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Disparition forcée de Balthazar Mbonicura

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DECLARATION DU FOCODE n° 035 /2017 du 22 décembre 2017

 

« Les autorités burundaises doivent faire la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Balthazar MBONICURA, ancien militaire introuvable depuis son enlèvement par le SNR le 29 avril 2016 à Ngagara ».

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a recueilli des informations et des témoignages sur la disparition forcée de Monsieur Balthazar MBONICURA, ancien militaire des Forces Armées Burundaises (ex-FAB) et militant du parti Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), introuvable depuis son enlèvement le 29 avril 2016 dans la zone urbaine de Ngagara, au Nord de la ville de Bujumbura. Selon un survivant de la scène, Balthazar MBONICURA a été arrêté par l’officier du Service National de Renseignement (SNR) Joseph-Mathias NIYONZIMA, et conduit dans le capot d’une voiture vers une destination jusqu’ici inconnue. Aucun organe de l’Etat du Burundi n’a agi pour éclairer sur la situation de Balthazar MBONICURA depuis une année et huit mois ou pour le retrouver.

Tutsi, ancien homme de troupe de l’armée burundaise, membre du parti MSD, Balthazar MBONICURA fait partie de la catégorie la plus ciblée par la répression au Burundi depuis la contestation populaire du troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. De manière particulière, ce 59ème dossier de la Campagne NDONDEZA partage le récit d’un témoin oculaire de la scène d’arrestation de Balthazar MBONICURA ainsi que des témoignages des proches.

A. Identification de la victime

  1. Fils de Monsieur KAMWENUBUSA et Madame KARONDO[1], Balthazar MBONICURA est né dans la zone Ryarusera de la commune et province Muramvya, au centre du Burundi. Marié et père de cinq enfants, Balthazar MBONICURA résidait au quartier Mutakura, un des quartiers les plus actifs dans la contestation du 3ème mandat de Pierre Nkurunziza, situé au nord de la capitale Bujumbura.
  1. Il avait intégré l’armée burundaise en 1996 dans la catégorie des hommes de troupes et avait regagné la vie civile, au grade de caporal, en 2003 selon ses proches. Après sa vie militaire, Balthazar s’était reconverti dans les affaires et vendait de la friperie au marché de Jabe au centre de la ville de Bujumbura.
  1. Balthazar MBONICURA était militant du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), un des partis de l’opposition dont de nombreux membres ont été victimes d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et d’assassinats depuis 2010, et particulièrement à partir de la répression en cours au Burundi depuis avril 2015. Bien plus, l’expérience montre que la répression en cours au Burundi tient compte non seulement de l’appartenance politique de la victime mais parfois aussi du mouvement militaire d’origine. Ainsi, Balthazar MBONICURA était doublement vulnérable compte tenu de son statut d’ancien militaireEx-FAB[2] et en même temps de militant du parti MSD ayant participé à la contestation populaire contre le troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA.

