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Disparition forcée de Calixte Irankunda

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DECLARATION DU FOCODE n° 004 /2018  du 28 mars 2018

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Calixte IRANKUNDA, jeune homme introuvable depuis son enlèvement dans l’après-midi du 14 Mai 2016 à Kanyosha, au sud de la ville de Bujumbura ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a reçu des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Calixte IRANKUNDA introuvable depuis son enlèvement par les agents du Service National de Renseignement (SNR) la journée du samedi 14 Mai 2016 en zone Kanyosha dans une buvette tout près du bureau de la Microfinance Coopec et de la Paroisse Catholique de Kanyosha. Invité à partager un verre avec « un ami », Calixte IRANKUNDA a été forcé de monter dans une voiture à bord de laquelle se trouvaient des agents du SNR. Il n’a jamais été retrouvé depuis.

Ce dossier de la Campagne NDONDEZA rappelle un schéma devenu classique du phénomène des disparitions forcées : la victime est contactée par téléphone et se voit fixer un rendez-vous par « un ami » qui n’est en réalité qu’un informateur des services secrets. Arrivée au lieu du rendez-vous, la victime est enlevée par une équipe d’agents du SNR ou de la police. Le lieu de détention n’est jamais communiqué à la famille de la victime. Les semaines passent, les familles se lassent dans leurs recherches ou deviennent victimes d’un rançonnage dont les montants varient selon les dossiers. Généralement, les membres des familles des victimes subissent des intimidations à leur tour. Pour couronner le tout, les autorités burundaises gardent le silence, la police refuse d’enquêter et la justice reste inerte. Dans le cas de Calixte IRANKUNDA, le FOCODE n’a reçu aucune information sur une quelconque demande de rançon ou de menaces sur la famille de la victime.

A. Identité de la victime

  1. Fils de Fabien NTIBANGANA et Ildégonde NTUYAHAGA, Calixte IRANKUNDA est né en 1985 à Rutongo, Commune Muhuta de l’actuelle Province de Rumonge. Célibataire, Calixte résidait à la 7ème avenue de la zone Buyenzi (au centre de la ville de Bujumbura) au moment de sa disparition forcée.
  1. Homme de paix et de confiance selon ses proches, Calixte IRANKUNDA n’avait pas d’appartenance politique assumée. Selon certains de ses connaissances, Calixte aurait été proche du parti UPRONA « gouvernemental », c’est-à-dire de l’aile Concilie NIBIGIRA. C’est cette proximité qui lui aurait permis de décrocher la vice-présidence de la Commission électorale communale indépendante (CECI) de Muhuta en Province Rumonge lors des élections de 2015.

B. Circonstances de la disparition forcée de Calixte IRANKUNDA.

  1. Samedi 14 Mai 2016. Calixte IRANKUNDA reçoit dans la journée un appel d’un certain Marcien HABARUGIRA qui se fait aussi nommer parfois Léonidas HABARUGIRA, jeune comme lui. Ce dernier l’invite à partager un verre et les deux se conviennent de se retrouver dans une buvette située sur la route Rumonge, non loin de la Paroisse Kanyosha, juste à côté du bureau de la Microfinance Coopec à Kanyosha.
  1. Vers 14 heures, Calixte et Léonidas se retrouvent sur le lieu convenu. C’est à peine qu’ils commencent à prendre leur verre que surgit une voiture Toyota Starlet sans plaque d’immatriculation. Selon des proches de Calixte IRANKUNDA, des agents du service national de renseignement dont un certain Joe Dassin NKEZABAHIZI se trouvent à bord du  véhicule. Les deux jeunes hommes sont immédiatement arrêtés et sommés de monter à bord de la voiture. Les agents du SNR repartent assis sur les deux jeunes hommes. Ils sont alors conduits, selon les informations obtenues par les proches, au quartier général du SNR à Rohero, non loin de la Cathédrale Regina Mundi à Bujumbura.
  1. La Radio Publique Africaine (RPA) a produit un article sur cette disparition forcée qui corrobore la plupart des éléments de cette enquête :

