu. Les familles des victimes ont été sommées de payer une rançon d’un million et demie de francs burundais pour retrouver les leurs ; ils ont payé mais en vain. Les familles des victimes vivent dans la peur et la détresse, aucune autorité burundaise ne veut fournir une moindre explication à cette disparition. Aucune enquête policière ou judiciaire n’est en cours pour retrouver les traces des victimes.

Le caractère particulier de ce dossier de la Campagne NDONDEZA repose avant tout dans le nombre impressionnant des victimes disparues au même moment : c’est la toute première fois que la campagne traite un dossier de cinq personnes arrêtées et disparues au même moment. Toutes les cinq victimes proviennent d’une même famille[2] et sont originaires d’une même colline : Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha de la province de Bujumbura (dit rural). Deux des cinq victimes étaient des frères de sang : Benius et Bonaventure, il semble qu’ils étaient les plus ciblés par le renseignement burundais. Les victimes sont relativement jeunes, leur moyenne d’âge est de 33,6 ans ; le plus âgé a 39 ans et le plus jeune a 22 ans. Deux des cinq victimes sont mariées et laissent 12 enfants. En tant que militants engagés du parti MSD et anciens manifestants, ils rentrent dans une cible privilégiée de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015.

A. Identification des victimes

  1. Egide HABONIMANA est né en 1984 à Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha dans la province de Bujumbura. Il est le fils de Zacharie NZIKONAGUZWE et de Marguerite NDEREYIMANA. A 34 ans, Egide HABONIMANA était encore célibataire au moment de sa disparition forcée. Il est le cousin direct des deux frères Benius et Bonaventure. Comme profession, il était forgeron à Ruvumera.

  1. Du groupe des cinq victimes, Lionel HAFASHIMANA est le plus jeune. Né en 1996 à Mirama, Lionel est le fils de Pascal MISIGARO et d’Adélaïde NJEBASHAKA. A 22 ans, Lionel était encore célibataire au moment de sa disparition forcée. Comme ses compagnons d’infortune, il était à la fois forgeron et commerçant au marché de Ruvumera.
  2. Emmanuel NYABENDA est né en 1980 à Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha de la province Bujumbura. Il est le fils de Gabriel NTAMAVUKIRO et de Rose BEDETSE. A 38 ans, il est marié et père de cinq enfants. Emmanuel est forgeron à Ruvumera.

  1. Bonaventure HAVYARIMANA est né en 1983 à Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha dans la province de Bujumbura. A 35 ans, il était encore célibataire au moment de sa disparition forcée. Il est le petit frère de Benius MBANYENIMANGA disparu malheureusement avec lui. Il était à la fois forgeron et commerçant à Ruvumera.

  1. Benius MBANYENIMANGA est né en 1979 à Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha dans la province de Bujumbura. A 39 ans, il est l’aîné du groupe des cinq victimes. Il est marié et père de sept enfants. Forgeron comme ses compagnons d’infortune, Benius exerçait essentiellement dans son atelier à Mirama et laissait son frère Bonaventure commercialiser ses produits à Ruvumera.

B. Affiliation et activités politiques des cinq victimes

  1. Toutes les cinq victimes sont des militants du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie, MSD en sigle, un parti politique de l’opposition créé et dirigé par l’ancien journaliste Alexis SINDUHIJE, un des membres dirigeants de la plate-forme de l’opposition politique en exil, le CNARED[3]-Giriteka. Les membres de ce parti ont été particulièrement ciblés par la répression en cours contre les opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Le porte-parole du parti a d’ailleurs été le premier à alerter sur cette disparition[4]:
  1. Il semble que les frères Benius MBANYENIMANGA et Bonaventure HAVYARIMANA étaient les plus ciblés par le renseignement burundais en raison de leur ferme engagement au sein du parti MSD. La permanence du parti MSD dans la province de Bujumbura était d’ailleurs installée dans leur maison. Les responsables du CNDD-FDD auraient tout tenté pour faire adhérer les deux frères au parti au pouvoir, mais en vain. Les trois autres victimes auraient subi le même sort pour avoir été témoins de l’arrestation. Toutefois, ils étaient tous d’anciens manifestants contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA en 2015. En 2015, des manifestations contre la troisième candidature de Pierre NKURUNZIZA ont été fortes à Muyira, le pouvoir en a toujours voulu à ces membres du MSD et ceux du FNL. En tant que membres du MSD et anciens manifestants, ils sont dans la catégorie la plus ciblée par la répression en cours au Burundi depuis avril 2015.