B. Contexte de la disparition forcée de Balthazar Mbonicura : un témoin oculaire raconte

  1. « C’est le 29 avril 2016, nous sommes aux environs de 9 heures du matin. Je sors de mon domicile sis au quartier 6 de la zone Ngagara. Je prends mon chemin pour le quartier 4, pour me faire couper les cheveux dans un des salons de coiffure du coin, étant donné que mon quartier connaît un délestage d’électricité depuis cette nuit. Tout le long de mon chemin, je m’empresse pour ne pas être en retard à une séance de prières à l’aumônerie militaire du camp Ngagara, comme cela est de mes habitudes tous les vendredis, choriste que je suis dans la paroisse dudit camp. J’ignore que rien ne se passera comme prévu, avant que je n’arrive au quartier 4 de Ngagara, non loin de ma destination en ce moment.
  1. « A mon arrivée devant l’Alimentation Agaharawe (petit magasin situé du côté du quartier Ngagara 4, au bord de la route séparant les quartiers 3 et 4), je rencontre une connaissance, un ancien militaire ex-FAB du nom de Balthazar MBONICURA. En anciens amis, nous nous saluons et nous racontons nos nouvelles de très longue date. J’ignore une chose de ses nouvelles : Balthazar est recherché par le service national de renseignement. Je sais qu’être ex-FAB est comme une infraction passible d’une peine de mort sous le régime actuel, mais je n’ai pas besoin de penser à cela. J’éprouve simplement la joie de retrouver vivant mon ami.
  1. « Soudain, un cortège fait d’au moins six camionnettes de type « pick-up » débarque sur les lieux. Naïf, j’assiste à un spectacle de ces hommes lourdement armés qui descendent de ces camionnettes à la hollywoodienne. Balthazar MBONICURA, lui, éprouve un autre sentiment : « ça sent la mort ». Et de filer en toute vitesse dans la direction du quartier 3. Evidemment, les agents ayant déjà identifié leur cible, ils le poursuivent en tirant à bout portant. Et moi le naïf dans tout ça, je n’en crois pas mes yeux, tout simplement.
  1. « Tout le monde assiste à ce scénario, époustouflé. J’en déduis que mon ami a été livré. Je sais comment les choses marchent ici. Comme nous étions ensemble avec MBONICURA, s’ils ne parviennent pas à mettre la main sur lui, c’est à moi qu’ils vont s’en prendre. A petits pas donc, je fais la marche en arrière pour quitter les lieux. A une centaine de pas, un des agents me tombe dessus. « Toi ! Tu étais avec lui, non ? Retourne là-bas ! » ; M’intime-t-il l’ordre. J’exécute sans discuter.
  1. « Sur les lieux, MBONICURA a été ramené. Une de ses jambes saigne, ils lui ont tiré dessus. Nous sommes menottés ensemble. Dans un des pick-ups, je peux apercevoir Epitace et Désiré, deux jeunes hommes anciens manifestants des quartiers nord de la capitale, désormais reconvertis en miliciens Imbonerakure collaborateurs du SNR, pour livrer d’autres manifestants. C’est certainement eux qui ont livré MBONICURA.
  1. « Aussitôt, les véhicules redémarrent. Direction, un endroit moins fréquenté au quartier 7 de Ngagara. Là, les pick-ups s’arrêtent et le chef de la mission sort son cellulaire ; il lance un appel. Rapidement, le redoutable Joseph Mathias NIYONZIMA surnommé « KAZUNGU » apparaît sur les lieux, à bord d’une voiture de type Toyota TI de couleur blanche. Je sens que c’est le moment de murmurer mes dernières prières. Je suis tétanisé, MBONICURA saigne encore de sa jambe.
  1. « Nos ravisseurs enlèvent les menottes sur les poignets de MBONICURA, le tirent et le roulent brutalement par terre, le battant de tout le corps. Homme élancé et d’une corpulence géante qu’il est, les ravisseurs n’hésitent pas de le plier en deux et l’embarquer dans le capot porte-bagage de la voiture TI de KAZUNGU. C’est lui le « coli » pour lequel ce dernier est venu. Je n’ai même pas eu l’idée de lui adresser des adieux, mais cela fut notre dernière vue, même chose pour tous ses proches.