Selon les membres de la famille du disparu, ils n’ont aucune nouvelle de Calixte Irankunda depuis son arrestation le 14 mai dans la matinée. Les proches font savoir que le disparu a reçu un appel téléphonique d’un certain Léonidas Habarugira connu aussi sous le nom de Marcien Habarugira, un informateur du Service National des Renseignements qui aide souvent le SNR à arrêter des gens. Nos sources ajoutent que Calixte Irankunda a été arrêté en Zone Kanyosha de la Mairie de Bujumbura, en face des bureaux de la Micro finance Coopec. Callixte  Irankunda a été emmené dans des conditions déplorables, « ses bourreaux se sont assis sur lui », selon toujours nos sources. Sa famille fait savoir qu’elle a appris que Calixte Irankunda a passé la nuit du 14 au 15 mai dans les cachots du Service National des Renseignements, situé au quartier Rohero 1 en face de la paroisse Cathédrale Régina Mundi. C’est de ce cachot que la personne qui l’a fait arrêter, Léonidas Habarugira, a été libéré seul. Depuis lors, la famille a mené des recherches partout mais sans succès. Elle reçoit en outre des informations incertaines selon lesquelles Calixte Irankunda serait détenu en province de Kayanza au nord du pays. Autre fait qui inquiète la famille du disparu, c’est que Calixte Irankunda a déjà dépassé les 14 jours de détention préventive prévus par la loi pour qu’un détenu se présente devant le magistrat afin qu’il soit informé d’éventuelles charges et confirmé en détention ou remis en liberté. La famille du disparu se trouve aussi dans le désespoir et la peur grandissante chaque jour que Calixte Irankunda aurait été exécuté.[1]

  1. Le lendemain, 15 mai 2016, Marcien HABARUGIRA alias Léonidas HABARUGIRA est libéré seul. Calixte IRANKUNDA n’a jamais été revu depuis son enlèvement.
  1. Le FOCODE s’est intéressé au mobile de cette disparition forcée pour le moins surprenant pour un membre de l’UPRONA « gouvernemental ». Selon des proches de la victime, Joe Dassin NKEZABAHIZI lui devait une somme de six cent mille francs burundais (600.000 FBU). Incapable de payer sa dette, Joe Dassin aurait inventé de toute pièce une histoire de coordination des rebelles à Rumonge et aurait accusé la victime au niveau du SNR. Le FOCODE n’est pas en mesure de confirmer ou d’infirmer cette version.

C. Efforts de la famille pour retrouver Calixte IRANKUNDA

  1. Les proches de Calixte IRANKUNDA l’ont cherché dans plusieurs cachots officiels de la ville de Bujumbura, y compris ceux du SNR, mais en vain. Selon les informations qu’ils ont reçues, Calixte IRANKUNDA a passé la nuit du 14 au 15 Mai 2016 dans un cachot du SNR à Rohero, non loin de la Cathédrale Regina Mundi. Cela a été le cas également pour Marcien HABARUGIRA alias Léonidas HABARUGIRA. Par la suite, Calixte aurait été conduit à Kayanza. Aucune source fiable et crédible n’a corroboré cette information.
  1. Le SNR n’a jamais communiqué sur la situation de Calixte IRANKUNDA. Aucune autorité publique ne s’est investie pour le retrouver. Désespérée, la famille attend depuis une année et 10 mois le retour de son fils bien-aimé et ne sait plus à quel saint se vouer. Contrairement à de nombreux autres cas de disparitions forcées, aucune demande de rançon n’a été signalée au FOCODE.