C. Contexte de la disparition des cinq victimes

  1. En bas du marché de Ruvumera[5], il existe un grand atelier de forgerons qui proviennent en majorité d’une même colline : Mirama, zone Muyira, commune Kanyosha dans la province de Bujumbura. Ils sont très soudés et se comportent comme des frères. En plus du métier de forgerons, ils sont également de petits commerçants qui vendent essentiellement les produits de leurs ateliers.
  1. Le 02 mars 2018, aux environs de 16 heures, les frères Benius MBANYENIMANGA et Bonaventure HAVYARIMANA faisaient un tour dans une voiture Toyota TI conduite par un ancien ami, un certain Fabrice plus connu sous le sobriquet de Brice. Comme c’était vendredi soir, Fabrice leur aurait proposé de faire un tour avec lui pour célébrer le weekend en vieux amis. Arrivés à Buyenzi, ils ont croisé Lionel HAFASHIMANA qui rentrait de Mirama et venait faire des achats pour son grand frère qui allait se marier le lendemain. Les deux frères l’ont invité à faire un tour avec eux. Quand la voiture est arrivée au niveau de l’atelier de Ruvumera, leurs collègues forgerons originaires de Mirama se sont rassemblés autour de la voiture, ils croyaient que c’était une nouvelle voiture des frères Benius et Bonaventure. Ils voulaient tous monter à bord et faire un tour. Puis ils se sont convenus qu’un premier groupe part et qu’au retour un deuxième groupe va faire son tour. Le premier groupe est parti et il n’est jamais revenu. Ce sont les cinq victimes.
  1. La voiture a pris « la route non macadamisée qui continue jusqu’au croisement avec une route macadamisée menant vers le port de Bujumbura et une autre vers la Brarudi », route communément appelée « chez Rubengebenge » selon un proche des victimes. C’est dans cette route non macadamisée que deux autres voitures les ont bloqués, au-devant une Toyota T.I. aux vitres teintées et à l’arrière une Toyota Starlet de couleur grise. Des hommes en tenue civile et en tenue de police se trouvaient à bord des deux voitures et auraient obligé les cinq victimes à monter dans les deux voitures avant de bander leurs yeux. L’officier du renseignement Joseph Mathias NIYONZIMA alias Kazungu aurait conduit cette opération selon une source proche du SNR. Les victimes auraient été emmenées au quartier général du SNR à Rohero.
  1. Curieusement, le chauffeur Fabrice n’a pas connu le même sort. Au moment de l’arrestation de « ses amis », il est resté dans sa voiture. Il lui a été simplement demandé de suivre les deux voitures du SNR et il a obéi. Deux semaines plus tard, Fabrice s’est présenté à l’atelier des forgerons à Ruvumera pour annoncer que lui, il avait été libéré par le SNR grâce à l’intervention d’une personne qu’il comptait présenter. Cette personne dont l’identité n’a pas été dévoilée a promis la libération des victimes moyennant le payement de cinq millions de francs burundais. Qu’elle soit feinte ou pas, la libération de Fabrice par le SNR est une preuve que les victimes ont bel et bien été arrêtées par le renseignement burundais.
  1. Pour le porte-parole du parti MSD, les cinq militants ont été arrêtés par l’officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA alias « Kazungu »[6]: « Ces 5 membres du @MsdBurundi enlevés par #Kazungu sont de petits commerçants du marché de Ruvumera en @MairieBujumbura. Ils rentraient de leurs familles après le travail quand le sanguinaire Kazungu les a enlevés vers 16h en date du 02 mars 2018. »