  1. « Je suis resté seul à bord du pick-up, seul mais toujours menotté. Ils m’emmènent avec eux au camp de l’Unité d’appui à la protection des institutions (API) sis à Ngagara, quartier 9. Sur la route, j’ai croisé le regard d’une autre connaissance, un professeur ami à moi. Je lui ai montré les menottes et lui m’a fait un clin d’œil, signe qu’il m’a vu. Je me suis réjoui du fait qu’enfin, les miens apprendraient peut-être de mes dernières nouvelles, par le biais de ce professeur. C’est effectivement lui qui l’a fait savoir à ma famille. Cela ne veut quand-même pas dire que je suis tiré d’affaire.
  1. « Arrivé au camp de police API à Ngagara quartier 9, les policiers se précipitent pour voir des « présumés rebelles qui venaient d’être capturés », comme cela était déjà annoncé. Parmi ces policiers, il y a certains avec qui nous partageons des travaux à l’église, trois choristes. Ils lèvent la voix : « ne faites rien à cet homme, il n’a rien fait de mal. Nous le connaissons». Les ravisseurs n’ont pas pour autant désarmé, ils ont répondu : « il ne sera pas tué, mais peut-être emprisonné. Il doit d’abord s’expliquer ».
  1. « Nous reprenons la route. Destination, bureaux du service national de renseignement, au quartier Rohero. Là, Dieu semble y avoir placé des anges-gardiens pour moi : des hommes blancs envoyés par le Comité International de la Croix Rouge (CICR). C’est ça qui a fait que je ne sois pas emmené au « Scanner ».
  1. « C’est quoi le scanner ? Un lieu où on torture les détenus du SNR. Je l’ai vu de mes propres yeux : un manguier sur lequel des détenus sont suspendus, jambes et bras rattachés par une corde, puis battus avec une barre métallique tout le dos. En plus, un bidon de 5 litres d’eau est en même temps suspendu aux testicules du torturé. Toute personne soumise à une telle torture, s’il n’en meurt pas, il en sort sexuellement impuissant ou fracturé de sa colonne vertébrale. A côté de ce manguier, une chaise partout garnie de pointes de clous. Après le passage à tabac suspendu sur les branches du manguier, l’étape suivante est de se faire asseoir sur cette chaise. Bien entendu, les clous doivent percer dans la chaire du torturé ; il en sort paralysé. C’est ça qu’on appelle « Scanner».
  1. « Certes, j’ai eu le privilège d’échapper au scanner, mais Joseph Mathias NIYONZIMA alias KAZUNGU m’a brutalement giflé au niveau de l’œil, quand il venait prendre MBONICURA. Mon œil a été lésé et n’a plus fonctionné normalement jusqu’à maintenant. Ça fait plus d’une année, il larmoie encore, et j’ai fini par en perdre la vision. N’avoir pas passé au scanner, c’est peut-être parce qu’il y avait des observateurs de l’Union Africaine qui passaient voir les détenus de temps à autre. J’ai passé au moins vingt jours dans les cachots de la documentation[3], au bout de quoi j’ai été relâché, moyennant un plan de mon élimination physique sur le chemin retour à la maison.
  1. « Mon assassinat n’est pas passé si loin: le jour de mon relâchement, une réunion de tous les officiers du SNR se trouvant près de la cathédrale s’est tenue, pour décider de qui relâcher, qui tuer, qui garder. Ça se passe toujours ainsi ; comme je l’ai constaté. J’étais chanceux de me retrouver sur la liste de ceux qui allaient rentrer, mais on décida de me faire disparaître sur mon chemin, histoire de ne pas me laisser le temps de dévoiler toute la vérité sur des scènes dont je venais d’être un témoin direct. Comme par magie, un des officiers d’une âme charitable a envoyé un agent de transmission pour me souffler ce qui a été décidé à mon sujet, et de me conseiller : « tâche de ne pas te diriger ni chez toi, ni à ton lieu de travail, encore moins dans ta commune d’origine. Sinon, tu es un homme mort ». Je suis vite passé en clandestinité, pendant quelques jours, le temps que je trouve comment franchir les frontières du pays et m’exiler. Ainsi, j’ai échappé au plan de mon élimination physique sur le territoire burundais. Quant à Balthazar MBONICURA, je l’ai vu la dernière fois le 29 avril 2016, autour de 9h du matin. La suite, seul KAZUNGU le sait. »