D. Présumés auteurs de la disparition forcée de Calixte IRANKUNDA

  1. Deux noms reviennent dans le processus de disparition forcée de Calixte IRANKUNDA : Marcien HABARUGIRA alias Léonidas HABARUGIRA et Joe Dassin NKEZABAHIZI.
  1. Marcien HABARUGIRA alias Léonidas HABARUGIRA a invité Calixte IRANKUNDA à partager un verre avec lui à Kanyosha et des agents du SNR sont venus les arrêter dès qu’ils ont commencé à prendre ce verre. Dès le lendemain, Marcien HABARUGIRA a été relâché seul et n’a pas aidé dans la recherche de « son ami ». Des sources concordantes ont décrit Marcien HABARUGIRA comme un informateur du SNR qui aurait livré beaucoup d’autres jeunes de la même manière. Ce schéma de victimes de disparitions forcées appelées à un rendez-vous par un « ami » et qui se font capturer par des agents du SNR a été répété dans la majorité des dossiers traités par la Campagne NDONDEZA.
  1. Joe Dassin NKEZABAHIZI est cité dans ce dossier comme le coordinateur de la disparition de Calixte IRANKUNDA. Son nom est très connu depuis le début des manifestations contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Il aurait été à la tête de l’équipe des agents du SNR qui ont enlevé Calixte IRANKUNDA. « Joe Dassin » était à l’époque présenté comme responsable du SNR à dans la zone Musaga au sud de la ville de Bujumbura, mais ses opérations s’étendaient souvent jusqu’à Kanyosha. Son nom a déjà été cité dans plusieurs dossiers d’assassinats, d’enlèvements et de disparitions forcées. Dans la soirée du 1er mai 2015, une équipe d’agents du SNR conduits par Joe Dassin NKEZABAHIZI a tiré à balles réelles sur un militaire, le caporal Ephraïm HATUNGIMANA, qui est mort sur-le-champ. Durant son interrogatoire au parquet « Joe Dassin » aurait avoué un homicide involontaire. Détenu pendant quelques semaines à la prison centrale de Mpimba, le groupe a été secrètement libéré[2] et ainsi extrait de toute poursuite judiciaire malgré l’aveu de culpabilité. Le nom de « Joe Dassin » a été cité dans plusieurs autres dossiers de la Campagne NDONDEZA dont la disparition forcée de Jean-Paul GAHUNGU[3] et celle de Rémy NDAGIJIMANA[4]. En dépit de toutes les dénonciations le concernant, « Joe Dassin » bénéficie jusqu’ici d’une totale impunité.

Extrait d’un article de la radio Isanganiro sur l’implication de Joe dassin dans l’assassinat du Caporal Ephraïm HATUNGIMANA : « Un responsable du Service National des Renseignements tue un militaire dans une commune à fortes mobilisation contre la 3ème candidature de Pierre Nkurunziza à savoir Musaga ce jeudi. C’était à quelques minutes de 18 heures ce jeudi lorsque cet incident s’est produit. Un responsable du SNR à Musaga et Kanyosha connu sous le prénom de Joe Dassin, un des patrons du Service National des Renseignements, a tiré sur un militaire à la 9ème avenue de Musaga. »[5]

  1. Il sied d’insister sur le fait que les opérations d’enlèvement des citoyens par des agents du SNR sont normalement autorisées par le Département du renseignement intérieur (communément appelé DDI) au sein du SNR ainsi que son Service de la sécurité intérieure. Ledit Département est dirigé par Monsieur Emmanuel NDAYIZIGA tandis que le Service de la sécurité intérieure est dirigé par l’OPC1 Alexis NDAYIKENGURUKIYE alias « NKOROKA ».

F. Prise de position et recommandations

  1. Le FOCODE condamne encore une fois les enlèvements, arrestations illégales et arbitraires des citoyens du Burundi opérés par des forces de sécurité et qui sont suivis par des détentions dans des lieux secrets non communiqués ni par des déclarations publiques ni par l’information des familles des détenus ;
  1. Le FOCODE condamne l’enlèvement suivi de la disparition forcée de Monsieur Calixte IRANKUNDA ainsi que le silence et l’inertie de la police et de la justice burundaises après cette disparition forcée ;
  1. Le FOCODE demande une enquête indépendante sur la disparition forcée de Monsieur Calixte IRANKUNDA et la traduction en justice de l’agent du SNR Joe Dassin NKEZABAHIZI, de l’informateur du SNR Marcien HABARUGIRA alias Léonidas HABARUGIRA et de toute autre personne ayant joué un rôle dans cette disparition ;
  1. Le FOCODE réitère sa demande à la Cour Pénale Internationale d’enquêter profondément sur le phénomène des disparitions forcées devenu récurrent au Burundi et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.

[1] La famille de callixte Irankunda dénonce une disparition forcée après arrestation par le SNR, https://www.rpa.bi/index.php/2011-08-15-07-10-58/droits-de-l-homme/item/2426-la-famille-de-calixte-irankunda-denonce-une-disparition-forcee-apres-arrestation-par-le-snr

[2] Bamwe mubiketsze kugandagura umusirikare Eufrem Hatungimana baridegemvya, http://www.igihe.bi/bamwe-mu-baketswe-kwica.html

[3] Disparition forcée de Jean-Paul Gahungu, http://ndondeza.org/jean-paul-gahungu/

[4] Disparition forcée de MM Léon Bangiricenge et Rémy Ndagijimana, http://ndondeza.org/leon-bangiricenge-et-remy-ndagijimana/

[5] Manif anti 3e mandat : un agent du SNR tue un militaire de la FDN à Musaga, http://www.isanganiro.org/spip.php?article9237