D. Calvaire des familles des victimes

  1. Les familles des victimes n’ont aucune nouvelle de la situation des leurs, aucune autorité burundaise ne veut leur fournir une moindre information. Dans un premier temps, les familles ont reçu des informations contradictoires sur les lieux de détention des leurs. Les proches ont été les chercher dans les cachots de Bujumbura, de Makamba au sud du pays et de Muyinga au nord du Burundi. Partout, la recherche a été vaine. Jean-Bosco NDARUBAYEMWO, directeur d’une école secondaire à Muyira et ancien chef communal des miliciens IMBONERAKURE, aurait déclaré qu’il connaissait le lieu de détention des victimes et qu’il savait que seuls les frères Benius et Bonaventure étaient recherchés. Mais plus tard, il aurait refusé de s’exprimer encore sur le sujet.
  1. Les familles des victimes ont été forcées de payer de l’argent pour obtenir la libération des leurs. Un agent du SNR aurait exigé le payement de cinq millions de francs burundais pour la libération des victimes. Après de longues discussions, les familles ont pu payer un million et cinq cent mille francs burundais (BIF 1.500.000). Quatre mois après ce payement, les victimes n’ont pas été remises aux familles.
  1. Les familles ont déjà perdu l’espoir de retrouver les leurs. Tout ce qu’elles demandent aujourd’hui, c’est de connaître au moins les lieux où les corps auraient été jetés pour pouvoir les enterrer dignement. Les familles vivent aussi dans la peur des représailles, très peu parmi les proches acceptent d’évoquer ce sujet.

E. Personnes intéressantes pour une enquête sérieuse

  1. L’officier du SNR Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU est cité comme celui qui a conduit l’opération de l’arrestation des cinq victimes. Il est également cité dans plusieurs autres dossiers de disparitions forcées, d’exécutions extra-judiciaires, d’assassinats, de torture et d’arrestations arbitraires des opposants politiques.
  1. Jean-Bosco NDARUBAYEMWO, directeur d’une école secondaire à Muyira et ancien chef communal des Imbonerakure à Kanyosha, aurait déclaré à des proches des victimes qu’il connaissait le lieu de détention des victimes. Auparavant il aurait fait pression sur les frères Benius et Bonaventure pour qu’ils adhèrent au CNNDD-FDD.
  1. Le chauffeur Fabrice et son ami qui promettaient de faire libérer les victimes moyennant le payement d’une rançon. Fabrice a eu un comportement intriguant : il propose à un ancien ami qu’il n’avait vu depuis des années de faire un tour dans son véhicule pour célébrer le weekend. Par la suite, toutes les personnes à bord de son véhicule sont arrêtées et on lui propose gentiment de les suivre. Il est libéré deux semaines plus tard tandis que les autres sont introuvables. Enfin, il propose aux familles un agent du SNR à payer pour obtenir la libération.

N.B. : Le FOCODE avise ceux qui voudront utiliser d’une manière ou d’une autre les données de cette enquête qu’une partie d’informations a été gardée confidentielle afin de tenter de protéger les sources ou de préserver l’intégrité des différentes preuves qui pourront être utiles aux instances judiciaires ou autres qui pourront traiter le dossier. Ces informations pourront être livrées, sur requête, à tout organe d’enquête jugé indépendant ou toute autre source jugée appropriée à recevoir de telles informations.

F. Prise de position du FOCODE et recommandations.

  1. Le FOCODE condamne la disparition forcée des cinq ressortissants de Muyira, Egide HABONIMANA, Lionel HAFASHIMANA, Emmanuel NYABENDA, Bonaventure HAVYARIMANA et Benius MBANYENIMANGA introuvables depuis leur arrestation par des éléments du SNR le 02 mars 2018 dans la zone Buyenzi en mairie de Bujumbura ;
  2. Le FOCODE condamne le silence des autorités burundaises sur cette disparition et l’inaction de la justice burundaise tout comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées des opposants ou des personnes supposées comme tels ;
  3. Le FOCODE condamne la persistance de multiples actes d’atteinte graves aux droits fondamentaux perpétrés par des agents des corps de défense et de sécurité, la persistance du phénomène des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires ainsi que la totale impunité garantie aux éléments égarés des corps de défense et de sécurité impliqués dans des actes de disparitions forcées;
  4. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée des cinq militants du MSD arrêtés par le SNR le 02 mars 2018 dans la zone urbaine de Buyenzi et la traduction en justice de tous ceux qui ont joué un rôle dans cette disparition ;
  5. Le FOCODE demande aux familles et aux témoins d’aider de ne pas baisser les bras et de continuer à aider dans la communication des cas de disparitions forcées dont ils ont connaissance ;

Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter  profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.

[1] Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie, parti créé et dirigé  par l’ancien journaliste Alexis Sinduhije

[2] Famille au sens large

[3] Site web de la plate-forme : http://cnared.info/

[4] https://twitter.com/NEpithace/status/972419092421468160

[5] Le marché de Ruvumera se trouve dans la zone urbaine de Buyenzi, au centre de la ville de Bujumbura

[6] https://twitter.com/NEpithace/status/972419095093284864