N.B : Le FOCODE a décidé de ne pas dévoiler l’identité de ce témoin clé de la disparition forcée de Balthazar MBONICURA. Il ne sera remis qu’à un organe ou une juridiction qui voudra enquêter sérieusement sur le cas.

C. Calvaire de la famille après la disparition forcée de Balthazar MBONICURA

  1. Des proches de Balthazar MBONICURA ont tenté de retrouver ses traces. Ils ont sillonné la plupart des lieux de détention en Mairie de Bujumbura, mais, « toute personne qui a demandé où serait détenu MBONICURA recevait immédiatement des menaces de mort», affirme un témoin. Ils ont vite conclu que sur un tel ton, Balthazar MBONICURA aurait été tué. Ils ont ainsi arrêté les recherches, sous risque d’y laisser la vie, eux aussi.
  1. Le FOCODE n’est au courant d’aucune demande de rançon sur la tête de Balthazar MBONICURA. Ceci serait un indice que la victime aurait été directement acheminée à « l’abattoir » avant que les pratiques de rançonnage ne soient entreprises ?

D. Les auteurs de la disparition forcée de Balthazar MBONICURA

  1. Les témoignages recueillis par le FOCODE montrent que des agents du SNR et des institutions de sécurité ont une implication indéniable dans la disparition forcée de Balthazar MBONICURA :
  • Deux jeunes, anciens manifestants, puis reconvertis en miliciens Imbonerakure collaborateurs du SNR, Epitace et Désiré. Ils sont cités comme ayant livré Balthazar MBONICURA à ses ravisseurs. Toutefois, l’expérience a montré que de tels collaborateurs sont éliminés après avoir rempli leurs missions, histoire d’effacer les éventuels témoins qui gêneraient une fois l’heure de la justice sonnée. Le FOCODE a déjà produit au moins un dossier sur des crimes pareils, et alors cela n’étonnerait pas si Epitace et Désiré ne sont pas retrouvés après quelques temps. Au moment de la rédaction de cette déclaration, Epitace et Désiré sont étrangement détenus à la prison de Ngozi.
  • L’officier du renseignement Joseph Mathias NIYONZIMA alias « Kazungu» : il apparaît sur le schéma de la disparition de Balthazar MBONICURA comme le dernier à l’avoir reçu de ses propres mains, donc celui qui l’aurait fait disparaître. Cet officier du SNR est cité dans la majorité des dossiers de la Campagne NDONDEZA, et tout semble faire croire qu’il est parmi ceux qui jouent un rôle majeur dans la commission des crimes de disparitions forcées et de nombreux autres crimes liés à la répression en cours au Burundi.
  • Le camp de l’unité de police Appui à la Protection des Institutions (API). Les agents qui ont arrêté Balthazar MBONICURA et qui l’ont livré à Kazungu sont cités comme venus de ce camp. Normalement, une mission pareille doit être régie par un ordre d’au moins le commandant de ce camp. D’où la nécessité d’une enquête sur la responsabilité des autorités de ce camp de police dans la disparition de Balthazar MBONICURA.

E. Prise de position et Recommandations

  1. Le FOCODE condamne l’enlèvement suivi de la disparition forcée de Balthazar MBONICURA et demande une enquête indépendante sur ce crime odieux ;
  1. Le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités policières, judiciaires, mais également de l’autorité administrative sur la disparition forcée de Balthazar MBONICURA, tout comme dans d’autres cas de disparitions forcées des citoyens burundais considérés comme des opposants au troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA ;
  1. Le FOCODE condamne la persistance de l’indifférence du ministre de la sécurité publique et de manière générale celle de Pierre NKURUNZIZA, commandant suprême des corps de défense et de sécurité, dans les cas de disparitions forcées des citoyens et/ou des membres des corps de défense et de sécurité ;
  1. Le FOCODE demande une enquête judiciaire sur le rôle présumé de l’officier du renseignement Joseph Mathias NIYONZIMA alias « Kazungu » dans la coordination des cas de disparitions forcées dont celui de Balthazar Mbonicura, ainsi que le rôle de toute autre personne citée dans cette disparition forcée ;
  1. Le FOCODE salue encore une fois l’ouverture de l’enquête de la Cour Pénale Internationale sur les crimes en cours au Burundi depuis le 26 avril 2015 et demande la mise en place rapide des mécanismes de protection des victimes, de leurs familles et des témoins.

[1] Les parents de Balthazar MBONICUYE n’ont pas de prénoms chrétiens comme dans la majorité des noms burundais

[2] « Ex-FAB » est communément employé pour désigner les militaires de l’ancienne armée burundaise (Forces armées burundaises) à majorité Tutsi avant l’intégration des membres des anciens mouvements rebelles à majorité Hutu communément appelés Ex-PMPA (Partis et Mouvements politiques armés).

[3] Documentation : jargon burundais qui désigne le Service National de Renseignement, SNR